Chronique de la quinzaine - 14 juin 1835
14 juin 1835
L’intervention est toujours le grand mot qui préoccupe les esprits. Toutes les agitations, toutes les inquiétudes se sont effacées devant celle-ci ; et à l’heure qu’il est, on est loin d’être tranquille sur cette question qui n’est pas près d’être résolue. « L’affaire de l’intervention en Espagne commence seulement aujourd’hui, » disait M. Molé à M. de Talleyrand, qui se réjouissait de la voir terminée par la réponse de l’Angleterre ; et tout annonce que les prévisions de M. Molé étaient fondées.
Ce qui s’est passé depuis quinze jours dans ce ministère, au sujet de l’intervention, est assez curieux, bien que de peu d’importance encore. Ce sont de sourdes et timides menées, de petits soulèvemens silencieux qui attendaient pour éclater une heure qui n’est pas venue, et qui viendra peut-être, quoique tout le cabinet la craigne. Il y a eu, dans cette circonstance, des réticences et des restrictions pleines de hardiesses, comme il y a eu des élans et des provocations qui n’étaient que de la frayeur ; et au milieu de tout cela, le roi a été ferme et inébranlable ; d’un petit mot d’écrit, bien simple et bien net, il a arrêté court toutes les intrigues de France et d’Angleterre. Si S. M. de Broglie Ier joue un peu le rôle de roi fainéant dans cette affaire, il faut reconnaître qu’il est impossible d’avoir un ministre plus éveillé et plus actif que celui qu’elle possède dans la personne de Louis-Philippe !
Mais avant d’aller plus loin, nous devons reconnaître publiquement une erreur que nous avons commise dans notre dernière chronique, et dire que nos informations, ordinairement assez exactes, on l’a pu voir, nous avaient trompés sur un point qui n’est pas sans importance. Il s’agit de l’opinion de M. Guizot au sujet de l’intervention. On croyait généralement que M. Guizot était enrôlé sous la bannière de M. Thiers en cette circonstance, et qu’il avait poussé, avec lui, ce cri de guerre qui avait tant offusqué les oreilles du roi. Nous le pensions aussi ; et en cela nous faisions tort à M. Guizot. Jusqu’au dernier moment, au contraire, c’est-à-dire jusqu’au jour de la réponse de l’Angleterre, M. Guizot a eu le courage, on pourrait dire la témérité, de n’avoir pas d’avis sur l’intervention. Dans le conseil, au château et dans les salons ministériels, M. Guizot s’abstenait de formuler une opinion, de répondre par une décision à toutes les incertitudes qui s’adressaient à lui. De là notre erreur. Dans l’intimité seulement, M. Guizot émettait de hautes et solides raisons contre une intervention en Espagne ; mais il ajoutait aussitôt que les raisons contraires étaient bonnes et solides aussi, et qu’il fallait les entendre. Dans une affaire aussi importante que celle-ci, où tous les intérêts de l’Europe se trouvent en question, ajoutait-il, il ne savait pas se décider avant l’heure, tant la réflexion lui semblait nécessaire ; il attendrait donc le moment de signer la délibération du conseil pour avoir une opinion arrêtée, et, jusque-là, il était prêt à discuter pour et contre, avec une égale bonne foi. Pendant ce temps, M. Thiers marchait chevaleresquement à la conquête de l’Espagne, tambour battant et enseignes déployées, et portant en croupe, pour toute armée, son jeune collègue M. Duchâtel. Fidèle à ses engagemens politiques, M. Guizot annonçait hautement toutefois l’intention de se retirer si M. Thiers quittait le ministère ; et M. Thiers déclarait, de son côté, qu’il remettrait son portefeuille si l’intervention n’était pas adoptée. Ainsi M. Guizot serait sorti du cabinet par le fait même de l’adoption de ses principes, car on n’en peut douter, sous le voile dont il couvrait sa pensée, M. Guizot était opposé à un acte d’intervention en Espagne.
M. Guizot faisait circuler sa pensée par M. de Broglie, ainsi qu’autrefois les hauts barons faisaient porter leur lance par un écuyer. M. de Broglie parlait hautement contre l’intervention, si hautement que, vu les réticences de M. Guizot, on crut un moment à la séparation de ces deux anciens amis politiques ; mais M. de Broglie parlait seulement, et pendant ce temps le roi et M. Thiers travaillaient activement, chacun dans son sens, et l’un contre l’autre. La lutte finie, il reste prouvé que le ministre, près du maître, n’est encore qu’un écolier.
On assure que M. Thiers avait expédié à M. Villiers, ambassadeur d’Angleterre à Madrid, une lettre dictée à M. Mignet, où celui-ci engageait le jeune envoyé, son ami, à presser lord Palmerston dans le sens de l’intervention. Une lettre fort pressante de M. Villiers a été effectivement envoyée au cabinet anglais, et lord Palmerston, qui a une grande confiance en M. Villiers, eût été fort ébranlé par ce message, sans l’arrivée d’une autre lettre tout-à-fait décisive, et dont il a été parlé dans les journaux.
Cette lettre était de l’adversaire de M. Thiers, mais elle avait été transcrite par M. Sébastiani, sous forme de note secrète. Elle était brève, succincte et péremptoire. On y faisait sentir, en peu de mots, tous les inconvéniens de l’intervention, ses dangers, et on y déclarait que le roi des Français ne donnerait jamais de sa pleine volonté les mains à cette mesure. La note de l’ambassadeur français fut déposée sur la table du conseil privé, en même temps que la lettre de M. Villiers, qui réclamait le secours de l’Angleterre en faveur de l’Espagne, et que la dépêche du ministère français, qui offrait de joindre ses forces à celles de l’Angleterre pour venir en aide à la reine Christine. On sait la réponse de l’Angleterre.
Depuis ce jour, M. Thiers ne parle plus d’intervention ; une assistance indirecte lui semble suffisante, et personne n’est plus pacifique que lui à cette heure. S’il faut en croire quelques bruits, la campagne ministérielle serait déjà faite, et l’intervention n’aurait eu lieu qu’à la Bourse, où des bénéfices énormes ont été réalisés, grace à la baisse subite causée par ces vives démonstrations de guerre.
On se bornera donc à laisser le passage des frontières libre aux recrues volontaires qu’on lève déjà de tous côtés, et à céder à la reine Christine la légion étrangère que nous possédons à Alger. Céder est le terme qui est employé dans la dépêche adressée, il y a trois jours, au cabinet espagnol. Le gouvernement de la reine paiera lui-même la solde de ces troupes ; mais il va sans dire que c’est nous qui la fournirons.
Pendant toute cette affaire, terminée par le roi en personne, le roi, comme on l’a dit, a été inébranlable. Quelqu’un qui ne l’a pas quitté depuis plus de vingt ans, disait qu’il ne l’avait jamais vu se prononcer aussi fortement. On a cité ce mot de sa majesté. « Je changerais plutôt sept fois de ministère que de céder sur cette question. » Ce mot est vrai. Le roi a dit encore : « Je prendrais demain un ministère dans la gauche, oui, dans la gauche, si cela était nécessaire pour éviter l’intervention. »
Quoi qu’il en soit et quoi qu’il advienne, le roi ne prendra pas un ministère de la gauche, mais il est certain qu’il cherche, avec sa prévision ordinaire, à se préparer un cabinet pour remplacer celui-ci. Le maréchal Soult est tombé en ruines, le tiers-parti n’existe plus, même de nom ; l’extrême gauche se divise en vingt fractions, qui sont toutes plus antipathiques au roi les unes que les autres ; on voit qu’il n’est pas facile de trouver des ministres à son gré, ou même des ministres. Cependant, au milieu des débats que la question d’intervention a fait naître, et dans les craintes qu’elle a causées, on s’est encore une fois souvenu de M. Molé. On s’est rappelé que M. Molé avait posé et défendu le principe général de non-intervention à une époque où il y avait du courage et une haute habileté à le faire. L’Europe vivait alors sur un principe contraire. La sainte-alliance y dominait, et s’était engagée à comprimer toutes les révolutions qui pourraient éclater dans les états dont les souverains avaient signé le traité de Vienne. Or on sait que la France y avait accédé, et que la campagne d’Espagne lui avait été imposée en vertu de ce traité. En posant, en 1830, le principe de non-intervention, M. Molé avait créé un nouveau droit public en Europe. Il avait sapé le principe fondamental de la sainte-alliance, préparé notre coalition avec l’Angleterre, et par suite la quadruple alliance. L’indépendance de la Belgique avait été le premier résultat de ce principe fécond, fécond dans ses développemens surtout, en ce que la France, en exigeant la non-intervention des puissances, avait déclaré qu’elle interviendrait partout où une autre puissance s’aviserait d’intervenir. On peut donc juger combien la conversation de M. Molé était recherchée ces jours passés au château ; comme on le citait, comme on s’appuyait de ses argumens, lui la non-intervention en personne ! Il est vrai que M. Molé exerce encore une haute influence en Angleterre, où il compte beaucoup de partisans et d’amis, et qu’on espérait le faire servir à contrebalancer les menées de M. Thiers. Avec l’urgence, le crédit de M. Molé a dû diminuer ; mais comme il l’a dit, la question d’intervention commence seulement, et il se peut que bien prochainement on ait recours à lui.
Le procès épisodique de la chambre des pairs s’est terminé par des rigueurs qu’on a peine à s’expliquer, tant la répartition en est peu régulière. La condamnation des deux gérans à un mois de prison et à dix mille francs d’amende satisfaisait, ce nous semble, à la loi ; ou pour vrai dire, c’était, après les révélations de l’audience, tout ce qu’un juge rigoureux pouvait tirer de la cause, la loi à la main. Mais la juridiction des pairs est une chambre étoilée, qui réunit deux ou trois mandats, applique la loi, la restreint ou la rejette à son gré, qui venge ses offenses, celles de la société, celles de ses membres en particulier, et de ses membres comme corps constitué, qui se fait solidaire de l’ancienne chambre des pairs, élaguée par la révolution de juillet, et de la nouvelle, augmentée par cette même révolution, qui tient à la fois de la chambre viagère et de la chambre héréditaire, qu’on blesse en attaquant et le conseil des anciens et le sénat, qu’on trouve sur sa route quand on flétrit l’an vi, quand on blâme 1815, quand on méprise 1820, et quand on loue 1830. D’après cette énumération de qualités ou plutôt de vices, la chambre des pairs n’a pas puni le quart des irrévérences dont elle a été l’objet dans le cours de ce procès incidentel. M. Trélat lui-même, condamné à trois ans de prison et à dix mille francs d’amende, n’a pas une peine proportionnée aux coups sans nombre dont il a frappé ce grand corps tout couvert de plaies récentes et anciennes.
Comme il y a toujours quelque chose de la faiblesse humaine dans les jugemens des hommes, quelle que soit leur dignité et l’éminence de leur position, on nous permettra de dire que, part faite aux dispositions de la loi qui a été appliquée par la chambre à MM. Michel de Bourges et Trélat, leurs condamnations respectives peuvent se résumer par leurs propres paroles. M. Trélat, les yeux baissés, la figure calme, les mains paisiblement posées sur la barre, avait dit à ses juges, d’une voix douce et timbrée : « Messieurs, ce n’est pas d’hier que datent nos inimitiés. En 1815, j’ai pris les armes pour m’opposer au retour de vos gracieux maîtres ; en 1830, j’ai fait mon devoir comme beaucoup d’autres, heureusement ; et huit jours après, je reprenais encore mon fusil, moi qui ne suis pas un homme de guerre, et je me rendais au poste que Lafayette nous avait assigné, pour marcher contre vous personnellement, messieurs. »
Au bout de ces paroles de M. Trélat, nous lisons dans les journaux Agitation dans la chambre. C’est frémissement qu’il fallait dire.
M. Michel de Bourges, au contraire, de ce ton qu’on lui connaît, les épaules hautes, avec ce sublime geste naïf qui lui est familier, le bras étendu, la main ouverte, comme s’il voulait, de cette main large et nerveuse, renverser les obstacles qu’on lui oppose, M. Michel avait dit : « Voyons, messieurs les pairs, quel est le mot qui vous a le plus blessé dans notre lettre ? C’est le mot ennemis. Il y est. Je ne le nierai pas. Humainement parlant, j’en conviens, c’est peu honnête. Cependant, messieurs les pairs, je ne crains pas de vous le répéter. Je vous regarde comme nos ennemis, comme nos ennemis politiques. Mais voulez-vous que je vous dise toute la vérité ?… Je n’ai pas la plus légère haine contre vous. Il y a mieux. Depuis trois jours que nous avons des rapports ensemble, nous nous connaissons mieux. Peut-être trouvez-vous que je ne suis pas si terrible que vous l’avez cru d’abord, et moi, il faut vous le dire, nos rapports m’ont prouvé que vous valez mieux que votre institution. »
La salle entière a ri de cette apostrophe ; M. de Lascours lui-même riait aux éclats.
Il résultera de ces interpellations habiles ou hardies, violentes ou modérées, de ces condamnations équitables ou non, que la chambre des pairs y regardera de plus près à l’avenir, avant que de compromettre sa dignité dans une lutte corps à corps avec des hommes à qui le talent ne manque pas plus que le courage. En Angleterre, si la chambre haute s’était exposée à entendre deux fois des discours du genre de ceux-ci, il y a long-temps que son existence, comme premier corps politique, serait terminée.
Il reste encore bien d’autres écueils devant la chambre des pairs. Que fera-t-elle des accusés absens ? Il avait été décidé qu’on les jugerait comme contumaces, et qu’on leur donnerait un an pour en appeler à la chambre même ; mais chaque jour on adopte un nouvel avis. La dernière résolution prise chez M. Decazes a été d’attirer un à un tous ceux qu’on pourrait avoir, et qui consentiraient à écouter les débats ; puis d’ajourner les autres à la session prochaine, attendu que la chambre des pairs est fatiguée. Arrêt de grands seigneurs qui donnera six mois de repos aux juges et aux prévenus, les uns dans leurs châteaux, les autres dans d’infects cachots !
Ici se présente de nouveau l’influence de M. Molé, de qui dépend en quelque sorte l’issue de ce procès. M. Molé n’a cessé un moment de plaider contre ceux de ses collègues qui veulent juger sur pièces les accusés absens. Il s’affermit de plus en plus dans cette opinion, et se fonde surtout aujourd’hui sur le changement opéré dans la situation des accusés qui ont interrogé eux-mêmes les témoins. Aux uns, ils ont prouvé qu’ils faisaient de fausses dépositions, aux autres ils ont opposé les professions infâmes qu’ils exercent, ou leur dépendance de la police et du gouvernement. Interrogés seulement par le procureur-général, les témoins à charge sont tous des miroirs de vérité, des hommes d’une moralité reconnue, d’une probité sans tache ; en face des accusés, presque tous se trahissent et succombent. En présence de tels faits comment juger des accusés absens ? Tous les hommes impartiaux sont frappés de cet argument, et une majorité redoutable suivrait sans doute M. Molé, si sa conscience le forçait d’abandonner le siége du juge. On peut être assuré que M. Molé restera tant qu’il pourra le faire, que tous ses efforts tendront à amener une décision telle qu’elle lui permette de siéger jusqu’à la fin ; mais M. Molé est un de ces hommes qui ne tergiversent pas dans les cas où il lui semble que l’honneur est engagé, et si on le force dans ses principes, quoi qu’il lui en coûte, il s’éloignera. Ce jour-là, la cour des pairs sera privée de la moitié de ses membres, sans excepter ceux que la fatigue physique aura écartés. On comprend maintenant pourquoi l’ajournement à une autre session a été demandé si instamment, et presque résolu chez M. Decazes.
La lettre de Mme Lionne, femme du gérant de la Tribune, fait prévoir les rigueurs qui attendent M. Trélat et ses amis. M. Lionne a été transféré, sans nécessité, de Sainte-Pélagie où il était détenu, à la maison de travail de Clairvaux. On l’a conduit sur une charette, comme un malfaiteur ; et sa position était si misérable, qu’il excitait la pitié par toutes les villes qu’il traversait. À cette occasion, le National a publié deux belles pages, dignes de la plume de M. Carrel, où il rappelait les anciennes protestations de M. Thiers le journaliste, contre l’infâme traitement infligé par M. de Corbière à M. Magalon. M. Thiers a répondu, par l’organe du Journal de Paris, qu’il n’entendait protester à cette époque que contre la pensée de condamner des écrivains à tresser de la paille ou à creuser des sabots. Le journal ministériel élève une autre distinction. Il dit que ce n’est pas en compagnie de galériens, que ce n’est pas à pied, de brigade en brigade, que M. Lionne a été transféré dans une maison de détention ; c’est en voiture, et avec tous les égards qu’il pouvait désirer.
Répondons ici qu’une voiture et des égards semblables avaient été offerts à M. Magalon, quand on le transféra à Poissy. La voiture était une charette jonchée de paille ; les égards, deux gendarmes à cheval, le sabre nu ; mais comme il fallait payer cette distinction, M. Magalon préféra faire la route à pied. M. Lionne est âgé de 50 ans, malade ; s’il a accepté cet étrange adoucissement, c’est qu’il savait qu’en prenant la courageuse résolution de Magalon, il serait mort en route.
Magalon ! comment ce nom ne fait-il pas frémir M. Thiers ? comment ne lui inspire-t-il pas une vive commisération pour tous les gérans de journaux condamnés par la loi ? Faut-il donc rappeler à M. Thiers que nous qui écrivons ces lignes, nous avons pris place avec lui et l’infortuné Magalon autour de la table de rédaction de l’Album où l’on retrouverait encore de belles pages de M. Thiers ? Ne sait-il pas, comme nous, que Magalon n’avait pas écrit une ligne des articles qui motivèrent les persécutions de M. de Corbière, et que nous tous, les vrais coupables, condamnés à l’impunité par la loi, nous restâmes paisiblement dans nos demeures, tandis que Magalon cheminait sur la route de Poissy, enchaîné au bras d’un hideux galérien, dévoré par la gale ? Est-ce donc sous le ministère de M. Thiers que devait s’élever une réclamation du genre de celle de Mme Lionne ? devait-on s’attendre à voir son nom, charbonné de la main des prisonniers, sur les murs des cachots, près du nom de M. de Corbière ?
Que dire après cela des déclamations de MM. Liadières et Fulchiron sur la littérature et les arts ? l’odieux efface le ridicule.
— L’étude de notre ancienne littérature des xiie, xiiie et xixe siècles prend de jour en jour plus de développement, et les monumens et pièces qui s’y rapportent ne cessent de se publier dans un nombre croissant, grace au zèle et au concours de quelques érudits. Nous avons eu déjà occasion de recommander les publications si soignées de M. Paulin Paris. M. Francisque Michel s’est fait honneur et a rendu de véritables services à notre vieille littérature par les éditions excellentes qu’il a données, soit seul, soit de concert avec M. de Monmerqué ; par ses publications du Comte de Poitiers et du Roman de la Violette principalement. M. Chabaille vient de publier une branche nouvelle du Roman du Renard, avec d’importantes rectifications et variantes du texte précédemment publié par Méon ; nous reviendrons sur ce consciencieux travail. Nous ne voulons qu’appeler l’attention aujourd’hui sur les diverses pièces qu’a mises au jour, dans ces derniers temps, un jeune travailleur fort zélé en cette voie, M. Achille Jubinal. Il a publié successivement[1] : une espèce de diatribe burlesque intitulée, des Vingt-Trois Manières de Vilains, à laquelle M. Eloi Johanneau a joint un commentaire grammatical, et que nous aurions voulu voir accompagnée de quelques considérations littéraires plus générales sur le but et le sens de la pièce ; un Mystère de la Résurrection du Sauveur, ou du moins un fragment de ce mystère qui date du xiiie siècle, et sur lequel M. Magnin doit insister dans l’ouvrage qu’il consacre aux origines de la littérature dramatique moderne ; un sermon, du xiiie siècle également, en vers, qui nous a semblé plein de grace naïve et d’un rhythme agréable, et qui de plus peut jeter du jour sur la question de savoir en quelle langue les prédicateurs d’alors s’adressaient à leurs ouailles ; deux complaintes du trouvère Rutebœuf, avec une notice détaillée sur la vie et les œuvres de ce poète satirique, et souvent famélique, à en juger par ses fréquentes doléances ; enfin, sous le titre de Jongleurs et Trouvères, un choix de saluts, épîtres, rêveries, etc., des XIIIe et XIVe siècles. Ce recueil, qui est jusqu’ici la plus volumineuse publication de M. Jubinal, contient une trentaine de pièces d’un intérêt inégal, mais dont quelques-unes, comme le Chapel à sept fleurs, sont charmantes de délicatesse, ou, comme la Paix aux Anglais, sont aiguisées de bonne raillerie, ou, comme la satyre des Taboureors, ont une application directe à l’état et aux phases diverses de l’art de poésie en ces temps. Par les publications multipliées que nous venons de mentionner, M. Jubinal a fait voir qu’il possède les qualités peu communes d’un bon éditeur en notre vieille langue. Il s’occupe en ce moment, à ce qu’il annonce, d’une édition complète des poésies de Rutebœuf. Il est à souhaiter en effet que M. Jubinal emploie désormais à des publications de longue haleine et d’un intérêt plus général le zèle et les qualités dont il fait preuve. Nous lui conseillerons aussi plus de simplicité de style dans les notices qui, mises en tête des vieux textes naïfs, doivent, là moins qu’ailleurs, se ressentir de la phraséologie moderne. M. Jubinal, en continuant avec la même ardeur et en la dirigeant, nous semble appelé à rendre de précieux services dans une branche de plus en plus recherchée et cultivée de notre littérature.
— Au-delà du Rhin, par M. Lerminier, a paru chez l’éditeur F. Bonnaire. Ce livre obtient un grand succès dans le monde politique et littéraire.
— Cette même quinzaine a vu paraître deux ouvrages importans. Le premier, que nos lecteurs connaissent bien par l’intéressant travail et le curieux résumé de notre collaborateur M. Th. Lacordaire, est le Voyage du capitaine Ross, publié à la librairie Bellizard. Le second est Flavien ou de Rome au désert, par M. Alex. Guiraud. Cette nouvelle production d’un écrivain distingué mérite un examen à part, et nous y reviendrons. Nous nous contenterons aujourd’hui de constater l’apparition de Flavien, publié à la librairie Levavasseur, place Vendôme.
— M. H. de Latouche, qui se tenait depuis long-temps sous sa tente, vient de publier un nouveau roman, Grangeneuve, chez le libraire Magen, quai des Augustins. Nous examinerons une autre fois le mérite et la portée de cette nouvelle œuvre littéraire de l’auteur de Fragoletta.
— Une nouvelle traduction du Robinson, de Daniel de Foë, par Mme Tastu, se publie en ce moment, avec de nombreuses illustrations, chez le libraire Moutardier.
- ↑ Teschener, place du Louvre. — Silvestre, rue des Bons-Enfans.