Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1287

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Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1287]


Le roi de Chypre se fit, au préjudice du roi de Sicile, couronner roi de Jérusalem à Acre, ville de Syrie. Comme les Templiers et les Hospitaliers l’avaient permis, le roi de Sicile s’empara des biens et des possessions qu’ils avaient dans la Pouille et le royaume de Sicile. Alphonse, roi d’Aragon, déclara la guerre à son oncle le roi de Majorque, qui l’avait offensé en embrassant le parti de l’Église, et s’empara de quelques terres qu’il possédait dans son royaume. Les Grecs, se séparant de l’unité de l’Église romaine, se créèrent, dit-on, un pape et des cardinaux. Robert, comte d’Artois, défenseur du royaume de Sicile, se préparant à la guerre contre les Siciliens, envoya le chevalier Gui de Montfort rassembler des vaisseaux à Venise et par toute la Toscane.

Vers la Nativité du Seigneur, des envoyés d’Aragon et de Sicile étant venus à la cour de Rome dans le consistoire, en présence du pape et des cardinaux tinrent beaucoup de discours faux et frivoles, qui furent accueillis par quelques-uns avec une haute faveur. D’abord les Aragonais excusaient leur roi Alphonse sur ce qu’il n’avait pas, après la mort de son père, envoyé des députés à la cour de Rome, en disant que ces députés n’avaient pu s’y rendre à cause des guerres dont le royaume était alors menacé. En second lieu, ils soutenaient l’innocence de leur maître, comme n’ayant participé en rien aux actions de son père. Troisièmement, ils disaient qu’il avait été, longtemps avant la mort de son père, en possession du royaume dont il demandait qu’on le laissât tranquillement continuer de jouir, et sur lequel il desirait que le pape ne permît pas que certaines gens l’inquiétassent injustement. Quatrièmement, il s’offrait à servir l’Église romaine, assurant qu’il s’appliquerait à imiter ceux de ses prédécesseurs qui avaient obéi avec soumission à ladite Église. Le pape dit qu’il ne mettait pas d’importance au premier point. Il répondit ainsi sur le second « Il nous plairait beaucoup que le roi Alphonse fût innocent, mais il nous prouve le contraire en ne cessant d’envoyer des troupes dans notre terre de Sicile, en rébellion contre nous et le roi de Sicile. En outre, il ne veut nullement per- mettre qu’on observe notre interdit dans la terre d’Aragon, et s’est emparé de la terre et des domaines de son oncle le roi de Majorque, défenseur de l’Église. De plus, il retient prisonnier Charles, prince de Salerne, qui est innocent ; tant qu’il Je retiendra, il ne trouvera jamais auprès de nous ni grâce ni faveur. Et quoiqu’il soit en possession du royaume d’Aragon nous déclarons cependant qu’il n’a aucun droit sur ce royaume, qui appartient par le don de l’Église à Charles frère du roi de France. Que si cependant il veut lui-même discuter ses droits en notre présence, nous sommes prêts, s’il vient, à l’entendre et à lui rendre une justice complète. » Ensuite vinrent deux frères Mineurs, envoyés par les Siciliens, qui exposèrent comment ils avaient long-temps été opprimés par les Français, disant que, ne pouvant plus les supporter, ils avaient eu l’intention de les expulser légalement de leur terre, lorsque quelques hommes méchans leur avaient subitement couru sus avec une grande cruauté ce qui avait déplu aux gens de bien. Ils excusaient de sa malice Constance, mère de Jacques, qui s’était emparée de la Sicile, disant qu’elle était venue en Sicile à cause de l’obéissance que doit une femme à son mari ; et demandaient que le pontife romain confirmât l’élection de Jacques, son fils, que les Siciliens avaient choisi pour roi. Ayant entendu ces discours et beaucoup d’autres aussi frivoles, le pape ordonna aux envoyés de se retirer, leur disant de se charger à l’avenir de négociations plus sensées et meilleures.