Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1213

La bibliothèque libre.
Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

◄   1212 1213 1214   ►



[1213]


Philippe, roi de France, reçut en grâce la reine Isemburge, sa femme, dont il était séparé depuis plus de seize ans, et qu’il avait fait garder dans un château à Etampes. Cette réconciliation remplit d’une grande joie le peuple français. La flotte de Philippe, roi de France, équipée pour passer en Angleterre, étant prête, le roi se rendit avec une grande armée à Boulogne-sur-Mer. Ayant attendu pendant quelques jours en cette ville ses vaisseaux et ses hommes qui arrivaient de tous côtés, il passa jusque Gravelines, ville située sur les frontières de la Flandre, où toute la flotte le suivit. Ferrand, comte de Flandre, qu’on y attendait, n’y vint pas, comme il avait été convenu, et ne satisfit en rien, quoiqu’à sa demande ce jour lui eut été fixé pour faire satisfaction. C’est pourquoi le roi, abandonnant le projet de passer en Angleterre, attaqua le territoire de Flandre, prit Cassel et Ypres, et tout le pays jusqu’à Bruges. Ayant traité cette ville selon son bon plaisir, il partit pour Gand, laissant un petit nombre de chevaliers et d’hommes d’armes pour la garde des vaisseaux qui l’avaient suivi par mer jusqu’à un port nommé Dam, et situé non loin de Bruges. Le roi avait le dessein, après la prise de Gand, de passer en Angleterre ; mais comme il était occupé au siège de Gand, Renaud, comte de Boulogne, qui, à cause de ses méfaits, fuyant la présence du roi des Français, demeurait alors avec le roi d’Angleterre, et quelques autres envoyés secrètement par mer de la part du roi d’Angleterre, s’emparèrent d’une grande partie des vaisseaux du roi de France, et assiégèrent promptement le port et la ville de Dam. Le roi l’ayant appris, abandonna le siège de Gand, retourna vers Dam, en fit lever le siège, et força les assiégeans de fuir. Un grand nombre des siens cependant furent tués, submergés ou pris, et il perdit une très-grande partie de ses vaisseaux. Ayant fait décharger le reste des vaisseaux des vivres et autres différentes choses, il y fit mettre le feu, et livra aux flammes la ville et tous le pays d’alentour. Après avoir reçu des otages de Gand, d’Ypres, de Bruges, de Lille et de Douai, il retourna en France. Jean, roi d’Angleterre, sachant qu’il était haï de beaucoup de gens, et voyant sa puissance en danger, fut saisi d’une grande crainte, et voulant apaiser plusieurs personnes qu’il avait offensées, il apaisa d’abord le pape par des présens, ses sujets par la clémence, les prélats, et Etienne, archevêque de Cantorbéry, qu’il avait exilés, par la permission de revenir. Ayant obtenu du pape l’absolution, il lui soumit son royaume à titre de fief, se reconnaissant obligé, à raison de ce, de lui payer chaque année mille marcs, sept cents pour l’Angleterre, et trois cents pour l’Hibernie. Simon de Montfort, qui avait été laissé à Carcassonne contre les hérétiques Albigeois, assiégé dans un château appelé Muret, et situé non loin de Toulouse, par Raimond, comte de Toulouse, qui favorisait les hérétiques, et le roi d’Aragon, qui était venu à son secours, ainsi que par le comte de Foix, livra contre eux un admirable combat, car n’ayant que deux cent soixante chevaliers, cinq cents hommes d’armes, cavaliers, et pèlerins, et sept cents hommes de pied, sans armes, après avoir entendu la messe du Saint-Esprit et invoqué sa protection, il sortit du château et livra bataille aux ennemis ; et, soutenus par la puissance divine, les siens tuèrent dix-sept mille ennemis et le roi d’Aragon lui-même. Il ne périt ce jour-là que huit hommes de l’armée de Simon. Ledit Simon, quoique très-vaillant dans les combats et très-affairé, assistait cependant chaque jour à la messe et à toutes les heures canoniques.

Jean, roi d’Angleterre, débarqua à La Rochelle avec une multitude d’hommes d’armes. Philippe, roi des Français, envoya contre lui son fils, Louis. Le roi, ayant lui-même rassemblé des troupes, se prépara à marcher en Flandre contre Ferrand. Geoffroi, évêque de Senlis, renonçant à î’épiscopat, se rendit à l’abbaye de Charlieu. Il eut pour successeur Guérin, frère profès de l’hôpital de Jérusalem, et conseiller spécial de Philippe, roi de France. Geoffroi, évêque de Meaux, renonça aussi à l’épiscopat, et se retira dans le monastère de Saint-Victor, à Paris, où il s’adonna plus particulièrement à la contemplation divine. Guillaume, chantre de Paris, lui succéda.