Chronique de la quinzaine - 31 août 1833

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Chronique no 34
31 août 1833


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 août 1833.


Quand la cour de Louis xiv s’en allait à Fontainebleau ou à Compiègne, les journalistes suivaient ; nous reviendrons peut-être à cette bonne coutume quand la cour de France aura atteint au degré de splendeur que M. Vatout et M. de Rumigny comptent bien lui donner. En attendant, pour amuser Paris en leur absence et lui faire prendre patience jusqu’au retour du voyage de Cherbourg, ces messieurs ont pris soin de laisser derrière eux un petit scandale. C’est M. Pépin, jeune avocat fort ignoré, qui a été chargé d’en supporter le poids.

Le livre attribué à M. Pépin, et intitulé Deux ans de règne, a soulevé une polémique animée entre tous les journaux de l’opposition et du ministère et fait naître une foule de réclamations. Ce livre est un gros pamphlet, grossièrement écrit, grossièrement pensé, plat, commun et prolixe, où les injures et les accusations les plus pitoyables sont prodiguées à tous les hommes qui, après avoir joué un rôle dans la révolution de juillet, n’ont trouvé ni bon ni honorable de se rallier au ministère de Casimir Périer, si misérablement prolongé par M. Guizot et M. Thiers.

Dès l’apparition de ce livre, le mot d’ordre était répandu dans le parti, et on donnait mystérieusement à entendre qu’il avait été écrit sous l’inspiration directe du roi. M. Pépin n’était, disait-on, en cette affaire, qu’un instrument docile, un éditeur responsable. Le livre partait de plus haut, et on pourrait le croire, car il a été répandu, dit-on, dans les départemens, à un très grand nombre d’exemplaires imprimés aux frais du pouvoir.

Or dans ce livre, attribué au roi par ses amis, la révolution de juillet se trouve outragée de la façon la plus sanglante. MM. Lafayette, Lafitte, Odilon-Barrot, sont représentés comme des personnages complètement nuls, qui délibéraient niaisement tandis que M. de Schonen, M. Guizot et M. Thiers renversaient hardiment le trône de Charles x, et sauvaient la France en lui donnant un roi. Casimir Périer n’est pas mieux traité que ses anciens amis de l’opposition. M. Périer, selon l’auteur de ce livre, ne fut que l’instrument de la volonté de Louis-Philippe, qui avait déjà créé son système, et qui l’a continué depuis avec ses différens ministres. La royauté se présente ainsi comme seule capable et agissante, se servant tour à tour de Casimir Périer, de M. Guizot, de M. Soult, de M. Thiers, comme d’autant de pantins politiques dont elle fait mouvoir les fils, et qu’elle met en avant tout comme elle fait de M. Pépin ; fatuité de mauvais goût, humiliation gratuite qu’une royauté spirituelle eût épargnée à ses meilleurs soutiens et aux plus chauds de ses partisans.

Voyez vous le beau rôle que des courtisans maladroits font jouer au roi des Français, en lui attribuant de honteux sarcasmes contre une révolution qui l’a porté sur le trône, en lui prêtant un odieux parjure et la plus noire ingratitude. En vérité M. Pépin a rendu là un grand service à la dynastie qu’il défend !

Il faut se hâter de le dire, ce livre n’est pas l’ouvrage du roi Louis-Philippe. Il a été enfanté par plusieurs auteurs moins illustres, quoique fort connus ; et avec un peu de sagacité, il est facile d’inscrire le nom de chacun d’eux au bas des lignes qu’il a écrites.

Le plan du livre a été d’abord conçu sous l’aile de M. Vatout. Depuis long-temps, M. Vatout s’est chargé bénévolement de la confection des pamphlets politiques. C’est à ses soins qu’on dut jadis cette curieuse pétition adressée à la chambre par de prétendus habitans du quartier Saint-Denis, qui demandaient, dans l’intérêt du commerce parisien, qu’on accordât au roi une liste civile considérable. On doit rendre justice à M. Vatout, personne en France ne comprend mieux que lui l’importance et la nécessité d’une grosse liste civile.

Le livre de M. Pépin débute par des fragmens empruntés au livre de M. Salvandy, par des citations de mots spirituels échappés à M. Salvandy, et par un éloge de M. Salvandy. Cette partie du livre est de M. Salvandy.

Vient ensuite M. de Schonen. M. de Schonen a résisté le premier aux ordonnances avec M. Girod de l’Ain. — M. Girod de l’Ain !… M. de Schonen a constitué, le premier, un comité d’insurrection au National. M. de Schonen a établi une réunion de députés chez Casimir Périer. M. de Schonen en a établi une autre chez M. Cadet-Gassicourt, rue Saint-Honoré, et le trajet qu’il fit pour s’y rendre ne fut pas sans péril, dit le livre ; M. de Schonen déploya dans cette réunion une éloquence rare (rare chez M. de Schonen). M. de Schonen mit la main à tout, se trouva partout, tandis que MM. Laffitte, Lafayette et Odilon-Barrot n’étaient nulle part. La conduite héroïque de M. de Schonen est admirablement tracée dans cette seconde partie du livre. Personne n’en doutera en apprenant que cette seconde partie est de M. de Schonen.

On pourrait cependant, à la rigueur, relever quelques inexactitudes qui ont échappé à M. de Schonen. Il parle, quelque part, de la courageuse protestation de M. Guizot, protestation qui détermina la chute de la royauté parjure. M. de Schonen ignore sans doute que la protestation de M. Guizot renfermait d’humbles expressions de dévoûment au roi Charles x et à sa famille. Si M. de Schonen persiste à en douter, il pourra lire cette protestation dans les bureaux du Temps, où l’on y conserve l’original, écrit de la main même de M. Guizot.

M. de Schonen place toujours à ses côtés M. Thiers, et il en fait, ainsi que lui, un héros des trois jours. Or, dès le premier jour, M. Thiers, incommodé sans doute par le bruit de la fusillade, était allé se cacher à Montmorency, chez l’honorable M. Alexis Dumesnil. M. Thiers ne sortit de la vallée de Montmorency que pour aller à Neuilly, au nom de la nation, offrir la couronne au duc d’Orléans. C’est là, sans doute, qu’il rencontra M. de Schonen ; mais ce ne fut certainement pas aux barricades.

Le chapitre vi est consacré à l’éloge de M. de Montalivet, aux dépens de M. Laffitte, de M. Odilon-Barrot et de M. de Lafayette. Il est inutile de désigner l’auteur de ce chapitre, nous venons de le nommer.

Il serait trop long d’analyser cette œuvre collective, qui donnera lieu à quelques éclaircissemens définitifs de la part de MM. Laffitte et Lafayette. Il est à désirer qu’un écrit franc et catégorique mette fin à ces oiseuses discussions.

— Tandis que, cachés sous la robe de maître Pépin, les habitués du château fomentaient ce petit scandale, la cour d’assises du Pas-de-Calais écoutait des révélations d’un autre genre. M. Frédéric Degeorges, rédacteur en chef du Propagateur, se défendait de l’accusation de propagandisme, en déclarant que le gouvernement actuel et le roi lui-même n’avaient pas toujours été aussi ennemis de ce principe qu’ils semblent l’être aujourd’hui. Là-dessus, il citait fort indiscrètement le don de 100,000 francs fait, disait-il, par le roi, aux émigrés espagnols, pour les aider à renverser le trône de Ferdinand vii. Et comme le procureur du roi souriait et secouait la tête d’un air incrédule, M. Degeorges s’écria avec un beau mouvement dramatique : « Une des trois personnes qui ont reçu cet argent se trouve en ce moment dans cette enceinte ; c’est M. Dupont, avocat de Paris, venu pour me défendre ; les deux autres sont M. Loève-Veimars, et M. Chevallon, ancien ami de Manuel ! » — Mais, mon Dieu ! monsieur Degeorges, que les réfugiés espagnols aient reçu ou n’aient pas reçu 100,000 francs du roi, que vous importe ?

Il est très vrai que, dans le courant du mois de septembre 1830, les trois personnes, si indiscrètement désignées par M. Degeorges, se rendirent chez le roi Louis-Philippe, qui résidait alors au Palais-Royal, et lui exposèrent que le comité espagnol, dont ils faisaient partie, ayant épuisé toutes ses ressources, s’adressait à lui pour subvenir aux besoins des malheureux réfugiés. Ils ne dissimulèrent pas que les efforts du comité tendaient à faire une tentative armée sur l’Espagne, afin d’y rétablir la constitution. Ils ne lui cachèrent pas qu’ils avaient déjà fait de nombreux envois d’armes et d’habillemens aux émigrés qui se trouvaient répandus sur les frontières, et qu’ils les avaient acheminés là de tous les points de la France et de l’Angleterre aux frais du comité. Le roi les questionna beaucoup, et les interrogea avec la sagacité qui le distingue. Il se fit rendre compte des forces et des ressources dont on pouvait disposer, demanda les noms des chefs, s’informa des lieux où se trouvaient Torrijos, Mina, Valdez, parut fort au courant de toutes les intrigues qui avaient eu lieu parmi les membres des cortès réfugiés en Angleterre, parla longuement du général espagnol Alava, qu’il avait connu autrefois, et parut inquiet en apprenant de la bouche de M. Loève-Veimars que ce général entretenait une correspondance active avec M. de Talleyrand ; mais il est aussi vrai de dire que le roi se refusa absolument à concourir à cette expédition, alléguant que ce concours, quelque secret qu’il fût, ne manquerait pas de le brouiller avec les puissances étrangères, qui ne l’avaient pas encore reconnu.

Ce fut alors que M. Loève-Veimars osa lui demander ce qu’il comptait faire de ces nombreuses bandes d’Espagnols que le comité avait rassemblées entre Bayonne et Perpignan, et de ces chefs, qui, prévoyant un refus de sa part, se disposaient à entrer en Espagne avec le drapeau tricolore, en répandant des proclamations républicaines. Au contraire, dans le cas où le roi consentirait à les soutenir ouvertement, Torrijos et ses amis offraient de proclamer le duc de Nemours le jour où ils arriveraient à Madrid, et de remplacer, en Espagne comme en France, la branche aînée des Bourbons par la branche cadette. Ces paroles produisirent un changement visible sur la physionomie du roi ; il chargea les membres du comité de témoigner aux chefs de l’expédition combien il se trouvait flatté de leur préférence, ce sont ses propres expressions, et consentit à donner 100,000 francs pour l’expédition d’Espagne, promettant de faire plus dans l’occasion. Cette somme fut en effet remise sur l’ordre de M. Laffitte, alors ministre des finances à M. de Lafayette, qui chargea MM. Dupont et Chevallon de la porter à Marseille et à Bayonne, M. Loève-Veimars ayant refusé de prendre part à cette mission. Quelques jours après, le roi et ses ministres, mieux ou plus mal avisés, firent saisir, sur toute la frontière, les caisses d’armes et d’habillemens, ainsi que les chevaux achetés par le comité, et donnèrent l’ordre de faire interner en France tous les réfugiés espagnols. L’argent n’avait pas encore été distribué ; et, à l’exception d’une faible somme, dont on justifia l’emploi, il fut remis à M. Laffitte. On voit que cette velléité de propagande et d’intervention ne fut pas longue, et que toute cette affaire ne méritait pas d’être rappelée. Au reste, tous les détails que nous donnons sont authentiques, et nous défions qu’on en conteste la vérité.

— Que M. Vatout et les amis de la liste civile se rassurent ; elle n’a pas été lourdement grevée par cet acte de royale munificence. Une contestation qui s’est élevée, il y a peu de jours, entre M. Humann et M. de Montalivet, nous révèle que c’est dans le trésor qu’on puisait ces dons généreux que la jeune royauté croyait devoir faire pour se consolider. Le ministre des finances, qui tient à épurer les vieux comptes de l’état avec la liste civile, s’adressa dernièrement à l’intendant-général de S. M. pour obtenir le remboursement des avances du trésor. Une longue délibération eut lieu à Neuilly, et il fut décidé qu’on répondrait à M. Humann de porter ses réclamation ailleurs. La liste civile, votée postérieurement à ces dettes du roi, ne pouvait en être responsable, lui disait-on ; et le principe de rétroactivité, qui avait paru fort bon pour l’état de siège, fut trouvé fort impertinent en cette circonstance. On assure que M. Humann s’est montré peu satisfait de cette réponse. Il a prononcé le mot de démission, et cette semaine, on parlait en bon lieu, de M. Jacques Lefèbvre, comme d’un homme fort civil, fort complaisant, et très propre à diriger le ministère des finances.

— Ce n’est pas le seul changement qui se prépare. M. de Montalivet aspire à remplacer M. d’Argout, et M. de Talleyrand menace d’abandonner son ambassade de Londres. M. de Talleyrand se plaint beaucoup, il dit tout haut qu’on ne s’occupe aux Tuileries que d’affaires de famille, et qu’on dérange tous ses plans, tant on est occupé d’établir en Portugal M. le duc de Nemours. Cette préoccupation est si forte, qu’un ordre rigoureux a été transmis tout le long de nos côtes, à l’effet d’empêcher le débarquement du jeune duc de Leuchtemberg, l’ancien antagoniste du duc de Nemours, pour le trône de Belgique, et son rival actuel près de dona Maria. Qui sait même si l’on n’est pas revenu à la pensée d’établir le duc de Nemours sur le trône d’Espagne, tandis que sa femme régnerait sur le Portugal ? Le juste-milieu ne rêve pas moins que la monarchie universelle.

M. le duc d’Orléans, dont le trône est tout trouvé, passe des revues à Compiègne, et vit sous sa tente comme Napoléon. Nous avons sous les yeux une lettre d’un officier de son état-major, qui parle avec enthousiasme de l’activité infatigable du prince. On l’a vu plusieurs fois se lever à deux heures du matin, et faire éveiller ses aides-de-camp, pour jouer au billard et fumer des cigarres. La gloire du grand Condé qui dormait toute la nuit avant une bataille, ne pâlit-elle pas près de celle de ce jeune prince, qui veille ainsi en pleine paix ?

— La congrégation doctrinaire tout entière prend femme et se met en ménage. On dit que M. Guizot est sur le point d’épouser la veuve de M. Auguste de Staël. M. Mahul va revenir de son département avec sa jeune et nouvelle épouse, et l’honorable député ne tardera peut-être pas à voir la chair de sa chair et les os de ses os. Enfin il est question d’un riche mariage pour M. Duchâtel, que la doctrine désigne déjà comme un futur ministre des finances. M. Duchâtel est auteur d’un livre intitulé : La Charité, où il expose, comme principe gouvernemental, la nécessité d’empêcher le mariage entre les prolétaires, afin de diminuer la population des classes pauvres. À voir la marche que prennent les doctrinaires, et M. Duchâtel lui-même, il paraît qu’ils ont fait une variante à un vers fameux et qu’ils se sont dit :

Nul n’aura d’enfans que nous et nos amis.

— Que dire de M. Laya, l’académicien, qui vient de mourir ? Son successeur se chargera de son panégyrique et peut-être bien se chargera-t-il aussi de la pension de 6000 fr. que l’auteur de l’Ami des lois touchait sur les fonds secrets. On dit que M. Salvandy aspire à la double succession de M. Laya.

M. Salvandy, qui a si bien décrit la fête que donna le duc d’Orléans à Charles x, manque essentiellement aux fêtes de Cherbourg, qui seront toutefois moins belles qu’on ne l’annonçait. L’Angleterre n’enverra pas de vaisseau de ligne, et l’escadrille des yachts est encore à l’île de Whight pour les plaisirs de la princesse Victoria. La cour de France, puisque cour il y a, pourra toujours prendre le divertissement des promenades dans le port, et de la vue de l’obélisque de Louqzor. Reste à savoir comment la pudeur des dames s’arrangera des bas-reliefs où s’élèvent d’une manière très distincte certaines figures adorées publiquement en Égypte, et dans le culte desquelles on apporte en France plus de mystère.

— Madame Vatry, l’un des ornemens de la cour des Tuileries, manque aussi à Cherbourg. On nous écrit des eaux d’Aix en Savoie, où se trouve cette dame, qu’on a eu la cruauté de lui faire porter entre la poire et le fromage un toast à la santé de Henri v, ce qui a nécessité un évanouissement prolongé, dont heureusement elle n’a pas ressenti les suites. On sait que le carlisme le plus pur a établi à Aix son point de réunion. Nous plaignons sincèrement madame Vatry ; mais aussi que diable allait-elle faire dans cette galère ?

— Madame la baronne de Feuchères a éprouvé un désappointement non moins grand que celui de madame Vatry aux eaux d’Aix. Les habitans du village de Plailly ont eu l’audace d’insulter publiquement cette dame dans son parc, et de tracer sur tous les murs de son château de Mortefontaine de petites potences accompagnées d’inscriptions qui aggravaient encore l’outrage. Madame de Feuchères, irritée, a fait fermer à tous les promeneurs ce beau parc, que l’hospitalité de la maison de Condé tenait ouvert pour tous les étrangers. C’est un véritable malheur pour les Parisiens qui visitaient si souvent Mortefontaine, et qui n’ont cependant rien fait à madame de Feuchères.

— Pour les consoler de cette privation, nous nous faisons un plaisir de leur annoncer la création d’un institut musical qui donnera chaque semaine, à l’Odéon, un concert exécuté par un orchestre de quatre cents musiciens. M. Blanchard, l’un de nos compositeurs les plus spirituels et les plus habiles, est le fondateur de cet établissement. Il nous fera connaître les morceaux les plus curieux des écoles allemande et italienne. Les exécuteurs seront choisis dans les meilleurs orchestres de Paris, de Vienne, de Munich et de Londres. Voilà de quoi faire oublier les concerts des Champs-Elysées.

— Il est question d’un autre établissement non moins curieux, d’un théâtre nautique, dans la salle Ventadour, dont M. Vatout se défend beaucoup d’avoir obtenu le privilège. M. Vatout l’a sollicité en effet de M. Thiers, qui le lui a accordé pour M. Saint-Estébène, auteur d’une comédie ou d’un drame joué aux Français sous le titre de la Conspiration de Cellamare. La comédie était tirée du roman de M. Vatout, et M. Vatout, qui avait travaillé, dit-on, au drame de M. Saint-Estébène, a été bien aise de faire quelque chose en faveur de son collaborateur. M. Vatout fait le bien uniquement par excès de bonté et de philanthropie, et nous ne serions pas étonnés s’il sollicitait en ce moment pour M. Pépin.

— Le théâtre nautique aura beaucoup à faire pour lutter avec les théâtres de terre ferme, qui sont tous en pleine activité. Cette quinzaine a produit au Vaudeville les Femmes d’emprunt, où Arnal est très comique. Les Variétés ont donné la Salle des bains, où Odry se montre insipide. Au théâtre du Palais-Royal les Baigneuses, joli vaudeville, que le jeu d’un acteur nommé Alcide rend très plaisant. À la Gaîté, le Fils naturel, absurde déclamation contre les duels. À l’Ambigu-Comique, les Deux-Roses, pâle copie du Henri vi de Shakspeare, qui plaira toutefois aux habitués du mélodrame ; toutes choses de peu d’intérêt, et qui ne méritent pas qu’on s’y arrête. Les grands théâtres se préparent à fêter le retour de la société parisienne. L’Opéra répète Don Juan, de Mozart, qui sera monté avec tout le luxe imaginable, et un grand ballet en trois actes, et la Porte Saint-Martin prépare un nouveau drame de M. Victor Hugo, La sanglante Marie. M. Hugo ne se lasse pas du genre monstrueux et de la littérature sanguinaire.

— De nouveaux livres, peu de saillans. Parlerons-nous des Scènes dramatiques empruntées à la vie réelle[1], par lady Morgan, traduites par mademoiselle Sobry. Ce sont des dialogues un peu prolixes sur la vie intérieure de l’Irlande, quelquefois spirituels et toujours satiriques comme l’est lady Morgan. Ils sont divisés en trois parties : le Manoir de Sackville, les Vacances de Pâques et l’Humoriste. On y cherche vainement la finesse et la touche pittoresque de l’auteur de Florence Maccarthy.

M. Ludvig Dauern, docteur en théologie et chevalier de l’ordre du faucon blanc de Weimar, a publié les Lettres méthodistes[2]. C’est une satire spirituelle, savante, énergique et foudroyante, de la congrégation jésuitique qui s’est formée au sein du protestantisme, et dont quelques-uns de nos plus illustres doctrinaires sont les agens actifs. Ce livre curieux et brillant mérite un examen détaillé, et nous y reviendrons.

— Mademoiselle Boury n’a pas voulu rester en arrière de M. Pépin, et elle aussi publie ses révélations qu’elle a ornées de son portrait[3]. Mademoiselle Boury nous apprend que son père était maître de poste à Berghes, et qu’il émigra à Gand avec Louis xvii, ce qui s’appelle prendre les choses d’un peu haut. Mademoiselle Boury fut élevée chez les ursulines de Saint-Omer, où se renouvela la fable d’Achille et de Déidamie. Un jeune homme s’introduisit dans le couvent et y vécut trois mois à l’insu des supérieures. Mettez donc vos filles aux Ursulines !

Puis mademoiselle Boury fut mise dans une pension séculière. Le dîner était excellent, il se composait régulièrement d’un potage, de deux plats de légumes, et on y buvait de la bierre. Mademoiselle Boury nous donne aussi la carte de ses soupers, et l’emploi de ses journées, mademoiselle Boury a raison, elle sait combien la vie privée d’un personnage historique intéresse la postérité, et mademoiselle Boury est un personnage des plus historiques.

Il faut sauter cent pages de ce genre pour arriver au fameux coup de pistolet. Mademoiselle Boury avoue qu’elle se rendit le matin de ce jour chez M. Thiers, mais elle assure qu’elle ne le vit pas ; elle revint encore chez lui après l’affaire, et le secrétaire du ministre la fit conduire aux Tuileries. Du reste, mademoiselle Boury avoue qu’elle avait besoin de 40,000 fr., que M. Rotschild refusa de les lui prêter, et qu’après l’événement du pont Royal, elle s’adressa au roi pour les obtenir. Le roi lui fit faire une belle lettre par M. Jules de Larochefoucault, son aide-de-camp. « Cette réponse, dit mademoiselle Boury, était une consultation en bonne et due forme, parfaitement libellée. Dans sa lettre, M. le comte Jules me donne un conseil dont la sagesse ferait honneur au bâtonnier de l’ordre des avocats ; il m’engage à m’adresser à un capitaliste qui puisse faire l’avance des 40,000 francs que je désire emprunter. »

Pauvre mademoiselle Boury, vous aussi vous êtes victime de l’ingratitude des rois ! Mais peut-être le roi Louis-Philippe n’est pas aussi ingrat qu’on le pense, et ne croit-il pas plus que nous à la réalité du coup de pistolet. Ce n’est pas à lui que mademoiselle Boury devait porter sa demande, que ne s’adressait-elle à M. Gisquet !

AMOUR ET FOI, POÉSIES, PAR M. ÉDOUARD TURQUÉTY.[4]

Né dans cette province de Bretagne, si féconde en poètes et en hommes fervens, M. Turquéty est lui-même un poète de foi et de conviction. Ce n’est pas pour prendre un beau thème de chant qu’il consacre sa lyre au christianisme, c’est parce qu’il est fidèle et croyant. Aussi les poésies qu’il publie sont-elles remarquables par un ton de douceur, de mélodie, de simplicité presque virginale, qui est la marque naturelle du poète chrétien. Comme art, l’exécution est pure, ferme, habile ; le rhythme a du développement et de l’harmonie. Comme inspiration, cette poésie sincère a quelquefois de la grandeur, toujours du charme : on y voudrait par momens plus de variété et d’orages, plus de traces des passions et des vicissitudes ; toute la portion gracieuse et triste qui répond à l’amour n’en est que le prélude, le rêve, l’étoile avant-courière ; mais la flamme même de la passion n’a point passé par là. À côté de ce quelque chose d’un peu matinal contraste vivement la couleur sombre et trop mystiquement effrayante sous laquelle le poète paraît juger certains grands évènemens du siècle. L’un et l’autre défaut tiennent évidemment à la même cause, à cette vie jusqu’ici trop intérieure et trop concentrée du poète. Mais loin de nous l’idée de lui conseiller d’en changer ! en lui laissant la foi, le sentiment des choses éternelles et le loisir d’exprimer ce qui fait sa joie ou sa crainte, cet éloignement du monde le rapproche des sources même de sa poésie : plus il y puisera avant, sans trop s’inquiéter des révolutions extérieures, des évènemens qu’on juge inexactement de loin, sans trop s’inquiéter aussi des formes et inspirations accréditées par nos auteurs illustres, plus il trouvera l’originalité et la profondeur qu’il atteint déjà. Dans la pièce intitulée : Souffrances d’hiver, il a quelque réminiscence d’une pièce de M. Hugo sur le même sujet : çà et là nous avons cru ainsi sentir passer dans la mélodie du poète quelque vague écho des puissantes voix ; quoique ces échos, chez M. Turquéty, nous reviennent toujours à travers les propres pensées de son cœur, mieux vaut que celles-ci nous arrivent seules, ne fût-ce que dans le murmure indécis de leur brise. M. Turquéty avait publié déjà, il y a quatre ans environ, un joli recueil d’élégies et de pièces suaves : il y a dans le nouveau volume un remarquable progrès qui se continuera encore. En fait de grâce touchante, nous recommandons les pièces intitulées Reproches, un Ami ; dans les odes ou hymnes élevées, nous citerons la Vision, Caliban, quoique le siècle nous y semble énormément enlaidi, et que l’avenir s’y entrouve dans des nuées formidables et sanglantes auxquelles je ne puis croire : mais le poète y croit, et le caractère lugubre de sa peinture accuse en lui ce saint tremblement dont il est question dans les prophètes.

STRUENSÉE, OU LA REINE ET LE FAVORI, PAR N. FOURNIER ET AUGUSTE ARNOULD.

En l’année 1769, le roi de Danemark revenait incognito d’un voyage philosophique en France, comme en faisaient volontiers les souverains de ce temps-là, quand, passant, le 4 janvier, par la ville d’Altona, il fut pris d’un de ces spasmes nerveux auxquels il était sujet depuis son enfance. Le prince évanoui fut porté à bras chez un médecin de l’endroit. Le docteur se mit en besogne, rappela le malade de son évanouissement, et, dans un entretien qui suivit la crise, insinua si bien comment, sous cette douleur physique, il découvrait une souffrance morale, que le prince, enchanté de la sagacité du jeune docteur, l’emmena aussitôt de sa petite maison d’Altona au château royal de Copenhague. Ce malade était Christian vii ; ce médecin, Struensée. — Struensée devint premier médecin du roi, favori, premier ministre, réformateur du Danemark, amant de la reine Mathilde ; et, après trois ans de faveur ou de règne, ce même Struensée fut arrêté comme traître, condamné à mort le 25 mars 1772, et décapité devant la porte orientale de Copenhague.

Tel est l’abrégé des faits mis en action dans l’ouvrage de MM. Fournier et Arnould ; la pensée qui anime ces faits et les mène à leur développement ressort, je crois, de ce second titre du livre : La Reine et le favori.

Struensée, quand s’ouvre la scène, est dans sa maison d’Altona, comme Figaro sur la place de Séville : tenant la lancette et la plume, rédigeant une Gazette médicale qui, entre ses mains, devient politique, il est prêt à faire sur le corps social les mêmes expériences que sur ses malades ; il a pris ses grades à Paris ; Grimm l’a présenté chez le baron d’Holbach qui lui aura fait lire La Metrie ; certainement il possède à fond Beaumarchais et Clavijo. — Les auteurs, d’après toutes ces données n’ont pas composé le caractère de Struensée ; mais ils ont trouvé dans leur héros, homme historique, une nouvelle personnification du dix-huitième siècle. L’intrigue de Struensée avec la reine Mathilde (intrigue qui tout à coup arrêta Struensée dans sa période ascendante) est le dernier trait pour donner à cet homme la physionomie de son temps. Struensée, il paraît, ne se fit pas philosophe, ne pouvant être médecin ; il avait autant de portée que d’audace dans l’esprit. Telle Marie devant Clavijo, Mathilde, comme une pierre fatale, se trouva devant Struensée. Clavijo, toutefois, sacrifia son amour à une ambition inférieure, au lieu que Struensée sacrifia une haute ambition à son amour. La catastrophe fut la même : Clavijo (dans le drame de Gœthe, du moins), Clavijo et Struensée périrent tous deux par une même cause et manquèrent leur destinée.

Nous disons, quant à ce livre, que le caractère de Struensée qui commence brillamment et finit avec noblesse, devient indécis vers le milieu du premier volume ; il se relève à cette scène originale où le peuple escalade les fenêtres du premier ministre pour le forcer à abdiquer : — « Les matelots Norwégiens se trouvaient en masse auprès du balcon. L’un d’eux, le plus animé, se hissa sur les épaules de ses compagnons, et de là, se trouvant face à face avec Struensée, il commença à parler au nom de tous, comme s’il traitait de puissance à puissance.

— Ce que nous voulons, s’écria-t-il, c’est un Danois pour maître ; ce que nous ne voulons pas, c’est un maître étranger.

— Non, non, point d’étranger, répétèrent les autres.

— Nous ne t’obéirons pas, reprit le chef, enhardi par son succès.

— Non, point d’obéissance à l’Allemand.

— Docteur, ajouta-t-il d’un air insultant, nous ne sommes point malades, nous autres ; regarde, nous sommes forts et vigoureux, nous n’avons pas besoin de tes ordonnances.

Les huées et les éclats de rire de la troupe accueillirent cette grossièreté. Struensée répliqua sans s’émouvoir :

— Donc, mes maîtres, le choix de sa majesté vous déplaît, et pour vous satisfaire, il faudrait refuser la dignité qui m’est offerte.

— Oui, refuse, refuse ! crièrent-ils, tous d’une même voix.

— Refuse, nous le voulons ! — Refuse, ou crains pour ta vie !

— Des menaces ! reprit froidement Struensée ; en ce cas, mes amis, vous me décidez : puisque vous m’invitez de cette façon violente à refuser le rang de ministre, mes amis, je l’accepte.

À ces mots, les insurgés demeurèrent stupéfaits, et celui qui tenait le poignard retomba au milieu de ses camarades. Le peuple, au contraire. charmé de cette énergie, l’accueillit par des applaudissemens et des acclamations prolongées. »

Entre autres chapitres remarquables, il faut citer la loi qui punit de mort, le mannequin, le traité d’alliance, et cette singulière scène, où, après la liaison de Struensée et de la reine découverte, les marins de Copenhague, épris d’un beau zèle de morale, entrèrent dans les maisons de débauche qu’on n’avait pas besoin de leur indiquer, et traînèrent dans les rues toutes ces malheureuses femmes qui furent égorgées, foulées aux pieds, ou jetées dans les canaux de la ville. Faute de place, nous indiquerons sommairement les figures de la reine-mère et de Christian surtout comme des études consciencieuses, et rendues avec art ; mais nous préférons de beaucoup Marie Beaumarchais à la reine Mathilde ; toute l’économie du livre est harmonieuse et bien balancée ; on y reconnaît la science dramatique des auteurs du Masque de fer.

HECTOR FIERAMOSCA, PAR M. MAXIME D’AZEGLIO.

S’il fut jamais une mine inépuisable en émotions dramatiques, c’est sans contredit, les annales italiennes à l’origine du seizième siècle. Quelle époque pour le poète et le romancier que celle où l’Italie, fractionnée en petites républiques usées par leurs discordes intestines, se débattait en outre entre les Français et les Espagnols, qui convoitaient ses plus riches provinces ; où les condottieri, les hauts barons, les seigneurs de tous étages faisaient assaut de valeur, d’intrigues, de trahisons, d’assassinats, d’empoisonnemens ; où la débauche et le crime étaient assis sur le trône pontifical dans la personne d’Alexandre vi ; où enfin, en dépit et peut-être à cause de l’excitation produite par un pareil état de choses, l’art enfantait des merveilles qui depuis n’ont point été égalées ! Mais les réalités de l’histoire l’emportent là comme presque partout sur les créations de l’imagination la plus hardie, et c’est une rude tâche pour le romancier d’avoir à lutter contre les pages de Guichardin ou de Tomasi. Voilà une des raisons qui nous ont fait éprouver une satisfaction très légère à la lecture de l’ouvrage de M. d’Azeglio. Une certaine rumeur favorable avait précédé l’apparition de ce livre en France ; M. d’Azeglio est gendre de Manzoni ; l’auteur des Fiancés n’était pas, dit-on, étranger à la composition du livre. Disons-le, franchement, nous avons peine à le croire.

Dans le magnifique horizon qui se déployait à ses yeux, M. d’Azeglio a fait choix d’un point de vue unique et borné qu’il a décrit en y ajoutant diverses fabriques de sa façon pour orner le paysage et compléter le tableau. L’action de son roman se passe en 1503, un an avant la mort d’Alexandre vi. Les Français, sous les ordres du duc de Nemours, vice-roi de Naples, assiègent dans Barlette les deux Colonne, et leur allié ou plutôt leur chef Gonzalve, qui, plus tard, doit ajouter Naples à la couronne d’Espagne. De braves chevaliers sont en nombre dans les deux armées ; parmi ceux renfermés dans la place, Hector Fieramosca se distingue entre tous par son courage et sa beauté. Trois Français, faits prisonniers dans une sortie par les Espagnols, laissent tomber sur les Italiens des paroles de mépris qui sont vivement relevées, et un défi a lieu ; dix chevaliers de chaque nation doivent combattre en champ-clos contre dix autres pour décider qui l’emporte des deux peuples en valeur. L’intervalle entre le défi et le combat est rempli par divers incidens, tels que l’arrivée de la fille de Gonzalve, qui donne lieu à des fêtes brillantes, la passion de Fieramosca pour une femme qu’il a soustraite aux violences de César Borgia, en la cachant dans un couvent près de Barlette, l’apparition de César Borgia lui-même qui se rend incognito à Barlette, pour s’entendre avec Gonzalve sur les moyens de chasser les Français de l’Italie, et découvrir la retraite de Genèvre qu’il poursuit de sa vengeance, soins assez singuliers, soit dit en passant, pour un pareil homme. Au jour fixé, le combat a lieu dans les formes accoutumées, et les dix chevaliers français sont vaincus par les Italiens. Nous n’avons rien à dire à ce dénoûment ; il est historique. Fieramosca, au sortir de la lutte, vole au couvent où est renfermée Genèvre ; mais il n’arrive que pour assister à ses funérailles : l’infâme César Borgia lui a fait violence, et elle a succombé à son désespoir. Hector disparaît, et l’auteur nous donne à entendre qu’il a mis fin à ses jours en se précipitant lui et son cheval dans la mer.

Il y a un grand nombre d’acteurs dans ce roman, beaucoup de mouvement, de bruit, d’allées et venues ; mais c’est un mouvement pénible et convulsif que rien ne règle et ne modère. On est sans cesse et involontairement frappé des efforts qu’a faits M. d’Azeglio pour imiter Walter Scott. Mais à quelle infinie distance n’est-il pas resté de son modèle ! Il a pu lui dérober la forme extérieure des évènemens et du dialogue, décrire des fêtes, des costumes, des armes, faire jouter des chevaliers et le reste ; la vie intérieure, le souffle qui crée et qui anime sont presque toujours complètement absens. Une teinte mélancolique est répandue sur toute cette composition. Elle ne se fait jamais mieux sentir que lorsque l’auteur essaie de placer un masque comique sur le visage de ses acteurs ; le masque échappe aussitôt à sa main sérieuse, et se brise. Si l’art peut lui en faire un reproche, il est absous par tout ce que révèle de douleurs secrètes cette gaîté factice et impossible. Sur ces lèvres qui se refusent à sourire, dans ce cœur qui ne peut s’ouvrir à un bon mot, il y a sans doute quelque souvenir caché, une réminiscence toujours présente de la patrie. Les fils de l’Italie savaient rire autrefois, et chanter, et se livrer à de joyeuses mascarades ; aujourd’hui, qui d’entre eux, s’il a une âme, se souvient encore de ces choses ?

On a publié deux traductions françaises de Fieramosca, l’une anonyme, l’autre, par M. A. L. Blanchard. Sans examiner si le roman de M. d’Azéglio méritait un tel honneur, nous ne pouvons nous empêcher de donner la préférence à la dernière, malgré la notice préliminaire sur Manzoni, qui n’a rien à faire là ; notice qui n’a été composée évidemment que dans le but de faire porter à Manzoni ce qui n’est bien qu’à M. d’Azéglio.

SOUVENIRS D’ORIENT, PAR M. CORNILLE.[5]

L’Orient, tout banal qu’il commence à devenir depuis quelques années, a cet avantage sur l’Italie,

Messaline en haillons sous les baisers flétrie,
qu’il n’a pas fourni le quart du bavardage descriptif, artistique ou sentimental dont nous avons été de tout temps inondés sur cette dernière. Constantinople, Smyrne et Alexandrie ne voient pas encore ces nuées de touristes qui, chaque année, au retour de la belle saison, s’abattent sur Naples ou Florence, aussi régulièrement que les légions de cailles qu’apportent les vents d’automne sur les rivages de la Sicile. Par cela seul, si j’étais voyageur, je me déciderais en faveur de l’Orient ; et si je savais conter, comme M. Cornille, ce que j’aurais vu et entendu, il est probable que je ferais comme lui : je publierais un livre. Pendant deux années de courses dans la Turquie, la Grèce, la Syrie et l’Égypte, M. Cornille a été témoin de la plupart des faits importans qui se sont passés en Orient. En août 1831, l’incendie qui consuma le faubourg de Péra presque tout entier, le chassait de Constantinople ; à quelque temps de là, Mavromichalis brûlait sous ses yeux la cervelle au président Capo d’Istria ; nous le retrouvons ensuite sous la tente d’Ibrahim au siège de Saint-Jean-d’Acre, puis sur les bords du Jourdain, et enfin à Alexandrie, où il assiste à la réception généreuse que fit Méhémet-Ali à Abdallah vaincu.

Ces épisodes jettent de la variété dans la partie purement descriptive du livre de M. Cornille. Nous le louerons particulièrement de nous avoir fait grâce de ses méditations sur les ruines, de la mélancolie obligée et de l’érudition de collège. Comme un autre, sans doute, il eût pu charger son album de lambeaux de Pausanias, Choiseul et Barthélemy ; il gagnera des lecteurs à n’en avoir rien fait. En somme, M. Cornille est un voyageur nullement doctoral, poétisant volontiers, mais sans tomber dans le pathos de convention et l’enthousiasme à froid. Son livre ne figurera probablement pas dans le bagage du touriste partant pour les mêmes lieux ; mais il sera lu de ceux qui, n’ayant ni loisirs, ni assez d’argent peut-être, en sont réduits aux plaisirs de l’imagination.

— Sous le titre de Mémoires biographiques sur M. le baron Cuvier, le libraire Fournier va publier incessamment une biographie complète de M. Cuvier, composée par mistriss Lee et traduite de l’anglais par un de nos collaborateurs. Cet ouvrage est divisé en quatre parties ; la première contient les principaux évènemens de la vie de M. Cuvier ; la seconde, l’examen de ses travaux scientifiques ; la troisième, sa carrière administrative, et la quatrième, des détails inédits sur sa vie privée. Pour certifier la compétence de l’auteur sur un sujet aussi difficile, il nous suffira de dire que mistriss Lee a écrit plusieurs ouvrages estimés d’histoire naturelle, et que, liée intimement depuis longues années avec la famille de M. Cuvier, elle en a reçu tous les documens nécessaires pour que son travail fût complet sous tous les rapports. Nous le recommandons par conséquent sans hésiter à l’attention de nos lecteurs. L’ouvrage formera un volume in-8o d’environ 400 pages, et paraîtra en même temps à Paris et à Londres.


  1. Chez Fournier jeune.
  2. Chez Cherbuliez, rue de Seine.
  3. Chez Vimont, rue de Richelieu.
  4. Un vol.  in-8o, Delaunay, au Palais-Royal ; Rennes, Molliex.
  5. Chez Abel Ledoux.