Enguerrand de Marigny chevalier de manières très-agréables, prudent, sage et habile, était établi au dessus de la nation en grande autorité et puissance et était le conseiller principal et spécial de feu Philippe, roi de France. Devenu, pour ainsi dire, plus que maire du palais, il était à la tête du gouvernement de tout le royaume de France ; c’était lui qui expédiait toutes les affaires difficiles à régler, et tous et chacun lui obéissaient au moindre signe comme au plus puissant. Il fut, dans le temple à Paris, honteusement accusé devant tous, en présence du roi Louis, de crimes exécrables, par Charles, comte de Valois, oncle du roi Louis, et par quelques autres qu’approuvait en cela la multitude du commun peuple irritée contre lui, principalement à cause dés différentes altérations de la monnaie et des nombreuses extorsions dont le peuple avait été accablé sous le feu roi Philippe et qu’on attribuait à ses mauvais conseils. Par les suggestions dudit Charles, Enguerrand et plusieurs autres à qui il avait confié la garde du trésor du roi ou d’autres emplois relatifs aux affaires du roi et du royaume, à savoir les clercs de l’official, et les agens laïques du prévôt de Paris, furent renfermés en différentes prisons, et plusieurs mis à la question et livrés à divers tourmens. Quoique ledit chevalier eût très-souvent demandé avec beaucoup d’instances qu’il lui fût accordé d’être entendu sur sa justification, il ne put cependant l’obtenir, empêché qu’il fut par la puissance dudit comte de Valois. Le jeune roi cependant était disposé, du moins au commencement, a le protéger et favoriser volontiers et avec bienveillance dans cette affaire. C’est pourquoi, comme si on voulait procéder contre lui par voie de modération et agir à son égard avec moins de sévérité, et pendant qu’on le disait déjà presque condamné à être relégué en exil dans l’île de Chypre jusqu’à ce que le roi le rappelât, voilà que tout-à-coup vint aux oreilles dudit Charles le bruit que Jacques dit Delor, sa femme et son serviteur, avaient, par les suggestions de la femme et de la sœur dudit Enguerrand et d’Enguerrand lui-même, fabriqué certaines images figurées, lesquelles devaient par sortilège procurer la délivrance d’Enguerrand, et jeter un maléfice tant sur le roi que sur Charles et sur d’autres personnes. Ce crime ayant été découvert, ledit Jacques, enchaîné dans un cachot, s’étrangla de désespoir et sa femme fut ensuite brûlée. La femme et les sœurs d’Enguerrand furent renfermées en prison, et enfin Enguerrand lui-même, condamné en présence des chevaliers, fut pendu à Paris sur le gibet des voleurs. Il n’avoua rien cependant quant auxdits maléfices, et dit seulement que d’autres avaient été avec lui auteurs des exactions et des altérations de monnaie, et qu’il n’avait pu faire entendre sa justification, malgré ses instantes sollicitations et la promesse qu’on lui avait donnée dans le commencement. C’est pourquoi son supplice, dont bien des gens ne connurent pas entièrement les motifs, fut un grand sujet de surprise et de stupeur.
Pierre de Latilly, évêque de Châlons, soupçonné de la mort du roi de France Philippe et de celle de son prédécesseur, fut, par l’ordre du roi, retenu en prison, au nom de l’archevêque de Rheims. Raoul de Preste, avocat principal au parlement, fut de même retenu comme soupçonné du même crime, et enfermé dans un cachot à Sainte-Geneviève à Paris, et mis à la torture. Mais comme on ne put absolument rien arracher de lui sur les accusations dont il était chargé, malgré les divers et cruels tourmens qu’on lui fit subir à ce sujet, on lui permit enfin de se retirer en liberté : cependant un grand nombre de ses biens, tant meubles qu’immeubles, furent donnés à diverses gens, et les autres furent dissipés ou vendus. Marguerite, autrefois reine de Navarre, qui, comme le méritait bien son infâme prostitution, avait été, ainsi que nous l’avons dit plus haut, renfermée dans une prison, entra dans la voie de toute chair, et reçut la sépulture ecclésiastique à Vernon, dans l’église des frères Mineurs. Quant à Blanche, étant restée en prison, elle devint grosse d’un certain serviteur à qui était confié le soin de la garder, quoiqu’on dît aussi que c’était du comte, son propre mari, on de quelque autre. Kaguelin, jeune duc de Bourgogne, frère de la reine Marguerite, quitta ce monde, et son frère lui succéda.
Dans la province de Sens, beaucoup de gens du peuple se liguèrent ensemble, excités, comme on le disait communément, comme malgré eux, et forcés par la nécessité à ce soulèvement, à cause des nombreuses vexations et injustes extorsions que leur faisaient journellement subir, dans les causes qu’ils avaient à la cour de l’archevêque de Sens, l’insolence et l’impudence des avocats et des procureurs de cette cour ; ils se choisirent dans cette multitude toute laïque un roi, un pape, et même des cardinaux, résolus de rendre mal pour mal, et voulant répondre par une opiniâtre à la méchanceté de leur mais ennemi ayant dépassé les bornes de la justice, ils encoururent de la part du clergé une sentence d’excommunication : ils se déclaraient ou se croyaient absous ; ils s’administraient entre eux les sacremens ecclésiastiques, ou se les faisaient administrer par les prêtres, qu’ils épouvantaient en les menaçant violemment de la mort. Enfin, renfermés en prison, à la requête de quelques prélats, qui allèrent supplier instamment le roi à ce sujet, on leur infligea la punition que méritaient leurs excès, de peur qu’un pardon trop facile n’excitât les autres aux mêmes délits.
Vers l’Ascension du Seigneur, Louis, autrefois comte de Nevers et de Réthel, et Jean de Namur, s’étant rendus auprès du roi, furent rétablis dans leur familiarité et faveur auprès de lui. On rendit pacifiquement et paisiblement audit comte les deux comtés de Nevers et de Réthel, dont une sentence l’avait depuis long-temps privé, ce qui fut pour beaucoup de gens un grand sujet de murmures et de risées. Le mardi après la Trinité, comparurent en présence du roi un abbé de l’ordre de Cîteaux et d’autres, chargés de pouvoirs de Robert, comte de Flandre, qui excusèrent ledit comte sur ce qu’il n’était pas venu personnellement, comme il en était sommé, pour ratifier là paix, disant que la faiblesse de sa santé et les incursions des ennemis dans le comté de Flandre l’avaient empêché de le faire. Ces excuses parurent insuffisantes, d’autant que le jour avait été remis, et que le terme dé la sommation était passé. Enfin, la veille de la fête des apôtres Pierre et Paul, ledit comte et le peuple de Flandre furent condamnés comme coupables de soulèvement et de rébellion, et les chargés de pouvoir furent forcés de s’en retourner. Cependant Louis, comte de Nevers, le fils dudit comte, et le seigneur Robert de Namur, restèrent en France avec le roi Louis, la paix étant ainsi rompue avec les Flamands.
Le samedi avant la fête de saint Jean, trois femmes, qui avaient fait les breuvages pour lesquels feu l’évêque de Châlons avait été soupçonné, furent brûlées dans une petite île située sur la Seine, devant l’église des frères Ermites de Saint-Augustin. Un dimanche, dans l’octave des apôtres, Jean, fils du comte de Flandre, prit en mariage la fille du comte de Saint- Paul.
Cette année, depuis le milieu du mois d’avril jusqu’à la fin du mois de juillet ou environ, il y eut une inondation de pluies presque continuelles et un froid peu ordinaire dans l’été, qui empêchèrent les moissons et les vignes d’atteindre la maturité nécessaire ; c’est pourquoi, pendant presque tout le mois de juillet, le clergé et le peuple firent de dévotes processions. Nous avons vu pendant quinze jours consécutifs une multitude innombrable d’hommes et de femmes venir en foule en procession avec le clergé à l’église du saint martyr Denis, non seulement des lieux voisins, mais de la distance de plus de cinq lieues, marchant les pieds nus et même tout le corps nu, à l’exception des femmes, et apportant dévotement dans cette église les corps des saints et d’autres vénérables reliques. Ces processions eurent lieu non seulement dans ce diocèse, mais encore dans ceux de Chartres et de Rouen, et dans d’autres parties du royaume de France. Dans le même temps, au mois de juillet, à la fête de sainte Christine, Louis, roi de France, ayant pris à Saint-Denis l’étendard appelé oriflamme, et l’ayant remis au sire Henri de Herquère, partit pour la Flandre le dernier jour de ce mois, et le dimanche suivant, à la fête de l’Invention de saint Etienne, premier martyr, il s’unit en mariage à la reine Clémence. Après qu’ils eurent été couronnés et sacrés ensemble de la sainte onction, le roi s’approcha d’un château de Flandre appelé Lille ; de là, conduisant son armée vers un endroit appelé Bonde, il y campa, et fit construire un pont. Les ennemis, qui avaient aussi dressé leur camp sur les bords de la Lys, mais au-delà de ce fleuve, rompirent ce pont, afin d’empêcher l’armée du roi de passer vers eux. Il y eut aussi une si grande et si continuelle inondation de pluies dans ce pays, que les hommes et les chevaux, enfoncés jusqu’au jarret dans la boue et la fange, furent accablés de beaucoup d’incommodités. Enfin, comme il ne pouvait arriver de vivres vers lui ni vers son armée, le roi, ayant pris conseil des barons, fut forcé, quoique non sans une grande affliction et amertume de cœur, de licencier son armée, et de s’en revenir sans être venu à bout de son entreprise. De peur que le butin n’enrichît les ennemis, il fit mettre le feu aux tentes ; ce que voyant les ennemis, ils crurent que les nôtres, ayant dressé un pont, voulaient fondre sur eux, et brûlant aussi leurs tentes, ils se mirent à fuir. Avant de partir de ce lieu, le roi, par le conseil de ses oncles, de ses frères et de ses barons, dota, dit-on, la reine Clémence de vingt mille livres de revenus, assignés principalement sur Loriz, Baugency, Montargis, Fontainebleau et autres territoires, et lui fit un acte de cette donation. Il y eut cette année défaut de vin dans le royaume de France au-delà de ce qu’on avait jamais vu, et la qualité n’en fut pas meilleure que la quantité.
Au mois d’octobre, il fut tenu à Senlis, contre l’évêque de Châlons, au sujet dont nous avons parlé, un concile où assistèrent l’archevêque de Rheims qui le présida, ses suffragans, quelques autres prélats et deux prévôts. Ledit évêque demanda qu’avant tout fut réparé le dommage qui lui avait été fait, tant en sa personne qu’en ses biens, ce qu’il obtint comme il en avait le droit. Après cette concession, il voulut que les prélats fissent une enquête à ce sujet. Ainsi la-dessus le concile fut prorogé et transporté à Paris. Vers ce même temps, le pape Jean, partagea l’évêché de Toulouse en six évêchés, dont la ville de Toulouse devint le siège métropolitain.
Il partagea aussi l’évêché de Poitiers en trois évêchés, celui de Poitiers, celui de Maillezais et celui de Luçon. Ces deux derniers étaient auparavant deux abbayes soumises à l’évêque de Poitiers ; elles furent transformées en églises cathédrales, et leurs abbés furent créés évêques. Quelques chevaliers et autres nobles du Vermandois et de la Champagne s’étant ligués ensemble, se soulevèrent contre la comtesse Mathilde, qui les voulait injustement opprimer, et ils arrachèrent à main armée un certain chevalier d’un château très-fortifié où elle le retenait emprisonné, et où demeurait Jeanne, comtesse de Poitou, fille de ladite Mathilde, qui devint dans la suite reine d’Angleterre, et qu’ils laissèrent librement se sauver par la fuite. C’est pourquoi lesdits chevaliers, accusés d’avoir conspiré contre la majesté royale, furent appelés à Compiègne par le roi Louis, vers la fête de la Toussaint, et ayant comparu devant le roi, ils firent, dit-on, réparation. Charles de Valois et beaucoup d’autres barons du royaume de France, à leur retour de Flandre, fabriquèrent à Paris une nouvelle monnaie qui n’eut cours à Paris et aux environs que pendant peu de temps, le roi en ayant interdit le cours, excepté dans les terres de ceux qui l’avaient fait fabriquer. Vers la fête de saint Thomas, on vit dans le ciel une comète qui paraissait présager la mort du roi, comme l’événement le fit voir dans la suite.
Cette année, le manque de récolte, dont on a parlé plus haut, occasionna dans le royaume de France une si onéreuse cherté, que le boisseau de blé de Paris et des environs se vendait cinquante sous forts parisis le boisseau d’orge trente sous et celui d’avoine dix-huit et plus. Il en fut ainsi dans toutes les parties du royaume de France ; selon les mesures usitées dans chacune.
Louis, roi de France et de Navarre, ayant été pendant quelques jours daus la maison royale du bois de Vincennes, en proie à une violente fièvre, termina sa vie le 5 du mois de juillet, laissant la reine Clémence grosse d’un garçon et une fille unique, nommée Jeanne, qu’il avait eue de feue Marguerite sa première femme. Son corps fut d’abord porté le jour même à Paris, dans l’église de la sainte Vierge, et le jour suivant transporté, avec la magnificence convenable à un roi, dans l’église de Saint-Denis, tombeau de ses ancêtres, où il reçut la sépulture ecclésiastique le troisième jour après sa mort. Philippe, comte de Poitou, qui était parti pour Lyon, afin d’aller à Avignon hâter l’élection d’un souverain pontife, ayant appris la mort de son frère le roi de France Louis, se hâta de revenir à Paris ; cependant il fit avant son départ de Lyon renfermer les cardinaux, dont il confia la garde au comte du Forez. Ledit comte Philippe arriva à Paris le jour de la lune après la Translation de saint Benoît. Après avoir pris les chevaux du roi, le jour suivant il fit en sa présence célébrer dans le monastère de Saint Denis les obsèques de son frère le roi Louis, et ensuite, revenant à Paris, fit assembler le parlement, dans lequel il fut sagement réglé, par le conseil des grands et des chevaliers du royaume, que ledit Philippe défendrait et gouvernerait le royaume de France et celui de Navarre pendant dix-huit ans, quand même la reine Clémence, que son frère avait laissée grosse, accoucherait d’un enfant mâle. C’est pourquoi sur son grand sceau était écrit « Philippe, fils du roi des Français, régent des royaumes de France et de Navarre. » Vers la fête de la Madeleine, Louis, comte de Clermont, et Jean son frère, comte de Soissons, ainsi que beaucoup d’autres, reçurent solennellement à Paris la croix d’outre-mer des mains du patriarche de Jérusalem, devant un grand nombre de prélats assemblés ; et Louis annonça de la part du comte de Poitou, qui avait déjà pris la croix depuis longtemps, et du vivant de son père, que tous ceux qui avaient pris la croix à cette époque ou avant eussent à faire des préparatifs selon leur pouvoir pour s’embarquer avec lesdits comtes immédiatement à la fête de la Pentecôte, c’est-à-dire dans un an à compter de la fête actuelle de la Pentecôte. Il y eut cette année une grande mortalité d’hommes, et surtout de pauvres, dont beaucoup périrent de faim.
Après que le Siège apostolique eut vaqué pendant plus de deux ans, les cardinaux renfermés élurent enfin souverain pontife, le premier d’août, à la fête de Saint-Pierre-aux-Liens, le seigneur cardinal Jacques, auparavant évêque d’Avignon, natif de Cahors, homme expert dans le droit et d’une louable vie. Ayant changé son nom pour celui de Jean xxii, il reçut à Avignon, avant la Nativité de la sainte Vierge, les insignes de la papauté. Charles, comte de la Marche, frère de Philippe, régent des royaumes de France et de Navarre, et leur oncle Louis, comte d’Evreux, honorèrent cette cérémonie de leur présence, et tinrent les brides du cheval que montait le pape. Le vendredi après la Nativité de la sainte Vierge, un tremblement de terre eut lieu à Pontoise et dans la ville de Saint-Denis en France, quoique ce pays en éprouve rarement, et qu’ils soient inconnus dans d’autres parties du royaume. Dans ce temps, le pape Jean accorda les annates pour quatre ans à Philippe, comte de Poitou, régent des royaumes de France et de Navarre. La nuit qui précéda le premier jour d’octobre de cette année, il y eut une éclipse de lune. Jean, comte de Soissons, qui avait récemment pris la croix d’outre-mer, termina son dernier jour.
Robert, neveu de Mathilde de Beaumont le Roger, comtesse d’Artois, voulant s’emparer du comté d’Artois, qu’il prétendait lui appartenir au titre de Philippe son père, frère de ladite Mathilde, mort depuis long-temps, se joignit aux chevaliers confédérés dont nous avons parlé plus haut. Quoique Philippe, régent du royaume de France, eût remis cette affaire en main souveraine, ou à la décision quelconque de Gautier, connétable de France, envoyé dans le pays pour réprimer cette révolte, Robert se souleva à main armée, s’empara par force de la ville d’Arras et du château de Saint-Omer, et méprisa de comparaître devant le parlement de Paris, malgré les sommations qui lui en furent faites. Ce qu’ayant appris, le comte Philippe prit les armes contre lui ; le samedi avant la fête de la Toussaint, il prit à Saint-Denis la bannière, l’évêque de Saint-Malo célébrant la messe et lui donnant sa bénédiction, cependant les saints martyrs ne furent pas tirés de leur châsse et posés sur l’autel, et on n’y fit pas toucher la bannière comme on avait coutume de le faire autrefois. Le comte Philippe étant arrivé à Amiens avec une nombreuse armée, avant d’engager un combat, il fut convenu que des gens de confiance seraient chargés de traiter de la paix entre Robert et ladite comtesse, et que si on ne pouvait les mettre d’accord, ils seraient absolument jugés par les pairs et grands du royaume, et que la procédure de leur affaire resterait en l’état où elle en était à l’époque de la mort de Robert, comte d’Artois, père de ladite Mathilde et aïeul de Robert, nonobstant tout jugement rendu,à cet égard que pendant ce temps Charles, comte de Valois, et son frère Louis, comte d’Evreux, tiendraient le comté en main souveraine et en recevraient tous les revenus et rentes ; que Robert, qui avait appelé les confédérés à son secours, se rendrait en prison à Paris, et que cependant si quelques-uns des confédérés avaient en d’autres circonstances attenté contre la majesté royale, ils offriraient de s’en justifier légitimement en temps et lieu ce qui fut ainsi fait. Le comte Philippe donc après avoir licencié son armée s’en revint à Paris ; le comte Robert fut emprisonné à Paris, d’abord au Châtelet, et ensuite a Saint-Germain-des-Prés.
Dans Paris, au Louvre, le quinzième jour du mois de novembre, la nuit qui précède le dimanche, la reine Clémence, travaillée de la fièvre quarte, accoucha d’un enfant mâle, premier fils du feu roi Louis, qui, né pour régner dans le Christ et appelé Jean, mourut le 20 du même mois, à savoir le vendredi suivant. Le jour suivant il fut enterré dans l’église de Saint-Denis, aux pieds de son père, par le seigneur Philippe, comte de Poitou, qui tenait alors légitimement le rang de roi de France et de Navarre, et le porta lui-même au tombeau, avec ses fils et ses oncles Charles et Louis. Philippe, frère de feu Louis roi de France, fut, le dimanche après la fête de l’Epiphanie, sacré roi à Rheims avec Jeanne sa femme, en présence de ses oncles Charles et Louis, et des grands et pairs du royaume, qui cependant n’assistèrent pas tous à cette cérémonie.
Quoique Charles, comte de la Marche, frère de Philippe, fût venu avec lui jusqu’à Rheims, cependant il quitta cette ville dès le grand matin avant son couronnement. Le duc de Bourgogne n’y voulut point venir, et même l’ancienne duchesse de Bourgogne fit un appel et enjoignit aux pairs, et surtout aux prélats qui assistaient au couronnement, de ne point couronner Philippe avant qu’on eût délibéré sur les droits de la jeune fille Jeanne, fille aînée du feu roi Louis, sur le royaume de France et de Navarre. D’après ces faits et quelques indices, un grand nombre concluaient que lesdits grands et pairs du royaume et quelques autres avaient contre le roi une secrète inimitié, et on disait même que son oncle Charles, comte de Valois, favorisait leur parti. Malgré tout cela cependant on célébra solennellement la cérémonie du couronnement, les portes de la ville fermées et gardées par des hommes d’armes. Une discussion s’étant élevée entre l’évêque de Beauvais et l’évêque de Langres sur la question de savoir à qui appartenait la préséance de la pairie, on décida en faveur de l’évêque de Beauvais. Mathilde, comtesse d’Artois, mère de la reine, tint, dit-on, la couronne comme pair du royaume avec les autres pairs, ce qui excita l’indignation de quelques-uns. À la mort de Philippe de Marigny, archevêque de Sens, frère d’Enguerrand, dont nous avons parlé plus haut, le noble Guillaume, frère du vicomte de Meaux, lui succéda. Vers le même temps, Gilles, archevêque de Bourges, étant mort, eut pour successeur l’évêque de Limoges. Dans ce temps aussi moururent Guichard, autrefois évêque de Troyes, et Jean, autrefois chantre d’Orléans, qui lui avait succédé à l’évêché de Troyes, et mourut le jour même de sa consécration.
Robert, neveu de la comtesse d’Artois par son frère, ayant été délivré de prison, après quelques altercations au sujet du jugement sur les droits du comté d’Artois, les deux parties traitèrent à l’amiable, et Robert renonça à tous ses droits sur le comté, à condition que le roi réglerait cette affaire selon la justice. Robert prit en mariage la fille du comte de Valois. Vers la Purification mourut Conrard, abbé de Cîteaux ; Gautier lui succéda. Vers la Purification de la sainte Vierge se rassemblèrent en présence de Pierre d’Arrabloi, depuis long-temps chancelier du roi Philippe, et nouvellement créé cardinal par le pape, beaucoup de grands, de nobles et d’hommes puissans du royaume, avec la plupart des prélats et des bourgeois de Paris. Ils approuvèrent tous le couronnement du roi Philippe et jurèrent de lui obéir comme à leur roi, et après lui à son fils aîné Louis, comme à son légitime héritier et successeur. Les docteurs de l’université de Paris approuvèrent unanimement le couronnement mais ne firent cependant aucun serment. Alors aussi il fut déclaré, que les femmes ne succèdent pas à la couronne du royaume de France. Le mardi avant les Cendres il y eut dans le diocèse de Poitiers un tremblement dé terre. Le jeune Louis, fils aîné de Philippe roi de France, mourut le vendredi après les Cendres, et reçut la sépulture ecclésiastique dans le monastère des frères Minimes à Paris, auprès de son aïeule Jeanne, reine de France et de Navarre. Cette même année il y eut un très-rigoureux hiver, qui dura depuis la fête de saint André jusqu’à Pâques environ.