Chronique de la quinzaine - 14 août 1894

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Chronique no 1496
14 août 1894


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 août.


Le gouvernement et les Chambres sont en congé depuis la fin du mois dernier : c’est un grand repos pour tout le monde. La dernière quinzaine n’a pas présenté les agitations de celles qui l’avaient immédiatement précédée, et il n’y a pas grand’chose à en dire. Nos députés se sont répandus dans leurs départemens respectifs, où ils sont devenus subitement silencieux ; cette première période des vacances est toute à l’accalmie. Lundi prochain, les conseils généraux se réuniront : il y aura peut-être là prétexte à des discours et à des manifestations. Les journaux radicaux le souhaitent ardemment ; ils donnent aux assemblées départementales le conseil d’occuper la scène vide et d’exprimer à leur manière l’opinion du pays. Peut-être quelques-unes se laisseront-elles entraîner à suivre ces suggestions, mais on peut être certain que le plus grand nombre y résistera. Les conseils généraux sont très sages ; ils savent parfaitement que la loi leur interdit les votes politiques ; de plus, ils se composent d’hommes qui vivent intimement avec le pays et participent à son esprit. Or, le pays est affamé de calme et de tranquillité. Nos députés vivent entre eux dans l’atmosphère surchauffée du Palais-Bourbon ; les journaux leur apportent les bruits du dehors, et les journaux, par instinct professionnel, sont enclins à tout grossir et à exagérer : il en résulte qu’au bout de quelques mois de session la température morale du Parlement est sensiblement plus élevée que celle du pays. Lorsqu’un député rentre chez lui, en province, parmi ses électeurs ruraux, c’est comme s’il prenait un bain tiède. Il s’aperçoit alors que beaucoup de choses qui lui paraissaient d’une importance capitale laissent le pays indifférent ; un déplacement de quelques lieues les fait apparaître sous un angle très rétréci. Les conseils généraux reflètent les sentimens de la province, et, leur session ne durant guère plus d’une semaine en moyenne, ils n’ont pas le temps de s’échauffer comme la Chambre des députés. Tout fait donc espérer qu’ils termineront leur besogne le plus rapidement possible et ne fourniront pas beaucoup de sujets d’articles aux journaux de Paris.

Quant au gouvernement, il fait l’école buissonnière et n’est pas moins dispersé que la Chambre et que le Sénat. Y a-t-il en ce moment deux ministres à Paris ? Nous n’oserions pas l’assurer. M. le président du Conseil est allé passer quelques jours au milieu des Pyrénées. En partant, il a confié l’intérim du ministère de l’Intérieur à M. Guérin, garde des sceaux. Dans ce temps d’anarchisme, le ministère de l’Intérieur a une importance particulière, et les procès qui se déroulent n’en donnent pas beaucoup moins au ministère de la Justice. Mais M. Guérin est de Carpentras, et dès qu’il a appris que les fêtes d’Orange étaient sur le point de commencer, la place Vendôme a perdu pour lui tout attrait. Il n’a pas pu y tenir, il est parti pour le Midi, accompagné du ministre de l’Instruction publique et du ministre des Travaux publics. Qu’a-t-il fait de l’intérim de l’Intérieur ? On assure qu’il l’a passé à la hâte, avec celui de la Justice, à M. le ministre des Affaires étrangères, que les [négociations congolaises retiennent encore pendant quelques jours à Paris. Quant à lui, il est allé prendre sa part des ovations qu’à Avignon, à Carpentras, à Orange, des populations enthousiastes prodiguent à leurs hôtes. La politique n’a rien à voir ici. Dans les jours de fête, le Midi n’en fait plus. Il trouve seulement que trois ministres à la fois forment un ensemble très décoratif et que ses réjouissances en sont singulièrement relevées. Tout le monde est heureux, tout le monde est content, et comme les félibres sont de la partie, on peut juger du bruit qui se fait et se prolongera longtemps encore, en prose et en vers, pour célébrer un concours aussi rare d’hommes importans et d’inoubliables représentations. Il faut plaindre ceux qui n’ont pas pu assister aux représentations dramatiques de l’amphithéâtre d’Orange ! Mais nos affaires, que deviennent-elles pendant ce temps-là ? Les mauvaises langues assurent qu’elles vont tout aussi bien ; les esprits bienveillans trouvent naturel et légitime que nos ministres prennent, eux aussi, quelques jours de congé ; ils ne leur demandent que de gouverner dès leur retour à Paris, et de préparer le programme de travail de la session d’automne afin qu’elle soit un peu mieux remplie que la précédente. Elle le sera naturellement, il est vrai, par la discussion du budget ; mais le budget est une encyclopédie, et il faut s’attendre à ce que toutes les questions possibles, et quelques autres encore, soient soulevées, agitées, peut-être tranchées au cours de ce grand débat. Une seule chose nous étonnerait, c’est qu’il pût être terminé pour le 31 décembre.

Parmi ces questions, la plus importante en ce moment est la réorganisation de la police et de la sûreté générale. Les derniers événemens ont montré à tous les yeux les vices profonds de l’organisation présente, si même on peut appeler cela une organisation, et M. le président du Conseil a promis d’étudier pendant les vacances et d’apporter à la rentrée un projet de réforme. Il n’y en a pas de plus urgent. Sera-t-il possible de faire en une seule fois tout ce qui est nécessaire pour donner à notre police l’unité qui lui manque et pour lui restituer partout le caractère d’une institution d’État ? En tout cas, rien n’est plus désirable, car les pièces du système concordent entre elles ; une réforme partielle n’acquiert pas toute sa valeur relative, si on laisse subsister à côté des défauts d’harmonie ; enfin, lorsqu’on tente un effort aussi considérable que celui qu’il faudra pour opérer chez nous la réorganisation de la police, mieux vaut s’arranger pour tout faire en une fois : c’est une économie de forces et on est plus sûr de remplir le but.

L’état de choses actuel est si défectueux qu’on est étonné qu’il n’ait pas produit plus tôt les conséquences qui commencent à se développer. Nous ignorons, au sujet de la réforme annoncée, quelles sont les idées du gouvernement, puisqu’il ne les a pas encore fait connaître ; mais il n’est pas difficile de signaler les points faibles du système, et les remèdes découlent tout naturellement de cette constatation. Nous avons aujourd’hui deux polices distinctes, l’une pour Paris, l’autre pour la province. La première est faite par la préfecture de police, la seconde par les maires. Il y a bien au ministère de l’Intérieur une direction qui porte le nom de sûreté générale, et qui est censée diriger la police en province, mais elle n’a aucun moyen de le faire et son insuffisance est notoire : nous allons dire pourquoi. On entend répéter partout qu’il faut réunir dans les mêmes mains la sûreté générale et la police. Elles ont été réunies autrefois, et elles n’auraient jamais dû, en effet, cesser de l’être. Paris n’est pas en France comme une île sans rapports avec ce qui l’entoure. Aujourd’hui surtout que les moyens de communication se sont si extraordinairement multipliés, ces rapports sont devenus continuels. Tel malfaiteur qui est aujourd’hui à Paris sera demain à Quimper ou à Nice. Les anarchistes correspondent les uns avec les autres et se prêtent mutuellement appui. Est-il admissible que, dans la recherche ou dans la poursuite qui en est faite, on emploie deux administrations différentes ? Le temps que met l’une à saisir l’autre de l’affaire qu’elle abandonne suffit le plus souvent à faire perdre une piste, et les criminels en profitent pour disparaître. Il serait difficile d’expliquer comment a pu venir à l’esprit une idée aussi absurde que de séparer la sûreté générale et la police pour les confier à des mains différentes, parfois rivales ; mais la séparation une fois faite, il l’est beaucoup moins de faire comprendre pourquoi elle s’est perpétuée. Nos ministres de l’Intérieur, de quelque nom qu’ils se soient appelés, n’ont pas tardé à regarder la direction de la sûreté générale comme la plus intéressante de leurs attributions. Sans doute la préfecture de police relève d’eux, mais le préfet de police n’en est pas moins à beaucoup d’égards un personnage indépendant, ayant ses attributions propres et disposant directement d’un personnel considérable. Il faut aussi lui abandonner une partie des fonds secrets. La tentation s’est trouvée grande pour le ministre d’avoir une police à lui, bien à lui, qu’il a employée plus d’une fois à contrôler ou même à contrarier celle de son préfet. Il a voulu se montrer mieux renseigné dans certains cas, il s’est cru mieux inspiré dans beaucoup d’autres. Et voilà comment la dualité de la police s’est maintenue pendant plusieurs années, comme si la police pouvait avoir un objet double, ou plutôt deux objets distincts ! Il est temps de mettre fin à cette anomalie, et on n’aura rien fait de sérieux si on ne prend pas ce parti.

Mais, quand on l’aura pris, on n’aura encore rien fait de vraiment efficace si on ne s’empresse pas de refondre la direction de la sûreté générale. La rattacher à la police telle qu’elle est aujourd’hui serait y rattacher une non-valeur. La préfecture de police, pour son compte, et sauf quelques détails, est restée depuis son origine un organisme admirable et qui remplit parfaitement son objet. Il est bien vrai que, sous prétexte de donner des satisfactions au Conseil municipal de Paris, on a attribué à la préfecture de la Seine un certain nombre de services qui étaient mieux placés à la police et qui lui apportaient un lot très utile d’informations ; mais il lui en reste encore assez pour savoir ce qui se passe dans tous les replis de la grande ville et pour y porter rapidement sa surveillance ou son action. Il est bien vrai aussi que des esprits systématiques ne manquent pas de proposer, toutes les fois que la question se présente, de détacher de la préfecture de police, pour les transporter à la préfecture de la Seine, la plupart des services qu’elle a conservés. Pourquoi, demandent-ils, laisser à la préfecture de police les halles, les marchés, la navigation de la Seine, etc. ? Ne sont-ce pas là des services essentiellement municipaux, et n’est-ce pas surcharger et écraser la préfecture de police que de les lui confier ? Ne vaut-il pas mieux que la préfecture de police consacre, sans distraction, toute son activité à veiller à la sûreté publique, au lieu de s’occuper de mille soins étrangers à ses attributions ? Ceux qui raisonnent ainsi, et ils sont malheureusement nombreux, ne comprennent rien à la préfecture de police. Ils la conçoivent comme un être abstrait, remplissant une fonction déterminée, et qui ne doit avoir de contact qu’avec les criminels, lorsqu’elle réussit par hasard à les trouver. La vérité, au contraire, est que, pour remplir sa mission, la préfecture de police doit être avant tout une immense agence de renseignemens rapides et continuels. Elle doit avoir l’œil et la main partout, et non pas seulement pour arrêter et pour frapper, mais pour rendre service au public, pour arranger sur place les petites affaires qui risquent de s’envenimer, pour accorder de menues faveurs qui ne nuisent pas à l’ordre public, enfin pour se montrer utile et bienfaisante autant qu’elle doit être, dans d’autres circonstances, énergique et sévère. À ce prix seulement, elle sait ce qui se passe, elle est avisée de tout, elle peut prendre à temps ses dispositions, en un mot elle est un organisme vivant au lieu d’être une entité administrative. Si on lui enlève les attributions en apparence disparates qui constituent son caractère et qui lui donnent sa force, si on la dégage du milieu parisien qu’elle remplit et où elle se meut pour l’enfermer dans une orbite étroite, elle sera bientôt réduite à la même impuissance que la sûreté générale. Mais, dit-on, il s’agit là d’attributions municipales ; elles doivent donc aller au préfet de la Seine qui est, en attendant mieux, le maire de Paris. En effet, ce sont là des attributions municipales, et c’est pour ce motif qu’il faut les laisser où elles sont, car le vrai maire de Paris n’est pas le préfet de la Seine, c’est le préfet de police.

Heureusement, ce maire est nommé par l’État, et malheureusement, — du moins à ce point de vue spécial, — les maires de province, qui ont à peu près les mêmes attributions, sont nommés par les conseils municipaux. Ainsi l’a décidé la loi de 1884, et on aurait tort de s’en plaindre : d’abord parce que cela ne servirait de rien et qu’il n’y a aucune apparence que la loi vienne à être changée, ensuite parce que cette réforme était dans la logique des choses et que, tôt ou tard, elle devait être définitivement réalisée. Les idées de décentralisation ont fait de grands progrès depuis un quart de siècle. Dangereuses lorsqu’on les pousse à l’excès, elles sont en elles-mêmes parfaitement légitimes. L’absorption par l’État de toute l’administration d’un grand pays avait fini par produire de graves inconvéniens ; le moment était venu de rendre aux départemens et aux communes des attributions qu’ils pouvaient exercer aussi bien que l’État, mieux même, et dont l’abandon par celui-ci avait l’avantage de rendre à la vie provinciale quelque chose de l’activité et de l’intérêt qu’elle avait eus à d’autres époques. Il ne faut donc pas blâmer la loi de 1884 d’avoir donné aux conseils municipaux la nomination des maires ; mais il aurait fallu, avant de la voter, distinguer entre les attributions de ceux-ci, leur laisser, et très largement, celles qui ont un caractère purement municipal, qui intéressent le bon ordre local ou qui se rapportent à la salubrité publique : au contraire, il fallait leur reprendre celles qui touchent au bon ordre général et à la sûreté même de l’État. C’est ce qui n’a pas été fait. Les maires élus par les conseils municipaux et sur lesquels le gouvernement n’a plus aucune prise réelle, aucun moyen d’action efficace, ont hérité en bloc de toutes les attributions de police de leurs prédécesseurs nommés par le pouvoir central. Si le préfet de police est le maire de Paris, en revanche les maires de province sont les préfets de police de leurs communes. La différence est que le préfet dépend du ministre de l’Intérieur, tandis que les maires dépendent des conseils municipaux ; ils ne peuvent être suspendus que pendant quelques semaines, et, s’ils sont révoqués, ils redeviennent rééligibles au bout d’un an. Les résultats vont de soi. Les agens d’exécution que le gouvernement avait autrefois dans les maires lui échappent aujourd’hui presque complètement. C’est comme si, dans la transmission de la force sur tous les points d’un atelier, un des moteurs intermédiaires venait à manquer : rien ne va plus. Cette conclusion serait excessive pour les maires, car il y en a de bons, mais il y en a aussi qui ne le sont pas, et qui ne sont élus et maintenus par leur conseil municipal qu’à la condition d’être mal avec le préfet et de le braver. Il y a des municipalités socialistes ; il y en a de révolutionnaires. Toutes sont chargées de la police, et il est facile de deviner comment quelques-unes s’en acquittent.

Que peut la direction de la sûreté générale dans des conditions semblables ? Elle a en province un certain nombre de commissaires de police nommés et révoqués par elle, mais qui sont mis presque entièrement à la disposition des maires et payés par le budget municipal. C’est le maire qui leur adresse des ordres, c’est à lui qu’ils font leur rapport, c’est lui, — ce point est important, — qui leur donne des notes de service et décide par là de leur avenir. On ne saurait concevoir une situation plus anormale que celle de ces fonctionnaires amphibies, nommés par l’État, et payés par les communes, qui vivent loin du préfet et toujours près du maire. Tels sont les agens de la sûreté générale. Il est vrai qu’elle en a d’autres, les commissaires spéciaux des chemins de fer et des ports ; mais ceux-ci sont en petit nombre, malgré le crédit de 800 000 francs que les Chambres ont voté au mois de décembre dernier pour en créer de nouveaux, et ils n’habitent que dans les ports et dans les gares. Les commissaires spéciaux appartiennent à la sûreté générale, et leur institution doit servir de modèle pour les autres. Puisqu’on prépare une réforme devenue indispensable, la première chose à faire est d’enlever aux maires la police de sûreté et de la confier à des agens qui dépendront directement du pouvoir central ; la seconde est de fondre ensemble la préfecture de police et la direction de la sûreté générale. Nous aurons alors une police, au lieu d’en avoir autant que de communes, c’est-à-dire trente-six mille.

Veut-on se rendre compte par quelques exemples des conséquences déplorables de l’organisation actuelle ? Il en est un qui a été cité plus d’une fois, parce qu’il vient le premier à l’esprit. Le département du Nord présente une agglomération de trois villes importantes, Lille avec 350 000 habitans, Roubaix avec 120 000 et Tourcoing avec 90 000 environ. Les conseils municipaux et par conséquent les maires de ces villes diffèrent sensiblement. Il n’y a que du bien à en dire à Lille, moins à Tourcoing, et pas du tout à Roubaix, qui est devenue la ville sainte du socialisme révolutionnaire. M. Jules Guesde assurait récemment à la Chambre que tout allait au mieux dans cette abbaye de Thélème, parce que chacun y faisait ce qu’il voulait. La police n’y existe pas, ou si peu que rien. Cela donne envie, n’est-ce pas ? d’aller y habiter. Eh bien ! qu’arrive-t-il ? Supposons que la police de Lille soit sur la piste d’un homme dangereux et que celui-ci se sente surveillé et menacé : rien de plus simple, il passe à Tourcoing. S’il ne s’y se sent pas encore en sécurité, il n’a pas à aller loin : les portes de Roubaix lui sont ouvertes. Une fois là, il n’a plus rien à craindre ; le maire le couvre de son autorité tutélaire. Si le préfet du département écrit au maire pour lui demander de surveiller le malfaiteur, le maire ne répond pas, ou il répond qu’il s’agit d’un homme parfaitement tranquille et inoffensif. Et les choses se passent ainsi, bien qu’à des degrés moindres, dans toute la France. Les anarchistes connaissent parfaitement les villes où ils sont assurés de trouver un refuge contre la persécution de la police, parce que la police y est paralysée entre les mains du maire. Il y a aussi des villes où des municipalités successives ont nommé des agens d’opinions et d’humeurs différentes, les uns socialistes, les autres conservateurs, et certains quartiers changent tout à fait de caractère, le soir surtout, suivant que ceux-ci ou ceux-là sont de service. N’oublions pas de dire, en effet, que si les commissaires de police sont nommés par le ministre de l’Intérieur, les agens inférieurs le sont par les maires. Est-ce que le maintien de cet état de choses peut être toléré plus longtemps ? est-ce qu’il ne suffit pas de le signaler pour qu’il y soit porté remède ? Faut-il rappeler ce qui a été affirmé par divers journaux sans rencontrer de contradiction, à savoir qu’un mois avant l’assassinat de M. Carnot à Lyon, une perquisition a été faite chez Caserio dans une ville qu’il est inutile de nommer, et qu’elle a abouti à la constatation qu’on avait affaire à un anarchiste des plus dangereux ? Il était étranger : rien n’était plus simple que de l’expulser. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Parce que le maire, ayant trouvé dans les papiers de l’anarchiste italien le nom de quelques-uns de ses propres amis, s’est empressé d’arrêter et d’étouffer l’affaire. Le commissaire central n’en a ni référé à la préfecture, ni saisi le parquet. Caserio est resté libre de vivre et de correspondre avec les compagnons. On connaît la suite.

M. Dupuy a donc bien fait de promettre une réforme. Cette réforme est compliquée dans certains détails d’application, mais les lignes essentielles en apparaissent très simples. L’unité de la police de sûreté dans toute la France doit être le but. Pour cela, il faut enlever aux maires, qui ne sont plus des fonctionnaires de l’État, la partie de leurs attributions qui se rapporte à cette police. Les agens de la sûreté générale doivent être nommés par le gouvernement, hiérarchisés entre eux et rattachés à la même administration que la police de Paris. On donnera d’ailleurs à cette administration le nom qu’on voudra. Il y aura évidemment des rapports à établir entre les agens de la sûreté et les maires, mais sans que jamais ceux-là dépendent de ceux-ci. Tous seront payés par le budget de l’État, bien entendu avec une contribution obligatoire de la part des communes sensiblement égale à ce qu’elles dépensent aujourd’hui pour le même objet, car il ne faut pas que la réforme soit une charge de plus pour le budget général. Nous n’avons pas sous les yeux la totalisation des chiffres que nos 36 000 communes paient pour la police ; mais ce qui est significatif, c’est que le budget de la sûreté générale au ministère de l’Intérieur ne s’élève guère qu’à 2 millions. Sait-on au contraire, quel est celui de la préfecture de police à Paris ? Il est de 29 millions, et, par une anomalie qu’il faudrait aussi faire disparaître, les 8 millions que l’État fournit sur cette somme, comme une sorte d’abonnement, tombent dans la caisse municipale et en sortent avec le caractère de fonds municipaux. C’est le contraire qui doit avoir lieu ; c’est le fonds de concours fourni par la ville, soit 21 millions, qui doit devenir fonds d’État. Assurément ce côté de la question a moins d’importance que ceux que nous avons déjà exposés : il en a cependant, et les conseillers municipaux de Paris, aussi bien que les maires de province, savent bien dire aux agens de police : « C’est nous qui vous payons, » d’où le pauvre agent, d’instruction médiocre, conclut naturellement qu’il doit servir qui le paie. Au reste, en ce qui concerne Paris, il y aurait une réforme plus radicale à faire. Elle a été proposée il y a quelques années au Sénat par MM. de Marcère, Léon Say, Léon Renault, et ce dernier a écrit à cette occasion un rapport que l’on consultera toujours avec grand profit. Il s’agissait de rattacher le budget de la préfecture de police à celui de l’État et de le faire voter par les Chambres, en imposant à la ville une cotisation à déterminer. Le Sénat a voté le projet de loi qui, depuis lors, est à la Chambre, attendant sans doute, pour y être discuté, la fin des interpellations inutiles et violentes. Ce rattachement s’impose si on veut faire une œuvre complète. Mais le voudra-t-on ? Qui pourrait prévoir le résultat des méditations auxquelles se livre en ce moment M. Dupuy ? Ministre de l’Intérieur, aura-t-il le bon sens et courage de renoncer à son action directe sur la sûreté générale pour fondre celle-ci avec la préfecture de police ? On a vu des ministres de l’Intérieur que cette pensée épouvantait. Ils avaient peur de faire du directeur général de la police et de la sûreté un personnage trop considérable, et l’ombre de Fouché dressait dans leur imagination sa silhouette inquiétante. Pourtant, il ne s’agit pas de faire un ministre, mais un simple directeur qui, quelle que soit son importance, restera un subordonné toujours révocable. Enfin la réforme est à ce prix : si on ne fait pas cela, on nous aura insuffisamment rassurés.

Et nous avons besoin de l’être. Pourquoi ne pas avouer que le verdict rendu dimanche dernier dans le procès des Trente, comme on l’a appelé parce que trente anarchistes comparaissaient devant la Cour d’assises, n’est pas de nature à inspirer une pleine confiance dans l’institution du jury ? Tous les argumens donnés en faveur de la récente loi qui vient d’être votée par le Parlement, ne valent pas la leçon de choses, la démonstration expérimentale qui ressort de ce verdict. Évidemment les lois antérieures étaient inefficaces, et il fallait en faire une nouvelle. La loi de décembre 1893 ne suffisait pas. C’est pour la première fois, croyons-nous, qu’on l’appliquait à une collection de malfaiteurs agissant les uns par la parole ou la plume, les autres plus brutalement par le fait. Y avait-il eu entre eux l’entente que la loi avait voulu punir ? Le jury ne l’a pas cru, sans doute parce qu’il a confondu l’entente avec le complot ou la conspiration. Que s’était proposé la loi du 23 décembre dernier, votée par la Chambre après l’attentat de Vaillant ? De déterminer la responsabilité de celui qui, par une propagande coupable, pousse au crime sans le commettre lui-même ou sans y participer matériellement. Est-ce que cette responsabilité n’existe pas ? Est-ce que l’écrivain qui propage les doctrines de l’anarchisme n’a pas sa part de solidarité dans les conséquences pratiques que d’autres en tirent ? On a lu, à l’audience, une lettre bien curieuse, dans laquelle M. Elisée Reclus déclarait nettement que le vol était un acte licite et que, la collectivité ayant le droit d’exercer ses reprises sur la propriété individuelle, l’individu pouvait lui aussi exercer partiellement son droit personnel. « Il faut, disait-il, faire entrer dans les esprits la morale nouvelle. » M. Elisée Reclus n’était pas en cause ; mais Jean Grave, à qui il avait adressé sa consultation sur le vol, siégeait sur les bancs des accusés. Il en était de même de Sébastien Faure, un autre doctrinaire de l’anarchie, qui s’est trouvé être un orateur habile, persuasif, éloquent, et dont la parole paraît avoir exercé une action très vive sur le jury. Sébastien Faure n’a jamais commis lui-même un acte criminel, seulement ses disciples le dépassent et appliquent ses théories. Tous ces hommes s’appuient entre eux, s’encouragent mutuellement, même sans se connaître, se donnent de l’argent les uns aux autres, sont en correspondance suivie, et le parquet, en les envoyant ensemble devant le jury, depuis Sébastien Faure et Jean Grave jusqu’à Ortiz et à sa bande de cambrioleurs, avait voulu rendre sensibles les rapports qui existent entre eux par des transitions et des dégradations successives. Il n’y a pas réussi. Le jury n’a pas admis la thèse du ministère public. Sur trente accusés, il en a acquitté vingt-sept, et n’a puni que trois criminels de droit commun. Les « intellectuels », — c’est ainsi qu’on appelle ceux qui se contentent de conseiller le crime, mais qui n’opèrent pas eux-mêmes, — ont tous échappé. Trente accusés à la fois, c’était trop sans doute, et M. l’avocat général Bulot n’est pas parvenu à faire suffisamment ressortir le lien, parfois un peu subtil, qui les rattachait les uns aux autres. Il a été évident dès la première audience qu’un assez grand nombre seraient mis hors de cause, mais on ne croyait pas que la proportion irait jusqu’à vingt-sept sur trente. L’expérience a prouvé que, dans la période de trouble moral que nous traversons, le jury n’est pas un instrument qui échappe à la critique, et c’est là, comme nous l’avons dit, la meilleure justification de la loi nouvelle, qui le dépossède dans un certain nombre de cas pour saisir la juridiction correctionnelle. Pendant qu’on la discutait, ses adversaires ne cessaient pas de répéter : « Pourquoi remplacer le jury ? Est-ce qu’il ne s’est pas montré constamment énergique ? Est-ce qu’il a démérité de la confiance nationale ? Attendez du moins de pouvoir relever à sa charge quelques défaillances ! » Ces argumens n’ont pas convaincu la Chambre : ils auraient aujourd’hui moins de force encore, et surtout d’opportunité.


Depuis quinze jours, il ne s’est rien passé en Extrême-Orient qui mérite une attention particulière, sauf pourtant que le Japon a notifié aux puissances que l’état de guerre existait entre lui et la Chine. On se demandait si cette formalité serait remplie. Les nations d’Extrême-Orient ont l’habitude de faire la guerre sans la déclarer ; mais si cette abstention n’a pas d’importance entre elles, il n’en est pas de même en ce qui concerne les autres pays. L’affaire du Kowskung a sans doute ouvert les yeux au Japon sur les responsabilités qu’on risque d’encourir lorsqu’on coule un navire qui porte des troupes chinoises, mais qui se trouve ensuite être un navire anglais. Les jurisconsultes commencent à discuter déjà le point de droit que soulève cet incident. Les uns estiment que, lorsque des actes d’hostilité ont eu lieu, l’état de guerre doit être considéré comme existant, quand même il n’y aurait eu encore ni déclaration entre les belligérans, ni notification aux neutres ; les autres soutiennent que les propriétaires du Kowshung, aussi bien que ses officiers, étaient en droit d’ignorer l’état de guerre, et que, la Chine étant suzeraine de la Corée, rien n’était plus légitime de leur part que de transporter des troupes dans un pays vassal, qui, d’ailleurs, les avait appelées. Il est probable que l’affaire sera dans quelques années réglée par un arbitrage, comme cela est arrivé pour l’Alabama. La cause est assurément intéressante, le droit est douteux, et, au surplus, les circonstances du combat ne sont pas encore connues avec assez de certitude pour qu’on puisse émettre une opinion quelconque.

Voilà donc la guerre entamée. Les bons offices des puissances européennes n’ont pas réussi à l’empêcher d’éclater. On a mis en cause la sincérité de quelques-unes d’entre elles, notamment de l’Angleterre : rien ne nous paraît moins à propos. L’Angleterre n’a pas intérêt à ce que son commerce avec la Corée et la Chine soit troublé pendant un nombre de mois, ou même d’années, qui reste incertain. On lui attribue des visées ambitieuses qu’elle n’a pas manifestées jusqu’ici, puisque, après avoir occupé Port-Hamilton pendant deux années, elle l’a évacué. Il est bien possible qu’un jour ou l’autre les prévisions des pessimistes se trouvent justifiées. La guerre, en se prolongeant, peut modifier les situations respectives des puissances, et obliger celles-ci à pourvoir à leurs intérêts ; mais, dans ce cas, le règlement des questions soulevées serait si difficile que personne n’est certainement allé de gaité de cœur au-devant de pareilles complications. L’Angleterre, la Russie, la France, avaient un désir égal de voir la paix maintenue, et elles ont fait leur possible pour cela. Malheureusement, les prétentions et l’humeur belliqueuse du Japon ont été plus fortes et ont déterminé le conflit. Le Japon croit sa puissance militaire supérieure à celle de la Chine, et probablement il n’a pas tort, s’il s’agit de l’offensive ; mais la Chine a des ressources indéfinies pour la défensive, et, à moins que le Japon puisse débarquer sur un point du Petchili des troupes assez nombreuses et assez solides pour marcher sur Pékin et y frapper un coup décisif, la guerre peut se prolonger très longtemps sans amener de résultat. Les succès partiels des Japonais flatteront leur amour-propre, et resteront stériles. La Chine, nous l’avons éprouvé, est le pays qui peut le plus facilement recevoir des coups sans les sentir. Ses ressources en hommes sont inépuisables, et, bien que ces hommes soient généralement de médiocres soldats, leur nombre et la rapidité avec laquelle ils se renouvellent en font des adversaires très incommodes : avec eux rien ne finit jamais.

Il n’est pas douteux que les Japonais représentent la civilisation en Extrême-Orient, et particulièrement en Corée, où la Chine représente au contraire l’immobilité. À ce titre, leur cause est digne de sympathies. L’état social et politique de la Corée appelle incontestablement des réformes profondes. Tout, dans ce malheureux pays, appartient aux mandarins et aux nobles, qui exploitent et pillent le peuple sans merci ni pitié. La classe privilégiée se compose de ceux qui occupent des fonctions publiques, de ceux qui en ont occupé, et enfin de ceux qui ont obtenu les grades littéraires qui leur permettent d’en occuper. Ces derniers ne travaillent pas ; ils se déshonoreraient s’ils le faisaient ; ils attendent des fonctions qui ne sauraient leur manquer un jour ou l’autre, car les fonctionnaires, en Corée, ne restent en place que trois ans tout au plus. Pendant ce temps, ils assurent leur existence à venir. Entre les gradés et eux s’établit un roulement continuel. Du reste les gradés, sans même être revêtus de fonctions publiques, ont droit de haute et de basse justice sur le peuple ; ils arrêtent qui ils veulent, ils font des perquisitions pour reconnaître la fortune de l’habitant, ils prélèvent des dîmes arbitrairement et ils ne sont justiciables d’aucun tribunal. Peut-on reprocher au Japon de vouloir modifier cet état de choses ? Si on lui dit que cela est fâcheux sans doute, mais que cela ne le regarde pas, il répond qu’après avoir depuis quelques années développé considérablement son commerce avec la Corée, ses intérêts se confondent dans bien des cas avec ceux de ce pays. Les Japonais se plaignent de ne pas pouvoir obtenir justice, de ne pas pouvoir se faire payer par les mandarins et les nobles, enfin de ne rencontrer aucune sécurité pour un commerce devenu si important qu’ils ne peuvent plus le laisser sans garanties. Aussi demandent-ils des réformes, mais la Chine les refuse. Ils ont proposé aussi quelquefois de se charger à leurs frais de travaux d’utilité générale, par exemple de l’établissement d’un chemin de Tchemulpo à Séoul : la Chine y a mis son veto. Le Japon estime que cette situation ne peut pas durer, que la Chine doit renoncer à sa suzeraineté, que la Corée doit devenir indépendante et entrer de gré ou de force dans la voie du progrès. S’il borne là ses prétentions, on ne peut que souhaiter le succès de ses efforts, car tout le monde en profitera ; mais s’il cherche à prendre pied en Corée et à commencer à son profit le partage du pays, d’autres copartageans apparaîtront aussitôt et les événemens prendront fatalement une tournure nouvelle. On n’en est pas encore là, et sans doute même on en est loin. L’Extrême-Orient n’est pas un pays où les événemens se précipitent, et jusqu’ici même il est impossible de reconnaître dans quel sens ils marchent. On sait seulement que les hostilités ont commencé.


En Danemark, M. Estrup a donné sa démission. Cette nouvelle laissera le public européen indifférent, car elle n’intéresse directement que les Danois : cependant elle n’a pas passé inaperçue, tant la physionomie de M. Estrup a paru originale et digne d’attention. M. Estrup a été premier ministre pendant dix-sept années consécutives, et, depuis plus de douze ans il était en conflit avec la Chambre des députés ou Folkething, qui refusait obstinément de voter le budget. Le Folkething est élu par le suffrage universel : il est composé d’hommes en général éclairés, appartenant en majorité au parti radical, nullement révolutionnaires pourtant, ce qui ne les a pas empêchés d’employer la dernière ressource, l’ultima ratio des assemblées, le refus du budget. M. Estrup, appuyé sur le Landsthing, ou Sénat, et encore plus sur le roi Christian qui n’a pas cessé de le soutenir et qui vient de lui écrire, en acceptant sa démission, une lettre pleine de remercîmens et d’éloges ; M. Estrup a gouverné sans se préoccuper de l’opposition de la Chambre, il a prélevé tranquillement les impôts votés par le Sénat et sanctionnés par le roi. On ne trouverait pas un autre exemple d’une pareille situation. Ce qui en fait aussi la singularité, c’est que, de même que le Folkething n’est pas une assemblée révolutionnaire, M. Estrup n’est pas un homme de coup d’État. Il a vécu dans l’illégalité, mais dans le minimum d’illégalité possible, se gardant de toute violence inutile, ménageant les personnes et montrant, le point de départ admis, une modération qui ne s’est jamais démentie. Son attitude a rencontré beaucoup d’admirateurs : il ne faudrait pourtant conseiller à personne de l’imiter. Ce qui a réussi en Danemark, petit pays très sage, très patient et très froid, n’aurait probablement pas ailleurs le même succès. Il est rare, au surplus, qu’on rencontre pour violer les constitutions, des hommes aussi parfaitement honnêtes et estimables que M. Estrup. Enfin, le roi Christian est aimé de ses sujets, et on s’incline avec déférence devant sa volonté : il a fallu toutes ces circonstances réunies pour permettre à M. Estrup de prolonger si longtemps le tour de force politique auquel il vient lui-même de mettre fin.

Il va sans dire que le motif du conflit ne pouvait pas être insignifiant pour que M. Estrup se permît d’user de pareils procédés. L’origine en est dans un désaccord entre le Folkething et le gouvernement royal au sujet de l’importance adonner aux forces militaires du pays, et particulièrement aux fortifications de Copenhague. L’opposition radicale, dirigée par M. Berg, soutenait que le Danemark devant désormais se tenir en dehors de toutes les complications européennes, n’avait nul besoin de ces fortifications, et que c’était là une dépense inutile. Mais l’expérience du passé a montré au Danemark qu’un petit pays peut être jalousé et attaqué comme un grand, et qu’il doit toujours être à même de défendre ses intérêts ou du moins son honneur. M. Estrup a construit contre vents et marées les fortifications de Copenhague, et ce n’est qu’après avoir terminé son œuvre, telle qu’il l’avait conçue, qu’il a donné sa démission. Quelque incorrecte que fût la situation du ministre à l’égard du Parlement, le temps avait fini par calmer les passions de part et d’autre. Les questions se renouvellent. Les hommes changent aussi. M. Berg est mort ; le parti radical, qui est puissant au Folkething et auquel il communiquait son ardeur, s’est sensiblement apaisé. À quoi bon s’occuper plus longtemps des fortifications de Copenhague, puisqu’elles sont faites ? Enfin, si les paysans danois sont volontiers radicaux, ils ont horreur du socialisme, et chez eux comme ailleurs le socialisme commence à devenir inquiétant. M. Estrup a profité habilement de cette situation. Ses derniers jours ministériels sont à notre avis ceux qui lui font le plus d’honneur. Il a su rapprocher les modérés de tous les partis en leur promettant de disparaître lui-même, de manière à supprimer dans le gouvernement la trace vivante des divisions du passé. Pour la première fois, le budget a été voté par le Folkething, et M. Estrup, qui était resté aux affaires tout le temps que la Chambre le lui refusait, est descendu spontanément du pouvoir après avoir obtenu ce vote de réconciliation. Jusqu’à la fin, cet épisode de l’histoire du Danemark est resté unique en son genre. Il a été beaucoup pardonné à M. Estrup, même par ses adversaires, parce que, dans une situation inconstitutionnelle, il a été du moins modéré et désintéressé, et n’a cherché qu’à faire le bien de son pays : de bons juges estiment qu’il y a réussi.

FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.