Chronique de la quinzaine - 14 mars 1891
14 mars 1891
Un des plus tristes fléaux du temps, c’est qu’on ne peut pas se résoudre à rester dans la simple vérité et garder dans tout ce qu’on fait, dans tout ce qu’on dit, le sentiment de la proportion des choses ; c’est l’exagération, le goût des excitations factices et de la mise en scène, la manie de tout grossir, de tout dénaturer, de se répandre en polémiques bruyantes, au risque de compromettre parfois les intérêts les plus sérieux. Par compensation du moins, — si c’est une compensation, — il reste avéré que le fléau ne sévit pas uniquement en France, que notre pays n’est pas le seul où l’on manque de sang-froid et de mesure.
C’est, en vérité, la seule impression qui puisse rester de tous ces incidens, heureusement aujourd’hui presque effacés, du dernier passage de l’impératrice d’Allemagne à Paris. Ce ne serait même pas la peine d’y revenir, si cette petite et importune aventure n’avait remis en pleine lumière deux ou trois faits, signes caractéristiques d’un état moral qui n’est certes pas sans danger. Le premier de ces faits, c’est qu’il peut dépendre de quelques esprits agités et brouillons, de susciter à tout propos, à l’occasion du passage d’une souveraine étrangère, les plus délicates affaires. On s’empare de quelques incidens, après tout insignifians, — même, si l’on veut, de quelque gaucherie ou de quelque fausse démarche, — on s’efforce de remuer quelque fibre généreuse, et l’on crée une apparence d’agitation qui ne sert à rien et ne répond à rien, qui n’est l’expression d’aucun mouvement réel d’opinion et n’est pas cependant sans péril. Le second fait, qui n’est pas moins sensible et moins inquiétant, c’est que le jour où se produit une de ces émotions artificielles, œuvre de quelques agitateurs sans responsabilité, les pouvoirs publics semblent craindre de se compromettre et se taisent, ou ne désavouent que tout bas des manifestations puériles. On n’ose rien dire, on laisse l’opinion sans guide et sans garantie. Avec cela on se met à la merci de l’imprévu ; on donne sans nécessité, sans profit, des prétextes à des récriminations, à d’iniques représailles, — et, comme il faut que quelqu’un paie, ce sont les malheureux Alsaciens-Lorrains qui ont subi les conséquences des derniers incidens par un surcroît de rigueurs dans leur condition intérieure. La Ligue des patriotes peut être satisfaite de ses nouveaux exploits : la dure réalité est pour l’Alsace-Lorraine ! Voilà la moralité de ces campagnes d’excitations factices et de manifestations qui ne servent à rien, ni pour la France, ni pour l’Allemagne.
Le fait est qu’en dépit de ces nuages qui passeront encore une fois, s’ils ne sont déjà passés, tout semble rester à la paix, et que la France, pour sa part, a devant elle toute sorte d’affaires intérieures où sa fortune, sa politique, ses intérêts sont engagés, où elle aurait besoin d’une direction éclairée et ferme, qu’elle n’a pas toujours. Voici, en effet, le moment où s’ouvre un débat des plus graves sur le régime commercial du pays, où se prépare pour tout dire une vraie révolution économique. Le président de la commission des douanes, M. Méline, a déposé son rapport, — le manifeste de la politique nouvelle ! — Des bataillons d’orateurs sont déjà en présence, et il est malheureusement assez visible qu’on entre dans cette discussion avec des idées presque arrêtées, avec l’intention de se servir, dans un intérêt de protection jalouse, de la liberté qu’on a reconquise par la dénonciation des traités de commerce. Qu’on veuille défendre l’agriculture, l’industrie, la production nationale, soit, il n’y a certes rien de plus simple, de plus avouable ; ce n’est pas là la difficulté : ce qu’il y a de redoutable, c’est qu’il s’agit d’une campagne où, sous ce mot de protection, se cachent les intérêts les plus âpres et même des passions, où la politique, les finances, les conditions du travail sont en cause, et où l’on va un peu à l’aventure. Préoccupations fiscales, préoccupations industrielles, tout se mêle dans ce qu’il faut bien appeler une vaste entreprise de réaction économique contre la liberté commerciale relative des traités de 1860. La question est de savoir si cette politique de protection à outrance, qu’on va peut-être inaugurer, ne risque pas d’avoir des retentissemens profonds dans l’état social du pays, si elle est motivée par les nécessités de l’industrie ou par des nécessités financières, si on ne va pas au-devant des périls les plus sérieux pour les relations de la France, si le moment enfin est bien choisi.
Chose curieuse ! on reprend aujourd’hui ce que M. Thiers a voulu faire il y a vingt ans déjà ; mais il y a vingt ans M. Thiers s’inspirait d’un patriotisme désespéré et subissait une nécessité cruelle. On sortait d’une guerre effroyable qui avait coûté des milliards. On avait une indemnité colossale à payer, un état militaire à rétablir, les défenses françaises à reconstituer, d’immenses désastres à réparer. Il y avait à trouver 700 millions d’impôts, et alors, après avoir puisé à toutes les sources, M. Thiers imaginait ses droits sur les matières premières. Tout protectionniste qu’il était, il n’allait pas jusqu’à imiter les États-Unis, jusqu’à demander comme eux aux douanes de quoi amortir une dette de 15 milliards : il demandait sous la forme de droits sur les matières premières 150 ou 180 millions, qui ne lui étaient même pas accordés. Il ne laissait pas moins accomplie, en quittant le pouvoir, l’œuvre merveilleuse du rétablissement des finances. Aujourd’hui la France a payé tous les impôts qui lui ont été demandés, tout ce qu’on a voulu, sans marchander. Elle a suffi à tout, à sa libération, à la réorganisation de ses forces, à la réparation de ses désastres, et même depuis, aux prodigalités d’une politique sans prévoyance. Ce qui pouvait paraître une nécessité, il y a vingt ans, ne serait plus désormais que du superflu, un moyen de suffire à de nouvelles dépenses de fantaisie ou à des expériences équivoques. Il n’y a donc aucune urgence financière.
Est-ce l’état même de l’industrie française qui impose la nécessité d’une défense plus énergique, de nouvelles mesures de protection ? Est-ce que par hasard notre industrie a disparu ou tombe en ruine depuis 1860, même depuis vingt ans ? Mais alors que signifie cette prospérité dont on ne cesse de se vanter ? Comment la France a-t-elle pu suffire à tout avec des forces décroissantes, incessamment épuisées ou paralysées par une législation meurtrière ? Par quel miracle compte-t-elle encore parmi les premières puissances, par la solidité de son crédit, par l’étendue de son commerce, par l’éclat de ses arts et de ses industries dans tous les concours du monde ? Il faudrait en finir avec ces contradictions ! Qu’il y ait eu, qu’il y ait encore pour l’industrie comme pour l’agriculture des crises partielles dues, les unes à des fléaux naturels, les autres à des causes multiples, indépendantes du régime douanier, cela se peut ; c’est certainement d’une politique éclairée de chercher les moyens d’atténuer ces crises si on le peut. Encore doit-on tenir compte de tous les intérêts et se garder de tout ce qui peut provoquer de profondes et périlleuses perturbations économiques. Ne voit-on pas en ce moment même ce que produit le droit mis récemment sur les maïs étrangers ? Il frappe de mort violente les distilleries de Bordeaux, de Marseille, une grande industrie perfectionnée qui représente un capital de près de 50 millions et occupait des milliers d’ouvriers, aujourd’hui sans travail. N’est-il pas, de plus, bien facile de prévoir que ce qu’on fera pour favoriser les producteurs, les industriels, sera nécessairement, fatalement payé par les consommateurs, c’est-à-dire par la masse nationale ?
Cette politique de protection, si on n’y prend garde, peut certainement avoir des effets aussi dangereux qu’imprévus à l’intérieur ; mais elle risque d’avoir des résultats plus graves encore peut-être pour les relations du pays. Un des plus singuliers phénomènes est cette espèce de candeur impétueuse et irréfléchie avec laquelle les nouveaux protectionnistes de la commission des douanes poursuivent leur œuvre au pas de charge, sans regarder autour d’eux, comme s’ils n’avaient à compter avec rien, ni avec personne. Ils n’ont pas eu de repos qu’ils n’aient obtenu la dénonciation des traités de commerce. Ils se sont fait l’illusion que, sauf les tarifs dont ils prétendaient redevenir les maîtres absolus, les autres garanties, les autres avantages consacrés par les conventions commerciales resteraient entiers. Malheureusement ils n’ont pas vu qu’ils allaient au-devant de singuliers mécomptes. On a dénoncé les traités de tarifs qui nous liaient à d’autres pays : ces pays, à leur tour, se délient des engagemens de toute sorte qu’ils avaient avec nous. Les nations les plus voisines, celles avec qui nous avons les rapports les plus familiers, la Suisse, la Belgique, ont répondu en dénonçant toutes leurs conventions : de sorte qu’avant un an il peut ne rester plus rien des accords qui existaient sur le libre passage des marchandises françaises en Belgique, sur les patentes des voyageurs de commerce, sur la propriété artistique et littéraire. Nous pouvons être exposés à voir refleurir à nos portes une industrie louche et équivoque dont la suppression a coûté des années d’efforts et de négociations, — la contrefaçon, qui serait assurément un coup redoutable pour une des plus grandes industries françaises. Il y a, il est vrai, ce qu’on appelle l’union internationale de Berne, une sorte d’association formée pour la garantie collective de la propriété artistique et littéraire. La Belgique et la Suisse font partie de cette association avec l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne ; mais on peut se délier de l’union de Berne comme de tout le reste, — et les Belges ne cachent pas, ils le déclaraient hier encore, qu’ils sont résolus à se servir de toutes leurs armes pour se défendre contre le protectionnisme français qui les menace. En d’autres termes, c’est la guerre des tarifs en perspective, une guerre d’intérêts qui ne peut avoir d’autre résultat que de réduire la France à un dangereux isolement commercial. Est-ce que maintenant la chambre, le parlement tout entier va suivre la commission des douanes jusqu’au bout dans cette voie de réaction économique qui nous ramène à un demi-siècle en arrière ? Est-ce que le rôle du gouvernement n’est pas de prendre résolument position, d’engager s’il le faut sa responsabilité pour arrêter ce torrent, pour sauvegarder les intérêts de la France menacés par une politique visiblement excessive ?
Le malheur est que la majorité de cette chambre ne sait pas trop ce qu’elle veut et que le gouvernement lui-même ne sait pas ou ne peut pas se décider à avoir une volonté, à prendre un parti, de peur de se compromettre. La protection est le mot magique qui fascine ces esprits troublés et aveuglés. On veut tout protéger sous la forme des tarifs ou sous toutes les formes de l’intervention de l’État, et un des plus singuliers spécimens de cet entraînement est certes cette affaire qui s’est produite il y a quelques jours à peine, qui a été, comme on l’a dit, le prologue des débats sur le régime douanier. M. Méline, qui est devenu l’apôtre du protectionnisme, a imaginé de proposer une subvention de l’État, secours ou dégrèvement, pour les cultivateurs de blé qui ont souffert de l’hiver et sont obligés de renouveler leurs semences. Secourir ceux qui souffrent, c’est fort bien ; mais pourquoi seulement les cultivateurs de blé ? Alors a commencé le défilé de tous ceux qui ont souffert de la gelée dans leurs cultures : les propriétaires de plants d’olivier, les maraîchers, les cultivateurs de câpriers. Puis sont venues d’autres victimes éprouvées par les chômages de l’hiver et tout aussi intéressantes. Pour tout cela il faut de l’argent ; M. Méline avait demandé 3 millions, on est allé jusqu’à 6 millions, qu’on trouvera où l’on pourra, — et si on est embarrassé pour les trouver, survient aussitôt un réformateur expéditif qui propose de les prendre sur les cotes supérieures de contributions. On n’est pas allé jusque-là, on n’a pas moins voté les 6 millions. Où s’arrêtera-t-on dans cette voie de subventions d’État et de protection universelle ? Ce qu’il y a de plus caractéristique, cependant, ce n’est point encore ce défilé de chimères, c’est la discussion même où toutes ces motions ont été agitées. Le plus clair est que M. Méline, le grand protecteur de l’agriculture, a proposé son dégrèvement, que la commission du budget n’a pas osé refuser, et que le gouvernement, représenté par M. le ministre des finances, à son tour, n’a pas osé résister à la commission du budget !
Oh ! M. le ministre des finances n’a pas cédé de bonne grâce, il a quelque peu maugréé contre l’idée de M. Méline ; mais il a cédé, et sait-on pourquoi ? Il a cédé parce que, derrière toutes ces propositions, derrière M. Méline, il a vu la masse rurale, c’est-à-dire électorale, le suffrage universel, — et ce qu’il y a de mieux, c’est qu’il l’a avoué ! Il a fait sa confession, et il a fallu que des républicains comme M. Millerand, comme le caustique M. de Douville-Maillefeu, finissent par demander ce que c’était que ce régime parlementaire qu’on nous faisait, où était le gouvernement. Le gouvernement, il semble malheureusement n’être nulle part depuis quelque temps. S’il s’agit d’un de ces incidens qui peuvent mettre en jeu la dignité et même la sécurité du pays, il s’efface devant quelques brouillons ; s’il s’agit du protectionnisme, il craint M. Méline ; s’il s’agit d’engager les finances de l’État par des subventions indéfinies, il a peur de mécontenter le suffrage universel pour les élections. Le pays qu’on ne cesse d’invoquer cependant est moins déraisonnable et plus modeste dans ses vœux ; il est plus facile à satisfaire, et tout ce qu’il demanderait, ce serait qu’on en finît avec toutes ces obscurités et ces faiblesses, qu’on lui assurât la seule protection dont il ait besoin, la protection d’une politique libérale, prévoyante, résolue à s’engager, quand il le faut pour ses intérêts les plus sérieux.
Quoique bien des événemens qui ont remué et transformé la vieille Europe depuis un siècle soient déjà lointains, ils semblent n’être encore que d’hier, tant ils ont laissé leur trace et leur influence dans les événemens d’aujourd’hui, tant ils réveillent l’intérêt et même parfois la passion des contemporains. C’est une histoire toujours vivante qui se compose des plus éclatantes vicissitudes de toutes les fortunes nationales et qu’on ne cesse d’interroger, comme pour garder un fil conducteur dans des crises qui continuent.
On a pu déjà l’étudier, ce passé d’hier, dans les récits de ceux qui en ont été les acteurs ou les témoins, dans les vastes correspondances de Napoléon, dans les mémoires de M. de Metternich. Il manquait encore un document essentiel et décisif, on le croyait du moins ; il manquait le témoignage d’un homme, qui, entre tous, a eu le privilège de traverser de son pied-bot cinquante années sans broncher, de vivre au milieu des passions de son temps sans les partager, de servir tous les gouvernemens sans s’enchaîner à eux, de passer à côté de toutes les catastrophes sans en être atteint, et de mourir en paix à plus de quatre-vingts ans, dans l’éclat de sa renommée. M. de Talleyrand n’avait pas dit son mot ! Il a été, il est vrai, à demi dévoilé depuis quelques années par une série de divulgations, par ses correspondances avec Napoléon aux plus beaux jours de l’empire, par ses lettres au roi Louis XVIII pendant le congrès de Vienne ; mais il n’avait pas parlé lui-même, ou si l’on veut, il ne parlait qu’à la dérobée, par des lettres disputées au secret des archives. Il ne s’était pas expliqué directement jusqu’ici sur son siècle, sur sa propre destinée et sur son rôle public. Aussi habile dans l’art de soigner sa renommée que dans l’art de conduire sa vie, celui qui a traversé son temps le sceau sur les lèvres, a voulu jouer avec la postérité en lui faisant attendre ses révélations, en mettant des délais à l’apparition de ses Mémoires. Il s’est préparé de loin une sorte de rentrée en scène, à un moment qu’il croyait sans doute plus favorable. Il a peut-être mis trop d’apprêt dans ses arrangemens et il s’est exposé à irriter ou à fatiguer d’avance une curiosité devenue exigeante. Qu’arrive-t-il, en effet ? Le jour où paraissent enfin ces fameux Mémoires, le premier mouvement ressemble à un mécompte : on est tenté de se demander si celui que Napoléon avait fait prince de Bénévent et qui reste dans l’histoire le prince de Talleyrand, n’avait rien de plus à dire, si c’est pour cela qu’il a fait attendre la postérité.
Est-ce donc que ces Mémoires, qui n’ont plus aujourd’hui de mystères, manquent d’intérêt ? Ils sont, au contraire, singulièrement intéressans toutes les fois que l’auteur se donne la peine de faire sa toilette pour le public comme il la faisait pour le monde tous les matins, même ce matin de 1814, où il recevait, tout barbouillé de poudre, M. de Nesselrode, venant lui annoncer la visite de l’empereur Alexandre. M. de Talleyrand décrit, certes, avec autant de charme que de finesse et son enfance, et son éducation, et les dernières années de la société française avant la Révolution. Il raconte avec une liberté piquante, trop piquante pour être juste, les scènes de l’entrevue d’Erfurt, et partout, dans toutes ces pages, même les plus insignifiantes, il y a des traits où se retrouve l’esprit supérieur ; mais il est évident que ces Mémoires, composés et retouchés sous des régimes successifs, ne sont qu’une œuvre incomplète et décousue, sans lien et sans suite. Ils sont un document de plus ; ils ne révèlent rien de bien nouveau ni sur la Révolution, ni sur l’Empire, ni sur l’homme qui, après avoir été mêlé à tout, reste un personnage à demi énigmatique.
Au fond, M. de Talleyrand, qui fut tour à tour abbé d’ancien régime, évêque relaps, député à l’assemblée constituante, ministre du Directoire, du Consulat, de l’Empire, du roi Louis XVIII, vice-grand-électeur, grand-chambellan, M. de Talleyrand a-t-il jamais été l’homme des gouvernemens qu’il a servis ? Le vieux roué s’est prêté quelquefois, il ne s’est jamais donné sans réserve. C’est justement son originalité de s’être fait par une série de circonstances extraordinaires, par la souplesse de son esprit et par une complète indifférence morale, une situation telle qu’il a paru passer tout naturellement d’un régime à l’autre. Il tenait de sa naissance et de son éducation une aisance supérieure dans ses relations avec tous les pouvoirs. Il tenait des révolutions qu’il avait traversées une absence totale de scrupules. Il tenait de sa nature une indolence sceptique et un génie délié qui ont toujours fait sa force dans la complication et dans la précipitation des événemens. Il était fait pour rester jusqu’au bout une sorte de puissance indépendante, patiente et neutre, négociant perpétuellement avec la fortune, habile dans l’art des évolutions nécessaires ou utiles, on ne peut pas dire qu’il conspirait contre les gouvernemens qu’il servait ; il ne conspirait pas, il se ressaisissait, il mesurait sa fidélité aux succès de ces gouvernemens, aux chances de durée qui paraissaient leur rester. C’est le secret de sa conduite avec l’empire et l’empereur, à qui il avait commencé par prodiguer un attachement plein d’effusions, un dévoûment passionné, — et dont il ne se détachait que par degré, à mesure qu’il croyait voir dans les excès de génie de Napoléon les premiers signes d’une inévitable catastrophe. Le point grave et délicat serait de savoir comment M. de Talleyrand réussissait à concilier dans son esprit ses devoirs de grand dignitaire, de ministre ou de vice-grand-électeur et ce rôle d’indépendant, de frondeur qu’il prenait de plus en plus dans l’empire à partir de 1807 : il ne s’en préoccupait pas, il trouvait cela tout simple !
Un de ses émules en diplomatie, M. de Metternich, parle, dans ses souvenirs, des conversations qu’il avait eues avec M. de Talleyrand après cette entrevue d’Erfurt, si spirituellement racontée dans les Mémoires qui paraissent aujourd’hui. Les confidences qu’il avait recueillies ont un tel caractère de hardiesse qu’on pouvait croire à quelque exagération. Eh bien ! non, M. de Metternich n’exagérait pas. M. de Talleyrand, dans le récit qu’il fait lui-même, prouve qu’au moment où il acceptait d’être l’agent direct, confidentiel de Napoléon, il suivait une politique toute contraire dans ses entretiens intimes avec l’empereur Alexandre et dans ses conversations avec l’ambassadeur d’Autriche. Il prouve aussi que, si Napoléon avait tort de s’emporter, de céder aux mouvemens d’une colère soupçonneuse, il ne se trompait pas tellement lorsqu’il faisait, en plein cercle des Tuileries, cette scène violente, humiliante, dont M. de Talleyrand se vengeait en disant : « Quel dommage qu’un si grand homme soit si mal élevé ! » Ce qu’il y a de mieux, c’est que l’empereur, bien que désormais fort ébranlé dans sa confiance, ne gardait pas de longues, d’irréconciliables rancunes à son vice-grand-électeur, et que M. de Talleyrand, de son côté, ne laissait pas d’écrire bientôt à Napoléon, en pleine campagne d’Autriche, ces étonnantes paroles : « Votre gloire, sire, fait notre orgueil, mais votre vie fait notre existence… Tout éloigné que je sois de la scène de ses glorieuses entreprises, je n’existe pas moins par tous mes sentimens, par toutes mes pensées, dans le premier rang de vos serviteurs qui ont placé ce qu’ils attendent personnellement déconsidération, de gloire et de bonheur, dans l’accomplissement des grandes vues de Votre Majesté ? » On n’en était encore, il est vrai, qu’en 1809, à la veille de Wagram, et la maison restait assez puissante pour que l’heure ne parût pas venue de la déserter tout à fait !
La souveraine habileté de M. de Talleyrand a été de ne jamais se presser, de savoir toujours attendre et tout ménager, de rester à la disposition des événemens et de s’arranger pour ne pas se confondre avec les gouvernemens qu’il servait, — surtout à l’heure de leur chute. Il a réussi, puisqu’il est mort après avoir été mêlé à toutes les affaires de son temps, après avoir épuisé les faveurs de la fortune, les honneurs, les dignités, et que, plus d’un demi-siècle après sa disparition, il occupe encore le monde de son nom. Assurément, dans cette longue vie, menée avec tant d’art au milieu des crises les plus compliquées, il y a de singulières lacunes morales, des incidens obscurs, des connivences, des capitulations, et, pour dire le mot, des corruptions que les Mémoires n’expliquent pas, qu’ils peuvent tout au plus déguiser ; mais ce qu’il y a de certain aussi, ce qui fait que ce dernier des grands personnages d’autrefois réveille encore l’intérêt, c’est qu’il a été un des hommes les mieux doués, les plus clairvoyans, un des plus lucides praticiens des grandes affaires de l’Europe, et qu’il y a eu un jour où, représentant d’une nation vaincue, il s’est trouvé être l’arbitre des congrès. C’est ce moment de 1814, où, au lendemain de la défaite, M. de Talleyrand a eu le mot de la situation et a mis sa dextérité à servir la fortune de la France, — sans nuire à sa propre fortune.
Certes, depuis ces jours d’autrefois que rappellent les Mémoires de M. de Talleyrand, bien des choses ont changé en Europe. Ce que la diplomatie de 1815 avait fait, d’autres guerres, d’autres diplomates l’ont défait. Il n’en reste plus rien, ni en Allemagne, ni en Autriche, ni en Orient, ni en Italie, ni à notre frontière en Belgique. Non-seulement les rapports de puissance et de force ont changé entre les nations ; mais, chez ces nations mêmes, les institutions, les conditions sociales, les intérêts se sont modifiés et se modifient chaque jour.
C’est un ordre nouveau, des plus compliqués, où la vie ne laisse pas d’être laborieuse pour tous, où la politique reste soumise à des oscillations singulières. Le plus simple incident, parfois, peut suffire, comme on vient de le voir à l’occasion de cette malencontreuse affaire du voyage de l’impératrice Victoria à Paris. Un incident, ce n’est pas même cela, puisque, tout compte fait, on ne voit rien de sérieux, rien de saisissable, puisque tout se réduit à une petite effervescence factice et disproportionnée, à un bruit éphémère de polémiques violentes. Il n’est pas moins vrai que, par une coïncidence curieuse, à ce voyage déjà presque oublié semble se rattacher une sorte de revirement de la politique à Berlin. Et ce revirement imprévu, il ne s’est pas seulement fait sentir d’une façon presque instantanée dans l’impétuosité acerbe avec laquelle on s’est hâté de révoquer quelques mesures récentes d’adoucissement dans le régime des passeports en Alsace-Lorraine ; il est assez sensible, depuis quelques jours, dans l’ensemble de la politique intérieure à Berlin, dans les débats parlementaires, dans le langage du chancelier, peut-être dans les dispositions de l’empereur lui-même. Depuis quelque temps, — c’est un fait qui a retenti assez bruyamment en Europe, — l’esprit de Guillaume II semblait tourné tout entier vers les questions du travail et les réformes populaires, vers tout ce qui se rattache au mouvement socialiste contemporain. Il a témoigné, avec éclat, son intérêt pour les populations ouvrières et n’a pas dissimulé ses sympathies pour leurs souffrances, pour leurs revendications. Il a laissé tomber les lois d’exception contre les socialistes. Bref, il a mis son jeune orgueil à ouvrir le règne réformateur, et c’est là même une des causes ou un des prétextes de l’éclatante rupture accomplie, il y a un an maintenant, entre l’impatient souverain et le tout-puissant chancelier, relégué encore aujourd’hui dans la solitude.
Qu’est-il arrivé ? L’empereur a-t-il perdu quelques illusions ? S’est-il aperçu que malgré ses promesses, et ses programmes, et ses discours, et sa bonne volonté, il ne gagnait rien sur ces masses socialistes, si fortement organisées en Allemagne ? Est-ce une nécessité de tactique pour rallier les conservateurs et obtenir les lois qu’on demande au parlement ? Toujours est-il que le vent a changé à Berlin ; l’orientation, comme on dit aujourd’hui, semble n’être plus la même, et le changement s’est surtout accentué, ces jours derniers, dans le langage du nouveau chancelier, M. de Caprivi, à l’occasion des crédits militaires, de la prime de réengagement réclamée pour les sous-officiers de l’armée. M. de Caprivi, avec une franchise qui paraît un peu naïve, est allé droit au fait ; il a déclaré tout simplement que, si les lois sociales méditées par l’empereur n’arrêtaient pas le mouvement révolutionnaire, il fallait s’attendre à une guerre ouverte, et que dans ce cas on avait besoin de sous-officiers solides, éprouvés, inaccessibles à l’esprit d’indiscipline qui entre aujourd’hui avec les jeunes recrues dans l’armée. Le chancelier entre en vérité dans de singuliers détails sur la guerre des rues, sur la difficulté de conduire des soldats au feu contre leurs concitoyens, sur la nécessité d’avoir des sous-officiers plus fermes encore pour cette guerre que pour faire campagne à l’extérieur. Bref, cela ressemble un peu à un manifeste belliqueux contre les socialistes dûment prévenus. Est-ce le signe d’un retour à la politique de réaction et de compression ? Mais alors, c’est l’ancien chancelier qui triomphe, qui se trouve justifié dans ses prévisions, vengé par ses successeurs eux-mêmes. Et si, comme tout semble l’indiquer, M. de Bismarck, qui est aujourd’hui candidat dans un district du Hanovre, est élu député au Reichstag, la situation peut devenir étrange. Elle ne sera peut-être pas facile pour le grand disgracié de Friedrichsruhe, elle pourrait l’être encore moins pour le gouvernement lui-même. L’élection de Geestmunde n’est qu’une puérilité, une plaisanterie peu digne d’un homme d’un si grand passé, ou elle est une menace, un défi. M. Bismarck chef d’opposition, sortant de sa solitude pour aller défendre sa politique devant un parlement, lui qui s’est si souvent moqué des parlemens, — ce sera curieux à voir et à suivre !
Les représentations de la politique européenne varient avec les théâtres, et les affaires de l’Autriche ne sont pas pour le moment moins curieuses, moins laborieuses que les affaires d’Allemagne. Elles passent par une crise singulièrement compliquée, qui n’est encore aujourd’hui qu’une crise d’élections, qui sera demain une crise de parlement et peut devenir avant peu une crise de gouvernement. Le fait est que la situation commence à n’être plus commode ni pour le chef du cabinet, le comte Taaffe, qui après douze ans de pouvoir voit s’accumuler autour de lui toutes les difficultés, ni même peut-être pour l’empereur François-Joseph, qui aura en fin de compte à dénouer le vaste imbroglio électoral et parlementaire. Comment les choses se présentent-elles en définitive ? Le comte Taaffe, en dissolvant récemment le Reichsrath et en précipitant les élections, a cédé évidemment ou a cru céder à une nécessité. Il a cru aussi, sans doute, dégager sa position vis-à-vis d’une partie de l’opinion, en procédant à la veille du scrutin à un remaniement partiel de son cabinet, en se séparant notamment d’un de ses collègues, le ministre des finances, M. Dunajewski, qui représentait l’élément slave. S’il y a eu quelque calcul électoral dans ces essais de remaniement ministériel qui en préparaient peut-être d’autres, le résultat n’a pas répondu jusqu’ici aux vues du président du conseil, et les élections qui se succèdent depuis quelques jours ont tout l’air d’avoir été une vaste confusion où il y a tout ce qu’on voudra, hors une majorité pour le ministère, excepté une force de direction et de gouvernement.
Tout est compliqué en Autriche. Les élections ne ressemblent pas aux élections des autres pays. Elles se font par groupes d’intérêts, par collèges distincts : collège des villes, collège des campagnes, collège de la propriété, collège du commerce. De plus, ces élections ne se font pas le même jour. Elles ne sont même pas complètement finies ; elles sont cependant assez avancées pour qu’on puisse distinguer les principaux caractères et les résultats essentiels de cette lutte qui a été singulièrement passionnée, presque violente sur quelques points, et animée partout. D’une manière générale, le succès n’est pas visiblement pour les modérés de tous les partis. Les conservateurs plus ou moins cléricaux gardent toujours une grande force dans quelques-unes des provinces autrichiennes. Les libéraux ou centralistes allemands, sans être trop diminués, ont eu de la peine à maintenir leurs positions. L’antisémitisme fait de singuliers progrès et a eu des avantages particulièrement à Vienne, où l’un des élus les plus marquans est le prince Aloys Liechtenstein, grand seigneur autrefois clérical, aujourd’hui démocrate, à demi-socialiste et antisémite, qui est le héros populaire d’un des faubourgs de Vienne. L’antisémitisme a désormais son bruyant contingent au Reichsrath ; mais l’incident le plus caractéristique, le plus grave de ces élections autrichiennes est certainement ce qui s’est passé en Bohême ; ici la volte-face est complète. Les jeunes Tchèques qui soutiennent depuis quelques années une lutte passionnée contre toute idée de transaction avec les Allemands contre le dernier compromis et qui n’étaient pas plus de huit ou dix, les jeunes Tchèques ont enlevé partout le succès. Les vieux Tchèques ont presque disparu. L’homme qui a servi avec le plus d’éloquence et de succès la cause de la Bohême depuis quarante ans, M. Rieger lui-même, est hors de combat. Il ne reste presque plus rien du parti, et avec les vieux Tchèques disparaît la principale fraction de la majorité sur laquelle le comte Taaffe a pu s’appuyer jusqu’ici au Reichsrath. En réalité, le président du conseil n’a plus que le choix des difficultés ou des impossibilités ; il n’a plus la majorité ; s’il se tourne vers les Allemands, il n’a qu’un appoint insuffisant et il risque de voir toutes les autres fractions s’allier aussitôt contre lui. Le comte Taaffe a depuis douze ans résolu bien des problèmes d’équilibre : il a devant lui le plus insoluble, et ce qu’il y a de curieux, c’est que s’il s’avoue vaincu, s’il disparaît, on ne voit pas bien qui le remplacerait aujourd’hui en Autriche.
CH. DE MAZADE.
L’événement de la première quinzaine de mars est la chute de la Société de dépôts et de comptes courans. Il y a bien longtemps déjà que des bruits fâcheux couraient sur la situation de cette banque de dépôts. On la savait engagée dans de détestables affaires. Des procès étaient intervenus, impliquant la responsabilité des administrateurs de la Société ; ils ont été successivement perdus.
Il y a quelques semaines, à la suite d’un jugement condamnant la Société à payer un certain nombre de millions à la faillite du Crédit viager, on avait parlé de l’imminence d’un appel de fonds sur les titres ; mais ce bruit avait été officieusement démenti. Le 11 courant, cependant, on apprit tout à coup que la Société de dépôts, incapable de trouver dans ses propres ressources les moyens de faire face aux demandes, qui commençaient à être pressantes, de remboursement des dépôts, était obligée de faire appel au concours d’autrui.
On a vu alors se reproduire exactement les mêmes phases que lors de la déconfiture du Comptoir d’escompte, il y a deux ans, à Paris, et de la maison Baring, il y a quatre mois, à Londres : affluence de déposans au siège de la Société menacée ; convocation d’urgence, au ministère des finances, des représentans des grands établissemens de crédit ; invitation à la Banque de France d’avancer la totalité des fonds nécessaires, moyennant la remise de l’actif de la Société à sauver, et constitution d’un syndicat pour la garantie partielle de cette avance.
Dans la conjoncture actuelle, la Banque de France avance 60 millions, le syndicat garantit le recouvrement de cette somme jusqu’à concurrence de 15 millions. Il s’agit maintenant de savoir ce que vaut le portefeuille de la Société de dépôts, porté au dernier bilan (31 janvier 1891) pour 82 millions environ. Il est à craindre que la réalisation des effets et valeurs que représente cette somme ne laisse de graves mécomptes ; il resterait alors, pour couvrir l’avance de la Banque, les comptes courans créditeurs, d’une valeur bien aléatoire ; l’immeuble, évalué 7 millions, enfin les 60 millions au versement desquels peuvent être obligés les malheureux actionnaires, actuels ou anciens, à raison de 375 francs par action.
De quelque façon que se termine cette liquidation, le désastre matériel est grand, le désastre moral plus considérable encore. C’est la seconde de nos plus anciennes institutions de crédit qui succombe ainsi, en l’espace de deux années, au milieu d’une grande prospérité financière générale, non à cause de quelque accident extérieur, subit, imprévu, mais par l’action prolongée de vices intérieurs d’administration, de direction des affaires sociales.
À un autre point de vue, il est regrettable que les circonstances obligent une fois de plus le gouvernement à intervenir comme sauveteur des déposans et à entraîner la Banque de France dans des aventures qui ne lui porteront pas préjudice, on doit l’espérer, mais qui font sortir cette grande institution de son rôle naturel et engagent une partie de ses capitaux dans un ordre d’opérations qui devraient regarder exclusivement les liquidateurs judiciaires.
Quelques jours avant cette chute de la Société de dépôts, le marché avait été déjà ébranlé par de très fâcheuses nouvelles de la République Argentine où le désordre financier et la détresse publique ont atteint un tel degré d’acuité qu’il a fallu fermer la Bourse et la Douane, suspendre les paiemens des banques et décréter un emprunt national.
Les fonds argentins étaient déjà si bas que ces nouvelles, pour si mauvaises qu’elles fussent, ne les ont pas fait baisser davantage. Mais elles ne peuvent qu’éloigner de plus en plus les chances de réalisation avantageuse des portefeuilles de plusieurs grandes maisons de banque anglaises, que l’on sait remplis de titres argentins possédant une valeur intrinsèque, mais pour l’instant et pour un long temps encore, invendables.
Malgré les appréhensions que suscite cet état du marché de Londres, malgré l’accroissement des difficultés auxquelles se heurtent tous essais de réorganisation des finances argentines, malgré la débâcle de la Société de dépôts et de comptes courans, nos fonds publics ont conservé une très ferme attitude et n’ont fait à cet ensemble de circonstances fâcheuses qu’un sacrifice de quelques centimes.
Il n’en a pas été de même pour les titres des établissemens de crédit dont le marché a été très atteint par contre-coup. Le bruit que la Société de dépôts aurait dans son portefeuille, pour des sommes importantes, du papier de la Banque d’escompte a provoqué des offres sur les actions de ce dernier établissement. Ces titres ont reculé de 560 à 530.
Le Crédit lyonnais et la Banque de Paris n’ont pas été épargnés. Le premier a fléchi de 820 à 782.50, la seconde de 835 à 812.50. Le Crédit mobilier perd 20 francs à 415 ; la Société générale, 15 francs à 500 ; le Crédit industriel, 20 francs à 650 ; le Comptoir national d’escompte, 25 francs à 630. Le Crédit foncier, avec moins de raison qu’aucun de ces établissemens, a reculé de 12.50, à 1,273.75. La Banque russe et française a reculé de 30 francs à 350, en prévision des pertes auxquelles on la suppose exposée par suite de ses engagemens argentins.
Cette demi-panique sur les titres des sociétés de crédit va se calmer sans doute, faute d’aliment ; tous les titulaires des dépôts à la Société menacée un moment de suspension savent qu’ils seront remboursés jusqu’au dernier. Cette certitude arrêtera toute velléité de run aux guichets des autres Sociétés. Celles-ci, d’ailleurs, averties à temps, ont pu prendre leurs dispositions pour se trouver en mesure de faire face éventuellement à des demandes exceptionnelles.
Encore une fois cette heureuse solution, obtenue en vingt-quatre heures, est exclusivement due à la puissante organisation de la Banque de France. C’est un nouvel argument, et dont la Banque se serait sans doute volontiers passée, en faveur d’un prompt renouvellement du privilège. L’action est très ferme à 4,335.
Les fonds internationaux se sont bien tenus, sur le raffermissement du marché de Londres. La tendance de la spéculation est en général plus favorable à l’Italien depuis la chute de M. Crispi. Les fonds russes s’établissent aux environs du pair. Le Hongrois regagne, puis abandonne le cours de 93.
L’Extérieure vaut 76 1/2, après 77, et le Portugais 56 1/2 après 57. La reprise de l’opération de conversion de la dette cubaine 6 pour 100 paraît ajournée. L’emprunt portugais, sur la base du monopole du tabac, est conclu.
Les valeurs turques ont été assez animées. La maison Rothschild de Londres s’est chargée, de concert avec la Banque ottomane, de la conversion de l’emprunt turc de la Défense dont les titres 5 pour 100 ont depuis longtemps dépassé le pair, en un nouveau fonds 4 pour 100.
Les Privilégiées ottomanes (ex-coupon de 10 francs), les obligations des Douanes, les actions des Tabacs, le 4 pour 100 consolidé ex-coupon, restent à leurs plus hauts cours. Le 1 pour 100 seul a fléchi, le 13, sur le détachement de son coupon semestriel.
L’Unifiée est sans variation à 495. La Banque d’escompte, le Lyonnais, la Société générale, le Crédit industriel, ont annoncé pour le 25 courant l’émission d’obligations 4 pour 100 du Crédit foncier égyptien, pour la conversion ou le remboursement des titres 5 pour 100 de cette société.
Une émission d’obligations 3 pour 100 des chemins de fer du Sud de la France, lancée au cours de cette quinzaine, a obtenu un très vif succès, comme il convient à des titres dotés de la garantie de l’État et de départemens français.
La hausse s’est arrêtée, avec raison, sur les actions des chemins de fer français. Ces titres sont d’un prix trop élevé. Le marché des valeurs industrielles a été très calme et négligé.
Le directeur-gérant : C. BULOZ.