Cette année, le manque de récolte, dont on a parlé plus haut, occasionna dans le royaume de France une si onéreuse cherté, que le boisseau de blé de Paris et des environs se vendait cinquante sous forts parisis le boisseau d’orge trente sous et celui d’avoine dix-huit et plus. Il en fut ainsi dans toutes les parties du royaume de France ; selon les mesures usitées dans chacune.
Louis, roi de France et de Navarre, ayant été pendant quelques jours daus la maison royale du bois de Vincennes, en proie à une violente fièvre, termina sa vie le 5 du mois de juillet, laissant la reine Clémence grosse d’un garçon et une fille unique, nommée Jeanne, qu’il avait eue de feue Marguerite sa première femme. Son corps fut d’abord porté le jour même à Paris, dans l’église de la sainte Vierge, et le jour suivant transporté, avec la magnificence convenable à un roi, dans l’église de Saint-Denis, tombeau de ses ancêtres, où il reçut la sépulture ecclésiastique le troisième jour après sa mort. Philippe, comte de Poitou, qui était parti pour Lyon, afin d’aller à Avignon hâter l’élection d’un souverain pontife, ayant appris la mort de son frère le roi de France Louis, se hâta de revenir à Paris ; cependant il fit avant son départ de Lyon renfermer les cardinaux, dont il confia la garde au comte du Forez. Ledit comte Philippe arriva à Paris le jour de la lune après la Translation de saint Benoît. Après avoir pris les chevaux du roi, le jour suivant il fit en sa présence célébrer dans le monastère de Saint Denis les obsèques de son frère le roi Louis, et ensuite, revenant à Paris, fit assembler le parlement, dans lequel il fut sagement réglé, par le conseil des grands et des chevaliers du royaume, que ledit Philippe défendrait et gouvernerait le royaume de France et celui de Navarre pendant dix-huit ans, quand même la reine Clémence, que son frère avait laissée grosse, accoucherait d’un enfant mâle. C’est pourquoi sur son grand sceau était écrit « Philippe, fils du roi des Français, régent des royaumes de France et de Navarre. » Vers la fête de la Madeleine, Louis, comte de Clermont, et Jean son frère, comte de Soissons, ainsi que beaucoup d’autres, reçurent solennellement à Paris la croix d’outre-mer des mains du patriarche de Jérusalem, devant un grand nombre de prélats assemblés ; et Louis annonça de la part du comte de Poitou, qui avait déjà pris la croix depuis longtemps, et du vivant de son père, que tous ceux qui avaient pris la croix à cette époque ou avant eussent à faire des préparatifs selon leur pouvoir pour s’embarquer avec lesdits comtes immédiatement à la fête de la Pentecôte, c’est-à-dire dans un an à compter de la fête actuelle de la Pentecôte. Il y eut cette année une grande mortalité d’hommes, et surtout de pauvres, dont beaucoup périrent de faim.
Après que le Siège apostolique eut vaqué pendant plus de deux ans, les cardinaux renfermés élurent enfin souverain pontife, le premier d’août, à la fête de Saint-Pierre-aux-Liens, le seigneur cardinal Jacques, auparavant évêque d’Avignon, natif de Cahors, homme expert dans le droit et d’une louable vie. Ayant changé son nom pour celui de Jean xxii, il reçut à Avignon, avant la Nativité de la sainte Vierge, les insignes de la papauté. Charles, comte de la Marche, frère de Philippe, régent des royaumes de France et de Navarre, et leur oncle Louis, comte d’Evreux, honorèrent cette cérémonie de leur présence, et tinrent les brides du cheval que montait le pape. Le vendredi après la Nativité de la sainte Vierge, un tremblement de terre eut lieu à Pontoise et dans la ville de Saint-Denis en France, quoique ce pays en éprouve rarement, et qu’ils soient inconnus dans d’autres parties du royaume. Dans ce temps, le pape Jean accorda les annates pour quatre ans à Philippe, comte de Poitou, régent des royaumes de France et de Navarre. La nuit qui précéda le premier jour d’octobre de cette année, il y eut une éclipse de lune. Jean, comte de Soissons, qui avait récemment pris la croix d’outre-mer, termina son dernier jour.
Robert, neveu de Mathilde de Beaumont le Roger, comtesse d’Artois, voulant s’emparer du comté d’Artois, qu’il prétendait lui appartenir au titre de Philippe son père, frère de ladite Mathilde, mort depuis long-temps, se joignit aux chevaliers confédérés dont nous avons parlé plus haut. Quoique Philippe, régent du royaume de France, eût remis cette affaire en main souveraine, ou à la décision quelconque de Gautier, connétable de France, envoyé dans le pays pour réprimer cette révolte, Robert se souleva à main armée, s’empara par force de la ville d’Arras et du château de Saint-Omer, et méprisa de comparaître devant le parlement de Paris, malgré les sommations qui lui en furent faites. Ce qu’ayant appris, le comte Philippe prit les armes contre lui ; le samedi avant la fête de la Toussaint, il prit à Saint-Denis la bannière, l’évêque de Saint-Malo célébrant la messe et lui donnant sa bénédiction, cependant les saints martyrs ne furent pas tirés de leur châsse et posés sur l’autel, et on n’y fit pas toucher la bannière comme on avait coutume de le faire autrefois. Le comte Philippe étant arrivé à Amiens avec une nombreuse armée, avant d’engager un combat, il fut convenu que des gens de confiance seraient chargés de traiter de la paix entre Robert et ladite comtesse, et que si on ne pouvait les mettre d’accord, ils seraient absolument jugés par les pairs et grands du royaume, et que la procédure de leur affaire resterait en l’état où elle en était à l’époque de la mort de Robert, comte d’Artois, père de ladite Mathilde et aïeul de Robert, nonobstant tout jugement rendu,à cet égard que pendant ce temps Charles, comte de Valois, et son frère Louis, comte d’Evreux, tiendraient le comté en main souveraine et en recevraient tous les revenus et rentes ; que Robert, qui avait appelé les confédérés à son secours, se rendrait en prison à Paris, et que cependant si quelques-uns des confédérés avaient en d’autres circonstances attenté contre la majesté royale, ils offriraient de s’en justifier légitimement en temps et lieu ce qui fut ainsi fait. Le comte Philippe donc après avoir licencié son armée s’en revint à Paris ; le comte Robert fut emprisonné à Paris, d’abord au Châtelet, et ensuite a Saint-Germain-des-Prés.
Dans Paris, au Louvre, le quinzième jour du mois de novembre, la nuit qui précède le dimanche, la reine Clémence, travaillée de la fièvre quarte, accoucha d’un enfant mâle, premier fils du feu roi Louis, qui, né pour régner dans le Christ et appelé Jean, mourut le 20 du même mois, à savoir le vendredi suivant. Le jour suivant il fut enterré dans l’église de Saint-Denis, aux pieds de son père, par le seigneur Philippe, comte de Poitou, qui tenait alors légitimement le rang de roi de France et de Navarre, et le porta lui-même au tombeau, avec ses fils et ses oncles Charles et Louis. Philippe, frère de feu Louis roi de France, fut, le dimanche après la fête de l’Epiphanie, sacré roi à Rheims avec Jeanne sa femme, en présence de ses oncles Charles et Louis, et des grands et pairs du royaume, qui cependant n’assistèrent pas tous à cette cérémonie.
Quoique Charles, comte de la Marche, frère de Philippe, fût venu avec lui jusqu’à Rheims, cependant il quitta cette ville dès le grand matin avant son couronnement. Le duc de Bourgogne n’y voulut point venir, et même l’ancienne duchesse de Bourgogne fit un appel et enjoignit aux pairs, et surtout aux prélats qui assistaient au couronnement, de ne point couronner Philippe avant qu’on eût délibéré sur les droits de la jeune fille Jeanne, fille aînée du feu roi Louis, sur le royaume de France et de Navarre. D’après ces faits et quelques indices, un grand nombre concluaient que lesdits grands et pairs du royaume et quelques autres avaient contre le roi une secrète inimitié, et on disait même que son oncle Charles, comte de Valois, favorisait leur parti. Malgré tout cela cependant on célébra solennellement la cérémonie du couronnement, les portes de la ville fermées et gardées par des hommes d’armes. Une discussion s’étant élevée entre l’évêque de Beauvais et l’évêque de Langres sur la question de savoir à qui appartenait la préséance de la pairie, on décida en faveur de l’évêque de Beauvais. Mathilde, comtesse d’Artois, mère de la reine, tint, dit-on, la couronne comme pair du royaume avec les autres pairs, ce qui excita l’indignation de quelques-uns. À la mort de Philippe de Marigny, archevêque de Sens, frère d’Enguerrand, dont nous avons parlé plus haut, le noble Guillaume, frère du vicomte de Meaux, lui succéda. Vers le même temps, Gilles, archevêque de Bourges, étant mort, eut pour successeur l’évêque de Limoges. Dans ce temps aussi moururent Guichard, autrefois évêque de Troyes, et Jean, autrefois chantre d’Orléans, qui lui avait succédé à l’évêché de Troyes, et mourut le jour même de sa consécration.
Robert, neveu de la comtesse d’Artois par son frère, ayant été délivré de prison, après quelques altercations au sujet du jugement sur les droits du comté d’Artois, les deux parties traitèrent à l’amiable, et Robert renonça à tous ses droits sur le comté, à condition que le roi réglerait cette affaire selon la justice. Robert prit en mariage la fille du comte de Valois. Vers la Purification mourut Conrard, abbé de Cîteaux ; Gautier lui succéda. Vers la Purification de la sainte Vierge se rassemblèrent en présence de Pierre d’Arrabloi, depuis long-temps chancelier du roi Philippe, et nouvellement créé cardinal par le pape, beaucoup de grands, de nobles et d’hommes puissans du royaume, avec la plupart des prélats et des bourgeois de Paris. Ils approuvèrent tous le couronnement du roi Philippe et jurèrent de lui obéir comme à leur roi, et après lui à son fils aîné Louis, comme à son légitime héritier et successeur. Les docteurs de l’université de Paris approuvèrent unanimement le couronnement mais ne firent cependant aucun serment. Alors aussi il fut déclaré, que les femmes ne succèdent pas à la couronne du royaume de France. Le mardi avant les Cendres il y eut dans le diocèse de Poitiers un tremblement dé terre. Le jeune Louis, fils aîné de Philippe roi de France, mourut le vendredi après les Cendres, et reçut la sépulture ecclésiastique dans le monastère des frères Minimes à Paris, auprès de son aïeule Jeanne, reine de France et de Navarre. Cette même année il y eut un très-rigoureux hiver, qui dura depuis la fête de saint André jusqu’à Pâques environ.