Chronique de la quinzaine - 14 avril 1861
14 avril 1861
Nous ne nous lasserons pas de signaler la cause de cette anxiété croissante qui est devenue la maladie chronique de notre pays. Il y a certes en Europe de graves difficultés, de nombreuses perspectives de périls, d’amples sujets d’inquiétude. Nous assistons à un travail de décomposition universelle. Tout se dissout autour de nous. En Italie, c’est une révolution religieuse, commune au monde catholique, qui s’agite avec le sort temporel de la papauté ; c’est la paix immédiate de l’Europe qui se débat dans la lutte des chefs politiques du mouvement unitaire. En Hongrie, c’est l’existence d’un grand empire européen qui est mise en question. En Pologne, la cause d’une nationalité si longtemps opprimée se présente au monde sous les plus touchantes apparences de la légitimité, de la justice, de l’invincible fidélité d’un peuple à lui-même à travers le martyre. Dans le Holstein au contraire, nous voyons le principe des nationalités donner lieu aux équivoques les plus ambiguës, tout en exposant à de prochaines perturbations la paix européenne. Puis, dans le fond du tableau, c’est l’empire ottoman, le vaste et permanent foyer de la dissolution générale, l’empire ottoman, dont la décomposition intérieure peut à tout moment mettre aux prises les ambitions des grandes puissances. Quand les esprits médiocres, déconcertés, effarés, auront parcouru, compté, dénoncé ces problèmes qui nous entourent et nous obsèdent, ils n’auront pas donné la vraie raison du trouble moral et de l’anxiété dont la France et l’Europe sont saisies. Les difficultés extérieures sont de tous les temps ; la civilisation, à tous les degrés de son développement, est accompagnée d’ébranlemens, de mouvemens incertains et périlleux. Ces grands hasards de la vie politique n’ont rien en eux-mêmes qui doive jeter l’opinion dans un vague effroi. Gouvernemens et peuples doivent s’habituer à vivre avec de telles difficultés ; c’est la condition de leur existence. La cause vraie, profonde, principale du malaise moral que chacun ressent aujourd’hui n’est point dans la gravité des problèmes dont la solution parait être échue à notre génération.
Elle est ailleurs ; elle est, ayons la franchise de le dire, dans le singulier état de choses qui paralyse en France la formation, l’élaboration et l’expression de la pensée publique. Nous autres Français, nous sentons en ce moment que deux choses nous font défaut. Ces deux choses qui nous manquent sont d’une part un système conçu, défini, manifesté devant l’opinion, avec lequel nous puissions entreprendre la tache que la situation de l’Europe peut nous imposer, et d’autre part le sentiment que l’opinion ait le pouvoir de ne pas se laisser surprendre par les accidens et d’intervenir à temps dans les résolutions qui devront être prises en vue des événemens. Nous sommes Inquiets, parce que nous ne savons pas bien ce qu’il faut faire, parce que nous ne nous sommes point mis en mesure de l’apprendre par la discussion, parce que nous ignorons ce qui se fera, parce que nous sentons que nous pouvons n’être point consultés à temps sur ce qui devra se faire. Notre génie national a eu chez nous bien des détracteurs ; parmi ces détracteurs de l’esprit de la France, les plus sévères, et à notre sens les plus injustes, sont ceux qui nous refusent l’aptitude à la liberté, ceux qui prétendent que nous ne sommes point en état de nous gouverner nous-mêmes, ceux qui nous traitent comme un peuple mineur à qui, lorsqu’on veut bien lui rendre le service de le gouverner, on n’aurait à demander que des blancs-seings. Eh bien ! nous ne craignons point de nous adresser à ceux mêmes qui jugent la France d’une façon si méprisante. Ils ne nous démentiront pas lorsque nous dirons que, malgré tous les défauts qu’on nous impute, nous sommes un peuple amoureux de la netteté de la pensée, de la clarté des idées, de la logique des conceptions. Nous portons dans la politique ce besoin de l’intelligence française. Si, comme l’Égypte biblique, nous eussions été condamnés aux sept plaies, la plus douloureuse pour nous eût été celle des ténèbres. Que ce besoin de clarté soit satisfait, le repos est rendu à nos consciences, la sécurité à nos intérêts, car ayons au moins l’orgueil de nos mérites, puisqu’on nous reproche et qu’on nous fait expier si durement nos défauts. Nous avons les qualités morales qui correspondent à l’appétit de lumière qui est propre à notre intelligence ; nous avons la passion de la franchise et la consciencieuse intrépidité de la logique. Allons plus loin, donnons encore une satisfaction à notre amour-propre : quand la France a un système politique nettement tracé, ne semble-t-il pas qu’elle fasse aussitôt la lumière au sein de l’Europe et au profit des autres peuples ? Les incertitudes, les agitations qui travaillent les nations du continent n’accusent-elles pas autant que nos propres inquiétudes le mal de l’obscurcissement de la pensée française ? Un système, un système nettement conçu, franchement avoué, voilà le cri que de toutes parts on adresse à la politique française.
Mais en présence des premiers tâtonnemens de cette révolution européenne, qui, livrée au hasard des accidens, privée de la lumière et du contrôle de l’initiative française, pourrait nous mener si loin, ce système que la France se doit à elle-même, et qu’elle doit à l’Europe, il faut qu’il émane de la conscience du pays, stimulée, éclairée par les plus libres controverses. Nous avons reconnu avec impartialité que le décret du 24 novembre annonçait que l’instinct de cette nécessité de la situation ne manquait point au pouvoir. Qu’était-ce en effet que les nouvelles prérogatives accordées au corps législatif, sinon un appel adressé à la représentation du pays pour dégager et préciser la pensée publique ? L’expérience du décret du 24 novembre a été commencée dans les discussions de l’adresse au sein du sénat et au corps législatif. Le succès de l’expérience a-t-il été complet ? Personne ne l’oserait dire. Pour ne parler que du résultat, il a laissé les esprits dans l’incertitude touchant les questions qui sont le souci du présent et de l’avenir. Les chambres n’ont exprimé leur jugement que sur le passé, et les discussions ardentes qui ont précédé ce jugement en ont même rendu la portée indécise. Sur l’avenir, les votes comme les débats des chambres ne nous ont fourni aucune donnée assurée. Nous croyons ne point sortir de l’impartialité, que nous considérons comme un devoir plus étroit que jamais dans les circonstances actuelles, en supposant que le décret du 24 novembre est un essai d’amélioration qui laisse la voie ouverte à des essais nouveaux que la pratique rendrait nécessaires. On peut donc en toute sûreté en étudier les effets pratiques, et indiquer les progrès que cette épreuve réclame et promet.
À nos yeux, si la pensée publique n’a point été suffisamment dégagée par les discussions de l’adresse, cela tient à plusieurs causes qui s’enchaînent les unes aux autres. Pour faire sortir du sein d’un pays l’opinion qui doit se condenser et trouver dans le gouvernement son expression la plus haute, il faut que les grandes opinions qui existent dans la nation possèdent des moyens préalables de préparation, d’organisation, de concert, de transaction. Dans l’état actuel de la presse, ces moyens manquent en France. Les controverses politiques ayant été durant dix ans suspendues, on a vu un autre effet de cette longue léthargie de la vie publique qui nous a surpris moins que personne. On s’est trouvé en présence d’opinions absolues qui ne s’étaient point assouplies au mouvement des choses en Europe. On a rencontré dans la rigidité de ces opinions qui ont échappé à l’influence des faits accomplis des obstacles aux transactions rendues nécessaires notamment par l’état de l’Italie. Pour les observateurs attentifs, il a été démontré en outre que le mécanisme d’après lequel sont actuellement établies les relations des chambres avec le pouvoir ne se prête guère à une action parlementaire efficace. Tant que tous les ministres du pouvoir exécutif ne prendront point une part active aux délibérations des assemblées, on ne comprend pas que les opinions puissent s’organiser au sein de ces assemblées et influer directement sur le pouvoir. Or le grand avantage de l’organisation des opinions dans les assemblées et de leur action sur le pouvoir est de donner à la politique d’un gouvernement cette signification systématique et claire dont l’absence est si regrettée en ce moment. Quand les ministres sont dans les chambres, ils n’y peuvent conserver le pouvoir sans l’appui des majorités ; quand il est bien entendu que la politique d’un gouvernement doit être l’expression de la pensée des majorités, l’émulation est créée au sein des opinions. Non-seulement les opinions sont appliquées à se définir, à se faire connaître, mais elles étudient plus attentivement les intérêts et les faits, elles se prêtent plus docilement aux compromis que la pratique conseille. Pouvant être appelées au pouvoir, elles ont à un plus haut degré et les lumières et les scrupules de la responsabilité. Nous n’avons, quant à nous, aucun embarras à énoncer ces nécessités du véritable gouvernement de l’opinion publique, car nous sommes certains que l’expérience les dévoilera et les imposera l’une après l’autre, parce que déjà, sans qu’on s’en rende peut-être bien compte, elles sont ressenties par ceux qui appellent la lumière sur la politique de la France dans la crise révolutionnaire où l’Europe est entrée.
Nous pourrions, si nous voulions suivre dans les détails l’action du corps législatif, trouver à chaque instant la confirmation de cette appréciation. Pour s’élever au rôle auquel il a été appelé par le décret du 24 novembre, le corps législatif se sent à l’étroit dans son règlement. N’a-t-on pas vu l’autre jour par exemple un député, M. Javal, faire la critique indirecte la plus piquante de ce règlement à propos du projet de loi relatif aux prisonniers pour dettes ? Le règlement accorde à la chambre la faculté de renvoyer au conseil d’état tel article de projet de loi qui lui paraît devoir être amendé ; ici, par une curieuse rencontre, le projet n’avait qu’un article, et le rejeter, c’eût été rejeter la loi. Les embarras du corps législatif se révéleront plus encore dans la discussion du budget, si cette discussion doit être aussi sérieuse et aussi approfondie que l’état de nos finances et les circonstances générales semblent l’exiger. C’est plus que jamais peut-être sur le terrain des finances qu’il faut aujourd’hui se placer pour embrasser et combiner l’ensemble des nécessités de la politique française. La force d’action d’un gouvernement, si on veut l’évaluer et en user sainement, dépend de l’état de ses finances. Tous les grands services publics où se distribue l’action du pouvoir viennent se réunir à l’administration financière comme à un confluent commun. Dans l’ordre régulier des choses, les finances étant le centre du gouvernement, le ministre des finances devrait toujours avoir la direction du cabinet. C’est probablement pour cette raison, mise en lumière par une longue expérience, qu’en Angleterre le premier ministre est presque toujours le premier lord de la trésorerie. L’inconvénient de notre système de ministères, le ministre des finances n’y ayant point la haute main sur ses collègues, c’est la difficulté que nous éprouvons à équilibrer nos dépenses avec nos revenus. Cette difficulté est devenue plus sensible dans ces derniers temps par l’excès et probablement l’abus des crédits supplémentaires et extraordinaires. Avec des crédits dont l’importance n’est souvent révélée qu’à la fin d’un exercice, il est impossible de tenir véritablement les finances dans sa main, de mesurer la dépense à la recette. Certes personne ne peut mettre en question les ressources financières de la France, il n’en est peut-être pas de plus considérables dans le monde ; mais le laisser-aller avec lequel on a, dans ces derniers temps, forcé les dépenses a des inconvéniens de plus d’une sorte, qui peuvent même, en certaines circonstances, créer de graves dangers. De là ces consolidations en rentes des fonds provenant de la caisse de dotation de l’armée, qui équivalent à un emprunt annuel et à une augmentation progressive et permanente de la dette publique ; de là le maintien d’impôts qui devaient cesser avec la guerre, comme le double décime, la création de taxes maladroites, comme l’impôt sur les valeurs mobilières ; de là des opérations de trésorerie qui, venant mal à propos, affectent défavorablement le crédit de l’état, et peuvent augmenter les difficultés du crédit commercial. Ces fâcheuses conséquences du laisser-aller de notre administration financière ont déjà excité l’attention du corps législatif, qui va faire sans doute, si les entraves de son règlement le lui permettent, un vigoureux effort pour les prévenir. Elles frappent en ce moment des esprits qui ne peuvent être soupçonnés d’hostilité contre le gouvernement. On parlait récemment de la possibilité d’un remaniement ministériel. On nommait, comme devant prendre le département des finances, un ancien ministre, que ses aptitudes spéciales désignent en effet pour ce poste difficile. Nous ne savons si ces rumeurs avaient le moindre fondement. Quant au personnage que l’on appelait ainsi au ministère des finances, il a des amis qui ne font point mystère de ses sentimens. Suivant leur témoignage, il n’accepterait le fardeau des finances qu’à la condition d’avoir un droit de limitation sérieuse sur les dépenses de ses collègues. Un tel droit n’équivaudrait-il pas à une prééminence reconnue ? Ne serait-ce point un acheminement à l’organisation d’un cabinet sous un premier ministre, un retour à la discipline ministérielle des cabinets parlementaires ? Voilà encore un de ces effets pratiques des nécessités de gouvernement qui, en dépit de toutes les préventions théoriques, nous ramènent aux conditions véritables du gouvernement constitutionnel.
Si la satisfaction ne nous est point encore donnée de connaître le système politique qui dirigera la France au milieu de la rénovation commencée en Europe, on entrevoit du moins, soit en écoutant les vœux de l’esprit public, soit en calculant la force des choses, le chemin où nous devrons marcher. En présence des événemens qui s’accomplissent et de ceux qui se préparent, comment ne se ferait-il point dans les âmes une sorte de frémissement ? comment l’ancien silence au milieu duquel nous avons vécu ne serait-il point troublé enfin par un premier bruissement d’idées ? La flamme politique commence à se rallumer dans les conversations. Des voix éloquentes et généreuses demandent à être entendues. Nous ne sommes point toujours à l’aise, on le sait, pour répondre aux accens qui font tressaillir. Mentionnons du moins les nobles pages qu’un illustre vétéran du libéralisme, M. Odilon Barrot, vient d’écrire sur la centralisation. À juger philosophiquement notre histoire contemporaine, il est certain que c’est la centralisation qui a tué en France la liberté. Les penseurs les plus sagaces que l’école libérale ait possédés chez nous depuis la révolution française, Royer-Collard et Tocqueville, l’ont ainsi compris. M. Odilon Barrot, en apportant une nouvelle démonstration de cette vérité douloureuse, travaille dignement à la solution du problème de la liberté future de la France.
Contraste pénible, c’est la France qui a traditionnellement sur notre continent l’initiative des idées politiques, c’est de la France que l’Europe aspirerait à recevoir en ce moment la révélation d’un système d’émancipation pacifique et libérale, et pourtant nous sommes réduits à attendre du parlement italien le double signal des idées et des événemens. Cette grande pensée de la liberté accordée à l’église en échange du pouvoir temporel, ce n’est point de la tribune française qu’elle est partie, c’est de la tribune italienne ; elle n’a point été émise par quelqu’un de ceux qui, parmi nous, avaient dans leur jeunesse épousé avec éclat cette solution, par laquelle le catholicisme peut s’allier à la liberté ; elle a été intrépidement proposée et développée avec élévation par le premier ministre de Victor-Emmanuel. De même toute notre anxiété sur la question de paix ou de guerre est attachée aux mouvemens de Garibaldi, aux accidens de sa rivalité ou de sa réconciliation avec M. de Cavour.
Nous n’avons rien à ajouter à ce que nous avons déjà dit de la solution romaine proposée par le chef du ministère italien. C’est une idée que M. de Cavour a mise en circulation par trois discours remarquables ; l’idée a produit une sensation immense dans le clergé italien. Nous ne doutons point que cette idée n’eût été accueillie avec faveur par une portion considérable du clergé français, si les opinions de notre clergé n’eussent éprouvé de regrettables déviations sous l’influence des maladroites alliances politiques qu’il a contractées. Quoi qu’il en soit, les Italiens ne doutent pas que, sans la méprise de l’épiscopat français, ils se fussent déjà mis d’accord avec le gouvernement romain. Le clergé italien en effet, dans ses régions élevées ou obscures, même jusque dans l’entourage du pape, est avec le parti national autant que les égards dus au saint-père le lui permettent. Pourquoi les évêques de France seraient-ils plus obstinés dans leur attachement au gouvernement temporel que l’immense majorité de l’église italienne ? S’ils avaient besoin d’un avertissement qui leur apprît ce que l’église peut gagner à la liberté que M. de Cavour lui offre en échange des servitudes que lui impose la conservation du temporel, il nous semble qu’ils devraient le trouver dans la récente circulaire du ministre de la justice. Dans le système qui régit aujourd’hui en France les relations de l’église avec l’état, on ne saurait rien trouver à redire à cette circulaire en logique et en justice. En cédant au contraire à l’Italie la capitale qu’elle demande, l’église acquerrait sous tous les gouvernemens la liberté qu’elle aurait obtenue en Italie. Elle n’aurait plus à redouter les ingérences du pouvoir civil, ou elle trouverait, pour les repousser, les garanties de la liberté politique. La cour de Rome de son côté s’épargnerait le discrédit qu’elle attire encore sur elle dans l’agonie de son pouvoir par des mesures rigoureuses, telles que celle qu’elle vient de prendre contre un des hommes les plus distingués de l’Italie. Le docteur Pantaleoni, que la cour de Rome vient d’exiler, était le médecin le plus accrédité de Rome. C’est un homme d’esprit, libéral, éclairé, lié avec l’élite de la société parisienne, populaire dans la société anglaise. Son crime a été d’être élu au parlement italien par la Marche d’Ancône, son pays natal. Nous ne pensons pas que le docteur Pantaleoni se proposât de prendre réellement son siège au parlement italien. Il sera bien forcé de l’occuper par le coup d’arbitraire du gouvernement papal, qui l’a fait partir de Rome au milieu de la semaine sainte. Frapper un homme modéré, aimé et considéré en France et en Angleterre, voilà une des habiletés de ce gouvernement moribond, qui ne continue son existence artificielle que grâce aux vingt mille hommes que nous continuons à lui prêter. On se demande, en voyant de tels faits, ce qu’attend notre gouvernement pour retirer ses troupes de Rome et reconnaître le nouveau royaume d’Italie.
Malgré les bruits contraires qui nous arrivent de temps en temps de Turin, nous persistons à croire que le péril d’une agression autrichienne contre l’Italie est chimérique. Nous sommes convaincus que l’Autriche n’a en ce moment aucun désir de troubler par la force la constitution du nouvel état des choses dans la péninsule. Ce n’est que contre eux-mêmes que les Italiens ont à se mettre en garde aujourd’hui. Sans être exactement informée de la nature et de la portée des dissentimens qui peuvent exister entre M. de Cavour et le général Garibaldi, l’opinion en France et en Europe s’est émue de l’arrivée et de la présence à Turin du patriote de Caprera. Le langage tenu par Garibaldi aux ouvriers de Milan n’était point fait pour calmer cette émotion. Il est vrai que la population ouvrière de la vieille capitale du Piémont, si remarquable par son bon esprit et ses fortes qualités morales, a protesté contre l’intempérance politique des ouvriers milanais, et a donné au général des volontaires lui-même une opportune leçon de convenance. Il s’est rencontré d’ailleurs dans le parlement italien un homme énergique, un patriote éprouvé, un esprit indépendant, qui n’est point d’humeur à souffrir de la part de personne les allures dictatoriales prises par Garibaldi envers les pouvoirs légaux. Nous voulons parler de l’homme dont l’opiniâtreté a fait échouer le traité de Villafranca, du baron Ricasoli. Nous ne savons si M. Ricasoli s’entend aussi bien avec M. de Cavour dans cette circonstance que quelques-uns le supposent : il veut par exemple que les corps de volontaires qui avaient été dissous à tant de frais par le général Fanti soient reformés ; mais qu’il s’entende ou non avec M. de Cavour, M. Ricasoli n’est point républicain. Il éprouve un sentiment de lassitude et d’impatience à l’égard du parti mazzinien, qui veut faire croire à la force et à la décision qui lui manquent en se couvrant d’un mystère dont il étend par calcul la pénombre jusqu’à la personnalité capricieuse et chagrine du bon Garibaldi. En donnant au général des volontaires un impérieux rendez-vous devant le parlement, M. Ricasoli avait évidemment l’intention de le faire sortir de sa menaçante indécision. Il se proposait de lui demander amicalement, mais en face, ce qu’il est, ce qu’il veut, s’il travaille pour son pays en acceptant la discipline que les intérêts de la patrie imposent à ses défenseurs, ou bien s’il songe par hasard à se faire une position exceptionnelle et supérieure aux pouvoirs légaux. Si la rencontre a lieu, la parole brève du Florentin, son geste brusque, sa main fermée qui fait résonner la table à chaque mot qu’il prononce, sa terrible figure, fine, tranchante et réfractaire au sourire, donneront à ses paroles un accent qui forcera Garibaldi à s’expliquer, mais déjà peut-être le discours par lequel M. Ricasoli a annoncé ses interpellations a-t-il produit sur l’âme loyale du dictateur l’impression que l’on attendait des interpellations mêmes. Les nouvelles télégraphiques sembleraient indiquer que le travail de conciliation est déjà bien avancé. Que Garibaldi consente à se concerter avec les hommes qui partagent avec lui le mérite d’avoir préparé l’unité de l’Italie, et il est permis d’espérer que la paix, si nécessaire au nouveau royaume, ne sera point compromise par un coup de tête insensé.
La plus simple sagesse commande au moins aux Italiens de surveiller et d’attendre l’expérience qui commence en Hongrie. Là encore les perspectives sont loin d’être favorables à l’Autriche. La diète hongroise s’est réunie le 6 avril. Pour bien comprendre les péripéties de la lutte qui va s’engager à Pesth, il faut se rendre compte du but que les Magyars se proposent, et de l’état où est la Hongrie depuis que l’empereur d’Autriche a inauguré par le diplôme d’octobre le système des concessions. La cour de Vienne, par ses réformes récentes, cherche à substituer à la centralisation matérielle et bureaucratique qui a conduit l’empire à la ruine cette centralisation par la liberté qui se réalise au moyen des institutions représentatives ; en d’autres termes, elle s’efforce à la fois de se concilier les diverses nationalités de l’empire en leur rendant l’autonomie administrative, et de maintenir l’unité politique de l’état en réunissant dans un parlement central les représentans des nationalités diverses. Cet essai n’est-il point trop tardif ? Les événemens prochains le diront. Les conséquences de l’échec seraient si graves pour l’Europe, la dissolution de l’empire autrichien laisserait vide une si grande place, tant de faiblesse succéderait parmi ces nationalités divisées à une force dont le contre-poids est nécessaire pour contenir des ambitions voisines, que les esprits libéraux doivent souhaiter que la tentative autrichienne soit pratiquée sincèrement et couronnée de succès. Malheureusement la partie de l’empire où cette tentative a le moins de chance de réussir est la Hongrie, et la Hongrie à elle seule, en population, en ressources militaires, en richesses naturelles, représente plus d’un tiers de l’empire. La Hongrie ne veut pas plus de la centralisation représentative qu’elle ne voulait de la centralisation bureaucratique. Les Hongrois refusent d’entrer dans le parlement de l’empire. Ils ne veulent conserver d’autre lien avec l’Autriche que ce qu’ils appellent le lien personnel, c’est-à-dire celui qui résulte de la personne du souverain commun aux deux pays. Ils forment un royaume, et ils veulent au fond pour ce royaume une existence complètement indépendante, puisqu’ils entendent voter les impôts et les lois de recrutement militaire, sans consulter, dans les questions financières et militaires, les convenances de la généralité de l’empire. Il faut avouer, en faveur des Hongrois, que les anciens torts du gouvernement autrichien leur rendent bien difficile de considérer de sang-froid les chances que leur offriraient les conditions qui leur sont proposées. Ces conditions pourtant leur seraient au fond très avantageuses. Fournissant au parlement de l’empire un nombre de représentans bien supérieur à celui de toute autre province ; il leur serait facile, par d’intelligentes combinaisons, de s’y assurer la majorité et la prépondérance. Ils parviendraient ainsi à faire vraiment pivoter sur les intérêts hongrois le gouvernement de l’Autriche, et ils obtiendraient ce résultat sans courir le péril des révolutions et de la guerre, en s’introduisant dans les cadres tout faits d’une grande puissance européenne.
Par malheur, les fautes du passé semblent avoir rendu le malentendu irrémédiable entre la cour d’Autriche et la Hongrie. Au lieu de s’emparer de l’influence et du pouvoir que l’Autriche serait aujourd’hui contrainte de leur abandonner, les chefs du mouvement hongrois ne daignent accepter que l’illusoire lien personnel que nous avons défini, et aspirent à faire de leur pays le centre d’une hypothétique confédération danubienne, dans laquelle on ferait entrer des Roumains, des Serbes, des Slaves, c’est-à-dire des populations qu’il faudrait enlever en partie à la Turquie, peut-être à la Russie. Au lieu d’agir avec ce qui est, ils ne songent qu’à s’agréger ce qui n’existe point encore, ce qu’ils ne pourraient appeler à eux que par des perturbations, des insurrections, des guerres périlleuses.
Telle est la tendance à laquelle la Hongrie est entraînée par des ressentimens qui ont eu, nous le reconnaissons, de justes causes, et par des passions qui, nous le craignons, ne sont pas de sages conseillères. On doit avouer aussi que les maladresses et la faiblesse de la politique autrichienne depuis le diplôme du 20 novembre ont contribué à confirmer les Hongrois dans leurs prétentions exagérées. La faute du gouvernement impérial est de ne point avoir accordé d’un seul coup aux Magyars tout ce qu’on devait ou l’on pouvait leur concéder. La conséquence de la gaucherie du gouvernement autrichien a été que les Hongrois lui ont arraché successivement plusieurs concessions importantes, concessions qui sont devenues alors aux yeux de la Hongrie des preuves de la faiblesse de la cour de Vienne et des signes irrécusables de leur propre force. Au lieu de se les concilier, la cour de Vienne n’a fait que les encourager ainsi dans d’autres résistances, que les exciter à élever des prétentions nouvelles, qu’accroître leur mépris pour le gouvernement et leur confiance dans le succès final de leurs efforts. Ces défaillances du pouvoir central ont placé et ont laissé depuis plusieurs mois la Hongrie dans une situation réellement révolutionnaire, c’est-à-dire avec une administration détraquée, une justice désorganisée, une perception de l’impôt irrégulière ou impuissante. Jusqu’à la veille de la diète, le gouvernement a été obligé de capituler devant les Hongrois. L’empereur n’ouvrant pas la diète en personne, la Hongrie ne pouvant avoir de palatin avant le sacre du roi, l’ouverture de la diète revenait au chef de la justice, au judex curiœ ; mais pour que le judex pût légalement remplir cette fonction, il était nécessaire que la curie existât. Réorganiser la curie hongroise, cela n’entrait pas dans la pensée du ministère autrichien, qui voulait attendre la réunion du parlement de l’empire. Cette question provoqua à Vienne, il y a trois semaines, une crise ministérielle ; elle fut résolue conformément aux exigences légales de la Hongrie. Vint la réunion de la diète. Le décret voulait que la diète siégeât à Bude ; les députés, en arrivant à Pesth, décidèrent dans les réunions préparatoires que, conformément à la constitution de 1848, c’est à Pesth qu’on s’assemblerait. Le président d’âge, M. Paloczy, vieillard de quatre-vingts ans, un des plus célèbres jurisconsultes du pays, alla informer le judex curiœ, M. d’Apponyi, de ce vœu unanime des députés. On négocia aussitôt avec Vienne par le télégraphe, et Vienne finit par céder, à la condition que la séance d’ouverture aurait lieu à Bude.
L’inauguration de la diète a donc été précédée d’une série de défaites qu’il eût été bien facile au gouvernement impérial de s’épargner. Peut-être ces nombreux échecs ont-ils épuisé la patience du cabinet de Vienne ; ils étaient au contraire en Hongrie des triomphes pour le parti avancé, qu’ils ont exalté dans ses prétentions. Aussi l’un des premiers symptômes qui se soient manifestés depuis la réunion de la diète, c’est le déclin de la popularité du chef du parti modéré, constitutionnel et légal, M. Deak, et l’ascendant marqué du parti avancé, conduit par le comte Téléki. M. Deak est certes aussi contraire que les ultra-magyars à la participation de la Hongrie à la représentation centrale de l’empire. Il y a un mois, il a su habilement ménager l’union des Croates aux Hongrois en posant comme condition absolue de cette union que les Croates s’abstiendraient d’envoyer des représentans au parlement de l’empire. Sur le fond des choses, les opinions de M. Deak ne diffèrent pas de celles du parti avancé. La différence est dans la tactique qu’il s’agit d’employer envers l’Autriche. M. Deak et le parti modéré pensent que l’on pourra obtenir de la cour de Vienne toutes les concessions nécessaires par les voies de la persuasion, et au besoin par la résistance passive. Les avancés au contraire seraient prêts, s’il le fallait, à en appeler à l’action. Le parti avancé, qui n’entend donc faire à l’Autriche aucune concession sur le maintien des lois de 1848, et qui compte sur l’appui des masses, s’il était nécessaire d’en venir aux résolutions extrêmes, forme environ les deux tiers de la chambre basse, et recevra, dit-on, la direction du comte Ladislas Téléki. Avec M. Deak sont les magnats, les évêques, l’aristocratie, les patriotes pacifiques, la classe commerçante et une portion des nationalités étrangères enclavées dans la Hongrie ; mais le comte Téléki sera suivi par le vrai peuple d’Arpad, comme disent les Hongrois, et par la majorité des autres nations. Au surplus, la cour de Vienne devra s’armer de patience, car les modérés pas plus que les exaltés ne sont disposés à lui faire grâce des récriminations que peuvent leur inspirer douze années de mauvais gouvernement et de griefs accumulés. On a pu avoir une idée des ressentimens qu’a nourris la Hongrie et qu’elle ne veut point oublier, lorsque dans la chambre haute le président d’âge, le vieux comte Esterhazy, a évoqué le souvenir de cette noble victime des sanguinaires répressions de 1849, du comte Louis Bathyany, dont « le patriotisme, dit-il, peut servir de modèle à l’assemblée. » Il faut maintenant suivre attentivement cette crise de la Hongrie, dont les vicissitudes peuvent correspondre aux mouvemens de l’Italie, car parmi les Magyars exaltés on ne se gêne guère pour parler de Garibaldi reconduisant dans la patrie hongroise les émigrés qui ont été ses compagnons d’armes.
Si de Pesth nous remontons vers Varsovie, quoique nous n’ayons peut-être plus à calculer, devant la Pologne les chances d’un conflit légal aboutissant à une guerre de races, nous rencontrons un spectacle à nos yeux plus émouvant encore. La lugubre boucherie de Varsovie sera un des plus douloureux souvenirs de l’ère révolutionnaire qui s’est ouverte pour les nationalités opprimées. Quoi de plus saisissant et de plus touchant que l’indomptable vitalité du sentiment national dans cette Pologne depuis si longtemps morcelée, et qui, sans attaquer et sans se défendre, se résigne à verser son sang pour empêcher la prescription des droits qu’elle n’a point la force de faire prévaloir ? Le gouvernement russe avait, dans ces derniers temps, paru rechercher la faveur de l’opinion de l’Europe civilisée : il pourra bientôt mesurer tout ce qu’il a perdu dans l’estime de l’Occident par la cruelle conduire de ses représentans à Varsovie. On ne peut pas comprendre chez nous la contradiction inexcusable de cette conduite. On commence par feindre vis-à-vis de la population de Varsovie une disposition à faire des concessions importantes ; on a en présence de soi une population désarmée, et qui, confiante dans la force morale de ses droits, rejette loin d’elle tout instrument de défense ; on fait appel à l’ascendant légitime qu’exerce sur cette population une réunion agricole composée de l’élite de la nation, et qui en devient la représentation naturelle ; on paraît se fier à une municipalité vigilante, et on remet la protection de l’ordre à de simples citoyens, à des constables volontaires. Ne semble-t-il point que le débat était accepté sur le terrain moral, que c’était par les moyens moraux que la conciliation et la pacification devaient s’achever ? Tout à coup les concessions sont ou retirées ou expliquées dans le sens le plus restrictif. Le peuple ému se rassemble. On s’attend à une réunion populaire annoncée un jour d’avance, et avec des forces militaires qui suffiraient pour contenir une ville aussi peuplée que Paris, on ne sait pas ou on ne veut pas empêcher l’attroupement de se former, on ne sait pas ou on ne veut pas le disperser par une simple marche de troupes ; on laisse la population sans armes s’entasser dans une place dont on ferme les issues, et on la fusille de sang-froid agenouillée devant des crucifix ou des madones ! Voilà une morne victoire pour la Russie.
Il est consolant, quand on quitte ces tristes scènes, de porter ses regards sur un petit pays voisin, la Belgique, qui est heureux parce qu’il fait peu parler de lui, qui honore la France parce qu’il prouve, par la sagesse avec laquelle il se gouverne, que l’on peut quelque part dans le monde parler français et savoir être libre. La Belgique paie son tribut à la maladie actuelle de l’Europe : elle s’arme de canons rayés, et son ministre de la guerre vient, par un excellent discours, de décider les représentans à payer les frais de cet armement ; mais là où la Belgique montre sa supériorité sur les nations géantes qui l’entourent, c’est dans le débat sur lequel son principal ministre, M. Frère-Orban, vient, dit-on, de jouer son portefeuille. Ce débat est relatif à la question des étalons monétaires. La Belgique était dans la vérité économique, elle n’avait qu’une monnaie légale, la monnaie d’argent. Le contact avec la France, qui ne peut plus payer qu’en or, a fait désirer aux populations belges que l’or français fût admis dans les transactions aux conditions de parité établies chez nous entre les deux métaux monnayés. M. Frère s’est révolté contre ce solécisme économique et n’a pas voulu se rendre au vœu de l’opinion présente de son pays, qui sera bien obligée de lui donner raison à la première crise monétaire. M. Frère-Orban a fait preuve dans cette discussion d’autant de talent que de fermeté. Le sénat, après la chambre des représentans, ayant donné raison au préjugé populaire, on craint que l’éloquent ministre n’abandonne le portefeuille des finances. M. Frère est un de ces hommes dont le mérite dépasse l’étroite enceinte où il s’exerce. Comme M. de Cavour, il est une de ces intelligences ouvertes, actives, courageuses, telles que le parti libéral français serait heureux et fier d’en avoir dans ses rangs. S’il quitte le pouvoir, il y sera promptement ramené par la confiance de ses concitoyens. Avouons-le : ne faut-il pas qu’un peuple jouisse d’un bonheur parfait pour qu’au milieu des transes du reste du monde, la question du double étalon y soit devenue la cause d’une crise ministérielle ?
E. FORCADE.
La partie de l’ouest de la France qui a été le théâtre principal de la guerre de Vendée, et qui est connue sous le nom de Bocage, présente depuis quelques années un spectacle inattendu, sur lequel il convient peut-être d’appeler l’attention des amis de l’agriculture. Cette heureuse transformation s’est accomplie avec une singulière rapidité, si l’on tient compte des difficultés de toute nature qu’il a fallu vaincre. Le Bocage se compose principalement de la partie nord du département des Deux-Sèvres et de la plus grande partie de celui de la Vendée. Le plateau granitique et schisteux sur lequel il est assis empiète un peu sur les départemens de Maine-et-Loire et de la Loire-Inférieure. Dans les plaines calcaires qui l’environnent, on désigne encore toute cette contrée par son vieux nom de Gâtine. L’étymologie du mot n’est pas douteuse : c’était en effet un pays gâté, perdu, presque impraticable. Le nom de routes stratégiques que portent les premières voies percées dans la Gâtine après 1830 indique assez l’idée principale qui les a fait créer. Le réseau de chemins construits plus tard, en exécution de la loi du 21 mai 1836, en permettant aux esprits de s’éclairer, au commerce de se développer, a suffi pour écarter toute crainte de troubles politiques. Des intérêts nouveaux, un commencement de bien-être relatif, ont affaibli dans une partie de la population, éteint chez le reste, les passions d’un autre temps. Aujourd’hui les paysans du Bocage, comprenant l’avantage qu’ils ont à savoir lire et écrire pour faire leurs affaires, envoient leurs enfans à l’école. La génération qui grandit voudra s’instruire des intérêts généraux de la France, parce que la sphère de ses relations se sera étendue. Une rapide description de l’état actuel du Bocage montrera ce qu’on peut attendre de lui.
Le sol du Bocage est riche. Il y a vingt ans, c’était une grande nouveauté, je ne dirai pas seulement pour ceux qui habitaient sur les confins de la contrée, mais pour ses propres habitans, pour ceux dont la vie s’était passée à fouiller cette terre qu’ils qualifiaient d’ingrate, et qui s’étaient habitués à n’en cultiver qu’à de longs intervalles les portions les plus fertiles. Aujourd’hui c’est une vérité assez bien démontrée pour qu’il soit facile d’assigner le jour où il ne restera pas un mètre carré de terrain qui n’ait été défoncé par la charrue. Le sol n’est pas seulement riche, il est merveilleusement approprié par sa constitution géologique, par les accidens de sa surface, à une production facile de céréales et de plantes fourragères. Comme son nom l’indique, le Bocage est couvert d’arbres. Le chêne est l’essence la plus répandue. Quelques-uns de ces arbres, abandonnés complètement à eux-mêmes, vierges des atteintes de la hache de l’élagueur, sont de remarquables témoignages d’une puissante végétation ; toutefois la plupart ont été étêtés à 3, 4 ou 5 mètres du sol, et ne produisent plus que des branches mises en coupe réglée. Ces arbres à la tête ronde et feuillue, se touchant presque tous, sont rangés en longues files tortueuses dans les haies irrégulières qui séparent les champs et les prairies. Dans les endroits où l’ombrage des arbres a empêché la croissance des haies vives, les troncs ont été percés, avec une tarière, de trous où l’on engage les extrémités des grosses branches qui forment la charpente des palissades destinées à remplacer les buissons. La grandeur moyenne des enclos ne dépassant pas deux hectares, les haies semblent se toucher, et la vue ne s’étend qu’à quelques centaines de mètres. La campagne présente ainsi l’image d’une vaste forêt. Il faut gravir une des hautes collines du pays pour distinguer l’ensemble des diverses cultures comprises entre ces haies. Aussi le Bocage n’est-il pas une contrée qui livre facilement ses secrets à l’observation du voyageur qui la traverse, même dans les momens où la végétation est le plus luxuriante. Il n’y rencontrera pas de ces vastes plaines où d’un regard on peut embrasser la variété et l’abondance des récoltes ; il ne traversera pas une de ces grandes rivières dont la large vallée laisse voir au milieu de grasses prairies tous les troupeaux d’alentour.
Qu’un agriculteur étranger au pays parcoure le Bocage au mois de juillet par exemple ; à cette époque, les moissons couvrent la terre, et les prés fauchés sont livrés à la pâture. Dans la bande étroite qu’il pourra examiner à droite et à gauche de la route se dérouleront successivement, des champs couverts de riches fromens, d’avoines bien fournies ; mais au milieu des épis jaunissans il découvrira d’énormes et bizarres entassemens de rochers de granit : dans quelques champs, ce sera comme un semis de roches isolées dépassant de quelques pieds la tête des épis. Il pensera tout d’abord que ces récoltes sont le prix d’un labeur opiniâtre, que pour fouiller le sol au milieu de ces rudes obstacles il a fallu dépenser bien du temps, bien de la fatigue, et qu’en somme le bénéfice n’est peut-être pas très considérable. Les labourages qu’il verra exécuter sur son chemin pour les plantations de racines destinées à la nourriture des bestiaux le confirmeront dans la pensée que cette terre ne donne ses fruits qu’à regret. La charrue avance péniblement, tirée par six et huit bœufs le plus souvent ; le toucheur aiguillonne vivement ses bêtes, chante une étrange modulation pour les exciter ; l’essieu de l’avant-train grince lamentablement. Le laboureur n’est pas seulement attentif à maintenir droite sa charrue ; il lui faut tourner adroitement les obstacles ; s’il rencontre la pointe d’un rocher que lui dérobait une mince couche de terre, il lui faut, tout en criant pour faire arrêter l’attelage, jeter promptement la charrue sur le côté, peser sur les mancherons pour relever le soc qui heurterait la pierre ; sinon, la charrue se briserait aussitôt sous l’effort puissant des bœufs. C’est un curieux spectacle que celui d’une terre depuis longtemps en friche fouillée par une de ces fortes charrues Dombasle que l’intelligence de quelques propriétaires et l’influence des comices ont introduites dans le pays. La terre, soulevée en longs rubans, se déverse à droite de la charrue ; l’herbe de la surface est enfouie, et le réseau inextricable de racines de toute espèce, de fougères surtout, qui s’oppose à la marche du soc, est mis au jour ; des craquemens sourds témoignent du travail qui s’accomplit sous la surface. Dans ces terres de nouveauté, comme disent les paysans, il faut un aide spécial, d’ordinaire un enfant, qui, armé d’un long bâton, débarrasse le coutre des herbes qui en paralysent l’action. Les champs de labour sont en outre entremêlés de bouquets de bois, de petites prairies, de terrains en jachère, où paissent quelques bestiaux au milieu des ajoncs, des fougères et des genêts. Cette succession de détails, cette vie éparpillée, fatigueront nécessairement l’agriculteur étranger. S’il essaie alors de saisir la configuration générale du pays, et, du sommet d’une des nombreuses côtes que présente la route, de se retrouver au milieu de ce réseau de collines boisées, son incertitude sera la même. Devant lui, sur la route, les arêtes extrêmes des côtes s’étagent comme les gradins d’une échelle ; autour de lui, les sommets se dressent les uns derrière les autres sans ordre apparent. En outre l’effet de ce panorama est souvent trompeur pour un œil inexpérimenté ; les petites collines, abaissées par le point de vue et réduites au même niveau, figurent une plaine. On ne peut saisir que les grandes lignes.
Pour se faire une idée précise de la configuration du sol du Bocage, il faut prendre la belle carte de Cassini que celle de l’état-major ne fera pas oublier. Le dessin très net des cours d’eau et des vallées qui les renferment en montre tout de suite la direction. Dans les cours d’eau principaux, dont aucun n’est bien considérable, puisqu’ils naissent dans le Bocage et finissent dans la Loire ou la Sèvre niortaise, viennent se jeter des ruisseaux secondaires qui coulent chacun dans une vallée étroite et courte, alimentés eux-mêmes par les eaux des petites et tortueuses vallées qui s’embranchent sur celle-ci. Cette configuration du pays n’a certainement rien de particulier, c’est, sur une échelle plus ou moins grande, celle de tous les pays du monde ; mais ce qui caractérise le Bocage, c’est la réduction extrême de l’échelle, c’est la très grande subdivision de cette ramification. Le mode de culture a été naturellement déterminé par cette forme accidentée du pays.
Dans ces plis de terrain si multipliés se cachent les habitations des fermiers. Les exploitations n’étant en moyenne que de 40 hectares, chacune a pu se créer autour des bâtimens, dans un court rayon, le petit domaine qui lui est nécessaire, et cela grâce à l’heureux mélange des terrains de diverse nature. Dans le fond des petits vallons, le long des ruisseaux, sur les bords des rivières sont les prés ; sur les versans, sur les plateaux sont les terres labourables. Toute cette culture est à proximité de la ferme ; il y a peu de chemin à faire pour transporter les fourrages, pour charrier les engrais. La surveillance du maître est facile. Les cultivateurs du Bocage ne connaissent pas les maux de la sécheresse. En 1858 et 1859, années exceptionnelles, on en a vu qui se trouvaient très malheureux d’être obligés de conduire leurs bestiaux à un ou deux kilomètres pour les abreuver. Or à cette époque, en France, dans les plaines calcaires, les sources avaient disparu, les puits étaient taris ; les troupeaux devaient faire de longues routes sous l’ardeur du soleil, au milieu des tourbillons de poussière, pour arriver au bord des rivières. Que de temps perdu, que de forces rendues inutiles pour les travaux agricoles ! Habituellement les fermes du Bocage, surtout celles qui sont anciennement bâties, sont placées tout près d’une source qui ne tarit que rarement ; beaucoup d’entre elles n’ont pas de puits. Cette bonne fortune d’avoir partout des eaux jaillissantes, l’intérêt évident que le fermier trouve à vivre au centre de ses cultures, ont produit l’isolement des habitations rurales. Dans des pays fertiles, mais moins privilégiés pour l’eau, on voit les maisons se grouper autour des sources, et ces agglomérations devenir des villages, des bourgs ; l’abreuvoir, le lavoir, y sont propriété commune, et, pour jouir de ces avantages, le cultivateur se résigne à vivre éloigné des terres qu’il fait valoir comme fermier ou comme propriétaire. Dans le Bocage au contraire, les villages, les bourgs, ont peu d’importance ; ils ne servent qu’à réunir les fonctionnaires de la commune ou du canton, les ouvriers et les habitans aisés qui ont plus de loisir et recherchent un peu de société. On se tromperait fort si l’on jugeait le pays sur cette médiocrité des chefs-lieux ; ce n’est pas dans ces centres nominatifs qu’est la vraie richesse, la richesse active. Elle est partout, et on ne peut l’apprécier que par une connaissance intime de tous les élémens qui la composent.
La nature a doué le Bocage d’un sol que sa profondeur rend susceptible d’une amélioration pour ainsi dire indéfinie. Ce fait semble contredit par l’existence des rochers qui, de toutes parts, émergent à la surface. On est tenté de croire au premier abord qu’ils sont les affleuremens d’une masse souterraine compacte, et que le Bocage est un immense banc de roches, à peine recouvert de terre, dont les sommets se dressent de tous côtés. Cependant ces rochers ne sont que des accidens du terrain primitif ; ils sont généralement isolés au milieu du sable siliceux qui compose le sous-sol, souvent au milieu même de la terre végétale ; ils sont ainsi disséminés sans ordre, sans lois apparentes, comme des noyaux de matière plus lourde que la force centrifuge et la force d’éruption ont dispersés et lancés à la surface. La seule loi qui préside à la distribution de ces rochers, c’est qu’ils se présentent plus volontiers sur les hauteurs. Le sommet aigu d’une colline offre assez habituellement une masse éruptive de pierres énormes, ayant quelquefois une base de granit compacte qui semble la racine de cette sorte de végétation pierreuse. Les paysans du Bocage disent que ces rochers ont poussé et poussent encore ; ils peignent assez bien ainsi l’effet qu’ils produisent à la vue.
Lorsque ces roches forment le sommet d’une masse souterraine, on les exploite quelquefois pour les constructions ; mais ce cas est l’exception. Les carrières de granit couché par lits même irréguliers sont rares dans le Bocage, ou bien elles se trouvent à une trop grande profondeur. On en est réduit, pour se procurer la pierre, à exploiter au moyen de la poudre les rochers volans, vulgairement appelés chirons. La difficulté, le prix élevé de cette exploitation, prouvent, que, là où le moellon peut se retirer des carrières, il n’y a aucun avantage à briser et extraire des terrains cultivés ces rochers du granit le plus dur. Le mètre cube de moellons obtenus au moyen de la poudre coûte 4 francs. Fendue seulement en morceaux assez petits pour être traînés hors du champ, la même pierre coûterait encore 2 francs le mètre, et certains hectares en fourniraient bien des mètres. C’est donc là un ennemi avec lequel le laboureur doit vivre longtemps encore. Un jour peut-être l’agriculture sera assez riche pour se débarrasser de cette incommode et dure population de granit. On l’exploite aujourd’hui là seulement où manquent les carrières, et à ce régime elle subsistera encore pendant bien des siècles. Tout le plateau du Bocage ne présente pas du reste cet inconvénient au même degré ; une portion du sol repose sur des schistes plus facilement exploitables. Cependant les portions les plus âpres ne le cèdent point aux autres en fertilité. Au milieu de ces rochers, la charrue fouille dans une couche de terre végétale profonde quelquefois de 50 centimètres ; là où elle est moins épaisse, le soc entame le sous-sol de sable ou d’argile maigre qui, ramené à la surface et fertilisé par l’engrais, forme pour l’avenir un terrain plus profond. Un soc long et effilé, muni d’une oreille en bois grossièrement faite, tel était il y a quelques années le seul instrument de labourage. Ce soc fendait la terre à une petite profondeur, et ce n’était que par les retours multipliés de l’instrument que la terre était suffisamment ameublie. Aujourd’hui les fortes charrues en fer, au soc large et court, que le régulateur permet de faire entrer plus ou moins profondément, sont presque partout employées. C’était une tradition jadis que le Bocage n’était qu’un pays de pâture bon tout au plus à produire du seigle et des pommes de terre ; le froment n’y était qu’une culture de luxe réservée aux jardins. Aujourd’hui le seigle y est une rareté ; dans les landes de bruyères et d’ajoncs sans cesse défrichées mûrissent les épis du froment et croissent les plantes fourragères. Ce résultat est dû principalement à deux causes : l’emploi de la chaux comme amendement et l’habile alternation des cultures.
Si, non loin des extrémités de la veine de charbon de terre qui traverse le Bocage dans sa partie méridionale et qui affleure en plusieurs points aux confins du terrain calcaire, l’on monte sur les hautes collines de Pouzauges, ou de l’Absie, on voit pendant toute la belle saison et de toutes parts s’élever dans l’air les colonnes de fumée des fours à chaux. Ces fours ne servent qu’à fabriquer le précieux amendement qui a fait de la Gâtine, pauvre et méprisée, un pays riche et productif. La chaux prise au four coûte 1 franc l’hectolitre. Les tuiliers du Bocage, qui font amener par des rouliers la pierre calcaire crue et la font cuire avec les briques et les tuiles, vendent la chaux plus de 2 francs l’hectolitre. Aussi n’en débitent-ils qu’une petite quantité et au détail pour les réparations urgentes. Même à un prix moyen de 1 franc 50 centimes, elle serait trop chère pour être utilisée comme amendement. Les fermiers, grâce au transport à bon marché que leur procurent les nombreux animaux élevés sur chaque ferme, peuvent donc ne compter comme frais accessoires du prix d’achat que la ferrure des animaux et l’usure des charrettes.
Le grand nombre de sources qui jaillissent du sol, la profondeur du terrain, circonstances très favorables pour la culture, nuisent au contraire à la solidité des chemins ruraux. Les ruisseaux qui traversent les chemins en inondent les parties basses ; les eaux de pluie, ne trouvant pas toujours d’écoulement facile, ne pouvant s’évaporer que lentement à cause de l’ombrage épais des arbres qui bordent le chemin, détrempent le terrain, qui, broyé en même temps par les roues des charrettes, se transforme en une mare de boue. Dans quelques endroits, cette boue ne sèche pas même en été, et oppose en hiver des obstacles souvent invincibles à la circulation, parce qu’elle forme des espèces de bassins où les animaux resteraient embourbés, si on les y engageait imprudemment. Tel chemin présente sur un parcours assez long une surface solide et sablonneuse, puis, dans les endroits où la terre végétale est plus profonde et le sous-sol moins résistant, des fondrières se creusent, véritables tranchées aux bords escarpés qui interceptent le passage. Si les champs voisins sont au même niveau que le chemin, on pourra passer en tournant l’obstacle ; malheureusement le niveau des chemins est en général considérablement abaissé au-dessous des terres environnantes : la terre végétale qui les couvrait a d’abord été entraînée par les eaux ; puis le travail des roues, les pluies abondantes, ont raviné le sable. Tous les ans, une couche nouvelle s’en est allée, et d’anciens chemins se trouvent aujourd’hui enfoncés à plusieurs mètres, bordés de talus à pic qui ne laissent entre eux que la largeur nécessaire à une charrette. L’érosion lente et continuelle de la terre par les eaux a quelquefois découvert de gros rochers qui, une fois dégarnis jusqu’à lit base, ont roulé sur le sol du chemin. À moins qu’ils n’opposent une barrière infranchissable, l’incurie des paysans les laisse dans cet état. C’est principalement sur les fortes pentes que se rencontrent ces masses cyclopéennes mises à nu par l’action du temps.
Ces routes sauvages qui suivent tous les accidens du terrain, tantôt encaissées dans de verts talus, tantôt à découvert sur le sommet des collines où le sol est plus résistant, presque toujours ombragées par les arbres qui croisent leurs branches en forme de voûte, parsemées de roches aux formes étranges, présentent un aspect des plus pittoresques. Lorsque le sol a été durci par les vents secs du printemps et le soleil de l’été, ces chemins font une fraîche et charmante promenade. On traverse, les pieds sur une herbe fine et douce, des vallons toujours verts dans les plus grandes chaleurs de l’été, on s’élève par des pentes montueuses jusqu’aux points d’où l’œil plane sur les sommets des coteaux environnans, et dans un moment de plaisir égoïste on peut se prendre à regretter qu’à une époque prochaine beaucoup de ces chemins étroits et ombragés doivent être convertis en chaussées empierrées, larges de 6 mètres, bordées de fossés bien entretenus et découverts pour y laisser librement agir le vent et le soleil. Ces clairs ruisseaux qui traversent les chemins à fleur de terre disparaîtront emprisonnés dans les aqueducs. Il faut bien que de nos jours la beauté inculte fasse place à la beauté cultivée. Malgré les grandes routes qui ont percé et divisé la Gâtine, il serait impossible au cultivateur de faire arriver sur les marchés, autrement qu’à grands frais, ses riches produits, s’il n’avait dans le bœuf, sinon le plus robuste, du moins le plus sûr et le plus patient animal de trait qui soit au monde. Le bœuf se rebute rarement dans ces affreux chemins, et il étonne par l’adresse dont il fait preuve au milieu des rochers et de toutes les difficultés du terrain. Souvent un fermier ne possède pas le nombre de bœufs nécessaire pour transporter certains chargemens, surtout l’hiver ; mais les paysans du Bocage sont toujours prêts à s’entr’aider, et la ferme la plus voisine fournit au conducteur embourbé tout le secours dont elle peut disposer. J’ai vu atteler à une charrette jusqu’à sept paires de bœufs, et la puissance de traction n’avoir d’autre limite que la résistance des chaînes qui relient ensemble tout l’attelage. Ce mauvais état des chemins témoigne de l’impossibilité qu’il y avait jadis à ce que l’agriculture fît des progrès dans le Bocage. Les cultivateurs produisaient à peine en seigle ce qui était nécessaire à la consommation du pays ; l’excédant de production se reportait sur le bétail. Les longues jachères étaient en honneur, et sur les sillons abandonnés on laissait pousser le genêt, qui croît spontanément dans cette terre. Couvert dès la première année d’une herbe haute et serrée, le sol donnait en même temps une pâture abondante, mais qui était bien loin de valoir les récoltes de plantes sarclées. Le genêt, éclairci de temps en temps et arraché à la fin de la septième année ou même plus tard, était vendu à bas prix et consommé dans le pays ; ce qui ne se vendait pas était étendu sur toute la surface du champ, et, brûlé sur place avant les labourages, laissait une mince couche de cendres fertilisantes. Dans ce temps-là, les terres étaient généralement affermées à moitié fruits ; toute redevance fixe était très modique. Les propriétaires ne cultivaient pas eux-mêmes leurs domaines ; aujourd’hui encore c’est l’exception. Aussi les fermiers et les métayers avaient leur vie assurée au prix d’un faible travail. Ne voyant rien de mieux à faire que ce qu’avaient fait leurs ancêtres, n’apercevant aucun avantage à produire en plus grande quantité, puisque leurs produits étaient peu demandés, ils cultivaient une petite partie seulement des terres affermées et vivaient mal, mais sans souci de l’avenir. Les travaux étaient peu multipliés ; l’hiver était pour les hommes comme pour la nature un temps de repos. Les anciens du pays, les femmes âgées surtout, regrettent ce bon vieux temps où chaque soir d’hiver on se réunissait joyeusement, tantôt dans une métairie, tantôt dans une autre. Après le souper, tout le monde s’en allait au travers des bourbiers, à la lueur d’une lanterne, jusqu’au lieu de réunion. La journée avait été courte, la fatigue nulle ; garçons et filles dansaient jusqu’à minuit, car ni les bras ni les jambes n’étaient las. Aujourd’hui chaque saison amène ses travaux ; on ne danse plus, on se couche de bonne heure. Ces veillées éclairées par une fumeuse chandelle de résine n’offraient pas d’ailleurs que des plaisirs innocens : elles ont toujours été, elles sont encore le sujet des prédications des prêtres du Bocage. Peut-être se flattent-ils aujourd’hui que leurs paroles seules ont modifié les habitudes de la population ; il est permis, sans diminuer la valeur de leurs conseils, de croire que le travail rude et assidu a bien aidé à cette moralisation, et que si l’on ne danse plus avec la même ardeur, c’est que le besoin de sommeil vient plus tôt au corps fatigué.
Pas plus que les habitans, la terre ne se repose aujourd’hui. L’introduction des plantes fourragères a permis d’augmenter le nombre des bestiaux ; le bétail, plus nombreux, a fourni une plus grande quantité d’engrais, et tous les ans les champs, largement fumés, amendés par la chaux, donnent leurs récoltes dans un ordre réglé par un assolement qui se perfectionne chaque jour. Une plante qui a produit des résultats merveilleux dans le terrain siliceux du Bocage, et qui est un irrécusable témoin de la fécondité de ce pays, c’est le chou cavalier, chou branchu, qu’on appelle dans le pays chou de Cholet, parce que c’est là d’abord qu’il a été cultivé. Ces choux, dont il existe plusieurs variétés, se ramènent tous à un type à peu près uniforme : tige élevée, garnie du haut en bas de larges feuilles, plus larges et plus vigoureuses à mesure qu’elles poussent plus près de la tête. Plantés par milliers du 15 juin au 15 juillet, ces végétaux prennent un accroissement rapide, et au commencement de l’hiver, s’ils ont été soigneusement sarclés, ils atteignent une hauteur moyenne de 1m33. Parmi eux, quelques individus dépassent la taille d’un homme. Ils présentent alors une masse considérable de fourrage vert, et les fermiers commencent à cueillir les feuilles les plus proches de terre pour la nourriture du bétail. Ces sortes de forêts sont mises en coupe réglée, et tout l’hiver, si ce n’est par les froids rigoureux, l’étable reçoit des charretées de ces feuilles, qui se renouvellent toujours. C’est un rude travail de les cueillir dans la mauvaise saison, lorsqu’elles sont couvertes de l’eau qui s’amasse dans leurs cavités. Celui qui doit faire cette récolte, la poitrine et le dos seulement couverts d’une peau de chèvre, souvent même vêtu d’une simple blouse de grosse toile, se plonge dans cet océan de verdure et reste là de longues heures, arrachant régulièrement les feuilles qu’il transporte, réunies en pesans fagots, jusqu’en dehors du champ. Il sort de là aussi mouillé que s’il avait traversé une rivière à la nage. Aussi, dans certaines parties du Bocage, les domestiques de ferme préfèrent-ils se mettre absolument nus pour faire cette récolte. Cette sorte d’hydrothérapie forcée est sans doute moins malsaine que le contact plus ou moins long d’habits mouillés. Quant aux vêtemens imperméables que l’on pourrait employer, ils ont pour les cultivateurs le défaut d’être coûteux, et aussi de gêner les mouvemens. Dans une ferme bien cultivée, les choux occupent seuls le huitième des terres labourables. Les fermiers hasardent volontiers une grande partie de leurs peines et de leurs engrais sur la venue de cette plante, qui ne gèle que rarement. Il faut pour cela un froid très vif, 14 ou 15 degrés au-dessous de zéro, et encore le dommage n’est-il habituellement que partiel. Au printemps, lorsqu’ils fleurissent, plus tôt même, suivant les nécessités du moment, les choux sont coupés au pied ; la tige dure est fendue longitudinalement en quatre parties, et les rudes mâchoires des bêtes à cornes dévorent le tronc et les feuilles. Les souches, arrachées plus tard, lorsque le champ est de nouveau mis en culture, servent à faire du feu. Outre l’avantage de donner une quantité de nourriture considérable, ces végétaux ont celui de laisser la terre complètement nettoyée de mauvaises herbes ; leurs feuilles, superposées les unes aux autres, forment un toit tellement épais, interceptent si bien le passage de l’air, que les mauvaises herbes les plus vivaces périssent étouffées. Cet avantage est inappréciable pour les récoltes de céréales qui succèdent aux choux ; aussi l’introduction de ce végétal dans le Bocage a-t-elle réellement fait la fortune du pays. Dans l’esprit du paysan, toute culture doit céder le pas à celle-là, et vraiment il a raison.
La culture des plantes sarclées n’a pas fait complètement abandonner la jachère. Jusqu’à ce que la masse d’engrais dont on peut disposer soit beaucoup augmentée, ce qui arrivera progressivement, on devra user de courtes jachères. Heureusement elles ne sont pas absolument improductives ; la nature du terrain, aidée par le climat humide de l’ouest, fait qu’elles donnent de bons pacages. Dans les terres les moins bonnes, il pousse au moins des genêts et des ajoncs qui sont coupés et vendus pour le chauffage des fours. Les engrais artificiels, surtout le noir animal, viennent augmenter les ressources propres du pays ; mais un obstacle plus sérieux que le défaut d’engrais à l’extension de la culture se trouve dans le manque de bras. La Vendée avait été dépeuplée par la guerre civile ; aujourd’hui elle est loin encore d’avoir la population qu’elle pourrait nourrir, et qui lui serait nécessaire. L’industrie est venue en aide à l’agriculture avec ses machines à battre le grain. Les cultivateurs ont tout de suite compris le parti qu’ils en pouvaient tirer ; ils ont laissé de côté l’esprit de routine, et ont montré de l’intelligence en les adoptant promptement. Aujourd’hui ils réclament des communications faciles, ils se plaignent de dépenser sur les chemins leurs sueurs, leur temps, la chair et le sang de leurs animaux. Les questions de chemins vicinaux sont les questions brûlantes dans les conseils municipaux. Ils entendent parler des chemins de fer, de ces voies rapides ouvertes ailleurs au commerce, et gémissent de ce que leur pays soit une des rares régions de la France qui restent en dehors de cette facilité de communication. Malheureusement, en pareille matière, ils ne peuvent que désirer et demander.
La question des chemins de fer est aujourd’hui à l’ordre du jour dans l’ouest. Quant à celle des chemins vicinaux, rien ne fait encore prévoir que l’on veuille améliorer le régime actuel. Jusqu’à nouvel ordre, les communes devront se contenter des ressources présentes ; or ces ressources sont certainement insuffisantes dans le Bocage. Dans certaines communes, le seul entretien du petit nombre de chemins qui existent suffit pour absorber tous les fonds disponibles. Distribuer aux départemens des fonds que les préfets seraient chargés de répartir entre les communes suivant leurs besoins, ce ne serait qu’une mesure illusoire pour beaucoup d’entre elles. Les plus voisines du chef-lieu, les mieux appuyées, auraient la meilleure part : nous en avons vu des exemples. Puis où prendre ces fonds ? Du budget de quel ministère les soustraire pour ces obscurs et utiles travaux ? Nos finances, hélas ! ne présentent pas d’excédant. Il y aurait mieux à faire. La création de centimes additionnels spéciaux dont la quotité serait fixée chaque année par les conseils municipaux fournirait un moyen d’atteindre le but. Il faudrait laisser aux conseils municipaux une grande latitude pour le chiffre à voter annuellement. Il n’est pas à craindre que les habitans des campagnes s’imposent d’une manière démesurée, et d’un autre côté ils comprennent partout assez bien leurs intérêts véritables pour voter les dépenses nécessaires. Notre conviction à cet égard est d’autant plus grande que nous avons en vue une population qui passait, non sans quelque raison, pour l’une des plus arriérées de France. Quant au mode d’exécution des travaux qui se font conjointement sous la direction des maires et des agens voyers, il n’y aurait rien à y changer ; les agens, quels qu’ils soient, seront obligés de bien faire un travail que chaque habitant surveillera d’un œil jaloux. Les maires pourraient, une fois assurés de ressources pour l’avenir, présenter à l’approbation de l’administration centrale un projet de réseau de chemins pour leurs communes et fixer équitablement l’ordre dans lequel les travaux seraient entrepris. Les intérêts divers, sûrs d’être satisfaits un jour ou l’autre, seraient plus patiens, et ces intérêts vont devenir plus exigeans, si le passage d’un chemin de fer à travers le Bocage leur donne plus d’importance.
Parmi les lignes à la charge de la compagnie du chemin de fer d’Orléans qui viennent d’être mises récemment à l’enquête, plusieurs intéressent le Bocage. Une seule de ces lignes est concédée à titre définitif, celle de Nantes à Napoléon-Vendée. Elle fait partie d’un système de chemin de fer de ceinture qui doit suivre nos côtes ; mais elle est d’un intérêt médiocre pour le Bocage, dont elle ne touche qu’une des extrémités. Une autre, concédée à titre éventuel, celle d’Angers à Niort, a son parcours direct compris presque tout entier dans le Bocage. Le passage du chemin de fer par Cholet est en dehors de toute discussion ; cette ville est un centre commercial important, c’est le grand marché, du pays. C’est donc seulement sur le tracé de Cholet à Niort que la lutte s’établira. Si l’on considère en groupe tous les intérêts agricoles du Bocage, ils réclament une voie ferrée qui suive dans le pays une ligne sensiblement centrale, qui permette à chaque localité d’écouler facilement ses produits, et d’avoir en même temps à proximité un dépôt d’engrais et d’amendemens, Si cette ligne peut aussi desservir la plupart des établissemens industriels, si enfin elle se présente en même temps comme la plus facile à suivre et la plus économique, la compagnie qui exécute les travaux y trouvera donc le placement le plus fructueux de ses capitaux : or une ligne qui semble réunir tous ces avantages est celle de la vallée de la Sèvre nantaise, que le chemin de fer pourrait emprunter dans une grande partie de son développement.
À 35 kilomètres environ au nord de Niort, la Sèvre nantaise, qui est le cours d’eau le plus important du Bocage, prend sa source en un point qui est sur la ligne droite de Niort à Angers. De là elle coule dans la direction du sud-est au nord-ouest, toujours très proche de la limite des départemens des Deux-Sèvres et de la Vendée, quand elle n’est pas elle-même cette limite. À Mortagne, elle passe à 20 kilomètres de Cholet. C’est dans les environs de cette ville que le chemin de fer devrait quitter la vallée de la Sèvre nantaise pour se diriger sur Cholet. La vallée de la Sèvre divise le Bocage en deux parties sensiblement égales, comme il est facile de s’en convaincre en jetant les yeux sur la carte géologique de France, où cette région, teintée des couleurs rouge et bleue du granit et du schiste ; se détache nettement sur le jaune des plaines calcaires. Si un chemin de fer doit parcourir cette vallée, il desservira donc la partie centrale du Bocage, il lui servira de débouché du côté de Cholet, et à l’autre extrémité de sa ligne, traversant le bassin houiller de Vouvant entre la source de la Sèvre et Niort, il amènera en abondance la houille et la chaux dans les cantons les plus éloignés de la circonférence. La houille du bassin de Vouvant, qui s’extrait principalement des concessions de Saint-Laurs et Faymoreau, sans être de première qualité, est très bonne pour le chauffage des chaudières et pour la forge. Une grande partie s’en consomme sur place, dans des fours à chaux que les concessionnaires des mines ont établis à peu de distance des puits, sur le bord des carrières de pierre calcaire. Au centre du Bocage, elle vaut actuellement 3 francs 50 centimes l’hectolitre, ce qui est un prix exorbitant. Prise à l’orifice des puits, elle ne vaut que de 1 franc 50 centimes à 2 francs l’hectolitre. L’agriculture profiterait beaucoup de l’abaissement de prix que subirait la houille par suite de l’économie faite sur le transport. L’agriculture emploie beaucoup de fer déjà et en emploiera davantage à mesure qu’elle fera plus de progrès. Déjà sur plusieurs points du territoire sont établies des usines où se fabrique le noir animal. Ces usines, qui emploient des machines à vapeur, auraient besoin d’avoir la houille à bon marché. Les industries du chaufournier, du fabricant de noir animal, du forgeron, sont liées si intimement à celle de l’agriculteur, qu’on peut confondre leurs intérêts. Quant à l’industrie manufacturière proprement dite, elle est encore peu développée dans le Bocage. Le tracé par la Sèvre la favoriserait aussi ; c’est en effet sur les bords de cette rivière que l’industrie s’est concentrée à peu près tout entière. Châtillon, Mallièvre, Mortagne, Tîffauges, Clisson, ont des fabriques assez importantes, tanneries, papeteries, scieries, filatures de lin et de laine. Châtillon, Mallièvre et Mortagne seules pourraient être traversées par la ligne d’Angers à Niort ; mais, parmi les lignes mises à l’enquête en ce moment, on trouve celle de Nantes à Limoges, qui tôt ou tard devra se construire ; elle passerait par Clisson et Tiffauges, et pourrait même emprunter la ligne d’Angers à Niort jusqu’au-dessus de Mallièvre. Cette continuation du chemin de fer tout le long de la Sèvre, qui se jette dans la Loire à Nantes même, semble indiquée par la nature.
La principale objection qui puisse être faite au tracé du chemin de fer par la vallée de la Sèvre, c’est qu’il ne rencontre aucune des sous-préfectures des trois départemens qu’il traverse, si ce n’est Cholet. L’objection ne sera puissante que parce qu’elle sera vigoureusement appuyée. Les villes présentent un centre d’influences tout formé ; les intérêts des campagnes se groupent difficilement. Les villes ont chacune leur avocat au conseil ; les campagnes n’en ont pas. Pourtant les sous-préfectures qui peuvent prétendre à se trouver sur la ligne du chemin de fer ont peu d’importance, et ne semblent pas devoir en acquérir. Lorsque le réseau des routes du Bocage a été tracé, on les a choisies pour points de croisement ; elles n’en sont pas devenues plus prospères. La campagne environnante a fait des progrès et s’est enrichie ; la ville est restée stationnaire, aucune industrie ne s’y est établie. Les localités qui possèdent des manufactures ne sont que des chefs-lieux de canton. Des deux tracés qui sont mis à l’enquête pour la ligne d’Angers à Niort, l’un est tout pour la Vendée et contourne le Bocage par Fontenay et Chantonnay ; l’autre est tout pour les Deux-Sèvres par Bressuire. Par les deux tracés, la partie la plus élevée du Bocage, celle qui est à cheval sur la limite des deux départemens, celle peut-être qui a le plus d’avenir, se trouve déshéritée. Ne serait-ce pas le cas d’adopter une ligne moyenne entre les deux tracés ? Celle de la Sèvre nantaise remplit cette condition.
D’ailleurs cette ligne favorise les intérêts de la compagnie d’Orléans ; la nature accidentée du terrain peut faire prévoir les difficultés que rencontrerait l’établissement de la voie qui est à l’état de projet. Le tracé par la Sèvre, bien qu’il rende nécessaires quelques sinuosités, sera le moins coûteux à établir, le plus fructueux pour l’avenir. Sur ce chemin, le pays intermédiaire doit fournir plus de transports que les têtes de ligne. La chaux, la houille, les grains, les bestiaux doivent à eux seuls entretenir un mouvement important. Les fermiers qui cultivent bien emploient aujourd’hui chaque année 10 hectolitres de chaux par hectare de terre qu’ils afferment. Il n’est pas douteux que, s’ils ont la chaux à petite distance grevée d’un faible prix de transport, ils ne préfèrent se la procurer de cette façon plutôt que de la faire charrier à de longues distances par leurs animaux. Ils trouveront bien à utiliser ailleurs les forces qu’ils dépensent aujourd’hui à faire ces charrois. Cela est si vrai que déjà quelques-uns. d’entre eux, à l’époque où les travaux agricoles sont pressans, aiment mieux payer à un roulier le prix du transport. Le roulier arrive avec ses chevaux jusqu’à l’entrée du chemin rural, d’ordinaire assez mauvais pour qu’il n’ose pas s’y engager ; le fermier vient avec ses bœufs et sa charrette chercher la chaux sur la route. Encore du temps perdu par suite du mauvais état des communications ! Il n’est pas douteux non plus que les marchands de bestiaux n’aiment mieux embarquer leurs animaux dans les wagons le long de la ligne, plutôt que de leur faire accomplir à pied une longue route pendant laquelle les animaux perdraient de leur valeur. Il y a tout avantage, en un mot, à faire passer dans le Bocage un chemin de fer à portée de la production des campagnes, qui est grande, plutôt qu’à portée de la consommation des villes, qui est insignifiante.
Si quelques habitans sont venus augmenter la population du Bocage, ce n’est pas dans les villes, mais dans la campagne qu’ils se sont établis. Beaucoup de propriétaires ont depuis quelques années fait bâtir des habitations, et passent la saison d’été dans ce pays, où ils ne venaient autrefois que le plus rarement possible. Ils ont été séduits par cette vigoureuse nature avant même de savoir ce qu’elle recelait de richesses. La beauté du pays, de ces bords de la Sèvre qui ont inspiré Poussin, viendra en aide à sa prospérité croissante. La terre, presque partout cultivée par des fermiers, a besoin de l’œil du maître. La guerre civile avait laissé le pays dévasté, les maisons brûlées ; aujourd’hui les bâtimens, construits par de mauvais ouvriers, avec le moins de dépense possible, sous le coup de la nécessité pressante, tombent en ruine pour la plupart. S’ils sont encore debout, ils sont insuffisans pour une production qui a plus que doublé en vingt ans. Le fermier ne peut améliorer la terre qu’en augmentant le nombre de ses bestiaux ; or le climat du Bocage ne permet point au bétail de vivre en plein air, il faut des bâtimens pour le loger. Les maisons des cultivateurs sont elles-mêmes misérables et insalubres ; elles gardent trop fidèlement le souvenir du temps où leurs habitans vivaient volontiers dans la pauvreté. À mesure que l’aisance s’accroîtra, ils deviendront plus exigeans : ils voudront plus d’air, plus de lumière. La division de la propriété, qui amène avec elle les querelles de voisinage et rend le séjour dans certaines contrées désagréable aux propriétaires, ne pourra jamais être poussée à l’extrême dans le Bocage, où la nature du terrain exige pour la culture de forts attelages. Avant la satisfaction de tout intérêt, la vie des champs s’y fait aimer. L’amélioration des chemins, une ligne ferrée, satisferaient les désirs légitimes d’une population laborieuse qui voudrait sortir de son isolement. Dieu veuille que la solution de ces questions soit prochaine et soit celle que réclament les intérêts véritables de la contrée !
HENRI PROUST.
V. DE MARS.