Chronique de la quinzaine - 14 janvier 1850

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Chronique n° 426
14 janvier 1850


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 janvier 1850.

Avant de parler des affaires intérieures, de l’assemblée, du ministère ou du président, il nous sera permis de dire un mot du rapport de M. le général Herbillon sur le siége de Zaatcha, dans le Sahara. Personne, à l’heure qu’il est, n’y pense peut-être plus à Paris ; mais, ayant à parler dans cette quinzaine de beaucoup de choses qui nous plaisent médiocrement, nous voulons d’abord nous entretenir de choses qui nous consolent, qui nous raniment, qui nous font bien espérer du pays. Oui, un pays où il y a tant de braves soldats et tant de braves officiers prêts à mourir héroïquement pour l’honneur du drapeau, ce pays-là n’a pas épuisé sa vitalité. Il ne faut désespérer que des pays où l’on ne sait plus bien mourir, et c’est là ce qui fait que l’armée française a toujours été pour la France un sujet de consolations et d’espérances. À voir comment le courage et la discipline s’y conservaient, à voir comment l’esprit de commandement et de hiérarchie s’y entretenait, quand il s’éteignait partout ailleurs, chacun sentait que la France devait vivre, quelque éclipse qu’elle se permît de son bon sens et de sa fermeté ordinaires. L’armée a toujours été le cœur de la France, et tant que le cœur n’est pas glacé, on ne meurt pas.

Et ce ne sont pas ici de vains mots : l’armée est bien vraiment le cœur de la France ; elle est nationale, s’il en fut jamais ; elle sort de la nation et elle y rentre. L’École de Saint-Cyr et l’École polytechnique la recrutent par l’instruction, mais la recrutent dans tous les rangs de la nation. Elle ne semble parfois se séparer de la masse du pays que pour valoir mieux, pour avoir plus de constance et de suite, plus d’ordre et de régularité. Elle a le courage du peuple ; elle a l’organisation d’un gouvernement.

Nous voulions parler du siége de Zaatcha, et voilà que nous parlons de l’armée en général. C’est que le siége de Zaatcha n’est qu’une des mille et une occasions où l’armée a montré ce qu’elle était. Quels obstacles imprévus n’a-t-elle pas rencontrés et n’a-t-elle pas vaincus ! Quelle lutte du courage contre le fanatisme ! Quels hommes que ces Arabes, qui se font tuer jusqu’au dernier, et qui, pendant le siége, se servaient du trou même que le boulet faisait dans leurs murailles, comme d’une meurtrière nouvelle pour tirer sur nos soldats ! Mais si ce sont là d’intrépides adversaires, quels hommes aussi que leurs vainqueurs ! Quelle patience et quelle intelligence ! Voilà comment se forme et s’instruit sans cesse cette armée d’Afrique dont, avant 1848, nous n’attendions que la gloire, et dont, depuis 1848, nous tenons notre salut. Comment veut-on, en effet, que nous ne nous intéressions pas à l’Afrique ? C’est un grand empire que nous fondons, c’est un grand avenir que nous nous ouvrons au moment même où l’avenir semble s’obscurcir pour nous sur le sol de la patrie ; mais, comme si tout cela était peu, l’Afrique est encore le séminaire où se forment l’armée et les généraux qui conservent notre société. C’est là qu’un apprend l’art d’obéir et l’art de commander ; c’est là que la science du gouvernement s’élabore à l’école de l’expérience. Nous frémissons quand nous entendons des voix imprudentes réclamer encore de temps en temps à la tribune contre l’Afrique et les dépenses qu’elle cause. Nous ne vivons en France que parce que nous avons une armée d’Afrique et des généraux instruits par l’Afrique à l’art du commandement.

L’armée est dorénavant une force sociale : nous ne disons pas que ce soit la force sociale prépondérante ; mais c’est assurément, dans certains cas, la force décisive. Sommes-nous disposés à nous féliciter de cet état de choses ? Oui ; nous nous félicitons que la société, ayant besoin de l’armée, trouve l’armée telle qu’elle est, c’est-à-dire ferme et modérée, pleine d’intelligence et fidèle à la hiérarchie ; mais nous ne nous félicitons pas que la société ait aussi grand besoin de l’armée. Avant 1848, l’armée était utile au dehors surtout : elle était la défense de notre gloire et de notre honneur sur la frontière ; mais elle n’était pas tous les jours la garantie de l’ordre intérieur. Elle était beaucoup ; elle n’était pas presque tout. Nous ne disons pas qu’elle soit aujourd’hui un corps qui peut se passer de tout le monde ; mais personne ne peut se passer d’elle.

Nous ne sommes pas étonnés de cet état de choses. Aussitôt qu’un peuple rompt avec l’obéissance volontaire qu’il doit aux lois, il ne lui reste plus que l’obéissance forcée qu’imposent les armes, et quiconque détruit de gaieté de cœur la force morale sera contraint d’avoir recours à la force matérielle. La révolution de février a donné à l’armée un ascendant décisif dans les destinées de notre pays. Tout le monde le sent et s’arrange en conséquence. Quant à l’armée, elle nous semble jusqu’ici comprendre admirablement le rôle que lui fait le sort. Elle garde avec un soin scrupuleux ses vieilles traditions et ses vieux sentimens ; elle sait que c’est là ce qui fait sa force. Image vivante de l’ordre, c’est l’ordre qu’elle veut maintenir dans la cité. Elle n’a pas d’autre pensée ; elle a même, et ici, quand nous parlons de l’armée, nous parlons de ses plus illustres chefs, elle a une discrétion qui frappe tout le monde. Elle ne parle pas. Elle n’est d’aucun parti et d’aucune coterie ; elle ne fait parler d’elle qu’à cause des services signalés qu’elle rend à l’ordre social ou à l’honneur national. Nous avons, dans ces derniers temps, beaucoup entendu parler des espérances et des prétentions des partis. Lequel de ces partis a dit ou pu dire qu’il avait pour lui l’armée ? Tous peuvent le croire ; personne ne peut le proclamer avec assurance. À quoi tient cette réserve des partis, qui sont tous, en général, assez fats et assez présomptueux, si ce n’est à la réserve même de l’armée ? L’armée n’a dit son secret à personne ; mais elle affiche et pratique partout sa consigne : sa consigne est de veiller à l’ordre, et, quant à nous, nous sommes persuadés que l’armée n’a pas de secret, et qu’elle n’a que la fermé et généreuse consigne qu’elle exécute avec une constance admirable.

Nous savons bien que, dans l’analyse que nous faisons en ce moment des forces sociales, le rang que nous donnons à l’armée n’est pas conforme à la nomenclature constitutionnelle ; mais nous tâchons toujours de laisser de côté les apparences pour arriver aux réalités. Or, l’ascendant de l’armée est une réalité qu’il ne faut pas se dissimuler, et nous ajoutons que c’est une réalité heureuse. Nous voyons même, parmi les amis les plus fermes et les plus anciens du gouvernement parlementaire, des personnes éclairées qui croient, tout en le déplorant, que la société ne pourra réapprendre l’obéissance que par la consigne, et que nous serons forcés de passer par la caserne pour revenir à la tribune.

Tristes augures et surtout prématurés ! nous en sommes convaincus. Nous voyons bien quels sont les périls que court le gouvernement parlementaire ; cependant l’assemblée législative est encore une des grandes forces sociales du pays, et savez-vous pourquoi nous regardons l’assemblée législative comme une des forces sociales du pays ? — A cause de la constitution sans doute ? — Oui, à cause de la constitution, mais aussi à cause des hommes considérables qu’elle renferme. Les pouvoirs que la constitution confère à l’assemblée législative font la force légale de cette assemblée ; mais les hommes éminens qu’elle renferme font sa force réelle. Nous savons bien qu’il est de mode de dire que les hommes qui ont rendu de grands et notables services au pays depuis plus de vingt ans sont des hommes usés et qu’ils n’ont plus l’intelligence du temps présent ; mais où sont donc les hommes d’état nouveaux qui comprennent l’énigme du temps présent et qui savent la débrouiller ? Dans un temps soupçonneux et inquiet, c’est assurément un grand mérite en politique que d’être encore à la bavette ; pourtant cela ne suffit pas. Nous ne contestons pas les avantages de l’inexpérience et de la présomption, mais nous sommes persuadés que toutes les fois que l’assemblée et la France seront embarrassées de la route à suivre, elles reviendront, après quelques essais, aux anciens et glorieux pilotes qui ont conduit la barque depuis plus de vingt ans ; elles y reviendront, quitte à en médire le lendemain. Nous ne désespérons pas, quant à nous, du pays, tant que nous verrons dans les assemblées constituantes ou législatives MM. Molé, Thiers, Dupin, Berryer de Broglie ; nous voudrions y voir M. Guizot. Que les impatiens de chaque parti murmurent contre leurs illustres chefs, c’est l’histoire éternelle du cœur humain. Et notez-le bien, ce ne sont pas les hommes appelés à remplacer les grands noms que nous venons de citer qui murmurent contre eux ; ce n’est pas M. Dufaure, M. de Montalembert, M. Léon Faucher, M. de Rémusat, M. Passy, et je passe à dessein quelques autres noms éminens, afin qu’il soit bien entendu que je ne fais pas une énumération complète ; ce ne sont pas enfin les généraux qui murmurent contre les maréchaux, ce sont les caporaux. N’en déplaise aux capacités inédites, les illustrations et les capacités éprouvées gardent leur prix, et plus il y en a de ce genre dans une assemblée, plus l’assemblée est forte.

Nous avons d’abord voulu dire un mot des ennemis intérieurs du gouvernement parlementaire, de ceux qui sont dans l’assemblée même et qui ne comprennent pas que les partis, qui font la vie des assemblées, n’ont de vie eux-mêmes que s’ils consentent à avoir une certaine discipline. Arrivons maintenant aux ennemis extérieurs du gouvernement parlementaire, à ceux qui se donnent fort maladroitement pour les interprètes du 31 octobre. À ces détracteurs du gouvernement parlementaire nous ne ferons, s’ils ont en tête un système de gouvernement, nous ne ferons qu’un seul reproche : ils en disent trop ou trop peu. Parlons franchement : s’il y a quelque part des personnes qui croient pouvoir voir restreindre, je ne sais dans quel cercle, les libertés du gouvernement parlementaire, ces personnes se trompent étrangement. De deux choses l’une, en effet : il faut supprimer complètement le gouvernement parlementaire, si on le peut, ou il faut l’accepter tel qu’il est. Nous reconnaissons que la constitution l’a modifié, et nous avons signalé nettement les différences qui existent, sous ce rapport, entre la constitution de 1848 et la charte de 1830 ; mais ces différences ont leurs limites. La pensée personnelle du président a dans notre gouvernement une place légitime, et nous sommes disposés à nous en féliciter. Cependant la constitution n’a pas dit que cette pensée, qui doit être libre, doive du même coup être prépondérante. En créant un président responsable et une assemblée indissoluble, la constitution a créé une grande difficulté d’être, nous l’avouons ; mais, comme elle a voulu que l’assemblée fût permanente et indissoluble, elle a voulu que la pensée de l’assemblée fût libre aussi, sinon prépondérante. La constitution a oublié de tracer un trait d’union entre les deux pouvoirs souverains qu’elle créait ; c’est là son grand vice. Les esprits contentieux en concluront que la lutte est inévitable entre les deux pouvoirs. Oui, la lutte est inévitable, s’ils la veulent ; mais les esprits concilians pourront dire aussi que, puisque les deux pouvoirs sont souverains et indépendans, l’accord est indispensable, Sans cela, point de gouvernement. Ainsi, une lutte inévitable ou un accord indispensable, voilà les deux solutions entre lesquelles il faut choisir.

La pire conduite, ce serait un mauvais accord. On aurait beau vouloir traiter l’assemblée lestement, faire mauvais ménage avec elle et s’en soucier peu, avoir des querelles et s’en vanter, avoir des échecs et prétendre qu’ils ne signifient rien ; cette conduite-là n’est pas long-temps tenable. Tant qu’il y aura un gouvernement parlementaire, ce qui en restera sera assez fort pour affaiblir et pour discréditer le pouvoir ministériel, si le pouvoir ministériel n’est pas d’accord avec l’assemblée. L’indifférence peut être un genre de caractère, mais ce n’est pas une politique. Les événemens, en effet, finissent par vaincre l’indifférence, ou par écraser les indifférens, à qui il reste, il est vrai, pour ressource d’être indifférens à leur chute. On ne peut pas accepter à moitié le gouvernement parlementaire, même celui de 1848. Il faut le détruire ou le pratiquer. Le détruire ! nous ne croyons pas que personne y pense. Ce gouvernement est entré plus profondément dans les habitudes du pays que le pays lui-même ne le croit. Ce pays-ci prend volontiers ses mauvaises humeurs pour des incompatibilités, et, quoique cela lui ait déjà joué beaucoup de mauvais tours, nous craignons bien qu’il ne soit pas encore décidé à se corriger. Il est donc fort possible qu’il parle avec mauvaise humeur du gouvernement parlementaire ; mais essayez de le lui ôter, et vous verrez alors ce qu’il en pensera. Il est plus vif dans ses regrets que dans ses affections. Il adore l’irréparable. Voyez ce qui lui est arrivé à propos de la monarchie ; il en médisait quand elle était debout, et il l’a laissé tomber. Une fois tombée, il l’a regrettée, et il semble en reprendre pièce à pièce tout ce qu’il peut. Qu’il laisse tomber le gouvernement parlementaire, il le regrettera aussi, et en reprendra tout ce qu’il pourra. C’est donc une grosse aventure que de détruire le gouvernement parlementaire, et c’en sera une le lendemain surtout de sa chute.

S’il est difficile de se débarrasser du gouvernement parlementaire, il est plus dangereux encore de le mal pratiquer. Cette tribune, ce scrutin, cette nécessité d’avoir de l’ascendant dans l’assemblée et de n’y être pas traité trop lestement, tout cela est une condition inévitable du gouvernement parlementaire, tant qu’on le conserve. On peut murmurer contre l’autorité de la parole ; mais, dans un gouvernement qui parle, il ne faut pas avoir trop habituellement contre soi les princes de la parole. Vous croyez que les échecs de la tribune ne comptent pas ; essayez un peu d’un système qui multiplierait les échecs, et vous verrez si en fin de compte le gouvernement se trouvera plus fort ! Nous avouons, quant à nous, que ce serait avec une peine profonde que nous verrions se transformer en obstacles et en difficultés les moyens de discussion et de délibération du gouvernement parlementaire. Or, c’est ce qui arrivera infailliblement, si le pouvoir exécutif, au lieu de chercher ses moyens de gouvernement dans un accord intelligent avec le pouvoir législatif, voulait les chercher en dehors de cet accord, si la lutte commençait entre les deux volontés souveraines, lutte sourde et dédaigneuse, et où chaque pouvoir en viendrait à se dire : Peu m’importe d’être blessé, je ne puis pas mourir avant le temps marqué, -erreur fatale pour le pays ; car il ne peut y avoir de gouvernement qu’à l’aide de l’accord des deux pouvoirs souverains, le président responsable et l’assemblée indissoluble.

Nous répétons notre conclusion : il faut pratiquer loyalement et poliment le gouvernement parlementaire, si on ne veut pas le détruire. Il faut s’accorder avec l’assemblée, puisqu’on ne peut pas la dissoudre. Nous aimerions mieux, quant à nous, une guerre ouverte que des taquineries inefficaces ; mais, par-dessus tout, nous souhaitons l’accord et la bonne intelligence des deux pouvoirs.

Nous voulons, en finissant, aller au-devant d’une objection qu’on pourrait nous faire : il y a trois mois bientôt, après le message du 31 octobre, nous nous permettions de conseiller au gouvernement parlementaire de faire le mort un peu, mais pas trop, d’attendre enfin et d’observer. Quand nous donnions ce conseil, nous prêchions un converti, puisque l’assemblée législative avait laissé se consommer la révolution ministérielle du 31 octobre, sans demander aucune de ces explications solennelles qui étaient de mise dans la monarchie constitutionnelle. Ce qui nous faisait penser au mois de novembre qu’il était bon que le gouvernement parlementaire sommeillât un peu, c’est qu’il nous semblait juste de laisser à la pensée et à l’action du président plus de latitude qu’elle n’en avait eu jusque-là. Cette action s’est exercée avec pleine indépendance, sans que l’assemblée s’en soit mêlée, et nous sommes heureux de pouvoir louer la direction énergique et ferme qui a été donnée par le président et par ses ministres à l’administration dans les départemens. Le parti socialiste a été hardiment combattu. Cela fait l’éloge des préfets, et cela reporte naturellement notre pensée vers celui des ministres de l’intérieur qui a le premier entrepris la régénération de l’administration départementale, M. Léon Faucher. À côté des bons choix que le gouvernement a faits depuis trois mois, il y en a eu aussi de médiocres en dedans et en dehors de la politique. Au bien comme au mal de ces deux derniers mois, l’assemblée est restée tout-à-fait étrangère. Elle le devait ; mais maintenant qu’après les mesures administratives viennent les lois, cet isolement et cette abnégation de l’assemblée ne sont plus possibles, et il faut nécessairement que le pouvoir exécutif se mette en rapports, et nous ajoutons, en bons rapports avec l’assemblée. Dès qu’il s’agit de lois à faire, le concours de l’assemblée est indispensable. Le pouvoir législatif est alors dans son domaine, et nous regretterions qu’on lui refusât, dans le cercle de son action légitime, la latitude que nous réclamions aussi, il y a deux mois, pour le pouvoir exécutif dans le cercle aussi de son action légitime.

Est-ce à dire que nous approuvons tout ce qui se fait et tout ce qui se dit à l’assemblée ? Est-ce à dire que nous approuvons le décousu et le désordre trop fréquent des délibérations ? Il s’en faut de beaucoup. Quand par exemple la majorité s’amuse à ne pas donner toutes ses voix à M. Dupin et fait des malices de scrutin à un président qui défend courageusement l’ordre des délibérations et les rend possibles, nous n’hésitons pas à trouver que M. Dupin, en refusant d’accepter la présidence des mains d’une majorité trop réduite, a eu raison et a bien compris ce qu’il devait à la dignité et à l’ascendant même de ses fonctions. Non, ce n’a pas été par une vaine susceptibilité que M. Dupin a donné sa démission. Il faut au président de l’assemblée, pour lutter contre la montagne, l’appui décisif de la majorité, et cet appui, c’est surtout par l’ensemble de ses votes dans le scrutin de la présidence que la majorité peut le donner. À qui l’assemblée, depuis six mois et plus, doit-elle de pouvoir délibérer, en dépit des fureurs de la montagne ? A l’infatigable énergie de M. Dupin, à sa présence d’esprit, à ces réparties spirituelles et courageuses qui terrassent la montagne en la ridiculisant. La montagne, soyez-en sûr, craint bien plus la langue que la sonnette de M. Dupin. Or, la sonnette, tout le monde peut la tenir et l’agiter ; mais la parole vive et mordante de M. Dupin, c’est lui seul qui en a le secret, et il le garde. Il peut arriver, nous l’avouons, que, dans le nombre des épigrammes qui s’échappent du fauteuil de la présidence, quelques-unes aillent tomber sur quelques membres de la majorité. Nous plaignons les blessés ; mais ils ne doivent ni trop se plaindre eux-mêmes ni surtout trop se souvenir. Nous blâmons donc, comme on le voit, l’assemblée quand elle nous semble avoir tort ; mais nous devons la louer aussi quand, reconnaissant elle-même ses torts, elle rappelle avec un ensemble admirable M. Dupin au fauteuil de la présidence, et qu’elle fait ce que nous aimons le mieux voir faire à une assemblée et ce que nous souhaitons le plus que fasse la majorité actuelle : acte de déférence envers un de ses plus illustres chefs.

L’hésitation malencontreuse de la majorité dans le scrutin de la présidence n’est pas le seul tort que la majorité nous semble avoir eu dans cette quinzaine. Il a, en effet, fallu deux votes pour faire déclarer l’urgence de la loi sur les instituteurs communaux. Nous savons bien à quoi tenait le scrupule de quelques personnes. Elles se défient de la mobilité de l’administration, et quand il s’agit de remettre entre les mains des préfets la direction de l’instruction primaire, elles craignent qu’un beau jour les préfets ne soient changés tout à coup en commissaires-généraux de la république rouge. Oui, la république rouge est fort à craindre, si elle se mêlait encore de diriger l’instruction primaire ; mais nous en concluons qu’il faut tout faire pour empêcher l’avènement de la république rouge ; et comme la loi des instituteurs communaux a pour but d’empêcher l’avènement de cette république, nous en concluons encore qu’elle est utile, urgente, et qu’il ne fallait pas hésiter à voter. Nous remarquons en même temps que les personnes qui étaient tentées de préférer aux préfets, pour le moment, des comités départementaux plus ou moins bien composés, ces personnes-là ne se rendent pas un compte exact des choses mêmes qu’elles craignent. Si, en effet, la république rouge revient, elle ne respectera pas plus les comités que les préfets, et elle remplacera les uns par ses clubs, les autres par des commissaires.

Nous savons bien qu’une autre raison encore poussait quelques personnes à hésiter sur l’urgence de la loi. Elles craignaient que la loi provisoire ne devînt une loi définitive ; elles auraient dû cependant se rassurer par les déclarations de M. de Parieu, ministre de l’instruction publique, et surtout par l’intervention de M. Molé, demandant que la loi n’eût qu’une durée fixée par la loi elle-même. M. Molé avait bien vu, avec cette sûreté de coup d’œil que lui donne sa longue expérience parlementaire, que c’était sur ce point que l’assemblée pouvait se diviser et causer en même temps un échec au ministère. Or, il faut remarquer que les hommes les plus considérables du parlement, loin d’avoir contre le ministère les mauvais desseins qu’on leur prête, s’emploient avec zèle à épargner au pouvoir les moindres échecs. Ils le servent avec bonne foi ; ils le servent de haut, il est vrai, mais ils ne l’en servent que mieux, selon nous, et avec plus d’autorité. M. Molé voulait que la loi sur les instituteurs communaux fût adoptée, non comme définitive, mais comme mesure transitoire et urgente, et il a puissamment contribué, par ses conseils, à faire revenir une partie de la majorité sur la mauvaise humeur intempestive qu’elle avait témoignée.

Nous ne voulons pas indiquer ici les services signalés que M. Molé a rendus depuis un an à la cause de l’ordre par sa conciliante et puissante intervention. Qu’il nous suffise de dire que personne n’a au plus haut degré le sens et le goût du possible. Or, c’est là, dans notre pauvre pays, l’art suprême de la politique : savoir ce qui est possible à chaque heure, à chaque moment, dans cet empire du vide que nous traversons, quoi de plus rare et de plus utile ?

Nous venons de parler de M. Molé, de M. Dupin, de M. de Broglie ; nous avons aussi prononcé le nom de M. Guizot. Il y a dans le monde des malicieux qui, sachant le goût que nous avons pour réunir dans le même faisceau les grands noms et les grandes influences, se disent sans doute, en nous lisant, que nous aurions bien grande envie en ce moment de faire aussi l’éloge de M. Thiers, mais que nous sommes embarrassés, parce que le discours que M. Thiers a fait sur l’affaire de la Plata est complètement contraire à l’opinion que nous avons exprimée sur cette question. Ces malicieux, nous le craignons, n’ont pas compris que le discours de M. Thiers est plus important que la question qu’il traitait et plus élevé que sa conclusion. M. Thiers, avec cette hauteur et cette étendue de vues qui caractérise l’homme d’état, a traité la question des intérêts de notre commerce et de notre civilisation dans l’Amérique du Sud, vaste question toute générale, où la Plata a sa place, mais n’a que sa place. Aussi consentons-nous de grand cœur à voir le gouvernement ne pas suivre les conseils de M. Thiers dans l’affaire de la Plata, à condition que le discours de l’orateur deviendra le manuel de notre diplomatie dans toute l’Amérique du Sud. Ces discours-là, quoi qu’on en dise, sont des actions, car ils dirigent et règlent l’action des gouvernemens intelligens.

La question des intérêts commerciaux de la France dans l’Amérique du Sud, est le seul point, à nos yeux, qui mérite désormais un examen sérieux dans l’affaire, de la Plata ; le reste, à parler franchement, nous touche peu. Nous ne croyons pas, et jamais nous n’avons pu croire l’honneur de la France fortement engagé dans cette guerre sauvage, que des passions locales ont allumée entre Montevideo et la République Argentine ; mais il nous importe beaucoup de savoir, en effet, si l’Amérique du Sud, si les rives de la Plata peuvent offrir à la France cette vie nouvelle qu’elle cherche depuis si long-temps pour sa navigation marchande, frappée de décadence malgré tant d’efforts faits pour la ranimer. Est-il permis d’espérer que notre navigation marchande, le principal élément de notre puissance maritime, retrouvera dans ces nouveaux parages le rang qu’elle a perdu ailleurs ? Le doute n’est pas possible, quand on écoute M. Thiers ; car M. Thiers est convaincu, et il exprime sa conviction de manière à la faire passer dans les esprits.

Quiconque a regardé les états de douanes sait jusqu’à quel point notre commerce maritime a baissé sur toutes les mers. Pendant que nos exportations ont doublé, le mouvement de notre navigation commerciale a diminué de plus en plus, et notre pavillon marchand a été remplacé par ceux de l’Angleterre et des États-Unis. Lorsque nous avons supprimé, sous la restauration, la surtaxe qui protégeait notre pavillon, nous avons fait peut-être un acte de loyauté et de désintéressement ; mais, ce jour-là, nous avons signé de nos propres mains notre déchéance maritime. Favorisées par des circonstances particulières, l’Angleterre et l’Amérique du Nord nous ont promptement dépassés. L’Angleterre s’est emparée du transport de la houille ; l’Amérique du Nord s’est emparée du transport des cotons. Comment lutter à présent contre ces deux faits ? Pouvons-nous rétablir la surtaxe du pavillon ? Personne ne le proposerait aujourd’hui. Est-ce le régime de la protection qui nous tue, et faut-il, pour nous sauver, supprimer tous nos tarifs ? Personne n’y songe précisément. Cependant le mal s’aggrave tous les jours, et la révolution de 1848 est venue porter un dernier coup à notre marine marchande. Nos ports s’emplissent de navires qui ont dit adieu à la mer et qui sont destinés à pourrir dans les bassins. Pour arrêter cette décadence, nous dit M. Thiers, il n’y a plus qu’un moyen, un seul : c’est d’assurer l’ascendant du pavillon de la France dans l’Amérique du Sud. Là, nous trouvons, pour nos produits, un débouché immense. Nous trouvons une population qui a triplé en douze années, un commerce intérieur, comme celui du Brésil, qui a doublé en dix ans, ou comme celui de la Plata, qui, dans la même période de temps, s’est élevé, de quatre ou cinq millions, à quarante. Là, enfin, nous avons affaire à une civilisation naissante, à des populations agricoles, qui accueillent avec empressement les produits de notre industrie, et qui ne peuvent avoir aucun intérêt à les repousser par des mesures prohibitives. Aussi, malgré le peu d’élan que nous mettons d’ordinaire dans nos entreprises commerciales, le chiffre annuel de nos opérations dans l’Amérique du Sud est déjà monté à 150 millions. C’est le tiers de notre commerce dans les deux Amériques, mais avec cette différence que, sur quatre cents bâtimens de commerce dans l’Amérique du Nord, il y a cinquante bâtimens français et trois cent cinquante américains, tandis que, dans l’Amérique du Sud, pour trois cents bâtimens français, il y a cinquante bâtimens étrangers.

L’Amérique du Sud est donc, pour notre navigation marchande, un champ illimité. Là, nous sommes maîtres du présent et maîtres de l’avenir, à une condition toutefois ; c’est que notre gouvernement saura faire respecter le nom de la France. Tous les hommes sensés seront d’accord là-dessus avec M. Thiers. Oui, le gouvernement de la France doit montrer, dans l’Amérique du Sud, de la fermeté et de la vigueur. Malheureusement, et c’est ce qui nous faisait incliner, pour notre part, vers la solution que présentait le traité de l’amiral Le Prédour, malheureusement, disons-nous, il est plus facile de tracer les règles d’une politique de ce genre que de les appliquer. Les circonstances en ont rendu l’application plus difficile que jamais.- Si la France hésite à frapper dans la Plata, c’est parce qu’elle ne sait pas bien, après tout, quel est le lieu où elle doit faire sentir le poids de son épée. Et pourquoi l’ignore-t-elle ? La raison en est connue de tout le monde aujourd’hui. Les explications de M. Gros, plénipotentiaire du gouvernement provisoire dans la Plata en 1848, ont dissipé là-dessus tous les doutes. M. Gros, c’est lui qui le déclare, avait reçu l’ordre formel, et quoi qu’il arrivât, de lever le blocus de Buenos-Ayres. Il a dû exécuter cet ordre, et voici ce qui en est résulté : des milliers de Français ont abandonné Montevideo pour Buenos-Ayres, où ils ont transporté leur commerce et leur avoir, de sorte que, dans cette situation nouvelle qu’a créée le gouvernement provisoire, on ne savait plus, à vrai dire, où est l’intérêt français, s’il est à Buenos-Ayres ou à Montevideo.

Le rapport de M. Daru avait tout d’abord singulièrement embrouillé la question. L’honorable rapporteur avait engagé la discussion en acculant le cabinet à une situation presque désespérée. Le gouvernement, avait-il dit, veut prolonger le statu quo ; eh bien ! il faut en sortir : il faut dénoncer la convention du 12 juin, à la fois ruineuse et déplorable pour la France, cruelle et inhumaine pour la ville de Montevideo, dont elle ne fait que traîner l’agonie en distribuant parcimonieusement aux habitans le strict nécessaire pour ne pas mourir de faim. Le gouvernement veut négocier encore ; eh bien ! il faut repousser toute négociation nouvelle comme inutile et ne pouvant aboutir à rien, car le général Rosas est décidé à tout refuser. M. Daru, on le voit, a traité la question de Montevideo comme une équation algébrique. Confondant dans ses termes les passions et les intérêts d’amour-propre, les rapports officiels et les simples dires, les appréciations vagues d’agens incompétens et l’opinion raisonnée des hommes les plus capables, leur donnant à tous la même valeur, il a fait sortir de sa formule mathématique les plus étranges erreurs. Il n’a pas craint de faire vibrer toutes les fibres de notre vanité française, et de montrer à la nation son gouvernement comme contraint d’agir entre la honte, l’impuissance ou la folie.

Quand M. Thiers est venu, à son tour, en appeler aux armes de la France, il s’est bien gardé de le faire au nom d’engagemens chimériques en faveur d’un état étranger, qui avaient été aussi l’un des principaux argumens de M. Daru. C’est un intérêt essentiellement français qu’il a invoqué tout d’abord ; c’est pour venger des Français égorgés, c’est pour obtenir des indemnités en faveur de nos compatriotes pillés et dépouillés qu’il a demandé la guerre. M. Thiers a raison : si nos nationaux ont été égorgés, s’ils ont été maltraités et que l’autorité locale leur dénie la justice qui leur est due, c’est aux armes de la France de la leur faire obtenir ; mais ces actes odieux sont-ils vrais ? On peut hardiment défier qui que ce soit d’en fournir la preuve. Notre chargé d’affaires à Buenos-Ayres a, dans un manifeste, donné le démenti le plus formel à ces prétendues avanies dont les autorités du pays se seraient rendues coupables envers nos compatriotes. Dans les affaires judiciaires où nos nationaux français étaient engagés, un attaché de la légation de France assistait au tribunal, à la requête même du juge du district, et, malgré la pointilleuse rigueur avec laquelle il soutenait les droits de ses nationaux, il lui a été impossible de surprendre la moindre partialité dans les jugemens rendus. Faut-il encore un trait pour achever de montrer combien, dans cette malheureuse question, on semble se plaire à accumuler les plus chimériques accusations pour égarer l’opinion publique ? Les gens de Montevideo avaient publié une liste de proscrits traîtreusement égorgés, disait-on, par Oribe. Nos agens et nos officiers à Buenos-Ayres voulurent vérifier par une sorte d’enquête ces atroces exécutions, et ils purent se convaincre que la plupart des noms portés sur ces listes mortuaires appartenaient à des hommes pleins de vie. Si, par suite d’événemens de guerre, il y a lieu à quelque demande en indemnité de la part de nos nationaux, c’est aux tribunaux de décider : nous ne pouvons intervenir en armes qu’en cas de déni de justice du pouvoir local.

C’est d’ailleurs une grave erreur de croire que Montevideo puisse devenir un jour le centre du commerce de la Plata : la nature en a ordonné autrement. Buenos-Ayres est le point de convergence obligé de toutes les grandes voies de communication de l’Amérique centrale : là viennent aboutir l’Uruguay, le Parana et les grandes routes qui, d’une frontière à l’autre des états de la confédération, vont jusqu’en Bolivie et dans le Haut-Pérou. Là convergent aussi les routes qui, à travers les pampas, franchissent la Cordillière et unissent les deux Océans ; là se dirigent enfin les routes du sud-ouest, qui servent de déversoir aux estancias riches en céréales, riches en bestiaux, que la civilisation a depuis peu conquises sur les sauvages voisins de la Patagonie. Montevideo n’a donc qu’une importance secondaire comme succursale de Buenos-Ayres. Que ces deux villes soient ennemies, que leurs relations soient suspendues, et Montevideo n’est plus que la capitale de l’état pauvre encore de l’Uruguay. Les plus beaux discours ne changeront rien à cet ordre de choses ; Montevideo ne sera jamais, à l’égard de la confédération argentine, qu’à peu près ce qu’est Marseille à l’égard de la France. C’est par le commerce, par l’industrie, par une émigration laborieuse et honnête que nous fonderons notre influence en Amérique. Vouloir la créer par les armes, vouloir établir, impérialement notre supériorité, c’est oublier le sentiment d’indépendance qui anime tout Américain. Il n’est plus permis aujourd’hui de se faire la moindre illusion sur ce point. Si l’Amérique du Sud offre à notre navigation de si belles perspectives, c’est à la condition que nous nous y présenterons avec un esprit de paix ; elle se fermerait devant nous, si nous y portions l’agitation et la guerre.

Nous voulons dire un mot des pièces publiées ces derniers jours sur la question du tombeau de l’empereur. En parcourant les pièces de ce procès, car c’est un procès de comptabilité beaucoup plutôt qu’une question politique, nous voyons bien que l’affaire du tombeau, pour nous servir du terme employé dans le rapport, n’a pas été conduite avec la prudence et la régularité nécessaires. Les crédits alloués ont été grandement dépassés. Les plans ont été mal conçus. Les devis n’ont pas été rédigés avec soin. Les évaluations de la dépense ont été fautives Nous sommes pleinement d’accord là-dessus avec la commission ; mais nous eussions désiré qu’elle en fût restée là, car nous ne voyons pas, en vérité, pourquoi elle est allée plus loin. On insinue dans le rapport que le désordre a été calculé ; on fait allusion à des complaisances coupables ; on parle de fonctionnaires indifférens à leurs devoirs, qui se laissent emporter à l’irrésistible séduction des grands travaux, lesquels, dit-on, procurent à la fois de l’influence, de la renommée et du profit ! A qui s’adressent ces accusations ? De qui s’agit-il ? S’il ne s’agit de personne en particulier, ce ne sont donc que des suppositions. Dans ce cas, il eût été convenable de s’abstenir.

Si l’on a voulu désigner quelqu’un, il eût fallu s’exprimer d’une manière moins vague. Quand on accuse, il faut toujours parler nettement. La minorité de la commission a été de cet avis, car elle a protesté énergiquement contre les insinuations du rapport ; mais il n’a pas été tenu compte de ses observations. Que devons-nous penser de tout cela ? Faut-il croire que la majorité de la commission a été tracassière, malveillante, qu’elle s’est laissé aller trop facilement à des soupçons injustes, qu’elle n’a pas été fâchée de mettre en cause un ancien ministre de la monarchie, qu’elle a cru que cela aurait bon air vis-à-vis de la république ? Et de fait, les mauvaises langues de la république ont déjà singulièrement abusé du rapport de la commission. N’importe, nous aimons mieux croire que les honorables membres qui composaient cette commission ont été complètement étrangers à des considérations de cette nature. Pour eux, pour l’honorable rapporteur surtout, la question du tombeau de l’empereur a été une question d’art. Or, lorsque les arts s’introduisent dans la politique, ils y apportent naturellement leurs préférences et leurs passions. La politique s’en ressent, et elle en reçoit le contre-coup. Voilà ce qui explique pour nous le rapport de M. de Luynes. Ce sera la première fois de sa vie que M. de Luynes aura manqué aux devoirs de la charité, mais aussi, dans cette circonstance, comment aurait-il pu résister à la tentation ? M. de Luynes n’est pas seulement un protecteur éclairé des arts, il est artiste lui-même et homme de goût. Comme artiste, il avait conçu l’exécution du tombeau de l’empereur d’une certaine manière. Il avait son plan ; l’administration a gardé le sien. De là une irritation que nous trouvons bien excusable. En fait d’art, on n’abandonne pas facilement ses convictions, et M. de Luynes ne pouvait point pardonner à la division des beaux-arts de lui avoir gâté son monument.

Nous n’irons pas plus loin sur cette affaire. S’il s’agit d’une querelle d’artistes, nous déclinons notre compétence. L’ancienne administration des beaux-arts aura à s’entendre avec ses architectes pour démontrer que les crédits alloués n’étaient pas suffisans, que les plans primitifs ne répondaient pas à la grandeur de l’œuvre qu’on s’était proposée, qu’il a fallu les modifier, et qu’à l’exception de certaines erreurs dont tout le monde doit s’empresser de convenir, les modifications faites méritent d’être approuvées. Les adversaires auront à démontrer que les crédits suffisaient, qu’il n’était pas nécessaire de modifier les plans, que l’on est tombé dans des prodigalités inutiles, et, entre autres choses, qu’on aurait pu se dispenser de substituer des marbres de Carrare aux marbres de l’Isère, du marbre plein au marbre plaqué, et des colonnes de marbre à des colonnes de bois doré. Du bois doré pour des colonnes torses de quarante-cinq pieds de haut ! cela, en effet, nous semble avoir été peu réfléchi dans le principe, et si l’administration des beaux-arts a voulu du marbre, nous ne voyons pas qu’elle ait commis un si grand crime. Du reste, c’est affaire de goût, c’est une question d’art, nous n’y touchons pas. S’il s’agit d’une question politique, le bon sens public saura apprécier selon leur valeur les attaques rétrospectives que la commission, à notre grande surprise, a cru devoir diriger contre l’administration du dernier règne. De pareilles attaques, aujourd’hui, sont un anachronisme. L’administration, sous la monarchie, se laissait trop facilement accuser ; c’était son tort. Elle pensait que son honneur n’était pas à la merci des faiseurs de libelles et de pamphlets. Elle comptait sur la sagesse et sur l’intelligence de l’opinion ; fatale erreur ! la calomnie a été plus forte que la vérité. Un jour est arrivé où cette même administration, insultée chaque matin dans les journaux, a comparu sans défense devant ses adversaires. Tous ses papiers, tous ses secrets, sont tombés entre les mains de ses accusateurs eux-mêmes. Eh bien ! qu’ont-ils trouvé ? qu’ont-ils vu ? quelle fraude, quelle malversation ont-ils découvertes ? quel administrateur a été mis en cause ?

À propos de cette question du tombeau, on a parlé d’un rapport de la cour des comptes. On devrait savoir d’abord que la cour des comptes n’a pu être chargée de faire un rapport sur des dépenses qui n’ont pas encore été payées. La cour des comptes, son nom l’indique, juge des comptes et n’a pas à se prononcer sur des demandes de crédits. Cela regarde la législature. L’erreur commise à cet égard vient de ce qu’en effet plusieurs membres de la cour des comptes ont été appelés auprès de la commission pour vérifier les pièces de dépenses réglées et non soldées. Leur rapport, très impartial, a été publié à la suite du travail de la commission, et l’on verra qu’il est bien loin d’exprimer ce que de part et d’autre on a voulu lui faire dire. En résumé, il est empreint d’une juste sévérité pour les irrégularités financières, et il écarte en même temps la responsabilité morale du ministre. Nous n’avons pas besoin de dire, à plus forte raison, qu’il écarte sa responsabilité matérielle. Nous adoptons, pour notre part, ces conclusions. Puisque nous parlons de la cour des comptes, il ne sera pas inutile de rappeler que l’assemblée est saisie d’une proposition tendant à rétablir sur leurs sièges les magistrats de cette cour qui ont été frappés par des décrets du gouvernement provisoire. Il serait urgent d’effacer du seuil de la magistrature cette dernière trace des violences de février.


— Les réformes administratives et financières continuent d’absorber exclusivement l’attention du gouvernement et du parlement espagnols. D’incessans conflits d’attributions paralysaient jusqu’ici l’action respective des chefs politiques et des intendans. Un décret royal vient de supprimer ces deux autorités et de concentrer leurs pouvoirs dans les mains d’un fonctionnaire unique, qui prend le titre de gouverneur de province. C’est là un grand pas de fait vers cette centralisation administrative qui, chez nous, est depuis quelque temps l’objet d’une défaveur à beaucoup d’égards méritée, mais qui, en Espagne, est une réaction légitime et nécessaire. Comme toute réaction d’ailleurs, la mesure dont il s’agit substitue à l’excès un excès contraire. Que dirions-nous, en France, d’un système d’après lequel les préfets cumuleraient, avec leurs attributions actuelles, celles des directeurs des contributions directes et indirectes, du directeur de douanes et du directeur de l’enregistrement, d’un système qui, en d’autres termes, joindrait aux causes de froissement que les susceptibilités départementales et communales créent autour de l’administration civile cette impopularité dont nulle part le fisc n’est exempt ? Il y a là le germe de plus d’un danger que l’expérience révélera. Avouons-le cependant, au point de vue de ses effets immédiats, la réforme qui vient d’être décrétée est un bienfait réel. L’anarchie, le gaspillage et toutes ses conséquences étaient arrivés à un tel degré dans certaines provinces, que le gouvernement se voyait dans l’impossibilité de saisir de loin tous les fils de cette vaste conspiration organisée par les employés inférieurs contre le trésor et les contribuables. Les pouvoirs universels et presque dictatoriaux que vont cumuler les gouverneurs de province proportionnent le remède au mal en transportant en quelque sorte la centralisation gouvernementale, avec tous ses moyens d’action et de répression, au foyer même des abus.

Le sénat a sans doute voté, à l’heure qu’il est, une réforme non moins importante, celle qui modifie la législation et la pénalité en matière de finances, et notamment de douanes. Outre qu’elle n’était pas en rapport avec le nouveau système douanier de l’Espagne, la législation actuelle sur la contrebande avait deux très graves inconvéniens. La pénalité, d’une part, s’y trouvait trop peu graduée, de sorte qu’à risques égaux le fraudeur avait tout intérêt à faire la contrebande en grand. Cette pénalité, d’autre part, était si rigoureuse, que le contrebandier, se voyant placé, dans beaucoup de cas, sur la même ligne que les voleurs, résistait rarement à l’envie de cumuler les profits d’une assimilation dont il cumulait les charges. La contrebande était ainsi devenue la pépinière officielle des bandits. La nouvelle loi pallie ce double inconvénient, et nous n’y trouverions, pour notre part, à reprendre qu’une seule disposition c’est celle qui défère les délits en matière financière à une juridiction spéciale. Mettons de côté la question d’économie, oublions même ce qu’a d’illogique ce fractionnement des attributions judiciaires dans un moment où le gouvernement fait de si courageux efforts pour établir partout ailleurs l’unité ; resterait la question de savoir si un tribunal exceptionnel peut avoir la même autorité morale que les tribunaux ordinaires. C’est douteux, surtout pour une des classes de délits qui vont tomber sous l’action de ce tribunal exceptionnel. L’opinion est en tout pays, l’Angleterre seule exceptée, d’une excessive indulgence pour la contrebande ; soumettre celle-ci à une juridiction distincte, n’est-ce pas encourager et justifier cette tendance dangereuse qu’ont déjà les masses à la distinguer des autres délits ?

À propos de douanes, voici une bonne nouvelle pour notre commerce. On avait paru craindre que le gouvernement espagnol, en vue de satisfaire à certaines exigences locales, ne s’inspirât d’une pensée restrictive dans la désignation des bureaux qui, aux termes du nouveau tarif, allaient être ouverts aux importations et aux exportations. Une ordonnance royale est venue dissiper ces inquiétudes. Alicante, Almeria, Barcelone, Bilbao, Cadix, Carrif, Carthagène, Ciudad-Real de las Palmas, la Corogne, Gijon, Valence, Mahon, Malaga, Motril, Orotava, Palamos, Palma de Majorque, Sainte-Croix de Ténérife, Santander, Saint-Sébastien, Séville, Tarragonne, Vigo, Rosas, c’est-à-dire, tous les ports espagnols un peu importans de l’Océan et de la Méditerranée, sont ouverts par cette ordonnance au commerce d’importation et d’exportation et au cabotage. Les quelques exceptions qui ont été faites n’ont aucun intérêt pour le commerce étranger. La frontière de terre n’est pas moins bien traitée. Pour ne parler que de la ligne des Pyrénées, nous n’avons pu relever, dans la désignation des bureaux qui seront ouverts à nos échanges internationaux, une seule omission réellement dommageable pour notre commerce. L’une des pensées fondamentales de la réforme douanière votée par les cortès au mois de juin dernier se trouve ainsi réalisée. Les importations et les exportations espagnoles, dont tant d’intrigues extérieures et intérieures cherchaient à fausser la direction, sont rendues à leur équilibre naturel.

Au sein du congrès, les questions administratives et financières à l’ordre du jour ont donné lieu à quelques escarmouches qui font pressentir une discussion des budgets très orageuse. La situation espagnole subit aujourd’hui l’inconvénient habituel des situations fortes. Les diverses nuances d’opinions qui s’étaient confondues en face du danger reviennent à leurs tendances propres, depuis que toute complication, tant extérieure qu’intérieure, semble avoir disparu. Nous doutons cependant que le cabinet Narvaez, bien qu’on en fasse courir le bruit, ait à recourir de long-temps à l’expédient extrême d’une dissolution dont les conservateurs dissidens seraient fort exposés du reste à payer les frais.

— Depuis la fin de la guerre de Hongrie, l’Autriche est redevenue maîtresse de ses mouvemens. Comment use-t-elle de la liberté d’action que la paix lui a rendue ? Le concours prêté par la Russie à la maison de Habsbourg donnait lieu de craindre que la politique autrichienne ne cédât facilement à ses primitives inclinations, et ne revînt purement et simplement aux pratiques et aux doctrines de l’absolutisme. Il semblait même que ce fût là une des conditions de l’alliance conclue entre Vienne et Saint-Pétersbourg.

La dissolution du parlement de Kremsier, l’octroi de la constitution du 4 mars 1849, les retards que l’application de cette charte éprouvait depuis tantôt une année, enfin l’établissement du régime de l’état de siège en permanence et la suspension arbitraire des principales libertés publiques, tous ces actes pouvaient être regardés comme autant de présages de desseins peu favorables au système constitutionnel. Il est arrivé heureusement que l’Autriche a entrevu dans l’adoption de ce système un merveilleux moyen de force qu’elle cherchait inutilement depuis de longues années. On se rappelle quelle était à la fin du dernier siècle la politique de l’Autriche. Joseph II s’épuisait sans succès à relier entre eux dans une unité plus étroite les membres hétérogènes de l’empire. Ce souverain avait beau chercher dans les classes laborieuses un appui contre les résistances locales de l’aristocratie terrienne ; l’aristocratie des provinces représentait leur nationalité distincte. Partout le ressort de la nationalité avait une énergie telle que de l’entreprise de Joseph II il ne resta que les rancunes et la défiance des populations à l’égard du germanisme. Or, les insurrections dont l’Autriche a été depuis un an le théâtre lui ont justement fourni l’occasion de reprendre l’œuvre tentée par Joseph II. Elles ont sapé l’autorité de l’aristocratie, et de plus, par une rencontre qui n’était point à dédaigner, tandis que la Lombardie et les Magyars se soulevaient contre l’Autriche, les autres populations se sont soulevées pour le maintien de l’empire. Pendant que la malheureuse Lombardie succombait, la Hongrie, qui, avec sa féodalité puissante, formait une sorte d’état dans l’état, préparait sa ruine. Dès-lors les législations exceptionnelles et locales perdaient beaucoup de leur force, et l’Autriche pouvait sérieusement reprendre cette pensée d’unité, auparavant impraticable. Point d’unité possible sans une constitution radicalement nouvelle qui fît une part convenable à la liberté politique, en lui donnant pour base l’égalité civile. Point d’unité sans une diète centrale qui tînt réunis à Vienne les représentans des diverses provinces, et fit de la capitale de l’empire le vrai foyer des affaires et de la vie politique. De là le retour de l’Autriche vers le régime parlementaire, retour intéressé, mesuré, mais nécessaire, et, nous le croyons, irrévocable. Aussi bien, l’Autriche, quoique victorieuse et encouragée par la Russie, n’aurait pu, sans péril, retirer les promesses libérales qu’elle avait faites naguère aux populations, et, en organisant aujourd’hui ces libertés promises, elle a encore bien des écueils à éviter.

L’Autriche veut, avons-nous dit, s’assurer une unité plus forte, et elle le peut ; mais elle ne le peut que dans de certaines limites, et elle risquerait beaucoup à les dépasser. Oui, l’unité est possible aujourd’hui en Autriche, mais elle ne l’est qu’à la condition de laisser un large rôle au provincialisme, ou, pour mieux dire, à la nationalité. Si la diète de Vienne, si le pouvoir central devaient absorber les attributions des diètes et des pouvoirs locaux, mieux vaudrait n’avoir rien changé à la vieille politique. Les populations qui ont pris si loyalement les armes en faveur de l’Autriche s’accommoderaient mieux du régime d’autrefois que d’une centralisation qui leur donnerait la liberté civile en étouffant leur nationalité. Qui dit unité ne dit point nécessairement centralisation. Une polémique des plus animées vient de s’élever à ce sujet entre le chef du parti slave, en Bohème, M. Palacki, et la presse allemande de Vienne. Tandis que celle-ci recevait le concours des principaux organes de l’opinion en Allemagne, M. Palacki trouvait un écho puissant dans toutes les provinces de l’empire et dans le journalisme de tous les pays slaves. Le savant professeur de Prague, inquiet des projets de centralisation auxquels le germanisme essaie de pousser le cabinet, a tracé le programme du parti slave avec une grande précision d’idées. Suivant lui, la question constitutionnelle est tout entière entre la centralisation et le fédéralisme. Dans sa pensée, le fédéralisme ne s’oppose point à l’unité. Quelle serait donc de ce point de vue l’organisation de l’empire ? Il renferme sept peuples très distincts ; il y aurait sept grandes provinces avec des diètes et une administration responsable pour tous les intérêts locaux. Le pouvoir central, tempéré par la diète générale de Vienne, conserverait les attributs de la souveraineté politique, la direction des affaires étrangères, des finances, de la guerre, de la marine. Au moment même où le débat des questions formulées par M. Palacki était dans toute sa vivacité, le ministère a officiellement annoncé la publication des constitutions provinciales. Selon toute vraisemblance, ces constitutions ne répondront pas exactement à la pensée du parti fédéraliste. Au lieu de sept provinces qui seraient puissantes individuellement, et dans le sein desquelles se concentrerait avec force la vie de chaque nationalité, l’on essaiera de dix à douze subdivisions, qui peut-être tiendront séparés les Bohèmes des Slovaques, les Polonais des Ruthéniens, les Croates des Illyriens et des Serbes, les Valaques de la Transylvanie de ceux de la Hongrie. En outre, le pouvoir central conservera assurément plus d’attributions que le parti fédéraliste ne voudrait lui en reconnaître. Toutefois, si l’on en peut juger d’après la constitution de la province dort Vienne est le chef-lieu, une bonne partie de l’administration sera aux mains des autorités locales, et une fois la diète générale réorganisée, une fois le régime parlementaire rétabli et le gouvernement des majorités devenu loi fondamentale, le reste sera l’affaire des élus du pays et du pays lui-même. À défaut d’un résultat plus grand, il est du moins constaté dès à présent que l’Autriche, tout en s’efforçant de rester aussi germanique que possible, en réagissant même contre les vœux des publicistes slaves, ne songe point à se replacer sous le régime de la souveraineté absolue. À la vérité, c’est avec lenteur qu’elle marche ; cependant elle se meut.


— Les premières opérations du congrès américain ont pleinement justifié l’exposé qui a été fait ici même[1] de la situation politique des États-Unis. La chambre des représentans n’a pu élire un président qu’après soixante-quatre scrutins, qui ont employé plusieurs semaines. Dès le premier jour de la session, les députés des deux partis s’étaient réunis pour faire choix chacun du candidat qu’ils porteraient à la présidence ; mais les partisans de la liberté du sol ne se rendirent ni à l’une ni à l’autre des deux réunions, et s’assemblèrent séparément. Une scission éclata au sein de la réunion des whigs ; M. Toombs, député de la Georgie, demanda qu’avant toute décision les membres présens prissent l’engagement d’écarter par l’ordre du jour toute proposition de nature à porter atteinte aux institutions particulières du sud. Les députés whigs du nord se récrièrent sur la violence morale qui leur était faite, et M. Toombs se retira, suivi de quelques autres députés du sud. On voit que l’attitude agressive prise par la petite phalange des partisans de la liberté du sol a eu pour premier résultat de donner naissance à une autre fraction déterminée à sacrifier les intérêts de parti à la défense de l’esclavage. Quand le scrutin, qui a lieu de vive voix, s’ouvrit, on vit les partisans de la liberté du sol voter pour M. Wilmot, et six ou sept whigs du sud perdre obstinément leurs voix tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre d’entre eux. Il en a été ainsi jusqu’à la fin, en sorte que ni les whigs ni les démocrates, dont les forces se balancent exactement, n’ont jamais pu donner la majorité à aucun candidat de leur parti. Après soixante scrutins inutiles, les deux partis nommèrent un comité mixte, chargé de chercher les moyens de départager la chambre, et, conformément à la décision du comité, il fut décidé qu’il serait procédé encore à quatre scrutins, et que si aucun membre n’obtenait la majorité absolue, celui qui réunirait la majorité relative serait proclamé président. Au soixante-quatrième tour de scrutin, M. Howell Cobb, député de la Georgie et démocrate, ayant réuni 102 voix, tandis que M. Winthrop, candidat des whigs, n’en avait que 100, se trouva président. Il était temps qu’un terme fût mis, par cette élection, aux stériles débats qui consumaient le temps de l’assemblée, et qui devenaient chaque jour plus irritans. La persistance du petit noyau des partisans de la liberté du sol à paralyser les efforts des deux grandes fractions de la chambre attiraient sur eux mille attaques ouvertes ou déguisées, et ils y répondaient par des provocations à l’adresse des députés du sud. L’un d’eux ayant exprimé l’espoir de la prochaine abolition de l’esclavage dans le district fédéral, un démocrate du sud, M. Colcock, se leva et s’écria que, si aucune motion des free-soilers venait à être adoptée, il en proposerait une à son tour ainsi conçue : « La dissolution de l’Union est prononcée. » Si, dès les premières séances, une simple parole suffit à faire émettre de semblables menaces, quels orages vont donc éclater au sein du congrès, quand la question même de l’esclavage sera posée devant lui ?

Le message du général Taylor, adressé au congrès le lendemain de l’élection de M. Cobb, reflète fidèlement les préoccupations du public américain. Le président recommande au congrès d’éviter les questions irritantes qui répandent une pénible inquiétude au sein de la nation : il rappelle l’avis solennel adressé par Washington aux représentans du pays a de ne donner jamais occasion de désigner les partis par des distinctions géographiques. » M. Taylor annonce que la Californie et le Nouveau-Mexique vont prochainement demander à être admis dans l’Union ; les populations de ces deux états, avant de solliciter leur admission, se seront donné une constitution et auront résolu elles-mêmes toutes les questions qui les intéressent ; le congrès ne devrait-il pas s’en rapporter purement et simplement à leur initiative ? Tel est le conseil que lui donne le général Taylor ; mais il appréhende évidemment que ses avis ne soient pas suivis, et il laisse entrevoir que, dans ce cas, le pouvoir exécutif interviendra énergiquement. Avant son élection, le général avait annoncé l’intention de ne jamais faire usage du veto présidentiel, et l’opinion s’était accréditée dans le public que, si les deux chambres se trouvaient d’accord pour voter une loi en opposition avec les intérêts du sud, le président s’abstiendrait, et la laisserait promulguer par suite de sa déférence excessive pour le pouvoir parlementaire. Le général Taylor expose ses opinions à ce sujet ; il déclare qu’il regarde le veto « comme un moyen extrême auquel on ne doit recourir que dans les circonstances extraordinaires, comme lorsqu’il est nécessaire de défendre le pouvoir exécutif contre les envahissemens du pouvoir législatif, ou de prévenir une législation faite à la hâte, inconsidérée ou inconstitutionnelle. » Si l’on rapproche ces paroles de celles qui terminent le message, et dans lesquelles le président déclare « que la dissolution de l’Union serait la plus grande des calamités, » et annonce l’intention de maintenir et de défendre l’Union dans son intégrité à l’aide des pouvoirs que la constitution lui confère, on est en droit de conclure que le président ne se croirait lié par aucun engagement, si une loi fatale à l’Union venait à être votée, et qu’il n’hésiterait pas à faire usage de son droit constitutionnel.

La partie du message relative à la politique extérieure est empreinte d’une modération et d’une sagesse de vues qui annoncent que l’administration du général Taylor ne ressemblera en rien à l’administration tracassière et querelleuse de son prédécesseur. Un paragraphe est consacré à la France et constate dans les termes les plus amicaux le rétablissement des bons rapports entre les deux pays. Un autre passage s’adresse indirectement à nous, c’est celui où le président déclare que les États-Unis ne pourraient voir avec indifférence les îles Sandwich passer sous la domination d’une autre puissance. C’est une allusion à la récente expédition de l’escadre française contre Honolulu ; mais la France, qui s’était proposé de mettre le roi des îles Sandwich à la raison, n’a jamais songé à le déposséder. On doit remarquer aussi le ton conciliant avec lequel le président traite toutes les questions dans lesquelles les États-Unis ont l’Angleterre en face d’eux, et notamment la question du canal entre les deux océans, dans l’état de Nicaragua. La proposition que font les États-Unis d’envisager cette entreprise comme une œuvre internationale à laquelle tous les peuples pourront concourir, et dont les avantages seront étendus à tous, est à la fois digne d’une grande nation et conforme à l’esprit de notre temps. C’est le propre de la civilisation de rendre commun à tous les peuples ce qui peut hâter les progrès et développer le bien-être de l’humanité.

V. DE MARS

LE MAROC VIS-A-VIS DE LA FRANCE.[2]


Il y a quelques semaines, des difficultés s’étaient élevées avec le Maroc : une expédition était à la veille de partir de Toulon. Cette expédition a été contremandée, et des satisfactions ont été obtenues. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins assuré que l’avenir nous réserve des complications nouvelles avec le Maroc. Un peu plus tôt, un peu plus tard, la France, comme elle l’a fait en 1844, ou comme elle se préparait à le faire en 1849, aura à châtier ses voisins de la côte d’Afrique. Il y a là, soyons-en sûrs, des causes permanentes d’antagonisme et de conflit. Ces causes sont dans le fanatisme d’une population guerrière, insoumise, étrangère au droit commun de l’Europe, et sur laquelle le chef même de l’empire n’exerce qu’une autorité limitée, souvent contestée, impuissante. Quant aux éventualités où les intrigues et les excitations du dehors sauraient se faire de ce fanatisme un instrument et une arme contre nous, elles ne sont que trop faciles à prévoir.

Nous aurons beau user de modération, la modération ne sera comptée que pour timidité et faiblesse ; la modération appellera l’insulte. Pour maintenir la paix, si le maintien de la paix est possible, mieux vaut se montrer toujours fort et menaçant. Ce n’est point un système d’agression que l’on prétend invoquer ici, c’est un système de répression, un ensemble de vues et de moyens dont il convient dès à présent d’indiquer les conditions et les élémens propres. C’est dans la campagne de 1844 qu’il faut rechercher ces conditions ; celles-ci une fois clairement définies et posées, il sera plus facile d’en déduire, avec une juste mesure, les moyens d’action et de répression, au double point de vue de l’efficacité et de l’économie.

En 1844, Abd-el-Kader, réfugié sur le territoire du Maroc, y prêchait la guerre, et, à défaut de complicité directe et positive du gouvernement marocain, il trouvait dans le fanatisme de ses co-religionnaires un auxiliaire ardent. En même temps, une question de limites avait servi de cause ou de prétexte à des agressions partielles dont nos soldats avaient fait bonne et prompte justice. C’est dans ces circonstances qu’une expédition partit de Toulon vers le milieu de juin. Elle se composait, dans l’origine, de trois vaisseaux, d’une frégate, d’un vapeur de 450 chevaux et de plusieurs autres vapeurs de rang inférieur. La guerre n’était rien moins que décidée. On voulait seulement appuyer par une démonstration les négociations que M. le maréchal Bugeaud poursuivait les armes à la main, et au besoin seconder par une diversion ses opérations militaires. D’après cette donnée générale, et en prévision d’une occupation éventuelle, un corps expéditionnaire de douze cents hommes avait été embarqué sur les navires de l’escadre. Ceux-ci étaient pourvus en outre d’un matériel proportionné qui pût permettre quelque opération, sinon de siège, au moins d’attaque par terre, telle que le comporterait un débarquement.

L’escadre alla se réunir à Oran pour se mettre en communication avec l’armée, qui avait pris position sur la frontière. De là elle se rapprocha rapidement des côtes du Maroc pour appuyer par sa présence ou sa proximité les négociations suivies par le consul-général à Tanger. Deux points se présentaient à elle la baie de Gibraltar et celle de Cadix. Elle se porta d’abord dans celle de Gibraltar. Ce point semblait bien choisi pour assurer des communications rapides, d’une part avec Lalla-Marnia, où le maréchal avait établi le dépôt de ses ravitaillemens et le point de départ de ses courriers, et d’autre part avec Tanger. Au point de vue militaire, on pouvait toujours, à l’aide du courant de flot, porter en quelques heures les vaisseaux devant Tanger pour menacer la ville de plus près ou pour la combattre. Enfin on avait sous la main ou à portée les ressources en ravitaillemens et en charbon qu’offrait Gibraltar, puis celles de Cadix et de Malaga. Toutefois le gouvernement, mu par des considérations d’un autre ordre, puisées dans l’état de ses rapports politiques, ne voulut pas que l’escadre séjournât dans la baie de Gibraltar. En conséquence, elle dut se rendre à Cadix. Les ressources demeuraient les mêmes : les communications, moins rapides, restaient cependant assurées au moyen des navires à vapeur ; mais on se trouvait moins rapproché de Tanger, et, à cette époque de l’année où règnent les vents d’est, on n’avait plus, comme à Gibraltar, la certitude de pouvoir, y faire paraître les vaisseaux à jour et presque à heure fixes.

Cependant deux engagemens successifs avaient eu lieu sur la frontière. Les consuls avaient été retirés, non sans peine et sans quelque risque, des divers points du littoral, Larrache, Mazagan, Casablanca et Mogador. Le blocus avait été signifié aux commandans des forces navales étrangères et aux agens consulaires du littoral espagnol avoisinant. En même temps, les officiers du génie attachés à l’expédition étaient allés reconnaître, autant que les circonstances l’avaient permis, les deux points qui avaient particulièrement fixé l’attention du commandant en chef, Tanger et Mogador.

Les événemens se précipitaient : toutes les ressources dilatoires de la diplomatie arabe étaient épuisées, et le 29 juillet l’escadre quittait la baie de Cadix pour aller se montrer sous les murs de Tanger. Le plan du commandant en chef était formé : il voulait frapper sur cette ville un coup retentissant, puis se porter rapidement sur Mogador, seul port commercial de l’empire, le ruiner par le canon, s’emparer de l’île et l’occuper comme un gage jusqu’à la paix. On sait comment ce plan fut exécuté : à Mogador, les batteries du côté de la mer furent démantelées, enclouées ou jetées par-dessus les murailles, et l’île prise. Il ne restait plus qu’à occuper celle-ci et à s’y établir de manière à dominer la ville et à la tenir sous son canon. Maître de l’île, on était maître de la ville, dont on avait ruiné les défenses. On pouvait donc se borner à l’occupation de l’île. Quelles étaient les conditions de cette occupation ?

La côte de Mogador, difficilement abordable dans la saison des vents d’ouest et de sud-ouest, est battue par une grosse houle en toute saison. Le port, mal abrité, est ouvert à la mer de sud-ouest et de nord-ouest. Quant à l’île, c’est un rocher stérile ; point d’eau, point de bois, quelques abris insuffisans, des citernes vides, à moitié comblées et ruinées, des défenses hors de service : voilà quelle était la situation de l’île. Tout était donc à créer en vue d’une occupation même temporaire. En présence de la mauvaise saison qui approchait, des difficultés d’un ravitaillement et des éventualités possibles, il fallait approvisionner l’île pour un mois, former un dépôt de charbon pour les vapeurs, relever les défenses, assurer le mouillage par de solides corps-morts ; enfin, il fallait une garnison de cinq cents hommes au moins. Grace aux prévisions du commandant en chef, toutes ces conditions furent promptement et complètement remplies. Dès le lendemain de la prise, des navires chargés d’eau, de boeufs, de charbon, de vivres, de matériaux, arrivaient au rendez-vous qui leur avait été assigné. Malgré les difficultés des communications, l’armement et l’approvisionnement furent complétés en peu de jours. On tira des vaisseaux tout ce qu’ils purent fournir de vivres, ancres, chaînes, canons, poudres, projectiles, ustensiles de toute espèce ; et, lorsque le commandant en chef quitta les lieux pour se rapprocher de ses communications et se rendre à Cadix, son départ fut salué par une batterie de canons de 30 et d’obusiers de 22 centimètres, avec épaulement en terre, établie à la pointe nord de l’île et dominant la ville et ses défenses ruinées.

Tel était, au départ du commandant en chef, l’état de l’occupation ; mais, pour arriver à ce résultat, on avait épuisé en vivres et en charbon les ressources de Cadix, de Gibraltar et de Malaga ; il avait fallu agrandir le cercle de ravitaillement et le pousser jusqu’à Lisbonne, y passer des marchés, acheter des vivres et noliser des navires. Le compte de ces dépenses serait facile à faire ; on pourrait en établir le chiffre exact et savoir tout ce qu’a coûté cette occupation. Quoi qu’il en soit, le but était atteint : on avait conquis un gage dont la possession demeurait assurée jusqu’à l’époque où de nouvelles opérations deviendraient praticables ; on était maître d’une position importante qui pouvait servir de point de départ et de base d’opération pour une nouvelle et plus décisive campagne. La France, victorieuse à Isly et à Mogador, pouvait parler haut et ferme ; elle pouvait davantage : elle avait conquis le droit de se montrer grande et généreuse.

Ce n’est pas ici le lieu, et il ne nous appartient pas d’ailleurs d’examiner les conditions du traité qui intervint. Témoin et acteur dans les opérations militaires qui ont amené ce traité, nous voulons seulement examiner rapidement ces opérations, montrer le but que l’on s’était proposé, les moyens employés pour l’atteindre, et rechercher si, dans des circonstances pareilles et en prévision de difficultés nouvelles, ce but ne pourrait pas être atteint aussi sûrement et à moins de frais.

La côte du Maroc présente quatre points principaux sur lesquels on peut exercer des hostilités : Tanger dans le détroit, presqu’en face de Gibraltar ; puis, sur l’Océan, Larrache, Rabat ou Salé, et Mogador. Cette côte est battue presque incessamment par la grande houle du large. Pendant la belle saison, il y règne de fortes brises du nord avec de rares et courtes accalmies. D’octobre en avril, elle est visitée par des vents du nord-ouest au sud-ouest, et l’on sait, par de récens naufrages, que le courant porte en côte. Tel est le théâtre sur lequel on aurait à opérer. D’après ces données, et en consultant les règles ordinaires de la prudence, il semble que, d’octobre en avril, la portion de côte comprise sur l’Océan doit être interdite aux gros vaisseaux. Point d’abri pour eux, il faut gagner le large et remonter jusqu’au détroit. Cependant, en prenant Cadix pour point de départ et quartier-général, il n’est pas douteux que l’on ne pût, en choisissant son temps, et à l’aide de puissans vapeurs, porter rapidement des vaisseaux sur un des trois points cités, pour un but et une opération déterminés. Tanger est plus abordable en tout temps, surtout en prenant pour point de départ la baie de Gibraltar ; mais convient-il de renouveler la canonnade de Tanger ? Tanger est une ville trop européenne, c’est le marché de Gibraltar. En 1844, nous étions presque au lendemain de Beyrout ; rien n’avait passé sur ce souvenir. Le bombardement de Tanger répondait au bombardement de Beyrout : c’était une revanche. En 1844, une entreprise sur Tanger était chose délicate. Le serait-elle moins aujourd’hui ? Il y a là une question de convenance et d’opportunité que l’on ne saurait trancher à l’avance ; mais il semble qu’en principe c’est une ville pour laquelle l’intérêt de nos rapports internationaux commande des ménagemens. De ce point de vue, nous plaçons Tanger hors du débat, que nous transportons tout entier sur la côte de l’Océan, depuis le cap Spartel jusqu’à Mogador.

Ici deux systèmes se présentent : ou bien l’on tentera des opérations de débarquement avec ou sans occupation, ou bien l’on procédera par le canon et la bombe. Le débarquement et l’occupation, c’est un système que l’on a pratiqué à Mogador, pratiqué avec succès, à des conditions coûteuses il est vrai. Ce que l’on a fait en 1844, on pourra le faire encore ; mais convient-il de le faire ?

En 1844, l’occupation de l’île Mogador était consommée, toutes les mesures propres à l’assurer avaient été prises ; cependant un mois s’était à peine écoulé que déjà il fallait songer à une extension forcée de cette occupation. Au moment où la paix fut signée, la ville devait aussi être occupée ; le commandant en chef venait d’en prendre la résolution.

On connaît la position de l’île Mogador. Le mouillage, ou, si l’on veut, le port, ouvert au nord et au sud, est entre cette île et la côte. La ville n’est pas vis-à-vis, elle est un peu au nord, et l’un des côtés du triangle qu’elle forme peut battre le mouillage avec quelques canons placés sur un bastion ou tour. On avait, il est vrai, encloué ces canons, et la batterie était demeurée muette ; mais bientôt les indigènes, se ravisant, signalèrent tout d’un coup leur retour et leur présence par plusieurs boulets qui vinrent tomber au milieu des navires mouillés dans le port. Ce n’est pas tout : au sommet des petites dunes de sable qui bordent la plage du côté de terre, on vit ou l’on crut voir que le terrain était remué journellement, que l’on semblait y faire des travaux. Rien de plus naturel à penser, car rien n’était plus facile que de transporter là du canon et de canonner le mouillage. On pouvait le faire presque impunément. Plus tard, on reconnut que l’on s’était trompé. Quoi qu’il en soit, l’éveil était donné c’était là le côté faible. Si les Marocains s’avisaient de cet expédient si simple, il fallait quitter le mouillage intérieur. De ce moment, l’île demeurait sans communications assurées, livrée à ses propres ressources défensives et à des chances précaires de ravitaillement pendant toute la mauvaise saison Ainsi il était constaté que l’occupation de file ne garantissait pas l’occupation du port. À cette occupation il fallait donc ajouter celle de la ville, qui permettait d’enfiler ou de prendre à revers tous les travaux que l’ennemi aurait pu exécuter sur la plage, et de les détruire au besoin par des sorties. Voilà pourquoi et comment on était conduit à occuper la ville ; mais, s’il avait suffi de cinq cents hommes pour l’île, il n’en fallait pas moins de deux mille à deux mille cinq cents pour cette seconde occupation. Que l’on compte les frais de la première, et l’on pourra, par comparaison, se rendre compte de ce qu’aurait coûté la seconde.

Et puis, se serait-on arrêté là ? n’aurait-il pas fallu s’étendre en dehors des murs de la ville, dominés à petite distance par des monticules, ou remonter jusqu’à sa source le cours de l’aqueduc qui lui donne de l’eau ? C’est ainsi qu’une occupation, même temporaire, tend toujours, par des entraînemens inévitables, à s’étendre et à s’agrandir. Peut-on jamais prévoir à coup sûr si les nécessités de la défense ne forceront pas à reculer les limites que l’on avait d’abord assignées à une occupation ? C’est sur une plus petite échelle l’histoire de l’Inde anglaise, et l’Algérie est là comme exemple, sinon comme enseignement.

Sans rechercher s’il convient à la France et à sa politique de poursuivre sur la côte d’Afrique des agrandissemens de territoire, on peut étudier les conséquences possibles d’un système d’occupation, appliqué comme système de répression. C’est ce que nous avons cherché à faire. Nous ne connaissons les autres points de la côte, Larrache et Rabat, que pour les avoir vus en passant et de loin. Assise sur un plateau élevé, Larrache a paru d’un accès difficile. Quant à Rabat, la rivière qui la sépare en deux permettrait, au moyen de vapeurs d’un faible tirant d’eau, de porter au cœur de la ville un corps de débarquement. C’est une étude à faire. Il importe dès aujourd’hui de posséder une reconnaissance exacte et complète de ces points aussi bien que de toute la côte, en vue d’une guerre offensive et dans la prévision d’une répression à exercer

Tels sont, tels ont paru être du moins, dans l’état actuel des intérêts et des rapports extérieurs de la France, les inconvéniens d’un système d’hostilités vis-à-vis du Maroc qui comporterait l’occupation de quelque point de la côte. C’est un système non-seulement coûteux, nous le croyons en même temps compromettant ; nous croyons qu’il est propre à engager le pays, malgré lui et contre ses intérêts ou les vues de sa politique, dans une voie d’agrandissemens territoriaux. C’est au gouvernement qu’il appartient de juger si le temps est venu de marcher dans cette voie ; mais il s’agit dès à présent de bien savoir ce que l’on veut, de bien définir le but que l’on se propose, et de s’en rendre exactement compte. Si l’on veut seulement exercer une répression énergique, efficace, sans se lancer dans les hasards d’une occupation, s’il est bien entendu que la France ne veut pas d’agrandissemens en Afrique, qu’elle n’a que faire des villes et du territoire du Maroc, à quoi bon mettre à bord des vaisseaux auxquels on aura confié le soin de cette répression des troupes et un matériel de débarquement ? L’expédition qui devait, il y a quelques semaines, partir de Toulon, portait huit cents hommes de troupes. C’était trop ou trop peu. En 1844, le corps expéditionnaire comptait douze cents hommes, et ces douze cents hommes n’auraient pas suffi pour occuper la ville de Mogador. C’était donc trop peu, si l’on voulait s’emparer d’un point de la côte et l’occuper ; si l’on ne voulait ni l’un ni l’autre, c’était trop. Nous le répétons : il faut avant tout bien savoir ce que l’on veut et ne pas aller à l’aventure, sans objet bien déterminé, encombrer les vaisseaux d’un personnel inutile. Ce sont des bouches qu’il faut nourrir, et cette nécessité peut gêner et même paralyser les opérations.

Dans le système que l’on a en vue, point d’occupation, point de troupes de débarquement : on demande comme corps de bataille trois vaisseaux au moins, quatre au plus, deux bombardes et autant de grands vapeurs que de vaisseaux. À ces grands vapeurs destinés à la remorque, on joindrait d’autres vapeurs plus petits, dont le rôle serait de guerroyer tout le long de la côte depuis Tétouan jusqu’à Mogador, interceptant le commerce et les communications, et tenant, par leur présence et leur canon, tout le littoral dans un état perpétuel d’alarmes. Le quartier-général serait à Cadix. De là, les vaisseaux pourraient, en quinze heures, paraître devant Larrache, quinze heures après devant Rabat, et, en moins de trois jours, à compter du point de départ, devant Mogador. On ruinerait ces villes par le canon et par la bombe. Les bombardes tiennent ici une place essentielle. Dans l’état précaire de nos rapports avec le Maroc, il importe d’être toujours prêt à venger une insulte, à châtier un acte de violence ou d’agression. Les bombardes à voiles de 1830 et de 1838 n’existent plus. Faut-il en construire d’autres ? Oui sans doute, mais non plus à voiles ; celles-ci ont fait leur temps : il faut aujourd’hui des bombardes à vapeur. Deux suffiraient, car on comprend tout ce que la sûreté et la rapidité de leurs mouvemens ajouteraient à leur efficacité. Quelles sont les conditions nouvelles qui devraient présider à leur construction ? A première vue, et autant qu’il est permis d’exprimer une opinion à cet égard, on est disposé à croire que l’hélice ne conviendrait pas ici comme moteur. L’arbre a trop de portée ; l’ébranlement produit par l’explosion pourrait, sinon le fausser, au moins apporter quelque dérangement dans sa position. Le vapeur à roues, avec des bâtis en cornières, paraît mieux approprié. L’appareil ramassé au centre du navire permettrait d’établir facilement deux plates-formes, reposant sur carlingue au moyen de massifs en madriers superposés ; l’ébranlement agissant sur l’ensemble de l’appareil et du mécanisme dans le même sens et y produisant un ébranlement égal et uniforme, dont toutes les composantes seraient parallèles, ne paraît pas de nature à y porter un trouble dangereux. Au reste, l’idée des bombardes à vapeur devrait être soumise à l’examen et à l’étude des hommes spéciaux. C’est à eux qu’il appartient de décider de la valeur pratique de cette idée et de rechercher les conditions réelles de son application.

Tel est, dans ses données générales, le plan qui nous a paru répondre aux exigences de notre situation vis-à-vis du Maroc. Cette situation ne peut exister dans des conditions de bon voisinage. Ce qui vient de se passer à Tanger se renouvellera là ou ailleurs, et la France veut et doit protéger ses nouveaux sujets algériens comme elle veut et doit protéger sa frontière algérienne. Pour être efficace, cette protection doit être prompte et énergique. On connaît par expérience toutes les ressources, tous les expédiens dilatoires de la diplomatie marocaine. Ce n’est pas en traitant, c’est en réprimant que l’on en viendra à bout ; c’est par la crainte seulement que l’on pourra fonder et affermir la sécurité et la paix de l’avenir.

C’est parce que nous sommes bien convaincu de cette vérité, que nous avons recherché si, aux hasards d’une expédition coûteuse et comparativement lente à accomplir, compromettante dans ses conséquences, il ne conviendrait pas de substituer un autre système de répression plus sûr, plus rapide et plus économique. Ce système n’offre pas, on l’avoue, au même degré du moins, les chances et l’attrait d’un brillant coup de main bien conçu, hardiment exécuté ; mais il s’agit ici d’un système et non pas d’un fait de guerre isolé, d’un accident : il s’agit surtout d’un but sérieux à poursuivre, et nous croyons qu’il faut savoir ici sacrifier le côté brillant à des considérations sérieuses.

Que si l’on pouvait espérer, en frappant un grand coup, de fonder une fois pour toutes une paix durable, de conquérir par un grand effort les avantages et la sécurité d’un bon voisinage, nous admettrions volontiers, le cas échéant, l’opportunité d’une expédition en règle, avec ses charges et ses hasards ; mais tel ne serait pas le résultat des sacrifices que l’on s’imposerait. Il faut bien s’y attendre : nous aurons long-temps à lutter contre nos fanatiques voisins ; la paix ne sera qu’une trêve. En 1844, la France a dirigé une expédition contre le Maroc ; elle était à la veille d’en faire partir une autre en 1849. La trêve a donc été de cinq ans, et pourtant la leçon avait été rude, le canon d’Isly avait répondu victorieusement au canon de Tanger et de Mogador. D’ailleurs, la situation politique de la France a été profondément modifiée au dedans et au dehors il est donc permis de croire à des trêves moins longues aujourd’hui.

Nous avons essayé de rendre sensibles par un exemple les inconvéniens du système d’occupation ; nous avons voulu démontrer que ce système de guerre, pratiqué en 1844, alors qu’il était permis d’en attendre une paix durable, pouvait, en y persistant, embarrasser la politique du pays et le jeter, contre son gré, dans les hasards d’une guerre de conquête. Quelles que soient les destinées que la Providence réserve à notre pays sur la terre d’Afrique, quelle que puisse y être un jour sa part d’action et d’agrandissement, il a aujourd’hui une autre tâche à remplir : c’est, avant tout, d’y consolider et d’y affermir l’œuvre commencée depuis bientôt vingt ans. Or, pour consolider et affermir, il faut nous tenir toujours prêts à réprimer.


BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.


LITTERATURE ANGLAISE, — Redburn, — his first Voyage (Redburn, son premier Voyage), par Hermann Melville.[3]

M. Hermann Melville, l’auteur de Typee, d’Omoo et de Mardi[4], vient de paraître de nouveau devant le public. Son livre n’est pas un de ces récits dramatiques dont les péripéties coupent la respiration du lecteur. Il n’a même pas tout ce qui faisait le charme particulier de Typee, cet intérêt romanesque qui s’attache à des sites insolites et à des aventures extraordinaires dans un monde où tous nos souvenirs sont déroutés ; ce n’est pas davantage, enfin, un de ces vastes tableaux qui embrassent toute l’humanité. Rien de pareil. L’ouvrage de M. Melville est simplement l’histoire d’un jeune garçon qui quitte sa, famille, après des revers de fortune, pour s’embarquer comme mousse à bord d’un vaisseau marchand. Son voyage à New-York, sa traversée d’Amérique à Liverpool, son séjour au port et son retour au pays, tels sont à peu près les seuls incidens de ce roman-biographie. À peine sont-ils suffisans pour remplir deux volumes, et plus d’un passage accuse cette fois M. Melville d’avoir trop écrit en vue de faire un livre. Cependant, dans cette œuvre encore, il a conservé le privilège de ne pas être un écrivain comme tout le monde. Il saisit, il a un talisman. Nous avons appelé Redburn un roman-biographie, peut-être aurions-nous mieux fait d’employer le mot autobiographie. Il semble en tout cas que la narration soit composée de deux parties écrites à des époques différentes. Si dans la seconde moitié de l’ouvrage on sent l’homme de lettres, tout le début est évidemment inspiré par des souvenirs encore tout vivans. Les premiers symptômes de l’esprit aventureux de Redburn, ses projets de voyage, sa misanthropie enfantine, tout cela est peint et précisé avec une netteté sans emphase qui révèle une étude d’après nature. On n’invente pas de telles choses. C’est bien là l’enfant qui se sent pauvre et isolé ; c’est bien là l’enfant d’une race particulière, le jeune Anglo-Saxon encore indompté avec son étrange mélange de rudesse et de sensibilité, de rêveries affectueuses et d’instincts volontaires, sauvages, presque farouches. L’équipage au milieu duquel le jeune mousse se trouve jeté n’est pas moins frappant de réalité. Quoique les peintures de la vie maritime se comptent par centaines, la rapide esquisse de M. Melville ressort dans le nombre comme une esquisse photographique parmi des tableaux de fantaisie. Elle nous met sous les yeux des marins, et, qui plus est, des marins anglais et américains, monde à demi barbare, où l’on comprend vite que l’on ne peut compter que sur soi, que l’on obtient seulement d’autrui ce qu’on sait conquérir ; rude école où l’on apprend vite la nécessité d’user de ses yeux pour se conduire, et d’où l’on sort trois fois homme, quand on n’y a pas laissé sa faculté d’aimer et de plaindre. Un homme habitué à étudier ses semblables aurait fort à faire pour éviter de se heurter aux rochers vivans de ces parages. Imaginez-vous au milieu de ces sauvages un pauvre enfant qui, dans son village, était membre d’une société de tempérance, et qui avait entendu dire au prédicateur de sa paroisse que les marins n’étaient que des brebis égarées ! Jusque-là, jusqu’à l’arrivée à Liverpool, la narration ressemble à une chronique. Rien n’y est exagéré, on le comprend ; point de jugemens, peu de réflexions, point d’idées générales. Le style n’est pas toujours fort soigné ; les mais et les quoique se présentent aussi souvent qu’ils peuvent rendre service. Qu’importe ? les phrases se déroulent comme les pensées et les impressions s’engendrent et se succèdent dans une ame d’homme. Chaque mot est marqué à l’empreinte d’une sensation vive et neuve. Dans le reste de l’ouvrage, c’est l’auteur de Mardi qui reparaît. Il spécule, il est philosophe, il chante les destinées de l’Amérique et l’éternelle mobilité des choses. Souvent il se lance dans un idéalisme un peu creux ou voisin de l’utopie ; souvent il tombe dans l’ampoulé, dans cette exaltation de la chair et du sang à laquelle les Américains sont aussi enclins que nous ; mais là encore l’originalité et la verve ne l’abandonnent jamais, et si, après avoir lu, on n’est pas toujours satisfait, en lisant, on est entraîné par la verve du conteur comme par le prestige de toute vitalité puissante


Visits to Monasteries in the Levant, par l’honorable Robert Curzon[5]. - M. Curzon, pour employer une expression qu’il applique lui-même à l’ancien voyageur Maundrell, n’est pas de ceux qui encombrent leurs narrations d’opinions et de digressions, et qui, au lieu de décrire un pays, décrivent seulement ce qu’ils en pensent. Observateur curieux et sincère, il saisit bien le côté pittoresque des choses, il a de l’entrain, il a des connaissances spéciales, et jamais il ne tombe dans ce lyrisme ou ce babil de touriste qui fait songer aux causeurs toujours préoccupés de dire à tout prix de plus jolis mots que leurs interlocuteurs. Quoique son ouvrage ne soit pas spécialement une étude sur l’architecture et l’ornementation des monastères de l’Orient, comme son titre pourrait le faire croire, l’archéologue lui-même y peut beaucoup apprendre. Depuis plusieurs années, on s’est fort occupé en Angleterre d’iconographie religieuse. Le travail de lord Lindsay sur l’Art chrétien, les études de mistress Jameson sur l’Art légendaire, les patientes recherches de M. Eastlake et bien d’autres travaux attestent assez que c’en est fait des fureurs iconoclastes du calvinisme. Pour comprendre les premiers essais de la peinture moderne, il a fallu les commenter par les légendes et les mœurs de l’église primitive, et de la sorte tout le moyen-âge s’est trouvé en cause. M. Curzon est venu à son tour apporter son tribut de documens sur cette question si complexe de l’art chrétien. De 1833 à 1837, il a été presque constamment occupé à parcourir l’Égypte, la Syrie, l’Europe orientale ; tour à tour il a visité des lieux rarement fouillés par les touristes : le désert de Nitria, le Pinde, le mont Athos. Ur des grands charmes de son livre, c’est qu’il soulève un voile derrière lequel nous apercevons avec étonnement des vivans qui semblent être les fantômes des chrétiens des premiers siècles. En s’enfonçant dans les solitudes où la vie monastique a pris naissance, M. Curzon y a retrouvé cet ascétisme asiatique que nous avons dépassé, mais qui s’est immobilisé chez les Coptes et les Abyssiniens avec toute sa soif d’inertie. Sur les murs des couvens du mont Athos et du Pinde, c’est l’art du moyen-âge qui s’est pétrifié en quelque sorte, et qui jusqu’à nos jours n’a pas cessé de reproduire les images traditionnelles. Partout l’immobilité, partout aussi les traces des trois formes de l’ancien cénobitisme : l’ermitage solitaire, — le village composé de cellules groupées, — et le couvent, ou communauté monastique. La bibliographie doit aussi des remercîmens au noble voyageur. C’est la passion des vieux livres qui l’a entraîné vers les ruines des couvens autrefois peuplés par les disciples de saint Macaire ; c’est elle qui l’a conduit aussi au milieu des dangereux défilés de l’Albanie. En Égypte surtout, M. Curzon a découvert bon nombre de manuscrits cophtes, syriaques, grecs et arabes, et lui-même en a rapporté plusieurs en Europe, entre autres un dictionnaire cophte et arabe. Près de la mer Morte, le hasard lui a fait faire une autre découverte : celle des fruits de cendre dont parle la Bible, et qui semblent être des excroissances produites par un insecte sur une sorte d’ilex. Plusieurs de ces fruits trompeurs, fort semblables en apparence à des prunes, ont été remis par M. Curzon à la société linnéenne, qui en a fait le sujet d’un mémoire. Somme toute, M. Curzon a voyagé en homme instruit, et peut-être son livre est-il appelé à diriger d’autres observateurs vers des contrées trop peu explorées jusqu’ici, et qui peuvent fournir de précieuses données sur l’histoire des sociétés humaines comme sur l’histoire de l’art.


Notes of an Irish Tour (Notes d’une excursion en Irlande), par lord John Manners[6]. — Il est impossible de prononcer le nom de lord John Manners sans éveiller le souvenir de la jeune Angleterre, et quoique ses notes de voyage ne forment qu’une mince brochure, les allusions qu’il fait, dans sa préface, à certaines critiques politiques auxquelles il s’attend ne nous permettent pas d’oublier que sous le petit livre se cache un parti. Quel est donc ce parti ? On connaît les luttes que se livrèrent sous Jacques Ier l’église épiscopale et le puritanisme. On sait que sous Jacques II, à propos d’une ordonnance qui décrétait de par le roi la liberté des cultes, et qui, de par le roi, avait été envoyée au clergé pour être lue du haut de la chaire, l’église établie se divisa en deux branches, qui jusqu’à nos jours sont restées séparées sous le nom de haute et basse église (high church et low church.) La haute église est tory, la basse église est whig. Avec Guillaume III, ce furent les principes whigs de la basse église qui arrivèrent au pouvoir, et c’est contre ces idées qu’éclata, on le sait, la réaction à laquelle le docteur Pusey attacha son nom. La jeune Angleterre peut être regardée comme l’expression militante et politique de l’école de jeunes théologiens qui s’est formée autour du docteur d’Oxford. Peut-être s’est-on exagéré la portée de ce mouvement. On y a vu un retour au catholicisme, tandis que c’était simplement un retour aux principes de ce vieux parti tory et épiscopal qui a pour saint l’archevêque Laud, qui de tout temps a sympathisé avec les catholiques par antipathie pour les puritains, mais qui, tout en cherchant à rétablir les pompes du culte et à faire de l’église l’interprète nécessaire de la loi, n’a nullement eu en vue de donner pour chef à sa hiérarchie le souverain pontife de Rome. Que l’avenir ait peu à attendre de cette réaction, l’expérience semble déjà le prouver ; car à Oxford le puseyisme s’éteint pour faire place à un scepticisme chrétien, à une sorte d’idéalisme mystique qui va à pleines voiles vers les doctrines du docteur Strauss. Toutefois, les exagérations et les aberrations de la logique calviniste ont assurément donné une certaine importance à la nouvelle secte, et elle a au moins fait œuvre utile en prenant en main, n’importe pour quelle raison, la défense des catholiques.

Comme ses précédens écrits, le petit livre de lord John Manners laisse percer toutes les tendances du parti. Il est toujours fort préoccupé de liturgie ; il revient jusqu’à quatre fois à la charge pour dénoncer les temples où la collecte n’est point faite au moment voulu, et où les offrandes des fidèles ne sont pas présentées à l’officiant suivant les prescriptions du rituel. Dans toute sa relation, il y a un étrange mélange de sentiment religieux et de passion archéologique ; il s’indigne contre les calvinistes, parce qu’ils ont défiguré les églises en y élevant de vilaines cloisons de bois. Par instans, on croirait entendre un écho de nos néo-catholiques, qui voulaient croire parce qu’ils trouvaient la Bible plus poétique qu’Homère. En un mot, on s’aperçoit qu’à leur origine les enthousiasmes de la jeune Angleterre n’ont guère été qu’une religion et une politique de sentiment. Hâtons-nous de l’ajouter cependant, quel qu’ait été le point de départ, on sent aussi que pour le noble auteur l’expérience est venue. Non-seulement son petit livre est écrit, d’un style simple et facile, non-seulement il révèle un esprit ouvert aux impressions de la nature, il atteste encore un désir sincère d’observer et d’apprendre. On aime à voir le soin avec lequel le voyageur visite les prisons, les workhouses, les écoles, les établissemens publics de tout genre. En quelques mots, voici les principales de ses conclusions. Tout en témoignant un vif intérêt pour le clergé catholique, et même pour les communautés religieuses, pour les frères de la doctrine chrétienne et les sœurs de la miséricorde, lord John Manners ne soutient pas moins que l’église protestante est canoniquement et légalement l’église officielle de l’Irlande ; seulement il voudrait que le culte catholique fit doté, et il pense qu’en ce moment le clergé romain ne refuserait pas une dotation. À l’égard de l’éducation, il se prononce contre le système qui prétend donner la même instruction laïque à toutes les communions, en laissant chacune d’elles recevoir à part un enseignement religieux suivant ses croyances. Sans se déclarer partisan du rappel, il témoigne un grand respect pour la jeune Irlande, qu’il défend contre les attaques de Conciliation-hall. Loin de penser que les petites fermes soient la plaie du pays, il est d’avis que la misère vient surtout de ce que le paysan qui, faute de capital, ne peut cultiver que cinq à six arpens, en prend cent à fermage, dans l’espoir de sous-louer, et en conséquence il voudrait limiter les fermes à une étendue de dix arpens. L’impression qui se reproduit du reste à chaque ligne de ce livre, c’est que la race irlandaise n’est pas la race anglaise, et que l’économiste saxon a une clé du cœur humain qui se trouve ne pas ouvrir le cœur de l’Irlandais. Il est bon que de temps en temps on rappelle aussi aux théories qu’elles ne sont que des théories. Le beau rôle de la jeune Irlande a été de répéter cette vérité, aux calvinistes et à l’économie politique, mais reste la grande question : comment agir ? et peut-être n’est-ce pas la jeune Angleterre qui doit la résoudre ?

J. M.


V. DE MARS.

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1850.
  2. Nous avons reçu cette note d’un officier de marine bien placé pour juger les choses, au moment où une lutte nouvelle paraissait imminente avec le Maroc. Le conflit s’est tout d’un coup évanoui ; nous n’en publions pas moins cette note, parce qu’elle peut avoir encore son utilité, bien que les difficultés aient momentanément disparu.
  3. Deux volumes. Richard Bentley, Londres, 1849.
  4. Voyez, sur les précédens ouvrages de M. Hermann Melville, la Revue du 15 mai 1849.
  5. Un vol. avec planches et gravures. Londres, J. Murray.
  6. 1 vol. in-18. Londres, 1849, J. Olivier, Pall Mall.