Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1202

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223))

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[1202]


Éléonore, reine d’Angleterre, étant morte, le roi de France Philippe somma le fils de ladite reine, Jean, roi d’Angleterre, de venir à Paris lui faire hommage pour le duché d’Aquitaine et les comtés de Poitou et d’Anjou qui lui revenaient après la mort de sa mère. Mais Jean n’ayant nullement comparu au jour fixé, et n’ayant envoyé personne à sa place avec des pouvoirs suffisans, le roi de France se prépara à la guerre, entra en Normandie, détruisit de fond en comble une forteresse appelée Boutavant, ensuite prit et brûla les châteaux d’Arques, de Mortemar et de Gournay ; puis, s’empara de Conches, de l’ile d’Andely et de Vaudreuil ; après quoi il assiégea le très-fort château de Gaillard, situé sur la Seine, au haut d’une roche très-élevée, et le prit enfin après un siège de six mois. Parcourant ainsi la Normandie, il ravagea tous les environs par le pillage et la flamme.

En ce temps mourut Foulques, ce très-célèbre prêtre, qui, par ses prédications dans différentes provinces, avait excité beaucoup de gens à marcher au secours de la Terre-Sainte. D’innombrables milliers de pélerins, excités par les exhortations dudit Foulques, prirent le chemin de Jérusalem. Leurs vaisseaux ayant été agités pendant tout l’été par la violence des vents, dans le détroit qui sépare l’Espagne de l’Afrique, un grand nombre, après de longs détours, abordèrent au port de Marseille, ne pouvant s’avancer au-delà. Louis, comte de Blois, Baudouin, comte de Flandre, et beaucoup de grands et de prélats du royaume de France qui avaient pris la croix, après avoir couru sur mer beaucoup de dangers, parvinrent à Venise. Mais comme de là ils voulaient passer vers la Terre-Sainte, il survint entre eux et les Vénitiens des causes d’empêchement d’où il arriva que les pélerins ayant souffert beaucoup de dommages, les uns se retirèrent, d’autres poussèrent plus loin, et d’autres étant restés dépensèrent presque tout ce qu’ils avaient. Le trente du mois de mai, trois jours avant l’Ascension du Seigneur, il y eut dans le pays d’outre-mer un tremblement de terre, et une voix terrible fut entendue. Une grande partie de la ville d’Acre, avec le palais du roi, s’écroulèrent, et il périt un grand nombre d’habitans. Tyr fut presque entièrement renversée. La très-forte ville d’Archas fut détruite jusqu’à terre ; la plus grande partie de Tripoli s’écroula, et beaucoup d’habitans furent écrasés. Antarados, où l’on dit que l’apôtre saint Pierre avait construit la première basilique de la Mère de Dieu, ne reçut aucune atteinte. Cet événement fut suivi de stérilité et de mortalité d’hommes. Guillaume, archevêque de Rheims, étant venu à Laon, y fut attaqué d’une maladie subite ; sa langue s’étant embarrassée, il mourut intestat ; peu de temps après, son neveu Retroc, évéque de Châlons, mourut de la même manière.

Jean, roi d’Angleterre, prit Arthur, comte de bretagne, fils de son frère aîné, feu Geoffroi, que le roi de France Philippe avait envoyé faire la guerre en Aquitaine, et qu’il avait récemment fait chevalier. Le roi d’Angleterre, dis-je, le prit à Mirebeau, avec plusieurs autres, dans un moment où il n’était pas sur ses gardes ; mais les autres pris avec lui ayant été délivrés par le moyen d’otages, on rapporte que le roi Jean fit secrètement périr Arthur. C’est pourquoi, accusé et cité par les barons de France devant le roi des Français, dont il était le vassal, comme après beaucoup de citations il ne voulut point comparaître, il fut, par le jugement des pairs, dépouillé de ses fiefs. Arthur ayant donc été tué, comme nous l’avons dit, et sa sœur Éléonore étant retenue en exil en Angleterre, leur mère Constance, comtesse de Bretagne, reçut en mariage Guy de Thouars, qui dans la suite mourut de la lèpre. Il eut d’elle une fille, qui plus tard fut donnée en mariage avec le comté de Bretagne à Pierre Mauclerc, fils de Robert, comte de Dreux, et oncle de Philippe, roi de France. Les Tartares, après le meurtre de leur seigneur David, roi de l’Inde, sortirent alors pour la première fois de l’Orient, pour la destruction des peuples.