Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1303

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Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1303]


A Paris, dans la semaine de Pâques, vinrent vers le roi de France des envoyés des Tartares, qui promirent que, si le roi et les barons envoyaient leurs gens au secours de la Terre-Sainte, leur seigneur le roi des Tartares attaquerait avec toutes ses forces les Sarrasins, et que lui et son peuple embrasseraient très-volontiers la religion chrétienne. A Lille, ville de Flandre, le jeudi d’après l’octave de la Résurrection du Seigneur, deux cents chevaliers et trois cents hommes de pied armés furent pris et tués par les gens de Tournai, sous les ordres de Foucault de Melle, sénéchal du roi de France.

Philippe, roi de France, rendit à Edouard, roi d’Angleterre, la terre de Gascogne qu’il avait prise et longtemps retenue, en sorte que la paix fut rétablie entre eux. Philippe, roi de France, ayant appris par plusieurs hommes de haut rang et dignes de foi, que le pape Boniface était souillé de crimes abominables, et engagé en diverses hérésies, avait jusqu’alors fermé volontiers l’oreille à ces discours ; mais dans un parlement publiquement tenu à Paris, et où assistèrent les prélats, les barons, les chapitrés, les couvens, les colléges, les communautés et les universités des villes de son royaume, ainsi que des maîtres en théologie, des professeurs du droit canon et du droit civil et d’autres sages et importans personnages des divers pays et royaumes, il se vit pressé par les importunes clameurs et lès instances réitérées des dénonciateurs. particulièrement de Louis, comte d’Evreux, de Gui, comte de Saint-Paul, et de Jean, comte de Dreux, qui, prêtant serment sur les saints Évangiles de Dieu, touchés par eux corporellement, affirmaient qu’ils croyaient réelles et pouvaient légitimement prouver lesdites accusations, et priaient instamment le roi, comme principal défenseur de la foi chrétienne, de faire convoquer un concile général pour y délibérer sur lesdites accusations. Alors sa conscience ne lui permettant plus de dissimuler davantage, après une mûre délibération, le roi, appuyé par les barons et prélats, et autres susdits, à l’exception du seul abbé de Cîteaux, fit des appels pour la convocation par le Siège apostolique d’un concile général, supérieur en ce cas au souverain pontife, et fit lire publiquement ses appels le jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste, dans le jardin du Palais-Royal à Paris, en présence de tout le clergé et le peuple. Ensuite il le fit savoir au pape Boniface, par des lettres royales que lui porta le chevalier Guillaume de Nogaret, lui demandant la convocation d’un concile, sous la protection duquel il se mettait.

Edouard, roi d’Angleterre, triomphant des Écossais, qui lui faisaient la guerre, soumit à sa domination une grande partie de l’Ecosse. Philippe, fils du comte de Flandre, revint de la Pouille, où il était long-temps resté avec le roi de Sicile, et débarqua en Flandre avec une grande suite de stipendiés. Le peuple de Flandre, joyeux et enorgueilli de son arrivée, commença à faire sur la terre du roi de France de plus violentes incursions. Ayant assiégé le château de Saint-Omer, cette place se trouva si forte qu’ils ne purent l’emporter, et se dirigèrent vers Morin, ville du roi de France, qu’ils assiégèrent au mois de juillet, et finirent par livrer à un désastreux incendie.

Vers le commencement de septembre, Philippe, roi de France, voulant de nouveau prendre les armes contre les Flamands, rassembla un grand nombre de troupes, et fit de grands préparatifs de guerre à Péronne, ville du Vermandois, et dans le voisinage. Mais là, trompé, dit-on, par les malins conseils du comte de Savoie, il conclut avec les ennemis une trêve jusqu’à la fête suivante de Pâques, et quitta de nouveau la Flandre sans y avoir acquis aucune gloire.

Le pape Boniface ayant totalement et expressément refusé ledit appel du roi de France, que lui portait le chevalier Guillaume de Nogaret, envoyé vers lui par le roi pour ce sujet, et la sommation et demande qu’on lui faisait d’un concile général, fit annoncer son refus par des lettres qu’on attacha aux portes des églises. Mais enfin il fut violemment arraché de sa maison à Anagni, où il était né, et retenu prisonnier, avec les communautés et ceux qui le secoururent, par quelques citoyens chevaliers et autres gens de la ville, excités par ledit chevalier, qui, selon l’opinion publique, avait à cet effet armé une multitude de gens. Le chevalier agit ainsi de peur que le pape n’entreprît quelque chose au préjudice du roi et du royaume de France, sans que lesdits appels y pussent mettre d’empêchement. Le pape fut ainsi conduit à Rome ; mais succombant tant au chagrin intérieur de son esprit qu’à une maladie du corps, il termina ses jours. Benoît XI, Italien de nation, de l’ordre des frères Prêcheurs, lui succéda au pontificat. Après la mort de Hugues de la Marche, comte d’Angoulême, son comté fut dévolu à Philippe, roi de France. Ledit Philippe parcourut pendant tout l’hiver les provinces d’Aquitaine, de l’Albigeois et de Toulouse, et attira admirablement à lui et maintint dans son parti par sa bonté et sa munificence les cœurs de tous les nobles et gens de basse naissance, dont quelques-uns, disait-on, excités par de mauvais conseils, voulaient déjà se soulever. Vers le même temps, de très-fortes plaintes furent faites contre quelques frères de l’ordre des frères Prêcheurs envoyés dans le pays de Toulouse par les inquisiteurs de la perversité hérétique, parce que quelquefois, disait-on, poussés plutôt par la cupidité que par le zèle de la foi, ils accusaient et faisaient renfermer dans diverses prisons plusieurs hommes, tant nobles que du commun, et mettaient en liberté, sans leur infliger aucune punition, ceux qui leur donnaient de l’argent ou des présens ; c’est pourquoi il arriva que le vidame de Pecquigni chevalier sage, expérimenté et catholique selon la foi, envoyé dans ce pays en qualité de sénéchal par le roi, aux oreilles duquel étaient déjà parvenues ces plaintes, et qui s’acquittait alors de sa mission, prit, dit-on, de soigneuses informations, et, trouvant dans les prisons quelques gens innocens de la peste hérétique, les délivra malgré les frères. Déclaré ensuite excommunié ouvertement et publiquement à Paris par lesdits inquisiteurs, irrités de ce qu’il avait fait, il en appela aussitôt au Siège apostolique, et, poursuivant enfin son appel, il mourut à Pérouse, où résidait alors la cour de Rome. Vers la Purification de la sainte Vierge, mourut la fille de Gui, comte de Flandre, gardée honorablement à Paris avec les enfans du roi.

Gui, comte de Flandre, et Guillaume son fils, délivrés pour un temps du lieu où ils étaient retenus pour essayer de pacifier le peuple de Flandre, revinrent au lieu où on les gardait sans avoir réussi. Guillaume, fils de Jean comte du Hainaut, et Gui, évêque d’Utrecht, oncle dudit Guillaume, marchant contre les Flamands, qui s’étaient emparés d’une grande partie de la Hollande, furent vaincus dans un combat ; L’évêque fut pris ; mais Guillaume se sauva dans une ville. La veille de la Saint-Grégoire, Renaud, de bonne mémoire, abbé de Saint-Denis, étant mort, Gilles, grand-prieur du cloître, lui succéda.