Chronique de la quinzaine - 14 mars 1850
14 mars 1850
Les élections de Paris sont un échec pour le gouvernement et pour le parti modéré : voilà ce que nous ne voulons pas nier. On a beau discuter et équivoquer, il y a toujours une grande différence entre ces deux mots-ci : être vainqueur ; être vaincu. Ne l’eussions-nous emporté que de 1000 voix sur nos adversaires, c’eût été une victoire, tandis qu’aujourd’hui nous sommes vaincus. Cela dit, expliquons quelle est, selon nous, la portée de cette défaite et quelles en sont les conséquences, afin de ne pas aller dans nos alarmes au-delà du danger qui nous menace.
Et d’abord, nous dirons franchement que l’élection du 10 mars n’a ouvert les yeux que de ceux qui jusque-là voulaient les tenir fermés. Qui donc ignorait le perpétuel péril du suffrage universel ? Qui donc croyait que nous pouvons vivre avec ce genre de votes, organisé comme il l’est ? Qui donc ne savait pas que nous avions une maladie chronique dont les accès pouvaient être plus ou moins graves, mais qui doit nous tuer au bout d’un certain temps ? Oui, l’élection du 10 mars est une première attaque d’apoplexie ; mais qui donc ne savait pas que nous sommes fatalement voués à l’apoplexie, si nous attendons tranquillement les atteintes du mal ? En vérité, nous ne sommes étonnés que de l’étonnement que nous rencontrons, et cet étonnement nous montre combien notre pauvre pays sait peu son état et combien il est prompt à se faire illusion. Il y avait bien des gens qui disaient hautement que nous sommes très malades, et qui, au fond, ne le croyaient pas. Ils parlaient de leurs maux comme on en parle dans un salon, aux eaux, à Bade ou à Vichy, où il est de règle que personne ne se porte bien. Leur maladie n’était qu’une grimace de bonne compagnie, et cependant leur santé n’était que l’aveuglement d’esprits faibles et légers.
Pendant que le beau monde vivait dans cette sécurité oublieuse, pendant qu’il se livrait aux plaisirs du luxe, qu’il érigeait de temps en temps en services rendus à la société, parce qu’il est convenu maintenant que, lorsque les femmes font beaucoup de toilette et consentent à porter des diamans, c’est pour faire aller le commerce et pour soutenir le gouvernement en témoignant de la sécurité publique ; pendant enfin que chacun reprenait petit à petit son festin de Balthasar, que feraient et que, pensaient ces ouvriers auxquels le beau monde s’empressait de rendre service par sa charité déguisée en luxe ? Les ouvriers reprenaient leurs mauvaises passions. Il y a beaucoup de gens, en effet, chez qui, quand l’intérêt souffre, quand la gêne arrive, les passions se taisent ; mais, quand la prospérité revient, les passions reprennent le dessus. Ils sont sages quand ils sont malheureux ; ils sont d’autant plus envieux qu’ils sont plus heureux. Cela veut-il dire qu’il faut qu’ils soient toujours malheureux ? — Non, mille fois non ! Ce serait là une doctrine impie et stupide. Cela veut dire seulement que les institutions qui donnent aux passions inévitables du cœur humain l’occasion de se satisfaire à l’instant même aux dépens de la société sont de mauvaises institutions. Nous n’avons entendu en confession aucun de ceux qui, quoique ayant tous leurs intérêts dans le travail et dans l’industrie, ont cependant voté contre le travail et contre l’industrie en votant pour la liste démocratique et sociale ; mais nous savons les argumens qui ont décidé, ces pauvres ames. — Eh bien ! vous le voyez, tout va bien ; voilà le travail qui reprend. Oui, et l’on disait qu’avec la république tout irait mal, que nous autres commis marchands nous ne vendrions plus rien, ou que nous autres ouvriers nous ne travaillerions plus, erreurs ou calomnies que tout cela ! Les affaires peuvent aller aussi bien en république qu’en monarchie, et cela est si vrai, que volez les riches cet hiver ! comme ils s’amusent, comme ils dansent, comme ils courent à leurs pièces de théâtre réactionnaires ! On voit bien qu’ils ne souffrent pas, et qu’ils ne s’inquiètent pas, puisqu’ils rient tant. Ils sont déjà aussi orgueilleux qu’ils l’étaient, aussi insoucians des souffrances du pauvre monde. Que voulez-vous ? les riches seront toujours les riches. — Ah ! voilà le mal. — Est-ce que vous voterez pour eux ? — Moi ! non, certes. –Prenez donc ma liste, c’est la bonne, la liste de la blouse. — Et l’autre ? — La liste des habits noirs. — Je n’en veux point- ! » voilà comme une conversation ; qui n’est que l’épanchement naturel du cœur de l’homme et de ses mauvais instincts, doivent, grace à la facilité des institutions, un vote dangereux pour l’ordre social. Les institutions autrefois étaient faites, non pas pour favoriser, mais pour contenir les mauvais penchans du cœur humain. Nous avons changé tout cela, et ce sont les institutions, qui viennent au secours de toutes les tentations et de tous les caprices ! Cela s’appelait dans la langue des vieux proverbes : porter de l’eau à la rivière, ou du bois à la forêt ; cela ne s’appelait pas un gouvernement.
À quoi bon se dissimuler le mal et la cause du mal ? La cause du mal est tout entière dans le suffrage universel, tel qu’il est organisé par la constitution. Nous l’avons dit sans cesse : les élections du 10 mars viennent de le dire d’une manière plus significative encore.
Nous avons contre nous nos institutions, et c’est malgré nos institutions que nous devons nous sauver. Tel est le problème que notre pauvre société a à résoudre. En face d’un pareil problème, tout change : il ne faut plus s’inquiéter des questions qui nous préoccupaient autrefois, au temps de la monarchie, savoir, quelle part il faut faire à la liberté et quelle part il faut faire à l’autorité. Laissons de côté cette théologie constitutionnelle et libérale. Nous sommes en guerre ; il y a d’un côté, à Paris, 128 000 hommes qui disent : Nous voulons le retour du gouvernement provisoire, la permanence des ateliers nationaux, le triomphe de l’insurrection de juin 1848 ; il y a de l’autre côté 122 000 hommes qui disent : Nous ne voulons rien de tout cela, car c’est la ruine de la société. La ligue qui veut la destruction de la société actuelle a pour elle la plupart des institutions de 1848 ; la ligue opposée a pour elle la majorité dans l’assemblée et le président de la république, c’est-à-dire le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ; elle a pour elle les soldats, qui, grace au ressort encore existant de le discipline, se battent bien les jours d’émeute, quoiqu’ils votent mal les jours d’élection, et l’on peut craindre que les soldats ne soient tentés de mettre un jour d’accord leurs votes et leurs baïonnettes. La société actuelle, quoique vivement attaquée, quoique fortement ébranlée, peut donc encore se défendre ; mais combien de temps peut-elle se défendre ? On peut calculer, comme dans une place assiégée, combien il nous reste encore de munitions et de vivres. Une fois les munitions épuisées, il faudra se rendre. Nous pouvons, en lisant la constitution, calculer combien de temps elle nous laisse à vivre. Encore faut-il défalquer de la vie le temps de l’agonie. Que nous reste-t-il donc ? Dix-huit mois à peu près. Si M. Hugo n’était pas occupé d’autres pensées, il aurait une belle occasion de refaire son roman, le Dernier jour d’un condamné ; il l’appliquerait à la société.
Quels tristes augures ! dira-t-on. — Mais qui peut avoir quelque bon espoir pour une élection législative ou pour une élection présidentielle dans l’état actuel des esprits et des institutions ?
Nous ne dirons pas que nous avions prévu le résultat des élections de Paris et des départemens. Non, quelle que soit la défiance que nous a toujours inspirée le suffrage universel, nous n’aurions jamais prophétisé la défaite que vient d’essuyer le parti modéré. Nous n’aurions pas prévu qu’après le 24 février et le 24 juin 1848, une partie de la bourgeoisie de Paris voterait pour cette trinité socialiste que l’on appelle M. Carnot, M. Vidal et M. de Flotte. Nous n’aurions jamais pensé que d’honnêtes gardes nationaux, d’excellens hères de famille, pour donner une leçon au gouvernement à propos des jésuites, iraient s’enrôler au scrutin dans les rangs de l’armée révolutionnaire. Cette partie de la bourgeoisie parisienne avait été cependant bien avertie. Elle avait eu, pour s’éclairer, les conseils de ses amis et les menaces de ses ennemis, car les socialistes, il faut le dire, n’y ont pas mis cette fois la moindre hypocrisie. Ils ont joué cartes sur table. On ne dira pas qu’ils ont mis le drapeau rouge dans leur poche. S’ils ne l’ont pas promené dans les rues, ils l’ont montré assez visiblement dans leurs discours pour que personne n’ait pu se méprendre à leurs intentions. Qui n’a pas lu les procès-verbaux des assemblées préparatoires de leurs comités ? Qui n’a pas entendu les cris sauvages proférés contre l’infame capital, contre l’infame propriété, contre la religion, contre tous les principes des sociétés civilisées ? On a dit aux bourgeois : Nous règlerons vos comptes ! On a dit à tous ceux qui possèdent : Nous vous ferons rendre gorge ! On a dit à la ville de Paris que la Banque de France serait remplacée par la banque du peuple, et chacun sait ce que cela veut dire ! Personne n’ignore que les millions de la Banque agissent d’une façon particulière sur l’imagination des orateurs socialistes, et que c’est un sujet sur lequel ils aiment à revenir fréquemment. Si la Banque a été oubliée jusqu’ici dans les plans de l’insurrection parisienne, on peut croire qu’elle n aura pas même bonheur dans les insurrections futures. C’est là une réflexion qui a du être faite avant nous, et pour cause, par les boutiquiers et les commerçans du troisième arrondissement de Paris. Pourquoi donc là, comme ailleurs, tant d’honnêtes citoyens ont-ils déchiré les bulletins de l’union électorale pour prendre ceux de la république rouge ? Quel est donc en révolution cette fureur du martyre qui pousse les victimes dans les bras de leurs bourreaux ? Est-ce assez d’aveuglement ? et n’est-il pas temps d’y songer ?
Il n’a manqué qu’une seule chose, jusqu’ici, au président de la république et à la majorité parlementaire pour faire plus de bien qu’ils n’en ont fait, et pour résoudre les difficultés de la situation : — ç’a été de s’unir par une intimité plus étroite, — comme aussi il n’a manqué qu’une seule chose à la majorité pour exercer sur les affaires une influence plus décisive : — ç’a été de maintenir l’accord entre ses diverses nuances et de les confondre dans une politique commune. Après les élections du 10 mars, on doit croire que le président et l’assemblée n’auront plus qu’une même pensée, et qu’il n’y aura plus qu’une même politique sur les bancs de la majorité : S’il peut y avoir quelque chose de consolant dans la nouvelle épreuve que subit la France en ce moment, c’est qu’elle est de nature à convaincre les esprits les plus rebelles et à ouvrir les yeux aux plus aveugles. Nous n’avons jamais pris parti pour la politique pessimiste, nous n’avons jamais conseillé de chercher le bien dans l’excès du mal : nous reconnaissons cependant que la défaite du parti modéré peut avoir son côté utile ; le tout est de savoir en profiter. Le malheur peut servir autant que la fortune. Il faut que le malheur du parti modéré lui serve à réparer ses fautes, et ce serait plus qu’une faute aujourd’hui de se diviser. Il doit y avoir désormais dans le parti de l’ordre une consigne sévère. Chacun doit rester à son rang et à son poste L’union entre toutes les nuances du parti de l’ordre est à elle seule une solution ; car avec elle toutes les solutions sont possibles. Avec l’union, le parti de l’ordre est sûr de tout gagner ; par la désunion, il peut tout perdre.
Ces réflexions sur la nécessité de l’union entre les diverses nuances du parti de l’ordre nous amènent naturellement à parler de la loi des maires, et de la scission qu’elle a fait éclater au sein de la majorité. Il y a huit jours, cette scission était la grande affaire. C’est un événement presque oublié aujourd’hui, et si nous en parlons, c’est tout simplement pour constater qu’il n’aura pas les suites fâcheuses qu’on pouvait craindre. Les bases d’un arrangement ont été convenues, dit-on, sous les auspices de M. Molé et de M. Berryer ; et quand même cet arrangement n’existerait pas, les élections du 10 mars sont là aujourd’hui pour nous garantir que chacun fera son devoir, et que personne ne songera à se passer ses fantaisies. La loi des maires sera une des premières occasions de montrer que le faisceau de la majorité, loin d’être rompu, est plus fortement resserré qu’il ne l’a jamais été. Les allées et venues de droite à gauche et de gauche à droite sont un divertissement qui n’est plus de saison. Laissons la montagne refuser au gouvernement les armes nécessaires à la défense de la société ; c’est le rôle de la montagne, ce n’est pas celui du parti légitimiste. Craindrait-on aujourd’hui de fortifier le président en fortifiant le pouvoir On a déjà joué ce jeu-là pendant dix-huit ans. On a affaibli le pouvoir pour affaiblir une dynastie. Qu’en est-il résulté ? Craindrait-on, en fortifiant le pouvoir, de fortifier la république ? Ce serait confondre deux choses tout-à-fait distinctes. Les destinées du pouvoir et celles de la république ne sont pas solidaires. Enfin, craindrait-on d’introduire dans la législation de ce temps-ci des armes que le parti révolutionnaire, devenu maître du gouvernement, pourrait tourner plus tard contre la société ? Singulière précaution, en vérité ! comme si le parti révolutionnaire, maître du pouvoir, était jamais embarrassé par des scrupules de légalité, et comme s’il n’avait pas toujours la violence à son service, quand la légalité ne lui suffit pas !
La loi des maires n’est pas seulement une loi de circonstance, c’est une loi de principe. Comme loi de circonstance, il suffit, pour en reconnaître l’absolue nécessité, de regarder ce qui se passe dans un grand nombre de communes où les trois ou quatre républiques qui ont précédé celle du 10 décembre ont laissé successivement des magistrats de leur couleur. Ici, ce sont des maires qui refusent de répéter les paroles du télégraphe ; là, ce sont des maires qui abolissent de leur autorité privée le culte catholique ; ailleurs, ce sont des maires qu’on est forcé d’habiller par respect pour la décence publique. À Fénestrange, dans la Meurthe, c’est un maire qui, pour mieux célébrer l’anniversaire du 24 février, fait sortir de prison des musiciens ambulans, et parcourt à leur tête le territoire de sa commune, en dansant au son des instrumens, comme les prêtres des religions antiques. Voilà les magistrats municipaux du gouvernement provisoire ! Nommés sous l’influence des commissaires de M. Ledru-Rollin, ils ont conservé fidèlement les traditions du premier âge de notre république Ils étaient les dignes auxiliaires du gouvernement de février ; mais on comprend, qu’ils soient devenus un grave embarras pour le gouvernement de ce temps-ci. La loi de 1848, en abandonnant le choix des maires au suffrage universel, a réservé, il est vrai, au pouvoir exécutif le droit de suspension et de révocation ; mais ces mesures sont des occasions de conflits entre le gouvernement et les communes. D’ailleurs, lorsqu’elles arrivent, le mal est fait, et, en présence du résultat des dernières élections, il est inutile de dire quelle peut être l’étendue du mal.
Les mêmes garanties que l’on a données au pouvoir exécutif du côté des instituteurs primaires, comment ne jugerait-on pas nécessaire aujourd’hui de les lui accorder du côté des maires ? Les dangers sont les mêmes et appellent les mêmes remèdes. On a bien reconnu qu’il était indispensable que le gouvernement eût le droit de nommer les instituteurs ; comment laisserait-on aux communes le droit de nommer les maires ? En 1848, on est sorti des vrais principes sur cette question ; il faut y rentrer. On a fait une loi d’anarchie et non pas une loi de gouvernement. Le maire est à la fois l’agent de la commune et l’agent du pouvoir exécutif. Comme agent de la commune, il doit émaner de l’élection ; mais, comme agent du pouvoir exécutif, il doit être choisi par le gouvernement. Or, ces deux conditions étaient parfaitement remplies dans le système de la loi de 1831, qui faisait élire le conseil municipal par la commune et réservait au gouvernement le droit de choisir le maire dans le conseil municipal. La loi de 1848 a détruit cet équilibre que la législation antérieure avait sagement établi entre les droits de la commue et ceux de l’état. Cet équilibre si nécessaire, il faut le rétablir, et nous n’avons pas besoin de rappeler au parti légitimiste que la loi de 1831, dont le gouvernement invoque le principe, n’est pas autre chose que le projet de loi présenté en 1828 par M. de Martignac.
La question du choix des maires se mêle, pour le parti légitimiste, à une autre question qu’il affectionne vivement, celle de la décentralisation. Ce n’est pas le moment de toucher à ce grand débat ; nous aurons l’occasion d’y revenir plus d’une fois. Disons seulement que l’on se fait sur cette question d’étranges illusions. Le contre-coup de février a pu réveiller dans plusieurs parties de la France le souvenir des libertés communales ; on a pu, un instant, chercher dans l’indépendance locale un refuge contre les dangers de la centralisation révolutionnaire, et il restera quelque chose de ce mouvement : il en restera ce qui est nécessaire pour protéger désormais la France contre un coup de main ; mais la concession n’ira pas plus loin. La centralisation, qui est une des lois de la civilisation moderne, peut avoir ses inconvéniens et ses périls ; mais l’indépendance anarchique du moyen-âge avait aussi les siens, et la France ne voudra pas retourner au moyen-âge pour échapper aux dangers de la civilisation.
Nous croyons en avoir dit assez sur la loi des maires pour démontrer que c’est une loi de salut public, une mesure de nécessité, que le parti de l’ordre ne peut refuser au gouvernement. Dans les circonstances présentes, nous ne voyons que la montagne qui ait intérêt à la repousser, et nous espérons bien qu’elle sera seule à l’attaquer.
Nous n’avons pas à suivre plus long-temps aujourd’hui le détail des travaux de l’assemblée. Que dirions-nous de la discussion de la loi sur l’enseignement, dont la troisième lecture a commencé au milieu de l’agitation produite par les nouvelles des élections de Paris ? Que dirions-nous de la première lecture du projet de loi sur le chemin de fer de Paris à Avignon ? L’assemblée a décidé en principe que le chemin serait exécuté ; mais quel sera le mode d’exécution ? Où sont aujourd’hui ces compagnies qui venaient faire concurrence à la compagnie unique ? Le scrutin électoral ne les a-t-il pas déjà dispersées ? Et si les capitaux privés reculent, si la rente baisse, si les recettes de l’état diminuent, si le déficit du trésor augmente, qui se chargera de terminer cette grande entreprise, dont le moindre avantage serait de ranimer l’industrie dans plusieurs départemens et de donner du travail pendant quatre ans à quatre-vingt mille ouvriers ? M. Carnot, M. Vidal et M. de Flotte vont-ils nous apporter la solution de ce problème ?
Nous passons du dedans, qui est triste et agité, au dehors, qui s’obscurcit, au lieu de s’éclaircir.
Avant la révolution de février et les tristes questions qu’elle a partout suscitées en Europe, il y avait une question qui restait depuis long-temps suspendue sur la politique européenne : c’était ce qu’on appelait la question d’Orient. Cette question se ranimait de temps en temps, comme pour avertir l’Europe des périls qui menaçaient son repos ; puis elle s’apaisait et semblait s’amortir pour un moment, grace aux efforts de la diplomatie. La diplomatie européenne, rendons-lui cette justice, a fait depuis trente ans des efforts heureux pour empêcher l’orage de crever en Orient ; mais elle n’a pu qu’ajourner l’éruption du mal, elle n’a pas pu le guérir. Aussi voyons-nous de temps à autre l’inquiétude renaître. Il suffit du moindre incident, de la première incartade d’un amiral ou d’un ministre plénipotentiaire pour ranimer la question d’Orient, et lui rendre toute sa gravité. C’est ce que nous voyons aujourd’hui en Grèce.
Il a plu à lord Palmerston, après avoir ordonné à l’amiral Parker d’avoir un coup de vent qui le fit entrer dans les Dardanelles, de lui prescrire d’aller se faire huissier et recors contre la marine grecque. L’amiral Parker est entré dans le Pirée, et a mis le séquestre sur tous les bâtimens grecs. Du jour au lendemain, il n’a plus été permis aux Grecs de naviguer et de commercer. Il a été dit du jour au lendemain à un peuple commerçant et navigateur, qui ne vit que par la marine et par le commerce, qu’il lui fallait mourir de faim, à moins qu’il n’aimât mieux faire une révolution et chasser son roi. Loin d’obéir à cette odieuse contrainte, le peuple grec s’est serré avec une affection patriotique autour de la royauté que voulait destituer lord Palmerston. De la violence du ministre anglais, la Grèce en a appelé à la justice de l’Angleterre et à l’indignation de l’Europe. Les deux sentimens qu’invoquait la Grèce ne lui ont pas fait défaut. La France, qui, à Athènes, au moment de l’iniquité britannique, protestait si noblement et si spontanément par la bouche de M. Thouvenel contre l’atteinte portée à l’indépendance hellénique, la France a vivement réclamé à Londres. L’Angleterre s’est émue contre lord Palmerston ; elle s’est émue, voyant qu’on faisait de la puissante marine de l’Angleterre la persécutrice acharnée et destructive de la petite marine grecque. C’est en effet ici l’histoire de la brebis du pauvre. Le prophète Nathan dit au roi David :
« Il y avait deux hommes dans une ville dont l’un était riche et l’autre était pauvre.
« Le riche avait un grand nombre de brebis et de bœufs ;
« Le pauvre n’avait reçu du tout qu’une petite brebis qu’il avait achetée et avait nourrie, qui était crue parmi ses enfans en mangeant de son pain, buvant de sa coupe et dormant dans son sein, et il la chérissait comme sa fille.
« Mais le riche prit la brebis du pauvre homme.
« David entra dans une grande indignation contre cet homme ; et dit au prophète Nathan : Vive le seigneur ! celui qui a fait cette action est digne de mort.
« Il rendra la brebis au quadruple pour en avoir agi de la sorte et pour n’avoir point épargné ce pauvre.
« Alors Nathan dit à David : C’est vous-même qui êtes cet homme ! »
Tous les journaux anglais sont en ce moment les Nathans qui disent à lord Palmerston : C’est vous qui êtes l’homme qui avez tué la brebis du pauvre ; c’est vous qui détruisez la pauvre marine grecque, vous le ministre d’un pays qui a tant et tant de vaisseaux ! Nous aimons cette malédiction universelle ; mais, si David s’est incliné et repenti sous la parole de Nathan, lord Palmerston ne parait pas disposé à la repentante. Voyez son procédé avec le gouvernement français, qui s’était empressé de se porter médiateur. Il semble ; en ce moment que lord Palmerston veuille se racheter d’avoir été injuste avec la Grèce, en se montrant impertinent avec la France. Le procédé est peut-être habile, il réussira peut-être : qui sait ? Mais nous ne pouvons pas oublier que toutes les impertinences de lord Palmerston conyre là France sont en même temps des ingratitudes, car lorsqu’il a voulu, il y plusieurs années déjà, entrer au ministère avec les whigs, lord Palmerston est venu chercher un satisfecit à Paris. Le roi Louis-Philippe le lui a donné et a fait que, depuis ce jour-là, lord Palmerston ne peut plus être impertinent contre la France qu’en étant ingrat. Il ne peut plus avoir que deux roueries à la fois, et l’une gâte l’autre.
Nous voudrions de bien bon cœur, et pour nous-mêmes et pour lord Palmerston, que son procédé au sujet de la médiation française dans l’affaire de la Grèce ne fût pas une impertinence ; mais il nous est impossible de le prendre pour autre chose. Voyez en effet comment les affaires se sont passées. Le gouvernement français offre sa médiation : lord Palmerston répond qu’il accepte les bons offices de la France. Cela semblait vouloir dire qu’au lieu de persister dans l’emploi des mesures de contrainte envers la Grèce, l’Angleterre remettait sa querelle à l’arbitrage officieux de la France. Il faut bien en effet que les bons offices de la France aient quelque sens favorable pour la Grèce, et le premier effet en soit de suspendre les rigueurs du blocus. Offrir ses bons offices, ce n’est pas, je pense, offrir d’être témoin d’un duel, ces offrir de s’arranger. Lord Palmerston n’entend pas la chose de cette manière. Il a, il est vrai, écrit au ministre et à l’amiral anglais en Grèce de ne rien ajouter aux mesures de coaction qu’il avait prescrites, et là-dessus le gouvernement français s’est empressé de s’applaudir de l’heureux résultat de son intervention ; mais lord Palmerston n’a pas promis et n’a pas écrit de suspendre le blocus, ou d’en adoucir la rigueur. À quoi donc se réduit la gracieuseté de lord Palmerston envers la France ? Et pour en revenir à la parabole de la Bible, que penseriez-vous, si le riche, ayant fait prendre et tuer la brebis du pauvre, s’avisait de dire d’un air aimable et doux à ses serviteurs et à ses gens. Comme le prophète Nathan est venu vers moi me parler de la brebis du pauvre homme et que je veux être agréable au prophète Nathan, continuez à faire cuire la brebis prise, mais n’en prenez pas une seconde ! — Eh comment en prendre une seconde puisqu’il n’y en a qu’une ? Voilà l’histoire du blocus du Pirée et de la médiation française. Comme lord Palmerston avait prescrit d’avance tout ce qui pouvait ruiner la Grèce, il a consenti par égard pour la France, à n’y rien ajouter.
C’est sur ces entrefaites qu’a paru la note russe qui a montré, dès les premiers mots, quelle était la gravité de la question. La note russe ne considère pas l’affaire grecque comme une affaire particulière, mais comme une affaire européenne. Un journal anglais disait que, depuis les décrets dans lesquels Napoléon mettait l’Angleterre au ban du continent ; il n’avait pas parti semblable pièce dans l’histoire. Le journal anglais a presque raison : c’est, en effet, au nom du continent que la Russie se plaint du privilège que l’Angleterre s’arroge, grace à la supériorité de sa marine, d’attaquer, selon sa fantaisie, les états du littoral européen ; c’est au nom du continent, si tristement troublé par les agitations de l’esprit révolutionnaire, que la Russie se plaint que l’Angleterre aille risquer ou peut-être essayer une révolution en Grèce. L’Angleterre est une puissance insulaire et une société aristocratique. Si ces deux circonstances lui font croire qu’elle n’a rien à craindre de la contagion démagogique, il est d’autant moins généreux de sa part d’aviver sur le continent la fièvre dont elle ne redoute pas les atteintes. C’est la première fois, si nous ne nous trompons, que la Russie s’adresse ainsi à l’Angleterre au : nom du continent, et cette plainte au nom du continent contre l’Angleterre sera, nous n’en doutons pas, approuvée sur plusieurs points du continent : en Grèce d’abord, cela est tout simple ; à Naples, où l’on se souvient encore des encouragemens que l’Angleterre a donnés à la révolution sicilienne ; en Espagne, où l’Angleterre et récemment encore semblait favoriser une insurrection démagogique, et d’où le ministre anglais a dû être expulsé : voilà, dans quels pays la note russe trouvera de l’écho.
L’empressement que la Russie a mis à se porter le représentant du continent est-il le commencement de cette grande lutte entre la : Russie et l’Angleterre que nous apercevons dans les lointains de l’avenir, et qui doit, selon nous, être la fin de l’Europe ? A Dieu ne plaise que, dans nos téméraires conjectures, nous marquions les temps et les momens de cette lutte ! Nous sommes convaincus que la lutte sera long-temps éludée et détournée, qu’il y’ aura des alliances et des trêves, surtout des concessions réciproques mais nous sommes convaincus en même temps que cette lutte est dans l’avenir et dans la force des choses.
Quoi ! dira-t-on, la guerre et ses horreurs de nos jours, en pleine civilisation ! — Oui, et l’on oublie toujours que la civilisation, arrivée à un certain point, loin d’exclure la guerre, l’appelle et l’enfante. Elle appelle d’abord la guerre civile par le développement qu’elle donne aux mauvaises passions du cœur humain : cela ne peut guère être contesté. Voyez l’Europe, voyez la France à l’heure qu’il est. Quant aux guerres d’ambition, la civilisation ne les étouffe pas, elle les excite, parce qu’en face de nations livrées à la faiblesse et à l’épuisement que causent les agitations révolutionnaires, les nations qui ont encore gardé quelque sève et quelque vigueur chorale sont tentées de conquérir les premières, ne fut-ce que pour les contenir et pour les empêcher de troubler perpétuellement le monde. Quel temps fut plus civilisé que le temps où la Grèce, depuis la mort d’Alexandre-le-Grand jusqu’à la conquête romaine, pendant plus de cent soixante ans, flotta entre la liberté, la domination macédonienne et la domination romaine, et quel temps fut plus rempli de guerres et de carnages ? Ne disons donc pas que nous vivons en les temps trop civilisés pour être malheureux ; la civilisation n’exclue pas le malheur et l’aventure, elle l’aggrave au contraire, en nous rendant plus délicats et plus sensibles. À Rome, depuis la mort de Néron jusqu’à Constantin, même spectacle et même leçon ; beaucoup de civilisation, surtout comme nous entendons la civilisation, c’est-à-dire beaucoup de luxe, beaucoup de plaisirs, et même beaucoup de livres : en même temps beaucoup de guerres civiles et beaucoup de massacres. Nous disons cela afin qu’il soit bien entendu que, lorsque les peuples civilisés se passent leurs fantaisies de licence et d’anarchie, ils ne jouent pas sur le velours, comme au fond ils aiment à le croire.
L’affaire de la Grèce contient la question d’Orient, c’est-à-dire la question qui a précédé la révolution de février, et qui, après comme avant cette révolution, continue à peser sur l’Europe. Les affaires d’Allemagne, au contraire, sont une question qui procède essentiellement de la révolution de février, mais qui en procède déjà de loin et avec je ne sais combien d’altérations ou de métamorphoses progressives, si bien que tout est changé en chemin, hommes et choses.
Quand, il y a dix-huit mois, il n’était bruit que du parlement de Francfort, qui aurait pu croire que la diète de 1815 pût encore ressusciter ? De nos jours, qui pourrait croire que le parlement de Francfort pût aussi ressusciter ? Rien n’est plus vrai cependant, et si le traité des trois rois de Bavière, de Saxe et de Wurtemberg parvient à vivre, si, d’un autre côté, la Prusse ne renonce pas au parlement qu’elle a convoqué à Erfurth pour le 20 mars, nous sommes en train de voir un parlement à Francfort, un parlement à Erfurth, comme nous voyons dès ce moment une commission fédérale intérimaire à Francfort et un conseil d’administration fédératif à Berlin. Évidemment, si l’Allemagne n’est pas représentée et administrée dans cette unité qui lui est si chère, ce ne sera pas faute de parlemens, de conseils, de comités et même de constitution. En ce moment, il est vrai, de tous ces conseils et tous ces parlemens germaniques, aucun n’est mort et aucun n’est vivant. Tout est dans les limbes de la création ou du créant ; tout est entre la vie et la mort. Essayons cependant de caractériser rapidement cet état crépusculaire où se tient l’Allemagne, sans que nous puissions savoir encore si ce crépuscule est celui qui précède la nuit ou celui qui précède l’aurore. Parlons d’abord du parlement d’Erfurth.
Le parlement d’Erfurth procède de deux pensées : une pensée libérale et une pensée prussienne. Il se rattache par la pensée libérale au parlement de Francfort, c’est-à-dire à la représentation la plus populaire de l’unité germanique ; il en est l’héritier sans en être le continuateur. Né de ce qu’on a appelé le traité des trois rois, c’est-à-dire de la Prusse, de la Saxe et du Hanovre, qui sentirent, dès les premiers jours de 1849, la nécessité d’arrêter l’essor de la démagogie et les funestes entraînemens du parlement de Francfort, le parlement d’Erfurth a commencé par être le rival éventuel du parlement de Francfort : c’était le parlement modéré opposé au parlement exagéré ; mais, le parlement de Francfort ayant bientôt disparu dans la démagogie et s’y étant abîmé, l’idée du parlement d’Erfurth devint l’espoir du fédéralisme allemand. On se flattait que l’unité germanique serait représentée par le parlement d’Eifurth, et c’est là ce qui rattachait à ce parlement les amis de M. de Gagern, c’est-à-dire les libéraux de Francfort.
D’un autre côté, il est vrai, ce parlement procédait d’une pensée égoïste de la Prusse. La Prusse s’est imaginée, dès le commencement de la révolution en Allemagne, que cette révolution devait tourner à son profit ; il y a eu même un moment où elle a cru que le roi de Prusse allait être nommé empereur héréditaire d’Allemagne, et que la maison de Hohenzollern allait remplacer la maison de Hapsbourg. Il n’en a rien été. Ne pouvant pas avoir tout, la Prusse alors a cherché à avoir la plus grosse part possible. Elle a fait son traité avec le parlement d’Erfurth elle a fondé enfin ou essayé de fonder un état fédératif restreint, imperium in imperio, morcelant ainsi l’unité germanique et faisant une grande Prusse ou une petite Allemagne.
Comme il y avait dans l’alliance de la Prusse un boulevard contre la démagogie, la Saxe et le Hanovre consentirent, en commençant, aux projets de la Prusse, aimait mieux, après tout, médiatisation pour médiatisation, être médiatisés par la Prusse que de l’être par la démagogie. Le joug devait être moins dur. Cependant, à mesure que la peur de la démagogie diminuait, la peur ou la jalousie de la Prusse devenait plus grande dans l’ame des rois de Saxe et de Hanovre, si bien qu’ils ne cherchaient qu’une occasion, après s’être délivrés de la démagogie à l’aide de la Prusse, de se délivrer de la Prusse elle-même : L’occasion est venue. L’Autriche, libre des embarras que lui donnaient la Hongrie et l’Italie a commencé à reparaître en Allemagne, et les petits états allemands, qui s’affligeaient de n’avoir plus à choisir qu’entre la Prusse et la démagogie, ont pu espérer de trouver dans l’Autriche un protecteur désintéressé. Alors s’est faite, sous les auspices de l’Autriche, l’alliance de la Bavière, du Wurtemberg et de la Saxe, qui s’est retirée de l’alliance prussienne. Cette triple alliance représente l’Allemagne méridionale toujours opposée à l’Allemagne du nord. Et comme ce qui faisait auprès des Allemands la popularité de la Prusse, c’était ce parlement d’Erfurth que la Prusse avait suscité pour représenter l’unité de l’Allemagne, idée toujours chère à l’Allemagne, et qui finira par trouver son expression le jour où elle trouvera les limites dans lesquelles elle doit se renfermer, la ligue méridionale n’a pas manqué, dans son projet de constitution germanique, de susciter aussi un parlement de Francfort. De ces deux parlemens qui veulent représenter l’unité germanique, celui d’Erfurth et celui de Francfort, celui du nord et celui du midi, quel est celui qui prévaudra ? Nous ne savons. Quoi qu’il en soit, nous aimons à constater qu’en Allemagne l’idée d’un parlement germanique n’est pas une idée abolie et éteinte, nous aimons à constater cela, parce que partout, et en Allemagne surtout, nous aimons à voir le libéralisme triompher de ses deux ennemis acharnés, le despotisme et la démagogie ; mais, pour que le libéralisme triomphe, il faut qu’il sache nettement ce qu’il veut, assez et pas trop. Sous ce rapport, les attributions que la ligue méridionale fait au parlement de Francfort nous paraissent sagement réglées.
Le parlement d’Erfurth doit s’assembler le 20 mars ; déjà, plusieurs fois, on a dit que l’ouverture en serait retardée. Quant à nous, nous offrons de parier pour une première, séance ; nous ne parions pas pour la seconde. Le point important est de savoir si ce sera un parlement tout prussien, ou si ce sera un parlement allemand. Si c’est un parlement prussien, comme il y en a déjà un à Berlin, nous ne voyons pas à quoi servirait le parlement d’Erfurth. Serait-ce l’instrument de l’agrandissement de la Prusse ? Serait-ce une chambre de réunion comme celle que Louis XIV avait instituée à Metz ? Mais, derrière la chambre de réunion, il y avait une armée : derrière le parlement d’Erfurth, y a-t-il une armée ? Alors c’est quelque chose ; mais, derrière le parlement de Francfort, il y aura alors aussi une armée : ce sera une armée autrichienne. Seulement il est bon que les deux parlemens, celui d’Erfurth et celui de Francfort, sachent bien que, si les armées qui sont derrière eux entrent en ligne, ce seront les deux parlemens qui, le lendemain de la victoire et quel que soit le vainqueur, resteront sur le champ de bataille.
L’incertitude continue de régner dans les affaires du Danemark, et il se pourrait que la paix fût encore assez éloignée, tant la Prusse apporte ostensiblement de mauvais vouloir dans les négociations. Il est des esprits portés à l’optimisme, qui aiment à croire à un progrès accompli dans les rapports des peuples depuis deux siècles ; nous les engageons à étudier l’historique des manœuvres par lesquelles on voit la diplomatie prussienne se signaler sur ce terrain. Rien qui rappelle mieux la politique ultra-machiavélique de l’auteur de l’Anti-Machivavel. Sans remonter dans le passé au-delà du dernier armistice conclu en juillet 1849 ; nous voulons dire un mot des ruses à l’aide desquelles la Prusse en a éludé les principales stipulations, d’une probité patiente et scrupuleuse. Aux termes de l’armistice, en attendant la paix, la partie méridionale du Schleswig doit être occupée par un corps prustien de six mille hommes, le nord par un corps suédois, et l’île d’Als, située sur les flancs du duché, par une garnison danoise. En outre, le gouvernement du pays est confié à un comité d’administration composé de deux membres choisis l’un par le roi de Prusse, l’autre par le roi de Danemark, et d’un commissaire anglais chargé du rôle d’arbitre en cas de différends. Les troupes d’occupation sont à la disposition du comité administratif pour le maintien de l’ordre légal. Tel est l’esprit de l’armistice.
Le Danemark a mis autant de promptitude que de scrupule à exécuter pour sa part les conditions du traité ; mais le parti rebelle du Schleswig-Holstein a continué de trouver un appui dans la Prusse pour les menées les plus déloyales. Le Danemark réclamait naturellement la destitution des fonctionnaires nommés par la révolte victorieuse et la réintégration de ceux qu’elle avait éloignés. La Prusse a défendu et fait prévaloir l’état de choses créé par l’insurrection. En plusieurs endroits, le comité ayant cru indispensable de congédier quelques employés de cette origine révolutionnaire qui lui refusaient obéissance, ceux-ci résistèrent avec l’appui des agens de perturbation, et les troupes prussiennes assistèrent à ces désordres, sans rien entreprendre pour les réprimer. On ne tarda pas à connaître que les instructions secrètes des Prussiens étaient de n’user de leur force que s’ils se voyaient eux-mêmes insultés par la population et de ne prêter qu’une assistance nominale au comité d’administration. Dans la ville même de Schleswig, résidence du général commandant des troupes prussiennes, des fonctionnaires envoyés en mission par le comité administratif ont été insultés dans les rues, poursuivis à coups de pierres jusque dans leurs maisons, obligés de fuir, au péril de leur vie, sans recevoir aucune assistance de la force publique.
Avec la volonté la plus droite, le comité administratif échoue dans le midi du Schleswig contre cette opposition systématique, tantôt sourde et tantôt patente, fomentée par les rebelles du parti germanique et tolérée par les troupes prussiennes. On sait que le Holstein a conservé son gouvernement insurrectionnel. Continent use-t-il de son pouvoir ? Il envoie dans le Schleswig des émissaires et de l’argent pour entretenir l’esprit révolutionnaire et alimenter la résistance. Il y fait lever secrètement les impôts, que l’on refuse ensuite aux autorités légales. D’ailleurs, ce gouvernement ne recule devant l’emploi d’aucun moyen pour donner à croire que le Schleswig supporte avec peine l’autorité du comité administratif. La Prusse seconde ces manœuvres ; le roi et les ministres reçoivent des députations du Schleswig-Holstein ; ils affectent de compatir aux malheurs de ces populations que l’on aime à dire tyrannisées par le gouvernement danois. Enfin ; les troupes rebelles du Holstein sont encore aujourd’hui commandées par un général prussien, qui sert ainsi de lien entre la Prusse et la rébellion.
De tels faits expliquent suffisamment l’allusion transparente et directe que, dans un discours récent, faisait, le roi de Danemark à une grande puissance protectrice de ses sujets révoltés. Si le roi de Danemark s’est permis cette légitime et digne représaille, ce n’est pas, on le pense bien, qu’il veuille ajourner la paix. Le royaume a trop d’intérêt à une prompte solution pour que le cabinet danois ne travaille pas de tout son pouvoir à la poursuivre. Dès les premiers jours qui ont suivi la conclusion de l’armistice, il a nommé ses plénipotentiaires, qui se sont sur-le-champ rendus à Berlin. La Prusse, au contraire, a usé de tous ses subterfuges pour éloigner les explications sérieuses. Les six mois d’armistice sont expirés, et les négociateurs danois n’ont pu obtenir une conférence ; ils attendent encore aujourd’hui une première réponse à leurs premières ouvertures.
Dans la position bizarre et difficile qui lui est ainsi faite le comité administratif a cru devoir, communiquer aux trois cabinets, d’Angleterre, de Prusse et de Danemark une note formelle sur le non-accomplissement des conditions de l’armistice, sur les menées des partisans de l’insurrection et sur l’impuissance de l’autorité légale à se faire obéir, par suite du mauvais vouloir des troupes prussiennes ; mais cette note elle-même est restée sans résultat. Comment le Danemark sortira-t-il de cette situation qui, par momens, semble sans issue ? Nous espérons encore que l’amitié de l’Angleterre, de la France et de la Russie, finira par le tirer de ces embarras sans cesse renaissans ; mais n’est-il pas étrange que la solution d’une question en réalité si claire et si simple se fasse si long-temps attendre ? Et que doit-on penser de la Prusse, qui, l’ayant suscitée, ne craint pas, pour l’envenimer, de faire alliance avec le radicalisme révolutionnaire ?
La Commune, l’église et l’état dans leurs rapports avec les classes laborieuses, par M. Ferdianand Béchard, membre de l’assemblée nationale[1]. — L’auteur de ce petit volume n’avait d’abord d’autre pensée que d’apporter son tribut à l’œuvre commune de la commission législative d’assistance publique ; une fois la plume à la main, il a cru nécessaire de préciser les principes fondamentaux qui doivent, suivant lui, présider à l’organisation des classes ouvrières : C’est ce qui fait, qu’à côté des questions particulières qu’il s’était proposé de traiter, nous trouvons dans son ouvrage comme un projet nouveau de constitution politique. Ce projet, dans son ensemble, peut être ainsi formulé à l’unité gigantesque de l’état, qui entraîne dans sa sphère les départemens et les communes également asservis, qui a absorbé les anciens corps, qui menace d’envahir la familles et la propriété même, en épuisant par l’impôt les fortunes patrimoniales, substituer un vaste système d’associations qui, de la commune à l’état, embrasse successivement tous les droits et tous les intérêts ; l’agriculture et l’industrie, le commerce et les professions libérales, l’élection des magistrats et la gestion des affaires. Il y a là de la hardiesse assurément, mais de la hardiesse qui se souvient plus que de celle qui innove.
Notre histoire compte deux époques principales. Dans la première, qui s’étend de la conquête au règne de Hugues Capet, tous les efforts sont vains pour retenir ensemble ou relier l’une à l’autre les différentes portions du pays ; la résistance est générale, elle est dans le s lois, les hommes et les choses. Dans la seconde, qui des Capétiens se continue jusqu’à nous, le spectacle contraire s’offre aux regards, sauf de rares interruptions. Chaque pas qu’on fait est un pas vers l’unité : unité de sol, unité de pouvoir, unité de condition pour les personnes. Or, à ce mouvement vers l’isolement local ou vers la concentration et l’homogénéité politiques, correspond de près et en sens, opposé le mouvement qui porte les individus tantôt à s’associer étroitement, tantôt à relâcher de plus en plus les liens qui les unissent. Le livre de M. Béchard est, sous certains rapports et dans une certaine mesure, une protestation contre l’impulsion double, qui avec l’aide du temps, a fait de la France un pays d’indépendance individuelle et de forte unité nationale.
Ceci nous conduit à dire un mot des publicistes qui, dans le passé et dans des momens également critiques pour la liberté, soutinrent des opinions dont la trace et l’influence se retrouvent vivantes presque à chaque page du livre de M. Béchard. Au XVIIe siecle, un monarque, superbe, dont la pensée est admirablement résumée dans des paroles célèbres, écrivait que les biens de leurs sujets, tant ecclésiastiques que laïques, étaient à la disposition des rois pour en user comme de bons et sages économes, et, conformant ses actes à sa Maxime, il supprimait les états particuliers des provinces du domaine ; soumettant les autres à la tutelle royale, il portait le dernier coup à l’indépendance des communes en s’emparant de l’élection de leurs officiers et en intervenant dans leurs affaires. À ces empiétemens du pouvoir despotique, des plaintes s’élevèrent des degrés même du trône ; et des plans réparateurs furent conçus, préparés dans l’ombre. Un prélat illustre, ancien précepteur et conseiller intime du prince héritier de la couronne, un duc et pair chaudement épris de l’orgueil de ses titres, Saint-Simon et Fénelon, nous en ont transmis le témoignage et les détails. Les mêmes efforts reparaissent sous la convention, et la gironde républicaine caresse, sous une forme cette fois démocratique, les plans décentralisateurs des grands seigneurs de la cour de Louis XIV. Issus également d’une pensée libérale, les projets anciens que nous rappelons et le projet nouveau de l’écrivain légitimiste diffèrent en des points essentiels. Les élections ne doivent, selon Fénelon, porter que sur des personnages de choix ; Brissot appelle au vote tous les citoyens à la fois, électeurs et éligibles. M. Béchard se borne à souhaiter que la vertu, les lumières, l’illustration du sang, obtiennent du suffrage libre l’honneur des services gratuits, mais il veut que le droit de commune soit la source du droit de vote, et que ce droit soit réglementé et soumis, quant à son obtention, à des conditions de résidence ; de moralité, de travail. Il désire ; en outre, que le vote par circonscriptions électorales ait lieu dans les grandes villes par professions et non par quartier, afin que chaque intérêt légitime puisse se faire jour et obtenir une représentation proportionnée à son importance. Il est d’autres différences capitales entre les plans dont nous parlons. L’archevêque de Cambrai ne s’occupe point de la commune : toute sa sollicitude est tourné vers l’établissement d’assemblées de diocèses chargées de l’assise et de la levée des impôts, d’états provinciaux ayant pouvoir de policer, corriger et mesurer les impôts sur la richesse naturelle du pays et destiner les fonds, et d’états généraux exerçant un haut contrôle sur les états provinciaux, délibérant sur les chargés extraordinaires à imposer, donnant leur avis dans toutes les grandes affaires du pays et s’assemblant de droit toutes les trois années[2]. — L’état la province et la commune, dans leurs rapports entre eux et avec les citoyens, forment l’objet complexe où s’applique l’esprit du publiciste de la Gironde, et il confère à la province et à la commune des attributions qui renferment en même temps la surveillance publique et le soin de leurs intérêts spéciaux. — Se préoccupant avant tout de l’état et de la commune, l’honorable représentant du Gard professe ces maximes : Aux élus des localités, l’administration des affaires locales ; aux agens directs du pouvoir central, la police générale.
Le livre de M Béchard offre un double plan d’attaque. Si, d’une part, il bat en brèche la centralisation administrative, de l’autre, il réagit contre les théories économiques du laissez-faire, du laissez-passer, théories d’où découlent, comme autant de conséquences inévitables, « la concurrence sans frein ; la production sans limites, l’antagonisme perpétuel entre les maîtres et les ouvriers, l’alternative des exigences immodérées des travailleurs et de l’abaissement indéfini des salaires, la transformation de chaque industrie en une arène, de chaque ville manufacturière en un foyer permanent d’émeutes. » Est-ce à dire toutefois qu’en haine du principe de liberté sans bornes, il faille se rejeter dans les liens assujétissans des anciennes associations ou recourir à la servitude, rêvée par les socialistes sous le nom de solidarité des intérêts ? M. Béchard est un esprit trop judicieux pour tomber dans l’un ou l’autre excès. Dans leur formule un peu vague, voici le résumé de ses idées à cet égard : « Libre expansion de l’activité humaine à tous les degrés de l’échelle, depuis la famille jusqu’à l’état, sous la garantie des lois protectrices des intérêts généraux ; organisation au sein de chaque commune, sous la direction de mandataires librement élus et sous la surveillance de l’état, d’un système d’associations libres pour les progrès de l’agriculture et de l’industrie, du culte, de l’enseignement, de la bienfaisance publique. »
C’est un problème grave que le double, problème posé dans l’ouvrage de M. Béchard. La logique historique, inflexible jusqu’à ce jour dans sa marche vers l’unité de plus en plus générale et absolue, va-t-elle se donner un démenti à elle-même et remonter sa vieille pente ? Cette grande conquête de nos pères, dont ils furent si heureux et si fiers, — la liberté du travail, — n’est-elle qu’un héritage, ou funeste et qu’il faille répudier, ou douteux et qu’il soit prudent de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire ? Redoutables questions ! qui feront le tourment et le trouble de cet âge, et de la solution desquelles dépend peut-être en partie l’accroissement nouveau de nos destins ou notre décadence irrémédiable ! Le mal actuel de la société est, nous le craignons, plus profond que M. Béchard ne l’imagine ; il n’a point son siège principal où il le dit, et les voies de guérison qu’il indique sont sûrement insuffisantes. Les municipalités romaines avaient plus d’attributions que l’honorable représentant ne propose d’en accorder à nos communes pour les vivifier, l’industrie et les métiers y étaient organisés par fortes corporations, et néanmoins le plus puissant des empires s’est lentement affaissé sur lui-même avant de finir de la main des barbares. Ce qui l’a tué, c’est la lourdeur croissante des tributs, le dédain toujours plus grand du pouvoir pour les droits essentiels de la personnalité. Esclave du fisc, semant et récoltant pour lui, l’homme s’est détourné du labeur et a fui la propriété !… Domos suas deserunt ; ne in ipsis domibus torqueantur… ad hostes fugiunt ut vini exactionis evadant. — Ces paroles de Salvien, témoin attristé d’une époque où tout se précipitait vers la chute, s’élèvent comme un douloureux témoignage contre ces doctrines nouvelles d’universelle et complète solidarité qui ne peuvent avoir qu’un résultat : l’absorption dans l’état, des individualités humaines, c’est-à-dire la servitude générale dans la misère commune. Si tel était notre aveuglement qu’il fallût choir dans l’abîme et que les avertissemens fussent vains, peut-être reverrait-on, dans ses traits les plus sombres, le tableau peint par Salvien d’une plume si désolée : nos enfans abandonnant le champ paternel, le foyer domestique, et devançant la conquête, forcés, contre le sentiment de leurs cœurs, de rechercher l’exil pour éviter l’oppression : Exilia petunt, ne supplicia sustineant.
— Huet, évêque d’Avranche, ou le scepticisme théologique, par Christian Bartholmess[3]. — Le livre de M. Bartholmess a le mérite rare, traitant d’opinions anciennes ; de se rencontrer dans le courant des opinions du jour. En cette heure de doute obscur et de vaste incertitude, quel est l’esprit élevé qui ne se demande avec anxiété si la raison est un guide très sûr, si la nouvelle souveraine des hommes n’inaugurera point, où régnaient sans contradiction l’autorité et la foi, le régime de l’anarchie et du chaos ? Aux lieux où elle a passé il n’est que ruines ou fondemens découverts, aucune chose qui ait véritablement signe de vie et de certitude. La liberté de conscience a porté au christianisme un coup fatal, le doute méthodique a conduit à l’incrédulité ; la souveraineté populaire, pour l’école radicale de M. Proudhon, devient la négation absolue du pouvoir. En présence de ces destructions et de cette fureur qui porte les générations nouvelles à nier tout successivement et à tout abattre, on comprend qu’un retour s’opère dans les pensées effrayées, et qu’à côté des gens qui disent : Détruire c’est créer, il y ait des hommes qui s’écrient : Hors de l’autorité point de salut.
Les sceptiques sont différens de nature, et tous ils ne sont pas inscrits à même école. L’inquiétude d’un génie à la recherche continuelle de la vérité qui continuellement lui échappe fit de pascal, dans un temps de paix pour les sœurs et de forte croyance, un chrétien plein de trouble et de sombre hésitation, une ame qui, égarée et comme suspendue entre mille chemins et mille abîmes, et dans l’impossibilité de reconnaître jamais sa route, se jeta violemment, moitié par sagesse, moitié par désespoir, dans la folie de la croix. Montaigne, venu dans un siècle d’ébranlement général et de vaste examen, fut sceptique par goût autant que par la faveur des circonstances ; trouvant tout, en question et voyant ici et là la vérité et l’erreur, il se fit de l’ignorance et de l’incuriosité deux commodes oreillers pour sa tête, et, comme un enfant indolent et fantasque, se berça dans son doute. M. de Maistre, après Huet, a professé le scepticisme, théologique ; mais ce qui excitait l’amer dédain de l’auteur des Considérations sur la France, du pape et des Soirées, c’était le spectacle prochain de nos crimes, le souvenir présent des saturnales de la raison. Voilà pourquoi il le prenait de si haut avec les savans. « Il appartient aux prélats, aux nobles, aux grands officiers de l’état d’être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices ; d’apprendre aux nations ce qui est mal et ce qui est bien, ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre moral et spirituel ; les autres n’ont pas le droit de raisonner sur ces sortes de matières[4]. » L’évêque d’Avranches, au contraire, disciple autrefois de Descartes, et vivant en une époque où la philosophie avait prêté plus d’armes a la religion qu’enlevé d’enfans à l’église, n’eut d’autre dessein probablement que de faire une niche au maître qu’il quittait. Peut-être aussi, comme le fait remarquer M. Bartholmess, eut-il la présomption d’élever chaire contre chaire, le désir de venger sur un sage un peu dédaigneux de la science acquise dans les libres, l’antique érudition, qu’à juste titre il se piquait de cultiver. Il dit, en parlant de Descartes : minime contentor sui, intemperanter ostentator et gloriosus.
Huet, en antagonisme complet avec l’auteur des Méditations et du Doute méthodique, se déclare pour les preuves tirées des sens contre la logique de l’idée, pour le scepticisme absolu contre le scepticisme hypothétique. La raison, dont Descartes a fait un auxiliaire pour la foi, il la met, lui, à la suite, il la relègue aux fonctions de servante humble et soumise. « Il est faux qu’il y ait dans l’entendement quelque chose qui n’ait été dans les sens. » Enfin l’évêque d’Avranches, dans le procès éternel en ce monde de la libre pensée et de l’autorité religieuse rend, dans des termes différens, un arrêt qui est aussi celui de Blaise Pascal, et de Joseph de Maistre : « Que la raison abandonne à la foi la solution des problèmes qui touchent Dieu, notre ame et la liberté, et la foi laissera la raison étudier à son gré les choses naturelles et profanes, la physique et l’histoire. »
Dans sa savante dissertation, M. Bartholmess a fait ressortir avec beaucoup d’art la flagrante contradiction des diverses parties dont Huet a formé le corps de sa doctrine, l’étrangeté monstrueuse d’un système ou le matérialisme et le scepticisme sont chargés de préparer les voies à la foi et au spiritualisme chrétiens. Il a très bien montré comment peuvent, au contraire, s’accorder sans trop d’efforts la philosophie cartésienne et les dogmes évangéliques, la raison guidée par la sagesse et la révélation divine. S’aidant, en cette double tâche, tour à tour de citations fournies par la science et d’argumens donnés par la logique, il a atteint son but, qui était de convaincre le lecteur des erreurs de Huet. À cette rapide analyse du solide ouvrage de M. Bartholmess, nous n’ajouterons qu’un mot. Plus que ses erreurs même, un fait condamne Huet. Le XVIIe siècle, dont le caractère propre est d’avoir réuni dans un culte semblable la foi et la raison, dans un même respect la pensée indépendante et l’autorité religieuse, fut cartésien par ses grands hommes. Quand la philosophie de Huet parut, les docteurs de Port-Royal la réprouvèrent hautement, et Bossuet l’accueillit avec un froid silence.
P. R.