Choses vues/1847/Faits contemporains (2)

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Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 25p. 271-272).


FAITS CONTEMPORAINS.


I


1847.

Arago était un grand astronome. Chose inouïe, il regardait sans cesse le ciel et il ne croyait pas en Dieu. Ce malheur arrive parfois aux astronomes. Lalande était comme Arago. Ils étudient les étoiles et les soleils cependant. À quoi bon s’ils n’en tirent pas la vraie clarté ? Ces splendeurs de la création ne sont pas faites seulement pour l’œil de la chair. Ce sont des astres dans le ciel, ce sont des flambeaux dans l’esprit.

M. Arago avait une anecdote favorite. Quand Laplace eut publié sa Mécanique céleste, disait-il, l’empereur le fit venir. L’empereur était furieux. — Comment, s’écria-t-il en apercevant Laplace, vous faites tout le système du monde, vous donnez les lois de toute la création, et dans tout votre livre vous ne parlez pas une seule fois de l’existence de Dieu ! — Sire, répondit Laplace, je n’avais pas besoin de cette hypothèse.

Arago, du reste, avait une joie d’enfant quand il avait résolu un grand problème. Il parvint à résoudre la question de savoir si la lumière est un corps ou une onde au moyen d’une roue que Bréguet exécuta et qui faisait trois mille tours par seconde. Un ressort était le moteur. Le frottement était si peu sensible que cette roue pouvait être faite en chocolat sans se briser. Sa démonstration présentée à l’Académie des sciences, Arago quitte l’Académie, rentre chez lui, aperçoit sa femme, lui prend son chapeau sur la tête et le foule aux pieds : — Tiens ! voilà ton chapeau ! — arrive à sa fille, lui arrache son châle et le déchire en deux : — Tiens ! voilà ton châle ! — Les femmes de s’effarer. — Qu’a-t-il ? — Pardieu, dit Arago, je viens de résoudre le problème de la lumière et je puis bien vous acheter un châle et un chapeau !

Ce fut sous le Directoire que fut faite la grande lunette de l’Observatoire. Ibrahim-Pacha et le bey de Tunis vinrent, lorsqu’ils passèrent à Paris, visiter l’Observatoire. Ils regardèrent la lune par cette lunette ; ils virent que ce n’était pas une lampe, comme dit le Koran, mais un monde. Ibrahim fut stupéfait ; le bey de Tunis fut consterné.


II


12 août.

Je n’ai jamais eu beaucoup de goût pour M. de Rambuteau. Raison de plus pour noter un fait qui l’honore. Vers la fin de 1814, M. de Rambuteau était préfet de Lyon. M. le comte d’Artois y vint. M. de Rambuteau reçut le prince et fit les honneurs de la ville. Tout en montrant à Monsieur les beautés de Lyon, les souvenirs de l’empire revenaient. — Monseigneur, disait M. de Rambuteau, c’est l’empereur qui a fondé cet hôpital. Cette église tombait en ruine, l’empereur l’a rebâtie. Il y a ici une pyramide, parce que l’empereur a logé sur cette place, et toujours l’empereur. — Le duc de Fitz-James, impatienté, pousse le coude de Rambuteau et lui dit bas : — Ne prononcez donc pas ce mot devant Monsieur. — Monsieur le duc, dit M. de Rambuteau, il n’y a jamais eu de laquais dans ma famille. Je n’ai pas pu être le valet de chambre de M. Buonaparte. — Le prince entendit. — Édouard, dit-il au duc de Fitz-James, M. de Rambuteau a raison.

M. de Rambuteau a été chambellan de l’empereur.