Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1288

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Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1288]


Un grand nombre de galères étant venues de tous les côtés se rassembler à Naples vers l’Ascension du Seigneur pour faire la guerre aux Siciliens, un certain chevalier, nommé Renauld d’Avellino, se mit en mer avec plusieurs galères armées, par le conseil et l’ordre du comte d’Artois, et s’empara facilement de Catane, ville de Sicile. Il y mit une garnison de ses gens, et fit retourner vides à Naples ses vaisseaux, sur lesquels plusieurs autres chevaliers devaient, selon leur promesse et convention, venir promptement à son secours. Tandis que ceux-ci se préparaient en effet à venir, les Siciliens assiégèrent ledit chevalier, qui, après une longue et vigoureuse résistance, fut enfin forcé de se rendre avec les siens, vie et bagues sauves. Gui de Montfort, comte de Brienne ; Philippe, fils de Gui, comte de Flandre, et plusieurs autres hommes de guerre du royaume de France, venant à son secours, furent vaincus et pris dans un combat naval par Roger de Loria, amiral des Siciliens, et renfermés dans différentes prisons. Presque tous s’étant dans la suite rachetés par argent, Gui de Montfort seul, n’ayant pu se racheter par les prières ou offres qu’on fit en sa faveur, périt dans sa prison, où il demeura, dit-on, par les intrigues d’Edouard roi d’Angleterre.

Jean, duc de Brabant, et le comte de Luxembourg, ayant rassemblé chacun une grande armée près de Liège, se livrèrent bataille au sujet du comté de Luxembourg. On combattit de part et d’autre avec un grand acharnement ; le comte de Luxembourg fut tué avec ses trois fils et l’archevêque de Cologne, ainsi que beaucoup d’autres qui étaient venus à son secours contre le duc, furent pris, et demeurèrent prisonniers du duc, à qui resta la victoire. Vers la Purification de la sainte Vierge, mère du Seigneur, Charles, prince de Salerne, fut délivré de la prison du roi des Aragonais, à condition qu’il lui remettrait une forte somme d’argent, et s’entremettrait, selon son pouvoir, pour faire obtenir aux Aragonais la paix avec l’Église romaine et le roi de France, que s’il ne pouvait y parvenir, il retournerait à sa prison dans l’espace de trois ans, conformément au serment qu’on l’obligea de prêter, et jusqu’à l’accomplissement de toutes ces conditions, il fut forcé de livrer en otage trois de ses fils et quarante nobles. Tripoli, ville du pays d’outre-mer, fut prise par le soudan de Babylone. Beaucoup de milliers de Chrétiens y furent tués, et les autres faits prisonniers. Les habitans d’Acre, effrayés par la prise de Tripoli, demandèrent aussitôt, et obtinrent du soudan une trêve de deux ans.