Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1201

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1201]


Octavien, évêque d’Ostie, et Jean, évêque de Velletri, vinrent en France en qualité de légats, et, par leurs avertissemens, le roi de France, Philippe, reçut en grâce, en quelque façon, sa femme Isemburge, et se sépara de son autre femme ; c’est pourquoi, levant l’interdit de la France, les légats convoquèrent à Soissons un concile dans lequel, en présence du roi et des évêques et barons de tout le royaume, on traita pendant quinze jours de la confirmation ou de la rupture du mariage de la reine Isemburge. Après beaucoup de différentes discussions des juris-consultes, le roi, ennuyé de tant de longueurs, laissa là les cardinaux et les évêques, et s’éloigna dès le grand matin avec sa femme Isemburge, sans leur dire adieu. Il leur manda par ses messagers qu’il emmenait sa femme avec lui, comme lui appartenant, et qu’il ne voulait pas se séparer d’elle. A ce message, tous restèrent stupéfaits et le concile fut rompu. La reine Marie, que le roi Philippe avait épousée après la reine Isemburge, ayant appris la nouvelle de son divorce, accablée par la douleur, mourut à Poissy. Les deux enfans qu’elle avait donnés au roi furent dans la suite, à la prière du roi de France, déclarés légitimes par un acte du pape Innocent.

La mort de Thibaut, comte de Troyes, arrivée en ce temps, causa aux siens et à beaucoup de gens un violent chagrin, à cause de son excellent caractère, et parce qu’ayant pris la croix, on espérait qu’il partirait pour le pèlerinage de Jérusalem. Il avait récemment pris en mariage la sœur du roi de Navarre, qui eut de lui deux enfans, une fille qu’elle mit au monde du vivant de son mari, et un fils dont elle était enceinte et dont elle accoucha après sa mort. L’église de Mirebeau, en Poitou, fut consacrée et l’on y établit des chanoines. Gautier, comte de Brienne, vint à Rome pour le motif suivant : La femme de feu Tancrède, roi de Sicile, long-temps retenue prisonnière avec ses enfans par Henri, empereur des Romains, qui s’était emparé de la Sicile, s’était enfin échappée avec ses filles, et s’était réfugiée auprès dudit comte auquel elle avait fiancé une de ses filles : c’est pourquoi ledit comte s’étant adjoint les compagnons qu’il put trouver, partit pour Rome afin de réclamer les droits héréditaires de sa femme, et fut reçu solennellement par le pape Innocent. Fortifié par son secours, une partie de la Campanie lui ayant été livrée, il en vint aux mains avec le tyran Tybod 10 qui s’était emparé de ce pays, le mit en fuite avec son armée, le poursuivit et le vainquit. Dans un second combat livré devant la ville de Capoue, noble ville de la Pouille, l’armée dudit tyran fut taillée en pièces, et lui-même, prenant la fuite avec un petit nombre de gens, se renferma dans une forteresse. Le comte de Brienne ayant donc remporté cette victoire, fut élevé au premier rang, et bientôt, par ses heureux succès, il soumit à sa domination, et arracha à la tyrannie de Tybod, la plus grande partie du pays.

10. Dieppold