Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1207

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1207]


Satalie, ville très-fortifiée, munie d’un port, d’où l’on passait aisément en Sicile, qui avait appartenu jusqu’alors aux Chrétiens, mais aux Chrétiens grecs, fut assiégée par le soudan d’Iconium, qui la prit au grand dommage de la chrétienté, et la soumit à la domination des Turcs. Les habitans furent, les uns pendus, les autres jetés dans les fers. Philippe, roi de France, étant entré en Aquitaine, ravagea la terre du vicomte de Thouars, qui avait quitté son parti et embrassé celui du roi d’Angleterre, prit Parthenay, et, détruisant beaucoup d’autres forteresses environnantes, en laissa quelques-unes fortifiées à la garde du sénéchal Guillaume Des Roches. Hugues, évêque d’Autun, mourut, et eut pour successeur Guillaume, qui obtint pour son église, du roi de France Philippe, une perpétuelle franchise des régales.

Dans le même temps, l’exécrable hérésie des Albigeois, la plus outrée peut-être de toutes les erreurs, se glissait dans beaucoup d’endroits, et faisait d’autant plus de mal que c’était avec plus de secret. Elle avait surtout éclaté avec plus de force dans la terre du comte de Toulouse et des princes voisins, où, professant hautement leur erreur, ces hérétiques rejetaient la suprématie et les décisions de l’Église de Rome, évitaient la fréquentation des Chrétiens soumis à la communion, disant qu’aucun de ceux qui y sont soumis, ou qui y croient, ne peut être sauvé ; niaient ou pervertissaient tous les articles de la foi, blasphémaient contre toute religion, tout culte et tout ordre religieux, et contre la piété de l’Église catholique condamnaient tout le genre humain, excepté eux seuls et leurs conventicules, et tournaient en dérision l’Église des Catholiques. C’est pourquoi, par le conseil du pape Innocent, on envoya en ce pays l’abbé de Cîteaux et d’autres abbés du même ordre, à peu près au nombre de treize. C’étaient tous hommes éprouvés, instruits dans la sagesse et la faconde, prêts à satisfaire tous ceux qui le demanderaient sur les vérités de la foi, pour lesquelles ils ne craignaient pas même de sacrifier leur vie. Étant donc sortis de Cîteaux au mois de mai, ils descendirent la Saône, gagnèrent le Rhône à peu de frais, sans nuls chevaux, afin de se montrer partout hommes évangéliques. Arrivés au but de leur voyage, ils se partagèrent par deux ou trois, et parcoururent ce pays, attaquant les ennemis de la foi par les traits de la saine doctrine. A peine cependant, parmi beaucoup de milliers d’hommes, en trouvèrent-ils un petit nombre observateurs de la véritable foi. Les autres dont le nombre était infini, tenaient avec tant d’opiniâtreté à leur erreur, qu’ils ne consentaient pas à entendre les leçons de la vérité mais que, comme de sourds aspics, ils bouchaient leurs oreilles à la voix des savans enchanteurs, de peur que la vérité n’arrivât jusqu’à leurs esprits obscurcis de ténèbres. Pendant trois mois donc, accablés de beaucoup de fatigue et assaillis d’embûches, dans les villes, les villages et les châteaux, ils convertirent un petit nombre de gens, et instruisirent et confirmèrent dans leur foi le peu de fidèles qu’ils trouvèrent. Avec eux était le vénérable Elidac 12, évêque d’Osma, ville d’Espagne, qui, s’efforçait aussi de gagner des ames à Dieu, fournissait amplement sur ses revenus une abondante nourriture aux prédicateurs de la parole de Dieu.

Comme en Angleterre, après la mort d’Hubert, archevêque de Cantorbéry, on avait élu, par un choix unanime, Étienne, supérieur de Cantorbéry, Jean, roi d’Angleterre, voulant et ne pouvant en établir un autre sur le siège, fut saisi d’une telle colère qu’il chassa le chapitre de Cantorbéry, et confisqua ses revenus ecclésiastiques. C’est pourquoi le pape Innocent sacra archevêque le susdit Étienne, prètre-cardinal de Saint-Chrysogone, qui, excommuniant le roi à cause de l’expulsion des chanoines et de la confiscation de leurs biens, jeta un interdit sur l’Angleterre.

12. Diégo de Azches