Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1208

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1208]


Le moine Pierre de Castelnau, envoyé en qualité de légat par le pape Innocent dans la terre des Albigeois, excommunia le comte de Toulouse. Alors le comte, promettant de faire pénitence de ses péchés, l’appela au village de Saint-Gilles ; cependant il ne voulut point faire satisfaction, et le menaça publiquement de la mort. Le légat s’étant donc retiré, deux serviteurs du comte se joignirent à lui, et logèrent pareillement dans la même hôtellerie. Le matin étant venu, Pierre, après avoir célébré la messe, sortit de l’hôtellerie mais comme il était arrivé sur les bords du Rhône, un de ces deux serviteurs le frappa d’une lance entre les côtes. Le légat regardant celui qui le frappait, répéta souvent cette parole « Que Dieu te pardonne, et je te pardonne. » Ayant peu de temps après cessé de vivre, il fut enterré avec honneur dans l’église de Saint-Gilles.

Au moment où, tous les troubles assoupis, Philippe, roi des Romains, jouissait tranquillement de l’empire, il fut tué par le landgrave duc de Thuringe, qui avait, dit-on, conçu de la haine contre lui, parce que Philippe lui avait retiré sa fille, qu’il avait promis de lui donner en mariage. Ce meurtre accabla sa femme, fille de feu Cursat, empereur des Grecs, d’une grande douleur, dont elle mourut peu de temps après. Othon fils du duc de Saxe, neveu de Jean, roi d’Angleterre, fut revêtu, par l’habileté et le pouvoir du pape Innocent, de la dignité impériale.

Le pape Innocent envoya en France Galon, diacre-cardinal de Sainte-Marie-de-Port, homme habile dans la jurisprudence, distingué par de bonnes mœurs, et très-soigneux à visiter les églises, pour mander et ordonner au roi de France, Philippe, et à tous les princes du royaume, de se montrer hommes catholiques en attaquant avec une forte armée la terre des Toulousains, des Albigeois et, des Narbonnais, d’en extirper tous les hérétiques qui s’en étaient emparés, leur assurant que, si par hasard ils mouraient dans le chemin ou dans la guerre entreprise contre les hérétiques ; ils seraient absous par lui-même de tous les péchés qu’ils avaient commis depuis le jour de leur naissance, et dont ils se seraient confessés. Guillaume Des Roches, maréchal de France, à qui Philippe, roi de France, avait remis la garde de quelques forteresses dans le Poitou, ainsi qu’il a été dit plus haut, ayant rassemblé environ deux cents chevaliers, attaqua à l’improvisté et vainquit le vicomte de Thouars et Savary de Mauléon, qui, par l’ordre du roi d’Angleterre, étaient entrés avec une forte troupe de gens sur le territoire du roi de France, et en emmenaient du butin ; Guillaume prit plus de quarante chevaliers, qu’il envoya à Paris au roi de France son seigneur. Eudes, évêque de Paris, mourut, et eut pour successeur Pierre, trésorier de Tours. Guillaume, archevêque de Bourges, s’endormit dans le sein du Christ, dans le temps qu’il se préparait à marcher contre les Albigeois. Geoifroi de Lande, archevêque de Tours, mourut empoisonné, et eut pour successeur Jean du Fay, doyen de l’église de Tours.