Chronique de la quinzaine - 14 octobre 1858

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Chronique n° 636
14 octobre 1858


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 octobre 1858.

Les grands incidens de la vie intérieure d’un peuple prennent ordinairement la forme de spectacles publics, et c’est par cette apparence extérieure qu’ils saisissent toujours l’imagination du grand nombre. Tels sont surtout ces imposans rassemblemens de troupes périodiquement réunies pour l’instruction de l’armée, ces camps pacifiques qui sont devenus une sorte d’institution militaire. L’année dernière, le camp de Châlons, dans sa nouveauté, avait vivement intéressé la curiosité. Cet empressement de curiosité semble s’être un peu calmé cette année. Nous n’avons point, pour notre part, de jugement à émettre sur les travaux et les manœuvres accomplis par le camp qui vient de se dissoudre. Ces scènes militaires, qui échappent d’ailleurs à notre compétence, ne nous sont connues que par les bulletins du Moniteur. Des bulletins, nous ne pouvons apprécier que le style, et si de pareils documens étaient du domaine de la critique, nous oserions dire qu’en général la littérature des bulletins de cette année a été trouvée trop fleurie ; mais si notre ignorance ne nous permet point de juger la valeur technique des manœuvres de Châlons, et s’il est puéril de débattre en pareille matière le goût et l’adresse littéraires des historiographes, nous n’hésiterons point à exprimer le profond sentiment que nous inspire le caractère national et politique de ces travaux et de ces fêtes de notre armée. Il nous est impossible de voir sans attendrissement des troupes françaises rassemblées, car l’armée est chez nous l’expression la plus vivante de l’abnégation et de la générosité du peuple. La France a eu sans doute de grands généraux, de savans et braves officiers ; mais sa vraie supériorité militaire n’est point dans ses états-majors : elle est dans l’élément populaire de ses troupes, dans l’esprit et l’élan de ses soldats. Or y a-t-il rien de plus touchant que les sacrifices au prix desquels ces enfans du peuple conquièrent et conservent à la France sa puissance et sa gloire militaire ? Nos victoires, on l’a vu dans la dernière guerre, sont bien plus souvent des victoires de soldats que des victoires de généraux, et ce sont ceux auxquels sont à peu près interdits les profits de la guerre qui en supportent toutes les charges avec une infatigable patience, avec un héroïque désintéressement. Quelle est cette influence mystérieuse qui enracine de préférence au cœur du peuple, au sein des populations qui ne vivent que du travail, et qui n’ont pour ainsi dire dans l’histoire ni passé ni lendemain, le sentiment exalté du patriotisme ? Pourquoi un succès national a-t-il son plus vif retentissement dans ces modestes foyers sur lesquels pèsent sans compensation tous les maux de la guerre ? Plus d’une fois, pendant la campagne de Crimée, on a pu juger, au milieu de notre spirituelle et vaillante population parisienne, de la spontanéité du patriotisme au sein du peuple. Les jours de bulletins victorieux, tandis que, dans les quartiers aristocratiques, on laissait traduire aux lampions officiels la satisfaction publique, il fallait aller voir dans les rues populeuses resplendir la joyeuse fierté plébéienne aux fenêtres des logemens d’ouvriers. Expliquera qui voudra le sublime mystère du patriotisme guerrier des masses ; comment pourrait-on en voir les manifestations sans être pénétré d’un amour profond pour le peuple ? Ce sentiment, auquel il est impossible de se soustraire pendant les perplexités de la guerre, nous l’éprouvons aussi naturellement pendant la paix, à la vue de ces camps où le peuple-soldat sacrifie les plus belles années de la jeunesse et du travail à l’intérêt national de son éducation militaire.

Nous avions été trompés, il y a quinze jours, sur les tendances économiques du gouvernement par un journal qui, prenant à tort le ton et l’autorité d’un organe officiel, avait annoncé le rétablissement de l’échelle mobile et le retour au système protecteur en matière d’alimentation publique. Ce journal n’était heureusement dans cette circonstance que l’avocat trop zélé de la coterie protectionniste. Le gouvernement a maintenu encore pour une année la suspension de l’échelle mobile et la libre admission dans nos ports des céréales étrangères. C’est une mesure louable, et qui doit dès à présent être considérée comme annonçant l’abandon définitif du système qui, sous prétexte de protéger la production nationale, tendait à renchérir artificiellement la nourriture du peuple. Il nous sera impossible en effet, après une suspension de quatre années, de revenir au système de l’échelle mobile, et il est à supposer que le gouvernement ne laissera point passer la prochaine session du corps législatif sans fixer la législation économique sur cette question importante. À l’égard de l’Algérie, la politique protectionniste vient également d’éprouver un échec. Par un décret que le Moniteur publie aujourd’hui, les navires étrangers sont autorisés pendant une année encore à transporter les denrées alimentaires d’Algérie en France.

Sans doute, si cette admission temporaire des marines marchandes étrangères dans notre commerce avec l’Algérie devait, après avoir duré pendant plusieurs années, devenir un fait permanent, il y aurait une anomalie de plus dans notre système douanier. Entre l’Algérie et la France, le commerce en effet n’est point encore entièrement libre. Certains produits naturels et la presque totalité des produits industriels de l’Algérie sont traités et taxés à peu près comme étrangers à leur entrée en France. Si certaines industries françaises se font protéger contre les productions de notre colonie, pourquoi, diraient les logiciens, notre marine marchande serait-elle moins favorisée et aurait-elle à subir la concurrence étrangère dans ses transports entre la colonie et la métropole ? De pareilles contradictions nous touchent peu ; ce n’est que par de tels accrocs à la logique que la liberté commerciale peut s’introduire parmi nous. Pour entrer dans la pratique générale, il faut que les principes économiques se résignent à passer par des expérimentations partielles. Il n’y a que le succès de ces expériences partielles qui puisse non-seulement instruire le pays des avantages de la liberté commerciale, mais convaincre les intérêts protégés du peu de fondement qu’ont les craintes par eux alléguées. Plusieurs expériences de ce genre ont été déjà accomplies ou entreprises. La plus décisive jusqu’à présent est celle qui a permis l’introduction des bœufs étrangers, moyennant un droit insignifiant. Il y a plusieurs années, lorsqu’on réduisit de 50 fr. à 3 par tête le droit d’entrée des bœufs, on avait annoncé la ruine des éleveurs français : l’événement a démontré l’absurdité de la prophétie ; les prix de la viande sont restés très élevés, et s’il y a lieu d’exprimer un regret, c’est que l’étranger ne puisse point fournir une quantité plus considérable de viande à notre consommation croissante. L’expérience de la libre entrée des céréales, qui se poursuit encore, ne sera pas moins concluante. L’agriculture française ayant renoncé à la protection sur deux de ses branches les plus importantes, nous ne savons quel autre intérêt en France aurait le droit de réclamer la conservation de privilèges onéreux à la masse des consommateurs et nuisibles à la fécondité du travail et du capital français. Bien qu’on nous accuse d’impatience, il nous semble que nous ne faisons que suivre le même système d’expériences successives et indirectes, en demandant pour l’Algérie d’abord l’entière liberté d’échanges avec la métropole, et ensuite un abaissement du tarif colonial vis-à-vis des produits étrangers. Puisqu’il faut marcher lentement et progressivement, pourquoi, avant de mettre directement nos industries protégées aux prises avec la concurrence étrangère, n’essaierait-on pas de les aiguillonner par la concurrence indirecte ? Quoi qu’il en soit, nous tenons grand compte au gouvernement des mesures partielles par lesquelles il prépare l’abandon du système des prohibitions ou des protections exagérées. Nous avons déjà eu occasion de le dire, pour imprimer à sa politique commerciale une libérale impulsion, il faut qu’il songe à donner lui-même l’exemple des sacrifices, il faut qu’il renonce aux droits fiscaux et véritablement barbares que l’on perçoit encore sur les matières premières nécessaires à la grande industrie. C’est à l’abolition absolue des droits imposés au coton et à la laine qu’il doit appliquer les premières ressources disponibles que lui laisseront les excédans du budget. Au double point de vue de l’équité et de la logique, l’abolition des droits sur les matières premières peut seule donner à l’état une autorité morale suffisante pour supprimer les prohibitions et adoucir les droits protecteurs.

Nous pardonnera-t-on de compter au nombre, pour le moment si restreint, des questions intérieures la question de la propriété littéraire, qui vient d’être discutée avec tant d’éclat au congrès de Bruxelles ? Au fait, cet intéressant et brillant débat n’est-il pas essentiellement français ? C’est dans notre langue qu’il a été engagé et soutenu, et la plupart des orateurs étaient des avocats ou des écrivains français. Nous avons déjà énoncé notre opinion sur la portée que l’on veut donner à la propriété littéraire ; le congrès de Bruxelles est arrivé à une conclusion semblable à la nôtre : il a repoussé l’idée de la perpétuité de la propriété littéraire, et il a proposé d’étendre à cinquante ans après la mort de l’auteur le droit des héritiers à la propriété de l’œuvre. Ce n’est pas que la cause de la perpétuité n’ait eu d’éloquens défenseurs ; mais, comme nous l’appréhendions, les avocats de la perpétuité de l’héritage intellectuel se sont égarés dans des généralités philosophiques et sentimentales qui trompent bien des esprits généreux sur la nature de la propriété littéraire. On a parlé de cette propriété en l’assimilant aux autres formes de la propriété, comme si elle était de droit naturel ou de droit divin ; l’on a confondu le droit d’un auteur pendant sa vie aux fruits de son travail avec la transmission perpétuelle à ses héritiers de ses droits sur son œuvre ; puis, après avoir défini avec si peu de précision les termes de la question, on a cru jeter à la tête de ses adversaires un invincible argument en les accusant de raisonner comme des communistes. Quoique les partisans de la propriété littéraire perpétuelle nous paraissent avoir manqué de tolérance dans cette discussion vis-à-vis de ceux qui se contentent de la propriété littéraire limitée, nous ne voudrions point user de représailles envers eux, et mêler à une controverse si généreuse les provocations des polémiques irritantes. Nous nous bornerons à signaler leur erreur radicale. On n’est point communiste pour dénier à la propriété en général, et à la propriété littéraire en particulier, le caractère d’un droit divin ou naturel ; on n’est pas plus communiste en cela que ne l’étaient Bossuet et Montesquieu, qui ne voient dans le droit de propriété qu’une convention sociale réglée par la loi civile et politique. On courrait au contraire le danger de fournir aux communistes des argumens trop puissans, si, par une de ces exagérations qui irritent et légitiment des contradictions excessives, l’on invoquait une autre sanction pour le droit de propriété. En fait, le droit de propriété est si peu absolu, qu’il est régi et limité par des lois civiles différentes dans des sociétés et sous des gouvernemens qui ne sont rien moins que communistes. La propriété intellectuelle et littéraire est elle-même l’exemple le plus récent et le plus curieux de la manière dont un droit pareil peut s’établir et se développer. Dans le sens que l’on y attache aujourd’hui, à savoir la participation de l’auteur aux bénéfices résultant de la vente de ses livres, il est d’hier : il n’existe que depuis l’invention de l’imprimerie. Pour être capable de produire des profits comme un travail industriel, des profits prélevés sur la vente et la consommation du produit, il a fallu qu’une invention mécanique, l’imprimerie, vînt apporter à la création littéraire une collaboration industrielle qui multiplie indéfiniment les produits de cette création. Sans le concours matériel de l’imprimerie, il n’eût jamais été question du droit de propriété littéraire. En voyant se former sous leurs yeux cette nouvelle propriété, toute différente des formes de propriété que l’histoire leur avait léguées, les nations modernes ont essayé de la régler, de la définir, de la constituer par une série de tâtonnemens et d’essais qui ont eu pour objet de concilier avec l’intérêt général et supérieur de la société l’intérêt particulier et légitime du créateur littéraire. Le résultat de ce travail a été à peu près le même chez tous les peuples européens. La propriété littéraire est aujourd’hui reconnue partout aux auteurs vivans. Partout on a reconnu qu’il était utile à la société que l’écrivain pût trouver dans les fruits de son labeur la garantie de son indépendance ; mais maintenant ce n’est plus la question de la propriété littéraire proprement dite que l’on discute, c’est la question de l’héritage appliqué à cette nature de propriété. Qui ne voit qu’ici encore il ne saurait y avoir rien d’absolu. Dans des états qui ne sont rien moins que communistes, à quelles solutions différentes ne donne point lieu la question de l’héritage, c’est-à-dire de la transmission de la propriété après la mort du propriétaire ! Ici la propriété foncière est soumise aux substitutions et aux majorats, là elle se divise également entre les enfans. Dans un pays, il n’y a pas de limites aux droits des collatéraux ; dans un autre, on s’arrête à tel ou tel degré dans les branches collatérales. Tel peuple admet en certains cas la liberté illimitée de tester, tel autre la restreint absolument dans les mêmes cas. Partout d’ailleurs, sous forme de droit de mutation, l’état prélève à son profit une portion de l’héritage. L’on voit que, lors même que la propriété littéraire, dans son caractère propre et dans ses relations avec l’intérêt général de la société pourrait être assimilée aux autres formes déjà constituées de la propriété, aucun précédent ne prescrit aux législateurs d’appliquer à la propriété littéraire un mode défini d’hérédité. Jusqu’à présent, la plupart des législations européennes ont jugé convenable de prolonger de quelques années après la mort de l’auteur l’exploitation du monopole de ses œuvres, afin de procurer à l’écrivain ce qu’on pourrait appeler la sécurité de la mort. Convient-il de porter ce délai à cinquante années, comme le veut le congrès de Bruxelles ? C’est possible ; mais étendre à un terme plus éloigné le monopole de l’exploitation commerciale des œuvres littéraires, ce serait sacrifier l’intérêt social, qui veut que ces grandes œuvres se répandent, au moyen du bon marché, dans les mains du plus grand nombre, et constituer les propriétés intellectuelles en une sorte de main-morte dont le profit serait nul pour l’auteur, très douteux pour ses héritiers, et appartiendrait bientôt exclusivement à quelques dynasties d’industriels et de libraires. On peut voir, sans approfondir la question, que les objections qui s’élèvent contre la perpétuité de la propriété littéraire se recommandent au moins par leur gravité, et qu’on aurait mauvaise grâce à s’imaginer qu’on peut les réfuter avec quelques légers lieux-communs et des confusions d’idées et de mots jouant l’effet oratoire.

Un grand pays comme la France, presque toujours tourmenté au dedans ou au dehors de la tentation des vastes aventures, peut se féliciter encore lorsque son repos n’est troublé que par les affaires qui lui surviennent avec de petites puissances ou des peuples barbares. Les assassinats de Tétouan nous obligent à infliger une punition exemplaire aux Marocains. Une insulte commise contre un navire de commerce français par les autorités portugaises de Mozambique nous crée une difficulté diplomatique avec le Portugal. Les faits qui ont donné naissance à ces incidens sont diversement regrettables, mais ces incidens par eux-mêmes ne nous paraissent pas devoir entraîner des conséquences graves. Le crime de Tétouan, dont un agent consulaire français a été victime, est sans doute une de ces explosions par lesquelles éclate çà et là d’un bout du monde à l’autre la fermentation musulmane. La France est trop mêlée aux populations musulmanes d’Afrique pour qu’on ait pu espérer qu’aucun éclat de l’agitation du mahométisme n’arriverait jusqu’à elle. C’est même un singulier bonheur que les populations algériennes soient demeurées calmes dans cette crise : rien ne prouve mieux la valeur et la force du pouvoir que nous avons établi en Afrique. Néanmoins ce prestige de force, qui fait notre sécurité au milieu des tribus soumises de l’Algérie, nous commande de tirer une prompte et terrible vengeance de l’attentat qui vient d’être commis, si près de nous, par des fanatiques, sur la personne d’un vice-consul de France. La difficulté qui nous est survenue avec le Portugal a sans doute une origine moins odieuse, mais elle réclamait une égale vigueur. Nous ne sommes point surpris que le gouvernement français ait cru devoir couper court à des chicanes de procédure et à des lenteurs de chancellerie, lorsqu’il s’agissait de revendiquer la restitution d’un navire français capturé illégalement hors des eaux du Portugal. Le Charles-George était destiné au transport de noirs engagés, commerce que le décret de 1852 rend légal ; il avait du reste à bord un agent du ministère de la marine dont la présence garantissait la moralité de ses opérations. Il ne saurait donc y avoir d’incertitude sur le droit et le devoir du gouvernement français en cette circonstance. La disproportion de puissance qui existe entre la France et le Portugal ôte d’ailleurs tout prétexte aux Inquiétudes que cet incident a causées il y a quelques jours dans le monde des affaires. L’Angleterre a justement en ce moment un grief analogue au nôtre contre le Portugal ; elle ne peut donc point soutenir le cabinet de Lisbonne dans une résistance inexcusable et impossible.

Nous sera-t-il permis, à l’occasion de cette regrettable affaire du Charles-George, de rappeler les considérations que nous inspirait, il y a quelques mois, l’affaire de la Regina Cœli ? Le Charles-George, comme la Regina Cœli, était employé au transport des engagés libres de la côte d’Afrique. Voilà en moins d’une année la seconde difficulté à laquelle donne lieu ce contestable trafic. Nous avons déjà expliqué l’influence fâcheuse que ces engagemens peuvent exercer sur la côte d’Afrique. Il est connu que le nègre, livré à lui-même, n’a nul penchant pour l’émigration, et que l’idée ne lui viendrait jamais d’aller louer ses services au-delà de l’Atlantique ; il est connu aussi qu’il y a peu de nègres libres sur la côte d’Afrique. Les seuls libres, les Kroomen, sont une population maritime ; ils nous fournissent des matelots, mais ils ont une répugnance instinctive pour les travaux agricoles. Il faut donc demander les engagés que l’on veut attirer dans nos colonies à de petits sultans, rois ou chefs, qui alimentent leurs haras d’esclaves par d’incessantes guerres. Au lieu d’aliéner pour la vie la liberté de leurs esclaves, ils la vendent pour un certain nombre d’années aux traficans européens. Nous savons bien que ceux-ci peuvent alléguer qu’ils accomplissent une œuvre de civilisation en rachetant aux chefs de la côte la liberté des noirs qu’ils engagent ; c’est un argument analogue qu’invoquaient autrefois les négriers et les défenseurs de la traite : ils enlevaient, disaient-ils, à une mort certaine et ils gagnaient au christianisme ces milliers d’esclaves qu’ils venaient enrôler pour la culture du sucre, du café et du coton. Ce sophisme a été, grâce à Dieu, impuissant à protéger l’abominable crime de la traite ; il est manifeste que les négriers, par les approvisionnemens d’hommes qu’ils venaient acheter aux chefs noirs, excitaient ces barbares aux guerres féroces par lesquelles ils se procuraient leur butin d’esclaves. SI le commerce des engagés prenait un développement plus considérable, qui voudrait affirmer qu’il n’exercerait point une influence analogue parmi les chefs et les sultans africains ? C’est cette conséquence malheureusement trop probable qui nous effraie dans le système adopté depuis 1852. Il nous semble que la conscience publique a besoin d’être rassurée sur ce point. Nous voudrions qu’une enquête fît au moins connaître l’importance des opérations auxquelles le système des engagemens a donné lieu depuis 1852. Nous voudrions que les procédés de ce commerce et que les résultats qu’il a pu produire en Afrique et dans nos colonies fussent étudiés et exposés avec une impartialité vigilante et équitable. La philanthropie, nous le savons, n’est guère de mode aujourd’hui ; mais il ne nous déplaît point de braver un léger ridicule en appelant la lumière sur une question qui intéresse l’humanité, et qui ne saurait demeurer indifférente à la générosité et à l’honneur de notre nation. Au surplus, l’affreux accident de la Regina Cœli et la capture du Charles-George sont des avertissemens plus éloquens que nos instances, et nous ne doutons point qu’ils ne soient entendus et compris.

L’événement extérieur le plus important de la quinzaine est assurément la proclamation de la régence du prince de Prusse. C’est la destinée des peuples qui ne prennent point une part active et continue à leur gouvernement, c’est la destinée des états de notre continent de recevoir l’empreinte successive des souverains qui sont à leur tête ; tel pays paraît tour à tour hardi ou timide, audacieux ou fin, lettré ou grossier, brillant ou terne, suivant le génie du prince. Cette assimilation du peuple au roi n’était nulle part plus naturelle qu’en Prusse, car la Prusse est la création toute récente de ses rois. Un changement de personnes dans le gouvernement a donc en Prusse une importance particulière. Le roi Frédéric-Guillaume IV, dont il est aujourd’hui permis de considérer le règne comme achevé, avait imprimé à la Prusse l’incohérence de ses idées et de ses sentimens, et il n’était guère possible que la Prusse, devenue sous sa main un écheveau embrouillé, ne perdît pas quelque chose de l’influence qui lui appartient en Allemagne et en Europe. Nous n’avons jamais été les détracteurs du roi Frédéric-Guillaume IV : il avait dans l’esprit et le caractère des parties attachantes. Une curiosité de savant, des enthousiasmes de poète, une sensibilité presque maladive dans les relations de famille, des délicatesses de conscience raffinées par le zèle religieux. Il était impossible de voir bouillonner tant de qualités bonnes, brillantes, humaines dans ce cerveau trop faible, sans mêler une sorte de compassion respectueuse aux jugemens défavorables que l’on était forcé quelquefois de porter sur les hésitations de sa politique. Frédéric-Guillaume IV était un honnête homme, et nous, qui ne croyons pas aux grands hommes dans le sens dégradant pour l’humanité que la plus triste des superstitions, la superstition politique, attache à ce mot, nous tenons grand compte de la probité, lorsqu’elle se trouve chez les chefs d’état de notre époque. Nous croyons qu’à une égale droiture de cœur, le nouveau régent de la monarchie prussienne joint une rectitude d’esprit qui relèvera le cabinet de Berlin. Moins facile aux séductions des nouveautés que ne le fut son frère, mais en revanche, nullement épris de ces enfantillages gothiques qui amusaient l’imagination et la religion du roi, le prince de Prusse est considéré, depuis quelques années, comme favorable à ce système de gouvernement constitutionnel et de libéralisme conservateur qui a pour représentant, en Prusse comme ailleurs, l’élite des intelligences. Uni à une princesse accomplie, qui a gagné, par ses sentimens généreux et ses amitiés connues, l’estime affectueuse de l’Europe libérale, l’alliance de son fils à la fille aînée de la reine Victoria annonçait suffisamment les tendances nouvelles qu’il donnerait à la politique prussienne. L’avènement du prince à la régence sera promptement suivi, il faut l’espérer, de la déroute de ce ridicule parti des hobereaux et des absolutistes sentimentaux qui n’ont pu conserver si longtemps leur malfaisante influence que grâce à la faiblesse du roi. Le représentant de ce parti dans le ministère, M. de Westphalen, a déjà reçu son congé. La presse prussienne va reprendre son indépendance et recouvrer sa vraie valeur. Grâce au changement de politique, de curieuses révélations se sont déjà répandues sur le ridicule système qui a pesé sur la presse en Prusse dans ces dernières années. La Gazette de Woss apprenait l’autre jour à ses lecteurs que chaque semaine des émissaires du ministre de l’intérieur venaient, dans ses bureaux, lui intimer verbalement ou par écrit l’ordre de modérer ses appréciations, ou de cesser ses publications politiques. On croit rêver lorsqu’on apprend qu’un gouvernement a pu, en plein XIXe siècle, se laisser aller à de pareilles petitesses dans un pays aussi éclairé et aussi avancé que la Prusse. Toutes ces mesquines tracasseries ont cessé depuis l’arrivée du prince au pouvoir. Des élections vont mettre le nouveau régent en présence de l’opinion sincère du pays, et nous espérons que la Prusse, sous une administration formée par le parti constitutionnel, marchera dans les voies libérales où l’appellent ses destinées.

On dit que, parmi les premières félicitations qu’ait reçues le prince régent de Prusse, sont arrivées celles de l’empereur Alexandre de Russie. L’une des conséquences indiquées de l’avènement du régent, c’était la fin de cette docilité aux influences de Pétersbourg qui avaient depuis si longtemps affaibli la politique de Frédéric-Guillaume. Du reste, il ne semble plus que, sous l’empereur actuel de Russie, les influences russes doivent être hostiles au mouvement libéral de notre époque. L’empereur Alexandre, arrivé au trône dans des circonstances qui excitaient l’intérêt sincère des nations armées contre la politique de son père, justifie les espérances qui ont accueilli son règne. S’il réussit dans l’entreprise d’affranchissement qu’il a commencée, il sera le réformateur le plus bienfaisant qui ait régné jusqu’à ce jour en Russie. Il poursuit l’émancipation des serfs avec une application et une énergie qu’on ne saurait trop applaudir. Il n’est pas seulement l’initiateur de cette grande réforme, il en est l’apôtre ému et émouvant. Les discours qu’il a prononcés durant son récent voyage, devant les noblesses de Nijni-Novgorod, de Tver, de Moscou, respirent cette simplicité qui est l’accent de la franchise et qui gagne les cœurs. On ne saurait être plus pressant que le tsar ne l’a été dans ses exhortations à la noblesse récalcitrante de Moscou : « Il faut commencer les réformes par en haut, si vous ne voulez pas qu’elles viennent d’en bas ; » paroles aussi intelligentes qu’honnêtes, rare langage dans la bouche d’un souverain, qui attireront sur l’empereur Alexandre l’attention sympathique de l’Europe. L’on annonçait récemment que le jeune empereur visiterait l’année prochaine la France et l’Angleterre. Ce prince ne connaît point notre pays, mais il a vu autrefois l’Angleterre, et dans le séjour qu’il y fit, l’université d’Oxford lui conféra le diplôme de docteur. Avant la dernière guerre, lorsqu’il n’était encore que l’héritier présomptif de la couronne, le grand-duc préférait à toutes les dénominations qui rappelaient ses dignités et ses commandemens le simple titre de doctor de l’université d’Oxford. Si le docteur couronné, si l’émancipateur des serfs russes vient en France et en Angleterre, il trouvera chez les grands peuples de l’Europe occidentale une chose qu’il doit préférer aux pompes officielles : nous voulons parler des applaudissemens et des vœux dont le libéralisme européen l’accompagne dans sa généreuse entreprise.

L’Angleterre continue cette élaboration politique qui, comme nous le disions dernièrement, ne chôme jamais dans ce pays, même dans l’intervalle des sessions parlementaires. Les deux questions à l’ordre du jour dans les réunions où les membres du parlement viennent consulter ou diriger le sentiment national sont une question sociale, — l’éducation populaire, — et une question politique, la réforme électorale. Partout, sous l’initiative des classes riches et éclairées, se forment des athénées d’ouvriers, des méchanics’ institutes, où les travailleurs peuvent utiliser leurs loisirs en cultivant leur intelligence, et en s’élevant par conséquent dans la sphère sociale. Les hommes politiques de tous les partis concourent avec une égale application aux progrès de l’éducation populaire. Des tories comme sir John Packington, des libéraux comme lord John Russell, se rencontrent dans cette œuvre commune de patriotisme et d’humanité. Les hommes d’état anglais font preuve de véritable intelligence en travaillant à répandre l’instruction dans le peuple au moment où ils s’apprêtent à ouvrir l’exercice des droits électoraux et parlementaires à une couche nouvelle de la démocratie. C’est un contresens en effet durement expié par les sociétés démocratiques que d’étendre indéfiniment le suffrage sans s’inquiéter de la capacité intellectuelle et morale de ceux à qui on livre ce redoutable instrument de la puissance politique. L’oppression de toute une société par une seule classe, par celle qui est le moins propre à conduire elle-même le gouvernement, et qui ne se sert de son pouvoir que pour l’abdiquer aux mains d’un seul, telle est la conséquence inévitable de la rupture de l’équilibre dans le progrès démocratique. C’est contre cet écueil que les hommes d’état anglais cherchent à se prémunir, en travaillant d’abord à l’instruction du peuple ; c’est de cet écueil qu’ils auront à se préserver dans le bill de réforme électorale qui sera présenté l’année prochaine au parlement. Un des hommes les plus considérables du parti libéral, sir Cornewall Lewis, vient d’aborder cette question avec beaucoup de sens et de résolution devant une réunion d’électeurs. Sir Cornewall Lewis croit que la prochaine réforme devra faire entrer dans le corps électoral un appoint important des classes ouvrières, mais il ne veut pas que les droits des minorités, sans le maintien desquels la liberté politique s’évanouit, soient absorbés et anéantis sous l’impitoyable et stupide niveau de la majorité numérique. Que la nouvelle réforme électorale soit l’œuvre du ministère actuel ou des whigs, nous ne doutons point que le problème de l’extension du suffrage, conciliée avec les intérêts et les influences qui ont une autre expression qu’une formule numérique, ne soit résolu d’une façon satisfaisante.

L’Espagne est en pleine ébullition électorale ; elle approche déjà du moment où le scrutin va s’ouvrir pour laisser échapper le mot de la situation, le dernier mot de tous ces troubles indéfinissables qui remplissent la politique, depuis quelques mois, au-delà des Pyrénées. Or comment le gouvernement et les partis marchent-ils à cette lutte nouvelle ? Sans doute, il y a des programmes en Espagne ; les candidatures s’agitent à Madrid et dans les provinces. Les progressistes ont tenu des réunions bruyantes et ont publié des manifestes pour définir leur attitude dans la crise actuelle. Les modérés, à leur tour, interviennent dans la lutte, moins par des manifestes et des réunions publiques que par la presse et par cette action invisible d’un grand parti qui a des influences considérables. Le gouvernement enfin ne manque pas lui-même d’agir vigoureusement ; il continue surtout à multiplier les destitutions et les déplacement d’employés, sans doute dans l’unique pensée de mieux préparer le terrain électoral. Dans ces derniers temps d’ailleurs, le cabinet de Madrid a laissé voir ses desseins par deux actes plus sérieux ou moins personnels. L’un de ces actes est la circulaire adressée par M. Posada Herrera à tous les gouverneurs des provinces, pour leur faire connaître en quelque sorte le symbole politique du gouvernement ; l’autre est un décret qui fait revivre la loi de 1855 sur le désamortissement civil, en laissant en suspens la question du désamortissement ecclésiastique, qui doit être l’objet d’une négociation avec le saint-siège. Tout cela cependant ne résout pas la question essentielle, et ne dissipe pas l’incertitude qui pèse depuis quelque temps sur la situation de l’Espagne. Le ministère O’Donnell, il faut le dire, est dans des conditions singulières ; il ne veut être ni modéré ni progressiste, comme on sait. Après les échecs successifs des deux partis opposés, il veut réaliser une sorte de fusion entre les conservateurs et les libéraux, et faire sortir de là une situation nouvelle, un nouveau parti ; c’est une entreprise qui méritait d’être tentée, à laquelle tous les hommes sensés des divers partis devraient se rallier, et c’est déjà un honneur pour le général O’Donnell d’en avoir fait son symbole politique. Par malheur, si l’on veut bien tenir compte de l’état réel de l’Espagne, l’inconvénient de ce système, qui a l’air d’attirer tout le monde, est de finir par mécontenter tout le monde par des concessions en apparence contradictoires, de provoquer des chocs inévitables qui pourraient bien conduire le ministère à l’impossibilité de vivre en lui laissant la victoire matérielle dans les élections.

La circulaire de M. Posada Herrera était évidemment une avance au parti conservateur, une manifestation faite pour rassurer les hommes qui commençaient à craindre de voir le général O’Donnell s’engager dans une évolution trop complètement progressiste. En somme, c’était une profession de foi entièrement modérée. Le parti conservateur a-t-il été désarmé ? Il poursuit plus que jamais la guerre contre le cabinet et contre le président du conseil personnellement. Il redoute la mobilité et les changemens de front du chef du cabinet. Que savons-nous ? il va peut-être plus loin encore dans ses défiances, en soupçonnant chez le comte de Lucena des velléités dictatoriales qui feraient bon marché de la reine elle-même. Ce simple soupçon, si injuste qu’il soit certainement, suffit pour indiquer le peu de sympathies que le général O’Donnell rencontre encore aujourd’hui parmi les conservateurs espagnols, aigris tout d’abord, sans trop de raison, par les premiers actes du ministère. D’un autre côté, les progressistes, un moment à demi satisfaits par la rectification des listes électorales et par une assez large distribution d’emplois, ont été quelque peu refroidis par la circulaire conservatrice de M. Posada Herrera. Quelques-uns d’entre eux, ceux qui ont accepté des fonctions, ne se sont point séparés, il est vrai, du cabinet ; mais ils sont à peu près traités de schismatiques par le reste du parti, qui prend une attitude ouverte d’hostilité. Les déclarations de guerre des progressistes ne seraient rien, si elles valaient au cabinet l’appui des modérés ; c’est justement parce qu’il se trouve entre les hostilités des uns et des autres qu’il doit se trouver embarrassé.

C’est là en effet la situation. Plus on marche, plus il est clair que le ministère O’Donnell est en face d’oppositions redoutables. Ces oppositions pourront n’avoir point la majorité dans le congrès, elles n’existeront pus moins, car les congrès ne sont d’habitude en Espagne qu’une représentation très peu exacte de l’opinion du pays. Plus les congrès, sont ministériels, plus les cabinets ont à craindre ; c’est ce qui s’est vu plus d’une fois au-delà des Pyrénées. Qu’on observe d’ailleurs que les fractions des anciens partis qui soutiennent le ministère ne le font pas d’une manière complètement désintéressée. Les progressistes ralliés soutiennent O’Donnell dans l’espoir de lui succéder, et il en est de même des modérés. Déjà plus d’une fois on a parlé du prochain avènement au pouvoir de M. Mon. Enfin, au milieu de cette confusion, le ministère lui-même est-il parfaitement uni ? On en peut certes douter d’après les bruits de crise qui se renouvellent tous les jours. Comme dans toute la situation de l’Espagne, il y a au sein du cabinet deux tendances, l’une inclinant vers les modérés, l’autre inclinant vers les progressistes. La création d’un parti libéral nouveau et dégagé de toute prévention exclusive serait assurément un grand bien pour l’Espagne ; mais il faut conclure de tout ceci qu’elle est encore un problème, et les ambitions personnelles ne sont pas ce qui embarrasse le moins la solution du problème.

Quand nous citions, il y a quelques semaines, certaines sorties vigoureuses et sévères de M. de Maistre contre le clergé catholique de son temps, nous ne doutions guère des colères que nous allions exciter contre nous. C’est surtout à l’église italienne que nous avons eu le malheur de déplaire. Que voulez-vous ? nous n’aimons pas plus les muphtis en religion que les sultans en politique. Ce langage de convention que parlent trop souvent les clergés officiels nous a tant lassés, que nous n’avons pu résister à la joie de répéter les franches et gaillardes paroles que M. le comte de Maistre employait librement pour qualifier les platitudes et les plats du parti qu’il servait lui-même avec tant de feu et de hauteur d’âme. L’on nous dénonce à Rome ; l’on fait tonner contre nous dans la capitale du monde chrétien l’organe de l’ultramontanisme, la Civiltà cattolica… Ce journal nous retranche de l’orthodoxie parce que nous avons défendu la libre circulation des bibles protestantes. Il nous reproche comme une raillerie impie les expressions respectueuses dont nous nous sommes servis en parlant de la Bible. Les bibles protestantes sont des bibles falsifiées, et d’ailleurs la circulaire qui en interdisait la propagation « protégeait la liberté des catholiques en empêchant qu’on ne leur vendit comme bonnes des bibles falsifiées ! » Voilà la charité, la bonne foi et l’intelligence des adversaires que M. de Maistre nous a mis sur les bras. Nous nous consolerons en relisant sa correspondance diplomatique.

E. FORCADE.


REVUE LITTÉRAIRE.

Le roman et le théâtre.


Pour distinguer à toutes les époques les tentatives vraiment sérieuses des essais de mauvais goût et des productions mercantiles qui cherchent à les étouffer, il est un signe infaillible, la simplicité. L’effet certain de cette pierre de touche s’explique par une vérité commune à tous les arts : le simple est la première condition de l’idéal. On prétendrait à tort faire exception à cette règle en se prévalant de la grandeur et de l’importance de son sujet ; c’est justement dans les pensées et dans les faits qui s’élèvent le plus au-dessus de la réalité que la simplicité de l’expression produit, par son rapport direct avec l’idée, l’effet le plus harmonieux et le moins contestable. Les classiques de tous les temps et de tous les pays, Homère, Shakspeare, Corneille, Goethe, tous ces grands applicateurs de la forme à l’idée, ne sont jamais plus grands que lorsqu’ils sont plus simples.

Chercher la simplicité, ce n’est donc pas seulement faire preuve de goût et de justesse d’esprit, c’est démontrer que les qualités dont on est doué sont des qualités permanentes, si je puis m’exprimer ainsi, et qui font bien réellement partie de notre être. La simplicité, c’est la force, comme l’exagération, c’est la faiblesse. Parmi les sujets naturellement simples, les premiers sans contredit sont ceux que fournissent l’observation de la nature elle-même et l’étude des faits qui, par leur manifestation naïve et spontanée, se séparent le plus des choses de convention, et paraissent se rattacher autant que possible, même pour l’homme, aux mouvemens instinctifs de l’être dégagé par ses habitudes de tout calcul et de toute feinte. Ce privilège semble être acquis dans notre société à cette classe qui touche directement à la terre par sa naissance, ses besoins, son travail, son amour, en un mot, par sa vie tout entière, — le paysan. Le XIXe siècle doit à Rousseau, quoique sous l’influence d’un faux principe, de s’être adonné sérieusement à l’étude difficile de faits qui trompent d’abord par une absence apparente de toute complication. La nature n’a jamais été comprise et reproduite, sinon avec plus de bonheur, du moins avec plus de soin et de bon vouloir que de nos jours. Ajoutons qu’elle forme comme une espèce de gangue qu’on ne saurait épuiser. C’est à nous maintenant d’examiner si les nouvelles œuvres qui s’en inspirent remplissent les conditions de composition et de style nécessaires même à la simplicité.

Le Martyr des Chaumelles[1] est une histoire puisée, l’auteur nous en avertit d’abord, dans la pure réalité. « J’ai voulu, dit-il, raconter simplement et naïvement ce que j’ai vu. » Ce qu’a vu M. Louis Goudall, ce qu’il étudie avec le plus de complaisance, c’est moins l’état naturel et absolu du paysan que sa condition sociale et civile. Un vieux laboureur en mariant sa fille lui a laissé, ainsi qu’à son gendre, la jouissance complète de tous ses biens. C’est un usage presque général à la campagne, que le père infirme et incapable de travailler abandonne à ses enfans ses titres de propriété. Sur cette simple exposition, le reste se devine trop vite pour l’intérêt du roman. On voit dès les premières pages que le père Ambroise, ne pouvant se défendre contre les méchancetés de son gendre et de sa fille, n’osant, par amour paternel, formuler des plaintes qui les compromettraient gravement, subit presque sans murmurer les mauvais traitemens dont on l’accable, et se laisse, dans un coin de la ferme, abandonné sur un mauvais grabat, mourir de douleur et presque de faim. De tels faits, surtout considérés dans le roman, portent avec soi une éloquence qui n’a pas besoin de commentaires, ni surtout de considérations empruntées au Corpus juris civilis. Le roman peut être écrit au service de certaines idées, mais il ne peut devenir un plaidoyer direct. Tel n’est pas l’avis de M. Goudall, qui cherche comment la loi pourrait a remédier à ces immolations aveugles du sentiment paternel et aviser aux moyens d’en prévenir les effroyables effets. » Il cite même l’article du code civil qui établit que les donations en faveur du mariage ne sont pas révocables pour cause d’ingratitude, et il essaie de le modifier à sa manière. Tout en rendant justice à d’aussi bonnes intentions, il faut avouer que ces préoccupations appartiennent plus au philanthrope et au juriste qu’au romancier. Nous insistons à dessein sur ce qui, à notre avis, constitue le défaut saillant du livre, parce que de pareilles digressions nous semblent à la fois, au point de vue purement littéraire, fausses et dangereuses. L’étude des transformations morales, voilà le domaine de l’écrivain, voilà le terrain qu’il ne peut abandonner sans amoindrir ses droits, sans empiéter en même temps sur ce qui ne lui appartient plus, sur ce qui est réservé à l’économiste et au moraliste pratique. M. Goudall nous semble, dans le Martyr des Chaumelles, s’être trop préoccupé des procédés d’un romancier qui l’a précédé dans un sujet analogue, Honoré de Balzac. Il a voulu joindre en même temps aux sombres et dramatiques épisodes qui l’ont séduit les délicates, douces et parfois trop indulgentes inspirations d’un autre écrivain qui a déployé peut-être dans la peinture de la vie des champs les plus remarquables combinaisons de son talent d’artiste et de sa nature féminine. Qu’est-il résulté de ce mélange.où l’auteur n’a pas médiocrement perdu de sa personnalité ? Un drame qui, malgré d’appréciables qualités de chaleur et d’intérêt, manque souverainement d’unité, et se rompt çà et là pour laisser place aux scènes d’un double amour, l’un naïf et tendre, l’autre presque furieux, mais tous deux assez faux dans leur expression. Lucette, l’ange de la maison, a des sentimens, je ne dirai pas trop élevés, mais trop subtils. Pour Mélie, M. Goudall la fait se tordre et se rouler, « comme une panthère lascive, » aux genoux d’un paysan ; on peut juger de la vérité de ce caractère, et surtout des procédés familiers à l’auteur.

M. Eugène Muller, dans la Mionette[2], se rapproche davantage de Mme Sand. C’est une simple histoire, simplement racontée, et qui témoigne de sérieux efforts. La Mionette est une enfant dont la famille, — on les appelle les Vipériaux, — mène une existence assez aventureuse, « Leur profession proprement dite était d’être pauvres. » La Mionette est née dans ce nid de vipères, et, malgré les aventures que peuvent lui attirer sa jeunesse, sa beauté, sa vie vagabonde et surtout les mauvais exemples de sa famille (n’a-t-elle pas sa sœur, une sorte de Pulchérie villageoise, qui vient un beau jour au village étaler le luxe de l’amour vénal ?), la Mionette, dis-je, reste pure, soutenue qu’elle est par un amour qui la possède sans qu’elle se livre à lui. L’histoire de cet amour naïf et chaste, partagé de la même façon par un jeune laboureur qui n’ose lever les yeux sur la Mionette que lorsqu’il la rencontre hors du village, laisse une impression fraîche et pénétrante. C’est même l’unique soutien de ce roman, qui, pour une pastorale, est rempli d’épisodes assez peu naturels, où le défaut de la composition est évident. L’auteur est obligé par exemple de faire mourir, pour les besoins de son dénoûment, cinq ou six personnes qui ne demanderaient qu’à se bien porter. Après quelques péripéties un peu forcées, et que l’auteur aurait dû éviter, cette histoire se termine comme tous les contes de la veillée, quand par hasard les revenans ne sont pas de la partie : ils furent heureux, et… tout s’arrête là ; le bonheur ne se raconte pas. Le principal défaut de cette petite Mionette, c’est d’être trop ingénue : il y a de ces choses que connaissent et que comprennent toutes les filles, surtout celles qui sont élevées chez les Vipériaux. Cette atmosphère trop délicate pour ne pas être troublée par le moindre souffle tient à l’amour particulier que portent certains auteurs à leurs héroïnes rustiques. Mme Sand a donné l’exemple de cette prédilection jalouse, et nécessairement ses imitateurs ont exagéré cette tendance ; ils font leurs Fadettes toutes semblables à ces bergères que jadis épousaient les rois, et qui ne devaient certes mériter cet excès d’honneur que par un excès de vertu. Cependant il est un point plus important sur lequel la critique doit interroger M. Muller : comment se fait-il que dans cette histoire de village, qui se passe aux champs depuis six heures du matin jusqu’à minuit, on ne rencontre pas un seul paysage ? A quoi tient l’absence de ce cadre nécessaire à tout roman pastoral ? L’auteur nous répondra peut-être que dans sa préface, un peu trop intime d’ailleurs, il a eu soin d’exposer la scène et de dessiner les décors. En tout cas, c’est un droit qu’il faut savoir refuser à l’écrivain de séparer ainsi de son œuvre ce qui en fait partie intégrante ; c’est oublier, spécialement dans la question qui nous occupe, que le paysage n’a pas de forme absolue, et que les mêmes endroits se décrivent différemment, suivant les personnages et les circonstances. L’auteur s’est dérobé par cette abstention à une grande difficulté, et de plus il a privé son lecteur d’un plaisir qu’il s’attend ordinairement à goûter dans les ouvrages de cette nature. Que dire maintenant du style, ce passeport obligé de toute œuvre littéraire ? Il faut reconnaître que, malgré les qualités qui tiennent au fond du roman, la Mionette est presque entièrement dépourvue des qualités nécessaires de la forme. Pourquoi M. Muller laisse-t-il dans son petit livre des expressions comme celles-ci : Demain nous verrons d’agir, ou je vous garantis d’avoir son adresse… A chaque page, on trouve des je préfère que,… dans le but de… Que M. Muller ne nous dise pas qu’il fait parler des paysans ; cela n’est ni du français, ni du patois, c’est du jargon tout pur, et d’ailleurs pourquoi s’exposer à laisser croire que la recherche du patois couvre l’ignorance, sinon l’oubli, de la langue française ? — A côté de ce livre, nous pouvons en placer un autre qui présente à peu près les mêmes qualités, mais relevées par un élément qui devient de jour en jour plus rare, le romanesque : ce sont les Scènes de la vie contemporaine, par M. Alfred de Bréhat[3]. Des paysages bretons, des situations finement esquissées, des caractères où l’observation se révèle, le tout empreint d’un sentiment mélancolique qui domine les faits sans les exagérer, voilà ce qu’on trouve dans ce recueil de nouvelles d’une lecture assez agréable.

Tous les écrivains n’ont pas à lutter dans leurs travaux contre l’exagération où pourrait, sans qu’ils s’en aperçussent, les entraîner la hauteur de leur sujet. Pour atteindre plus facilement à la simplicité, la plupart choisissent de modestes thèmes, ou brodent de légers dessins sur un canevas peu compliqué. Ce choix est déjà un mérite dont il faut leur tenir compte. Si d’une part, en agissant ainsi, ils s’exposent parfois à se faire reprocher un excès de prudence, d’un autre côté ils ne se soustraient réellement à certaines difficultés que pour en rencontrer de nouvelles, et de plus sérieuses peut-être : celles qui consistent à rendre simplement les choses simples. Le danger en effet est celui-ci : on ne peut reproduire d’après nature, surtout dans la forme classique, ce que la critique littéraire du xvin0 siècle appelait les nobles passions. Il faut nécessairement faire la part de l’invention et aussi de la convention ; mais on peut copier les événemens qui se passent sous nos yeux, calquer les sentimens de la vie ordinaire, les rapporter fidèlement dans la suite vulgaire de leurs péripéties, arriver ainsi sans grands efforts à produire quelque intérêt, et s’abstenir dans cette œuvre facile nonseulement de toute invention, mais encore de toute composition. Les jeunes esprits qui prennent au sérieux, je ne dirai pas leurs devoirs d’écrivains, mais simplement leur tâche, ont donc à se prémunir à leurs débuts contre un double écueil, l’exagération ou le réalisme. — Ajoutons comme correctif que ce que nous appelons réalisme, ce n’est pas la reproduction de la réalité, mais bien dans cette reproduction l’absence du choix des élémens harmoniques, c’est-à-dire le manque de composition et de style.

Cette science de la reproduction des choses réelles est ce qui distingue éminemment un petit volume écrit à Genève, et intitulé Nouvelles montagnardes[4]. Dans ce que nous avons examiné jusqu’à présent, au milieu des scènes pastorales qu’il décrivait, des sentimens dont il exposait la lutte, l’auteur se montrait toujours, et cette transparence d’une individualité que les écrivains humoristiques étalent hardiment résultait ici le plus souvent d’une recherche même de simplicité poussée jusqu’à l’affectation. Ici l’auteur disparaît complètement, et il ne se trouve, à vrai dire, que sur la couverture : son nom est Charles Dubois. Avec lui, nous sommes introduits dans une contrée qu’il désigne et que l’on peut visiter, au centre de mœurs positives appartenant à une circonscription de territoire parfaitement définie. C’est donc la réalité pure qu’a étudiée M. Dubois ; évidemment il a fait peu de frais d’imagination, mais il a vaincu habilement, par une composition savante, les difficultés que lui créait l’absence même d’invention. Ce qu’il nous expose, ce n’est pas la réalité d’un fait pris au hasard, et qui pourrait se rapporter également à diverses contrées et à différentes classes sociales ; c’est la réalité, saisie dans son ensemble et par conséquent dans son harmonie, de tous les détails, dont le moindre doit être significatif. Aussi ce recueil est-il simplement une suite de petits tableaux irréprochables au point de vue de la délicatesse et du goût. La langue de M. Dubois est celle du charmant et regrettable Toepffer : elle use des mêmes procédés, elle arrive au même pittoresque ; mais la naïveté qui en constitue le fond est peut-être moins cherchée et moins précieuse. L’écrivain genevois s’est servi, sans en prendre le patois cependant, de l’idiome propre des paysans dont il raconte les mœurs, et ce langage, sans lequel il n’aurait pu exprimer complètement certaines idées particulières, offre un charme dont il serait difficile de donner une idée autrement que par des exemples. Aussi renvoyons-nous en toute assurance au livre. On n’y trouvera ni subtilités ni dissertations, mais un naturel qui palpite sous les moindres détails, et qui, sans qu’on puisse le prendre une seule fois en flagrant délit de prétention, arrive de lui-même aux effets irrésistibles de l’éloquence naïve. L’auteur a su rester constamment vrai en se tenant constamment dans les limites du réel : il faut, pour atteindre ce résultat, un grand bonheur ou un grand talent.

Les qualités de son récit nous permettent de ranger Mme Charles Reybaud dans la série des écrivains qui visent à une harmonieuse simplicité. L’auteur de Faustine et du Cadet de Colobrières a commencé d’abord par faire dans l’invention et dans les idées la part la plus large possible au romanesque. Il en résultait souvent entre la forme et le fond un désaccord qui se manifestait ordinairement par la brève étendue que l’on s’étonnait parfois de rencontrer dans certains épisodes. Plusieurs des premiers récits de Mme Reybaud auraient comporté en effet un développement dont la charpente idéale n’était pas toujours bien accusée dans l’exécution. L’auteur sauvait ce manque de proportion entre l’esquisse du plan et les contours définitifs par l’agrément d’un style dont l’originalité est incontestable et surprend insensiblement l’esprit du lecteur, qui s’applique d’autre part à rétablir la mesure des faits qui lui sont exposés. Mme Charles Reybaud a montré qu’elle possède aujourd’hui la difficile harmonie de la composition en produisant un roman, Mademoiselle de Malepeyre, écrit avec une fermeté et une précision que nos lecteurs n’ont pu oublier. Le Cabaret de Gaubert[5], dont ils se souviennent aussi, est également un témoignage remarquable de la nouvelle manière de l’auteur. La phrase insinuante et allongée qui lui est habituelle s’y joint à une vigueur de contour plus assurée. Cette transformation progressive prouve qu’on n’acquiert l’art d’écrire qu’en mettant en pratique, par de nombreux essais quelquefois, l’étude théorique des modèles. Mme Reybaud appartient à cette période d’écrivains délicats et soigneux qui s’efforcent constamment de sacrifier leur facilité au véritable style, et arrivent ainsi à une réputation méritée, qui, pour n’être pas surprise, n’en est que plus durable.

Le volume que vient de publier M. Charles Asselineau, la Double Vie[6], forme plutôt une série d’esquisses et de plans qu’une suite de nouvelles complètement développées. Si nous avons bien compris une intention que l’auteur du reste ne craint pas de manifester ouvertement, la publication de ces récits ne serait que l’occasion d’une préface qui peut se résumer en deux mots : les revues ont tué les livres. M. Asselineau part à peu près uniquement, pour soutenir cette thèse au moins paradoxale, de certaines discussions intimes, interdites par leur nature à la connaissance du public, et qui s’élèvent quelquefois entre tel écrivain et tel directeur de journal. Les modifications, prétend-il, que la nature et les exigences d’un recueil font subir à l’originalité d’une œuvre personnelle n’aboutissent à rien moins qu’à enlever toute liberté à l’expression de la pensée. On peut faire remarquer à M. Asselineau, et à tous ceux qui s’appuieraient sur un semblable raisonnement pour justifier ou leur impuissance ou leur mauvais vouloir, qu’une revue, qu’un journal comporte une idée collective, et par cela même possède entièrement le droit de repousser le contact d’une idée individuelle qui tendrait à l’altérer. Un rédacteur en chef n’est pas un éditeur ; l’éclectisme qu’on voudrait lui imposer serait la mort de son recueil, et c’est une vérité que les faits ont justifiée. Quant à cette objection plus grave qui s’appuie sur la libre expression de la pensée, les faits encore se chargent d’y répondre. Depuis 1830, il n’est pas d’idée, si excentrique qu’elle fût, qui n’ait trouvé pour se manifester un organe de publicité quelconque. Nous avons été inondés de recueils et de journaux qui correspondaient aux opinions les plus opposées comme aux nuances les plus délicates. Pourquoi ces foyers littéraires ou philosophiques se sont-ils éteints presque tous ? Là est toute la question ; le temps et le public en ont fait peu à peu justice. Y a-t-il eu erreur pour quelques-uns, et ne pourrait-on pas appeler de ce jugement ? Nous ne voudrions pas le nier complètement ; mais ceux qui doivent leur conservation à cet esprit de suite dont parlait Richelieu et à une intelligente tradition ne peuvent-ils pas se contenter de dire : J’existe, donc ma raison d’être est excellente ? Ainsi considéré, le débat sort, ce qui devrait toujours avoir lieu, des petites querelles qui n’intéressent que les personnalités. — Les nouvelles de M. Asselineau ne justifient pas d’ailleurs l’objet de sa préface ; il sait fort bien lui-même qu’il n’y a pas là un livre : ce sont de simples ébauches, dont quelques-unes, nous devons le dire, font regretter que l’auteur ne se soit pas décidé à une plus large exécution, par exemple le Cabaret des Sabliers et le Roman d’une Dévote ; le Mensonge forme encore un assez joli sujet de comédie. Nous devons donc souhaiter que l’auteur prouve un peu plus efficacement, quant à lui, l’opportunité de ses condoléances : pour que le livre plaide, il faut au moins que le livre soit.

La jeunesse semble devenir le thème favori des auteurs dramatiques. Présente, on l’étudié pour préjuger son avenir ; passée, on la recherche et on la rappelle si l’on a devant soi, comme une énigme à déchiffrer, un homme dont l’être intime est encore caché sous le voile. C’est un procédé dont l’expérience des jours qu’on a soi-même vécus démontre la douloureuse justesse. On peut le plus souvent reconstruire toute une existence avec les derniers faits où elle s’est manifestée, comme Cuvier, avec des débris d’os, recréait de gigantesques formes sans patrie et sans nom. C’est que la vie ne se recommence pas, elle se succède pour ainsi dire, en se correspondant toujours et ses dernières heures ne sont que l’écho agrandi et transformé des heures premières. L’homme, dans la succession insensible de ses labeurs, de ses joies et de ses tristesses, est à lui-même son propre garant, sa propre providence, sa propre responsabilité. Cette pensée éminemment morale a inspiré M. Léon Gozlan dans la nouvelle pièce qu’il a donnée au Gymnase, Il faut que jeunesse se paie. — Ah ! si jeunesse savait ! murmure le vieillard qui arrive à la tombe en retenant au bord de ses lèvres le secret de la vie prêt à s’en échapper. Ah ! si vieillesse pouvait ! s’écrie le jeune homme dont la moindre folie est de s’épuiser, même pour les choses sérieuses, dans une ardeur mal calculée. Entre ces regrets et cette présomption, toute notre vie s’écoule ; nous le sentons sans le comprendre, et c’est pourquoi ce titre, spirituellement détourné par M. Léon Gozlan, renfermait un charme particulier qui piquait notre curiosité et nous réveillait de cet assoupissement où nous essayons de guérir nos désirs trompés, nous tous qui payons plus ou moins notre jeunesse. Après avoir livré ses premières années à toutes les folles passions, après s’être même permis l’absurde sottise de reconnaître comme sien l’enfant de je ne sais quelle fille, le héros de M. Gozlan tente de refaire sa vie, croit-il, en se conduisant désormais comme un homme sérieux et en combattant bravement pour son pays. Treize ans se passent, après lesquels il revient, n’ayant plus rien du jeune homme d’autrefois, pas même le souvenir. La vie lui sourit en ce moment avec toutes ses illusions, comme si elle ne faisait que commencer pour lui. Un beau mariage va couronner cette œuvre de régénération, quand soudain le passé tout entier accourt pour ressaisir sa proie : les imprudences, les orgies, les défis audacieux au monde qui n’oublie pas, — toutes choses oubliées, — viennent comme d’inexorables fantômes souhaiter la bienvenue à cet homme qui n’a plus dans le cœur que les douces espérances des joies de l’avenir. Croyez qu’il est à plaindre, l’infortuné, et qu’il faut tout l’esprit de M. Gozlan pour le tirer de ce mauvais pas. La pièce a plus étonné qu’elle n’a réussi ; mais cependant le héros du drame, ce n’est pas le niais personnage qui se laisse ridiculement épouvanter par le reliquat d’un passé devant lequel il a le droit de lever la tête, c’est un petit jeune homme qui prononce quelques paroles seulement, mais elles sont toute la morale de la pièce : — Je suis né à trente-six ans, dit-il, j’ai toujours agi comme si j’avais cet âge, je n’aurai pas à payer ma jeunesse. Vous vous épuisez, je me conserve ; vous cherchez, j’attends, et mon attente, qui vous semble de l’immobilité, est la suprême science et la suprême sagesse. Le monde est arrangé, je le sais, pour que tout vienne à moi. Comme en un temps donné, tous les objets de nos désirs reviennent passer en un point quelconque du cercle de notre vie, je m’y établis d’avance, certain du résultat de l’évolution. — Ce philosophe est une réelle et vivante figure qui, selon nous, n’a pas tout à fait tort quand elle se fait bien comprendre. Du reste, cette personnalité n’est pas inconnue au théâtre, et M. Dumas fils, qui saisit avec un rare bonheur les caractères positifs, nous l’a déjà montrée, dans la Question d’argent, coupant avec méthode son petit revenu en trois cent soixante-cinq parties égales. Ah ! certes, ils ne connaissent pas si bien la vie, les deux jeunes gens qui s’insurgent, dans le premier acte du Marchand malgré lui, contre les instincts bourgeois et les prosaïques appétits du bonhomme Chrysale !

Cette pièce, représentée à l’Odéon, est due à la collaboration de deux jeunes auteurs, MM. Rolland et Du Boys ; elle a toutes les exclusions, toutes les défaillances, tous les reviremens, toute la déclamation de la jeunesse. Elle va comme elle peut, suivant une flamme tantôt brillante, tantôt vague, et dans l’intervalle s’égarant dans les ténèbres. On la suit difficilement, et l’on est frappé d’une foule de contradictions qui sortent du sujet mal conçu et des personnages indécis. Tous les châteaux en Espagne que bâtissent à l’aurore de leur existence les jeunes artistes, et en particulier les jeunes compositeurs, se sont, au premier acte, donné rendez-vous dans une mansarde. Si jamais l’art est accepté, plutôt que compris, dans toute sa force et dans toute sa dignité, c’est certainement à cet heureux âge où l’on se grise avec de nobles aspirations, où l’on prend pour une force vive de graves paroles prononcées dans le vide. Aussi croyez que dans cette mansarde on ne jure que par Palestrina, Sébastien Bach et Pergolèse, et les voilà tous les trois, Pergolèse, Sébastien Bach et Palestrina, tenant dans un verre d’où sort une chanson de grisette. Cependant arrivent les grands parens, la mère, l’oncle, et ce sont des supplications pour engager l’un de ces aspirans-artistes, Claude Champin, à délaisser la fugue et le contre-point pour l’aune ou la balance. La mère dit à son fils toutes les bonnes choses que dit Mme Huguet à Philippe dans la Jeunesse de M. Émile Augier, et elle se fait comprendre. Sans trop se faire tirer l’oreille, Claude accepte, et d’artiste il devient droguiste : la rime reste, et c’est toujours cela.

Ce premier acte, ou plutôt ce prologue, aurait dû former le dénoûment de la pièce. Claude, se rendant ainsi, sur de simples remontrances, sans avoir souffert, sans avoir lutté, mérite évidemment d’être un bourgeois. Dès lors il n’intéresse plus, il n’est plus sympathique. Il l’est d’autant moins qu’au second acte nous le retrouvons, après dix-huit ans d’épicerie, frais, riche, bien portant, prospère. Que nous veulent alors ses jérémiades d’artiste et de poète incompris ? Eh ! monsieur Champin, vous avez prouvé que votre talent, c’était d’être maçon. — Cependant René, son ancien compagnon de mansarde, arrivé maintenant à la gloire, aime la fille de Claude, que sa mère, en prévoyante femme de ménage, songe à marier à son premier commis. Voyez maintenant l’imbécillité de ce caractère : Claude confesse sa fille, devine son secret, et la laisse marier à M. Eustache ; puis, pour se justifier à ses propres yeux, ne songeant plus que s’il y a quelqu’un de sacrifié en cette affaire, c’est sa fille et non pas lui, il fait à sa femme les reproches les plus violens et les plus amers, les plus injustes aussi. — Quoi ! pourrait-elle dire, avez-vous cru en m’épousant choisir la Muse pour compagne de votre vie ? Ne saviez-vous pas que de votre oncle vous preniez en même temps la fille et la boutique ? Ah ! cessez vos récriminations ; sans moi, toute votre maison serait allée à la faillite. Vous dites qu’il n’y a pas de milieu entre l’art et l’épicerie, c’est possible ; en attendant, vous n’êtes ni artiste, ni épicier. — Heureusement le garçon de magasin, Eustache, qui paraît de tout ce monde avoir le plus de cœur et de raison, renonce à épouser la fille de Claude ; délivré de ses embarras intérieurs, celui-ci court à son piano, mais l’inspiration qu’il a abandonnée ne viendra plus le caresser, ne l’emportera plus sur ses ailes. Il s’agit bien aujourd’hui de Palestrina et de Pergolèse ! Hélas ! l’infortuné ne comprend même plus les folles chansons de sa jeunesse. Il est devenu impuissant ! — Non, il ne l’est pas devenu, il l’a toujours été, et toute sa vie le prouve, car ce n’est pas un véritable artiste celui que l’absence de l’art ne tue pas ; ce n’est pas un véritable poète celui qui étouffe sa muse et qui prétend ensuite la galvaniser.

Telle est cette pièce, écrite évidemment pour un certain public qu’émeuvent toujours les folles déclamations contre ce que la vie a de sérieux et de logique, même au point de vue de l’art, dont la mesure, le calcul et l’horreur de toute emphase sont cependant les indispensables aides. Elle doit uniquement à ce parti pris et à de gais intermèdes l’espèce de succès qu’elle a obtenu. Elle intéresse surtout la critique en ce qu’elle est le calque fidèle des préjugés d’une jeunesse soi-disant libérale, ennemie d’un travail lent et régulier, ignorant la distance qui sépare la conception de la forme et la comblant par des productions d’une fantaisie douteuse. Pour elle, la bohème est le chemin obligé de la réputation. Le Marchand malgré lui n’offre point parmi ses personnages un caractère véritablement composé. Ses bourgeois, comme ses artistes, ne sont que des mannequins. Malgré certaines tirades écrites avec l’emportement, l’audace et quelquefois le bonheur du premier jet, les vers sont empreints, tantôt d’un réalisme choquant, tantôt d’une poésie vague et banale ; les chansons d’oiseaux, par exemple, reviennent en plus de dix endroits. Ce manque de style est ce qu’il faut le plus regretter ; il empêchera toujours, que les jeunes écrivains en soient convaincus, de prendre au sérieux toute espèce d’œuvre, quelle que soit l’idée qu’elle tende à développer. Il est aussi un certain bruit, fait autour des jeunes talens à leur entrée dans la carrière, contre lequel ils doivent s’entourer de sages précautions. Je ne puis à cette occasion mieux faire que de citer quelques paroles dont MM. Rolland et Du Boys ne récuseront pas l’autorité : « En général, une chose nous a frappé dans les compositions de cette jeunesse qui se presse maintenant sur nos théâtres ; ils en sont encore à se contenter facilement d’eux-mêmes. Ils perdent à ramasser des couronnes un temps qu’ils devraient consacrer à de courageuses méditations. Ils réussissent, mais leurs rivaux sortent joyeux de leurs triomphes[7]. » Ces paroles d’un grand écrivain qui a pu en faire une suffisante expérience doivent donner beaucoup à penser ; elles prouvent que le succès n’est pas là où il se fait entendre sous une forme bruyante, mais qu’il est dans la conscience intérieure d’avoir véritablement produit une œuvre digne d’éloge. Encore beaucoup d’écrivains, et c’est une loi de notre nature, peuvent-ils s’y laisser tromper. Qu’en conclure ? C’est qu’il faut toujours essayer de faire bien, sans s’inquiéter des autres, et en se défiant de soi-même.

Le Théâtre-Français fait tout ce qu’il peut pour remplir sa mission, et il s’acquitte de cette tache avec plus ou moins de bonheur. Il est par exemple le gardien sacré et le dépositaire officiel de cette forme dramatique qu’on appelle la tragédie ; aussi est-ce à la fois pour lui un droit et un devoir de mettre en lumière, à des intervalles réguliers, les immortelles compositions de Corneille et de Racine. Le principal succès de ces représentations a été, il faut bien le dire, dû à l’interprétation de certains artistes. Aussi, quand ils ont fait défaut, pour réveiller la curiosité d’un public avide de nouvelles choses, le Théâtre-Français a tenté, faute de mieux, des résurrections aussi malheureuses que celles du Venceslas de Rotrou. A-t-il été mieux inspiré aujourd’hui, en remontant à la source d’un genre qui n’admet pas le médiocre, et en s’adressant au premier tragique grec, Sophocle, pour lui emprunter sa plus belle tragédie, Œdipe-Roi ? On pourrait en douter, à en juger par l’effet que produisent la faiblesse de l’exécution et l’allure assez lourde d’une traduction poétique dont le principal mérite est de se tenir très près du texte. Un véritable artiste pouvait seul s’attaquer à une pareille œuvre. Heureusement l’intérêt de cette représentation était ailleurs. Il est superflu d’analyser une pièce qu’il n’est permis à personne de ne pas connaître ; disons seulement que l’apparition de l’Œdipe-Roi sur notre première scène n’est pas sans apporter plus d’un utile enseignement. Sans doute les conditions ne sont plus les mêmes qu’au temps où les vainqueurs de Salamine et de Marathon, alors qu’Athènes était toute la Grèce, applaudissaient dans les vers de Sophocle le côté poétique de ce génie qui dans la politique inspira Périclès, dans l’art Phidias, dans la philosophie Socrate. La scène à cette époque pouvait être considérée comme l’une des plus belles expressions de la pensée humaine, la plus complète peut-être. Le beau présidait tout entier à ces représentations grandioses. Pour décors, elles avaient les coteaux de l’Attique et ces rivages aimés des dieux où la flotte de Xercès était venue se fondre comme une vague mourante ; pour lustre le soleil, pour spectateurs trente mille citoyens libres. L’acteur, il est vrai, disparaissait, mais il était remplacé par l’idée elle-même enfouie sous l’un ou l’autre des deux masques symboliques qui grimaçaient la douleur et le plaisir, ces deux termes de tous les sentimens humains. OEdipe, Ajax, Prométhée, la fatalité, la force, la pensée, telles étaient les clés de ces tétracordes gigantesques. Aujourd’hui ces grandes abstractions ont fait place aux innombrables diversités d’intérêts et de passions qui agitent la société telle qu’elle est constituée. Une nouvelle idée, plus ou moins bien comprise, domine en apparence nos œuvres dramatiques, la morale, et pourtant notre fatalisme n’est plus cette volonté suprême et divine qui perdit le fils de Jocaste et la fille de Pasiphaé, c’est le hasard ! Mais si, abandonnant ces grandes formules qui résument avec le génie d’une race toute une civilisation, nous nous tenons simplement à l’Œdipe-Roi, représenté sur le Théâtre-Français et traduit par M. Jules Lacroix, nous verrons encore que cette œuvre est à proprement parler un modèle d’action dramatique. L’intérêt naît comme ce petit point noir que l’on découvre en mer à l’horizon, et grossit peu à peu avec l’enchaînement de situations inévitables. Rien n’étonne dans cette étonnante tragédie, parce que rien n’est brusqué. Un souffle qui augmente progressivement emporte l’esprit sans fatigue et sans dégoût dans la région des plus honteuses misères et des plus poignantes douleurs. La tragédie ainsi comprise est un idéal que nous ne pouvons plus atteindre.

Seuls de nos jours, Gœthe avec Iphigénie, Schiller avec la Fiancée de Messine, ont pénétré dans cette sphère interdite à nos idées et à nos sentimens, qui s’éloignent de plus en plus de l’abstraction pour s’individualiser et n’apparaître que sous une forme concrète. Est-ce un mal cependant que cette transformation ? Nous ne le croyons pas ; elle est le résultat de la marche progressive des époques et des races, et si elle ne se manifeste pas avec l’harmonie des inspirations grecques, elle a des vertus et des fermens que ne connaissait pas l’antiquité. Quoi qu’il en soit, des évocations sévèrement choisies et convenablement exécutées des premiers chefs-d’œuvre de l’art tragique mériteraient sans aucun doute les encouragemens de la critique. Si elles ne s’adressent pas au public en général, elles offrent du moins aux jeunes écrivains l’occasion d’étudier à leurs sources les plus pures les lois et les procédés de la composition dramatique.


EUGENE LATAYE.


Le Livre des jeunes Mères, par M. A. de Deauchesne[8].

Ce livre est un recueil de petits poèmes « éclos au foyer de famille, » comme le dit l’auteur, et comme le prouve assez l’accent de ces pages tour à tour familières, pensives ou doucement railleuses. C’est l’enfant qui est le héros de ce cycle élégiaque, l’enfant suivi depuis le berceau jusqu’à la première communion. Au lieu d’appliquer aux inspirations volontairement modestes de M. de Beauchesne un procédé d’analyse et de discussion qu’elles ne comportent pas, on nous saura gré peut-être de laisser la parole à l’auteur lui-même et d’indiquer par une courte citation l’intérêt touchant de son recueil. Nous choisirons dans la dix-septième pièce du volume le portrait d’une de ces mères chrétiennes pour lesquelles le livre a été écrit :


Une mère ! à ce nom tout le cœur se dilate.
Ce nom est à lui seul le plus doux aromate
Qui jamais parfuma la triste humanité ;
Et le chant le plus doux et le mieux écouté,
Tant que l’on pleurera dans ce monde éphémère,
C’est la voix d’un enfant qui chantera sa mère.
Inépuisable amour, dévoûment éternel,
Le chef-d’œuvre de Dieu, c’est le cœur maternel.
Avec la piété, la joie et la prudence,
La mère sur nous veille, humaine providence ;
Sa tendresse ombrageuse au milieu de la nuit
S’agite à notre souffle et tremble au moindre bruit ;
Sa sainte activité, toujours en exercice,
Sans se lasser jamais, s’use à notre service.
Des sentimens humains le temps toujours vainqueur,
Le temps brise son corps sans toucher à son cœur.
Jamais du dévoûment la source n’est tarie.
Quand elle ne peut plus travailler, elle prie.
En vain pour nous aider ses mains sont en défaut,
Ses prières encor nous défendent là-haut.
La prière est la clé mystérieuse et forte
Qui du trésor du ciel ouvre la sainte porte.
Et qui mieux qu’une mère a l’accent et le vœu,
La prière et l’amour pour arriver à Dieu ?

Ma sœur, femme bénie entre toutes les femmes,
Toi qui de mes enfans gardes les jeunes âmes,
Toi qu’ils nomment leur mère et qu’ils aiment ainsi,
Dans quel langage humain te dirai-je merci ?
À ton rôle sublime en esclave asservie,
Le soin de mes enfans devient toute ta vie :
Mérites ignorés, silencieux devoir,
Sacrifices cachés que Dieu lui seul peut voir,
Prévoyance infinie, héroïsme suprême,
Et qui n’a rien d’égal que l’amour de Dieu même !


Ton passage ici-bas est providentiel :
On ne peut te connaître et ne pas croire au ciel.
Sœur, si notre maison de bonheur se couronne,
Et si l’ange gardien de la paix l’environne,
S’il y sème la foi, le calme et la douceur,
À qui le devons-nous, si ce n’est à toi, sœur ?
La route du devoir par toi nous est tracée ;
Tous les purs dévoûmens germent dans ta pensée ;
Tu montes vaillamment ces échelons de feu
Qui partent de la terre et qui vont jusqu’à Dieu.
Ici, grands et petits, tout ce qui te contemple
S’inspire à tes vertus, se forme à ton exemple ;
Ta puissance est sacrée, et bénie est ta loi :
L’amour de mes enfans me vient encor de toi !

Oui, conforme au portrait de la Lucrèce antique,
Rudement occupée au labeur domestique,
La mère de famille est plus belle cent fois
Que Corinne, aux regards des peuples et des rois,
Reine par le droit seul de sa grande parole,
Sur un char de triomphe allant au Capitole !

Nous avons reçu une seconde lettre de M. A. Danican Philidor, dans laquelle il proteste de nouveau que l’artiste distingué dont nous avons raconté ici la vie, Alphonse Philidor, n’appartenait point à la famille du compositeur célèbre de la fin du XVIIIe siècle. Soit, et nous ne prétendons pas soutenir le contraire, comme on a pu le voir dans la réponse que nous avons mise à la suite de la première lettre de M. A. Danican Philidor ; mais il nous appartient de dire qu’Alphonse Philidor, qui du reste n’a jamais porté le nom de Danican, était un musicien de valeur, et le seul Philidor de nos jours qui méritât de fixer l’attention de la critique;


P. SCUDO.


V. DE MARS.


  1. l vol. in-12, L. Hachette et Co.
  2. 1 vol. in-12, Taride, rue de Marengo.
  3. 1 vol. gr. in-18, Michel Lévy.
  4. 1 vol. in-12, Paris, chez Cherbuliez, 10, rue de la Monnaie.
  5. 1 vol. in-12, L. Hachette.
  6. 1 vol. in-12, Poulet-Malassis et de Broise.
  7. Victor Hugo, Mélanges littéraires.
  8. 1 vol. in-8o, chez Henri Pion, 8, rue Garancière.