Chronique de la quinzaine - 30 novembre 1836

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Chronique no 111
30 novembre 1836


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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30 novembre 1836.



Quand en 1824 Charles X montait sur le trône, au milieu des espérances de la France, si facile et si prompte dans ses oublis comme dans ses joies, qui eût pensé que douze ans après il mourrait en exil, dans un coin de l’Illyrie ? Le feu roi ne manquait pas de bonté de cœur, mais il avait une faiblesse et une légèreté d’esprit qui le rendaient capable des plus grandes fautes et des plus hautes témérités. Il paraît cependant que, dans les derniers jours de sa vie, il était revenu à plus de prudence et à une plus saine appréciation des choses. On dit que dans son testament, qui ne doit être ouvert qu’en présence d’un commissaire autrichien, Charles X prie l’empereur d’Autriche de prendre le duc de Bordeaux sous sa protection, et de le tenir loin des intrigues qui voudraient l’entraîner à de folles entreprises. On parle même de quelques paroles touchantes adressées directement au jeune prince, où le vieux roi le conjure de ne jamais apporter la guerre civile à la France. Ces exhortations ne sauraient venir plus à propos, car le parti de la vieille légitimité est dans un paroxisme d’exaltation difficile à décrire. L’idée d’avoir à sa tête un jeune roi de seize ans le transporte ; on délibère, on prépare l’avenir ; les conciliabules redoublent d’activité ; les influences contraires se croisent ; les partisans de la duchesse de Berry et ceux de la duchesse d’Angoulême ont peine à s’accorder ; rien d’officiel n’est encore sorti de la petite cour de Goritz. Par un étrange résultat des évènemens et des révolutions politiques, l’Autriche a encore sous sa main un prétendant avec lequel elle peut inquiéter la France. Sous la restauration, elle pouvait montrer Napoléon II à la branche aînée des Bourbons ; aujourd’hui c’est avec Henri V qu’elle peut effrayer la maison d’Orléans. Contre l’Autriche, la France a, quand elle le voudra, les principes révolutionnaires et l’insurrection de l’Italie. Contre la France, l’Autriche a le principe de la légitimité et le drapeau d’une guerre civile. M. de Metternich n’est pas homme à précipiter les choses, et à jouer la paix du continent en l’honneur d’une politique chevaleresque. Son flegme et son impassibilité doivent désespérer plus d’un fanatisme royaliste, et les partisans de l’ancienne légitimité doivent se résigner pour le moment à n’avoir d’autre occupation que de porter le deuil.

Le deuil est aujourd’hui la marque distinctive de tous ceux qui regrettent la maison de Bourbon ; c’est dire assez que la cour des Tuileries ne saurait le porter. Il serait curieux de voir le chef de la maison d’Orléans faire avec sa famille, les mêmes démonstrations que ceux qui travaillent à le renverser. On oublie d’ailleurs, que la loi du 10 avril 1831, déclare Charles X et ses descendans déchus du trône, et privés des droits civils. Comment porter le deuil public et officiel de celui dont les lois ont ainsi effacé l’ancien caractère royal et politique ? Que d’anciens serviteurs pleurent sincèrement le vieux monarque, cette douleur est légitime, et nul ne saurait songer à la troubler ; mais il y a loin de ces pieux et respectables regrets à cette douleur d’apparat, à ces parades lacrymatoires dont certaines personnes se disposent à faire pour cet hiver un signe de ralliement ; pendant six mois les blancs seront en noir, et il a été décidé que tous les honnêtes gens se reconnaîtraient à leur crêpe. M. l’archevêque de Paris n’a pas négligé cette occasion d’adresser à son clergé une circulaire qui n’était pas destinée à être lue dans les églises, mais que tous les journaux ont publiée, sans doute pour éviter le bruit et le scandale. Dans cette pièce, le prélat représente l’église comme obligée de lutter contre les mauvais jours qui pèsent sur elle ; à l’entendre, on se croirait au temps de Dioclétien ; on dirait le christianisme près de succomber sous la persécution. M. l’archevêque fait de la religion un singulier instrument de politique et de rancune, et nous ne savons pas ce que gagne l’Évangile à servir d’enveloppe à d’aigres ressentimens.

La mort de Charles X place d’une manière éclatante le parti du passé en face des intérêts nouveaux. Maintenant il y a en Europe deux prétendans, deux adversaires de la révolution et de la cause constitutionnelle, don Carlos et Henri V. Il y a entre ces deux princes solidarité intime, et il est impossible que les gouvernemens absolus de l’Europe ne les entourent pas de leurs vœux et de leurs espérances. C’est un avertissement pour la cause et les gouvernemens constitutionnels d’opposer à ces entreprises une étroite alliance ; il faut espérer que le ministère du 6 septembre comprendra les devoirs et la politique de la France, et nul mieux que M. Molé n’est fait pour les comprendre, si la partie doctrinaire du cabinet ne vient se mettre à la traverse.

L’Espagne paraît en ce moment décidée à chercher son salut dans un heureux mélange de force et de modération. À l’armée, Rodil a été contraint de résigner son commandement, et il est sous le coup de la justice du pays. Son successeur Narvaez n’a pas attendu la division de Ribero pour se mettre à la poursuite de Gomez ; mais aussi ardent que Rodil s’est montré lent et perfide, il a su persuader aux soldats que la rapidité était déjà une première victoire, et que, dès que l’ennemi serait atteint, il serait vaincu. Dans le cabinet, il est question d’une nouvelle combinaison qui réunirait Calatrava et Mendizabal et leur adjoindrait des hommes politiques nouveaux, entre autres M. Olozaga, député de Logrono, l’un des auteurs de l’insurrection militaire de la Granja, et disposé à se montrer aujourd’hui aussi prudent qu’énergique. La modération paraît, au reste, conduire les cortès, dont le principal écueil était la déclamation et la violence : une immense majorité a déféré la régence à la reine Christine. Que les cortès, dont l’origine et les tendances sont nécessairement révolutionnaires, et qui ne pourraient être suspectes au pays, sachent se contenir en s’affermissant ; qu’elles rédigent une constitution vraiment libérale et pratique, en tête de laquelle elles écriront le principe de la souveraineté nationale et les glorieux souvenirs de 1812, et qu’elles identifient leur cause avec celle du siècle luttant contre le passé.

Dans ces derniers jours, le Portugal, plus encore que l’Espagne, a attiré l’attention, et Lisbonne a mis vivement en présence les deux constitutions qui, depuis quinze ans, ont essayé de lui donner la liberté. Nous avons déjà dit comment la charte de don Pedro pouvait passer à Lisbonne pour être plus libérale que le statut royal à Madrid ; mais les derniers évènemens viennent de donner à la constitution de 1822 une consécration d’indépendance nationale et marquer la charte de don Pedro d’une réprobation qui paraît irréparable. La majorité de la nation, qui repousse don Miguel, semblait, jusqu’aux derniers évènemens, indécise entre les deux constitutions, et ne pas attacher à l’une d’elles une préférence décisive ; mais dès qu’elle a vu l’Angleterre s’immiscer induement dans ses dissensions, son choix a été fait, et elle s’est prononcée pour la constitution que menaçait l’intérêt anglais. Lord Howard de Walden a fait maladroitement une démonstration intempestive, et il a dû rembarquer ses matelots après avoir assisté à la défaite du parti aristocratique. Quelle a été dans cette affaire la conduite de la France ? Lord Palmerston prétend dans le Morning-Chronicle que la France était complice de l’Angleterre, mais que, plus habile ou plus heureuse, elle n’a pas mis à découvert sa coopération. La tentative contre-révolutionnaire des 3 et 4 novembre jette un nouveau jour sur les divisions du cabinet du 6 septembre. Au fond on y désirait la contre-révolution au profit de la charte de don Pedro, mais on n’osait pas agir ouvertement : on s’est mis à la suite de l’Angleterre ; on aurait célébré en commun le triomphe du parti aristocratique, mais on était convenu de laisser à la Grande-Bretagne l’initiative et la responsabilité de l’entreprise. L’amiral Hugon avait deux espèces d’instructions ; les instructions officielles lui prescrivaient une exacte neutralité, et nous croyons que M. Molé les a signées sincèrement ; d’autres instructions enjoignaient une coopération prudente aux actes de l’amiral anglais ; il fallait ne rien compromettre, mais adhérer sur-le-champ aux résultats obtenus. Or, l’Angleterre ayant échoué, la France naturellement est restée immobile, et rien n’a trahi, aux yeux du peuple de Lisbonne, la pensée de son gouvernement ; mais au fond, elle était contre-révolutionnaire. Comment en douter quand l’organe le plus accrédité du ministère a pris soin de nous en instruire ? Il est vrai que, quelques jours auparavant, il avait célébré le système de la neutralité absolue ; le premier article avait été inspiré par la sage réserve de M. Molé, et le second rédigé sous la dictée de M. Guizot. Il faut convenir que cette unanimité du cabinet doit inspirer à l’Europe un grand respect pour notre politique, et il est donc écrit que partout où doit éclater une tendance contre-révolutionnaire, on rencontrera la trace et le nom de M. Guizot.

La tentative avortée de Lisbonne a singulièrement ébranlé lord Palmerston ; elle est en contradiction flagrante avec la politique naturelle des whigs, et les déconsidère vis-à-vis de la cause constitutionnelle et libérale du continent. Le parti whig est pauvre en hommes d’état capables de traiter avec l’Europe, et depuis long-temps il eût donné un successeur à lord Palmerston, s’il eût eu dans ses rangs un homme en état d’occuper le poste des affaires étrangères. Au reste, lord Palmerston se défendra vivement au parlement ; pressé entre les tories et les radicaux, il ne pourra se justifier qu’en accusant le cabinet français d’avoir déserté la politique de la quadruple-alliance ; les récriminations seront vives et les indiscrétions curieuses.

Alger vient d’être insulté par les Arabes, et la France, dont la puissance en face de ces barbares repose surtout sur le respect moral qu’elle inspire, a vu la capitale même de sa colonie menacée par l’ennemi qu’enhardissait l’absence de nos troupes marchant sur Constantine. Ainsi, au moment où s’accomplit une expédition lointaine, son effet, même heureux, est détruit par une attaque qui s’adresse au cœur de nos possessions. Avec cinq mille hommes de plus en Afrique, on eût évité ce fâcheux inconvénient ; mais le ministère est si constitutionnel, qu’il n’ose pas dépasser son budget. Nous espérons qu’on lui répondra à la tribune que la lettre tue et l’esprit vivifie, que le pouvoir exécutif a précisément pour mission de faire les choses nécessaires, sous sa propre responsabilité, quand il s’agit de l’honneur et du sang de la France. Le découragement semble gagner la colonie, l’armée est mécontente. Le maréchal paraît confondre le despotisme et la fermeté ; il vient de renvoyer en France un officier distingué, M. Edmond Pelissier, qui avait fait de l’Afrique et de notre colonie une étude approfondie, et dont M. Clauzel n’avait pu apprendre la correspondance avec un de nos journaux que par des confidences amicales qu’il avait provoquées lui-même.

On commence à s’organiser pour l’hiver ; les salons vont se rouvrir. On dit que celui de Mme de Flahaut est l’objet des méditations de M. Guizot, qui voudrait y faire accepter son influence et sa coterie. Jusqu’à présent le salon de Mme de Flahaut (dont le mari a montré pour le jeune Louis Bonaparte un intérêt tout paternel), rendez-vous de la diplomatie et de l’aristocratie étrangère qui vient à Paris, s’est montré peu favorable aux prétentions ambitieuses et à la jactance imperturbable de l’école doctrinaire. M. Guizot voudrait dissiper ces inimitiés railleuses qui l’inquiètent, et il est question d’une haute intervention diplomatique pour ménager un traité de paix où l’on s’engagerait à une bienveillance réciproque.

Cependant M. Gasparin, le plus grand musicien du ministère, occupe ses loisirs avec les arts, et l’on sait que M. Guizot, aidé de M. de Rémusat, lui ménage de longs instans libres de soucis et d’affaires. Alors M. Gasparin se livre tout entier à l’art, il songe à la musique, il songe à son opéra, car M. Gasparin a fait un opéra qui devait accabler Rossini et ressusciter Grétry ; M. Gasparin est Français… en musique, et l’éclat de l’école italienne lui paraît une offense à l’honneur national. En général, toute musique qui n’est pas la sienne ne lui est pas agréable ; on l’a vu dormir à la répétition de la Esmeralda, comme pour protester courageusement contre un genre qui n’est pas le sien. M. Gasparin appartient en politique à la vieille musique française ; c’est le mélomane de Champein.


Sans chanter, peut-on vivre un jour ?


Il déplore ses grandeurs parce qu’elles sont un obstacle à sa gloire ; il ne siérait pas qu’un membre du cabinet se fit jouer à l’Opéra-Comique ; tout ce qu’il peut est de haranguer le Conservatoire en maître de chapelle de comédie, de donner des dîners musicaux. Nous adressons au ciel des vœux pour que M. Gasparin puisse servir un jour au public sa musique ; nous demandons à grands cris sa disgrace pour avoir son opéra, car il est de la destinée du génie d’éclater surtout dans le malheur.

À côté des distractions musicales de M. Gasparin, les affaires électorales fixent toujours l’attention des deux ministres de l’intérieur, M.  de Rémusat et M. Guizot. Le ministère a opposé une dénégation à ce que nous avons dit de ses soins et de son travail en cas d’élections futures ; nous persistons à croire nos renseignemens exacts. Le ministère se défie, et à bon droit, de la chambre ; il veut se tenir prêt pour telles circonstances où il pourrait obtenir du roi de la dissoudre.

L’approche de la session rend tous les jours plus vives les différences qui séparent MM. Molé et Guizot. M. Molé soutient de bonne foi le système de non-intervention, mais ses vœux et ses sympathies sont pour la cause constitutionnelle ; loin d’incliner au côté droit, son attention est éveillée depuis quelque temps par les menées et les espérances des partisans de l’ancienne légitimité. M. Guizot, au contraire, voudrait intervenir à Lisbonne pour la cause aristocratique ; il l’écrit et le proclame ; ses avances au parti légitimiste continuent toujours. M. Molé va au centre gauche, M. Guizot au centre droit ; comment garder long-temps encore les apparences de l’union, et paraître faire route ensemble quand on est si loin l’un de l’autre ? Le caractère de M. Molé l’appelle à former un jour des alliances plus nationales que celles qu’il pourrait trouver dans le parti doctrinaire.


M. Lerminier vient de publier le cours d’histoire des législations comparées qu’il professe avec tant d’éclat et de succès au Collége de France[1]. Ces leçons renferment l’histoire du droit international pendant la période qui s’étend depuis la bataille d’Actium jusqu’à Commode. La sténographie a conservé au style tout le coloris et tout le mouvement de l’improvisation. Quant aux idées mêmes du livre, jamais on n’avait aussi bien compris et mieux retracé la transformation du génie antique qui s’opère sous les empereurs, la naissance et les progrès de l’esprit nouveau, et la lutte de ces deux tendances pour aboutir à un progrès de plus en plus marqué de la civilisation.


— Sous le titre d’Exposé et Examen critique du système phrénologique, le docteur Cerise vient de donner un volume qui intéresse tous ceux qui s’occupent à la fois de philosophie et de physiologie. Le point de vue de l’auteur, comme il l’explique avec étendue dans une lettre adressée aux élèves de l’École de Médecine et qui sert de préface au livre, est le christianisme entendu et professé dans le sens où l’établit M. Buchez. De cette position élevée de spiritualisme et de morale, M. Cerise s’en prend directement aux conséquences et aux principes de l’école phrénologique, et montre à merveille combien ses prétentions sont exorbitantes par rapport aux faits et aux bases réelles. Avec cette fermeté et cette certitude de dialectique que procure une philosophie religieuse, il démasque et déjoue les demi-conséquences, les réserves et les contradictions peu franches de l’école phrénologique en ce qui touche la morale et la nature de l’homme : en un mot, s’il ne prétend pas détruire, si peut-être il ne discute pas assez en détail un certain nombre de faits particuliers (travail qui d’ailleurs a été exécuté en partie par M. Lélut que M. Cerise cite souvent), il porte à la phrénologie comme science un échec vigoureux dont elle devra tâcher, si elle peut, de revenir. On aime surtout à rencontrer, dans M. Cerise, un physiologiste, qui connaît réellement et qui approfondit avec originalité les grandes sources philosophiques.


— M. Patin vient de rouvrir, aujourd’hui 30, son cours de poésie latine à la Faculté des Lettres. Il parle cette année du siècle d’Auguste, mais il s’arrêtera auparavant sur Catulle, cet élégant devancier qui méritait d’en être. Dans cette première leçon, où le professeur a exposé les principaux traits de la poésie romaine arrivée à l’âge de perfection, les auditeurs charmés ont admiré et goûté, comme toujours, cette exquise urbanité de diction, cette aménité choisie de pensée et de termes qui caractérise M. Patin entre tous ceux qui professent aujourd’hui : il faudrait, pour bien exprimer ce mérite, désormais si rare, lui appliquer, dans le sens primitif et sérieux le mot de gentillesse d’esprit et de langage. En parlant dès aujourd’hui de Catulle, l’élégant critique a su en exprimer et en reproduire toute la grace : il a été catullien.


— L’Espagne, qui préoccupe si vivement l’attention publique, et qui se détache d’une façon si originale avec ses vestiges de barbarie et ses ébauches constitutionnelles sur la civilisation uniforme et prosaïque du reste de l’Europe, attend encore un historien. Aschbach, en Allemagne ; Bigland, en Angleterre ; Rabbe, en France, ont fait des tentatives plus ou moins heureuses. Aujourd’hui, M. Rosseeuw-Saint-Hilaire entreprend cette tâche difficile, de raconter l’histoire d’un peuple formé des élémens les plus divers, et dont les chroniqueurs, soit arabes, soit catholiques, doivent être soumis à la plus sévère critique. Un volume a paru[2], et contient la période gothique. M. Saint-Hilaire a jeté un jour tout nouveau sur ces commencemens de l’histoire d’Espagne.


— On annonce, pour le 20, la vente de la bibliothèque de M. F. de La Mennais. Cette importante bibliothèque est composée de plus de deux mille ouvrages, dont quelques-uns sont d’une extrême rareté ; ils sont tous revêtus de la signature du propriétaire. On peut prendre connaissance du catalogue chez MM. Paul Daubrée et Cailleux, rue Vivienne, 17.

— Il y a bientôt un demi-siècle que l’Angleterre s’avisa de faire des filous de Londres le noyau d’un peuple destiné à couvrir l’île immense à laquelle les navigateurs Hollandais, qui l’avaient découverte, donnèrent le nom de Nouvelle-Hollande — ce fut en 1788 que le gouvernement anglais fonda Botany-Bay. Aujourd’hui, près de 80,000 Européens, dispersés sur les côtes ou dans les forêts de la Nouvelle-Galles du Sud, et sur quelques points de l’île de Van-Diémen, forment la population des possessions australo-anglaises. On devine combien les annales d’un semblable peuple doivent différer de celles des sociétés européennes, combien elles doivent être remplies de faits neufs et dramatiques. Les chances multipliées de non-réussite provenant de causes diverses, telles que l’éloignement de la métropole, la disette de vivres, les attaques des indigènes, l’ingratitude du sol, tout cela, réuni aux mauvaises dispositions des déportés, menaça long-temps d’étouffer dans son berceau la colonie naissante. Ces incidens, ces dangers, ces vicissitudes suffiraient sans doute pour fournir la matière d’un livre. Quand on ne trouverait dans celui que vient de publier M. de la Pilorgerie[3], que le récit exact et circonstancié de ces évènemens, nous le remercierions déjà de nous l’avoir fait. Mais une pensée plus haute a inspiré l’auteur, et à vrai dire, c’est le second titre de son ouvrage qui désigne le véritable but qu’il s’est proposé d’atteindre. Il a cherché, dans les annales des colonies pénales de l’Angleterre, des faits propres à jeter une vive lumière sur la grave question de la déportation. À ses yeux, l’histoire de Botany-Bay n’a d’importance qu’en ce qu’elle contient la solution d’une question morale. Peut-on fonder des colonies matériellement florissantes avec des criminels ? Ces hommes, après avoir violé les lois de l’association dans leur patrie, peuvent-ils devenir des colons utiles ? Non, pense M. de la Pilorgerie, et pour preuve, il nous apprend que Botany-Bay, malgré tous les sacrifices pécuniaires de l’Angleterre, n’existerait plus, si l’émigration libre n’était venue au secours de ces établissemens. La déportation considérée comme peine réunit-elle du moins les conditions que les législateurs doivent attacher aux sévérités de la loi ? Non, répond encore l’auteur, elle n’est propre ni à réformer le coupable, ni à intimider les malfaiteurs. Voilà les conclusions morales de ce livre, conclusions que l’auteur se croit autorisé à tirer de l’examen consciencieux des documens officiels, des enquêtes parlementaires, des relations et des divers voyages publiés en Angleterre. Ce livre offre une lecture très intéressante comme histoire ; il est écrit avec chaleur, avec conviction ; il mérite une place auprès des travaux excellens de MM. de Beaumont et de Tocqueville.

  1. vol. in-8o, chez Ebrard. — Semestre d’été.
  2. vol. in-8o, chez Levrault, rue de La Harpe, 81,
  3. Histoire de Botany Bay, ou Examen des effets de la déportation considérée comme peine et comme moyen de colonisation, par M. de la Pilorgerie. 1 vol. in-8o, chez Paulin, rue de Seine, 33.