Chronique de la quinzaine - 31 décembre 1843

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Chronique no 281
31 décembre 1843
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 décembre 1843.


La session est ouverte, et tous ceux qui ont coutume d’assister à cette imposante solennité politique, qui réunit dans la même enceinte les grands pouvoirs de l’état, doivent, s’ils sont sincères, reconnaître que le discours de la couronne a été accueilli par les deux chambres avec des marques particulières d’assentiment et de satisfaction. Le discours se distingue surtout par sa simplicité ; il a été d’autant plus approuvé, qu’il ne paraissait pas vouloir imposer l’approbation.

En parlant de nos finances, la couronne promet au pays un budget qui rétablira l’équilibre entre les revenus et les dépenses de l’état.

Dans nos relations extérieures, la paix n’a jamais été plus assurée.

Le gouvernement espère que la monarchie s’affermira en Grèce comme en Espagne par le respect mutuel des droits du trône et des libertés publiques.

Un projet de loi pour l’instruction secondaire satisfera au vœu de la charte pour la liberté de l’enseignement, en maintenant l’autorité et l’action de l’état sur l’éducation publique.

Ce sont là les passages qui ont le plus frappé les esprits et satisfait l’opinion.

La situation de nos finances, sans être alarmante, donnait quelques inquiétudes aux esprits timorés et surtout à ces hommes de chiffres qui confondent le trésor avec le pays, et croient que le pays est près de sa ruine toutes les fois que le trésor éprouve quelques embarras. Il était bon de les rassurer, car la peur est à elle seule un dommage, sans compter l’ennui des déclamations qu’elle enfante. Qu’il serait agréable de ne plus entendre parler de découvert de déficit, de gouffres, d’abîmes, de ne plus entendre crier misère dans un des pays les plus riches et les plus prospères du monde ! Reste seulement à savoir comment M. Laplagne s’y est pris pour aligner ses chiffres et arriver à l’équilibre. On lui prépare, il peut y compter, un examen sévère et minutieux de son budget. On lui demandera, avec les états des années précédentes à la main, quels sont les revenus dont il estime l’accroissement certain, ou quelles sont les dépenses qu’il entend réellement supprimer ou réduire. Dans ce second cas, on recherchera si la réduction ne porte pas sur une de ces dépenses variables de leur nature qu’on peut augmenter dans le courant de l’exercice par des crédits supplémentaires. Attendons patiemment la présentation du budget. Il est plus d’une question grave sur lesquelles nous aimons à croire que M. le ministre des finances prendra enfin un parti. Pour en citer une, il ne nous est pas donné de comprendre qu’on laisse la rente 5 pour 100 dans l’état de demi-incertitude où elle se trouve depuis long-temps. Elle ne se défie pas assez de son avenir pour ne pas monter un peu ; elle le redoute assez pour ne pas s’élever beaucoup, pour ne pas atteindre et dépasser le taux de 130, ce qu’elle ferait facilement, s’il était décidé en droit ce qui semble établi de fait, à savoir que la rente 5 pour 100 n’est pas remboursable. En attendant, par sa marche incertaine et timide, elle paralyse l’essor de tous les autres effets publics ; elle exerce une influence fâcheuse sur le taux de l’escompte et sur l’intérêt de l’argent ; enfin, en ne permettant pas au 3 pour 100 de prendre tout son élan, elle fait perdre au trésor un bon nombre de millions toutes les fois qu’il contracte un emprunt. Telle est la situation que nous prolongeons à plaisir. Ne dirait-on pas qu’on s’amuse à contrarier le développement naturel de la richesse publique, comme si on voulait voir ce qu’elle peut faire malgré nos fautes et nonobstant toutes les entraves qu’on lui suscite ?

Les hommes qui se préoccupent et s’inquiètent de l’état de nos finances auront aussi à fixer leur attention sur la question des chemins de fer. Il est de mode aujourd’hui d’attaquer le système de la loi de 1842 par cela seul qu’il existe, et que dans les temps de petites passions tout ce qui a été décidé déplaît, tout ce qui est établi devient un sujet d’attaques. Les esprits incapables de concevoir quelque chose d’important et de nouveau s’évertuent à critiquer ce qui est. Si on les écoutait, le gouvernement ne serait qu’une toile de Pénélope ; il tournerait sans cesse dans un cercle vicieux avec une activité parfaitement stérile. La loi de 1842 a admis le concours des compagnies ; inde iræ. Une compagnie, dit-on, se présenterait-elle, si elle ne comptait pas sur un bénéfice ? Voyez les actions d’Orléans et de Rouen. Elles sont fort au-dessus du pair. Donc les loups-cerviers peuvent faire de magnifiques spéculations dans les chemins de fer, donc la loi est détestable. Elle serait excellente, si aucune compagnie ne se présentait, ou s’il était démontré que toute compagnie qui se présente et accepte un cahier des charges court à sa perte. C’est là le fond de la pensée des adversaires du système : tout réunir dans les mains du gouvernement pour exclure l’industrie privée. Laissons à d’autres le soin d’examiner si effectivement l’exploitation des chemins de fer offre à la spéculation des chances très favorables. Ce qui est certain pour nous, c’est que si le système de la loi de 1842 était abandonné, et que l’état prît à sa charge, en tout ou en partie, l’exploitation des nouvelles routes de fer, les prévisions de notre budget, ou à mieux dire, de nos budgets, se trouveraient profondément altérées. Le capital qu’on s’était proposé de demander à l’industrie privée devrait sortir, soit en totalité, soit en partie, selon le système qu’on adopterait, des coffres du trésor. Seulement il est évident qu’à moins de retarder indéfiniment l’accomplissement des travaux et l’exploitation des nouvelles communications, il faudrait demander aux particuliers, par voie d’emprunt, les capitaux que la loi en vigueur leur demande d’avancer comme concessionnaires et fermiers de l’état.

En disant aux chambres que la paix n’a jamais été plus assurée et que les relations de la France avec toutes les puissances sont pacifiques et amicales, certes la couronne n’énonçait rien d’inattendu et ne dissipait aucun doute ; le doute n’existait pas. Il n’est pas d’homme sensé qui aperçoive dans ce moment le moindre signe de trouble et de guerre à l’horizon politique. La phrase a été accueillie avec des murmures approbateurs, non parce qu’elle apprenait quelque chose d’inespéré, mais parce qu’elle réveillait dans l’esprit des auditeurs une pensée politique de la plus haute importance, qu’elle faisait allusion à un fait essentiel pour la paix et pour les libertés du monde civilisé, à la bonne intelligence qui règne entre les deux grands états constitutionnels de l’Europe, l’Angleterre et la France. La pensée générale libre dans ses allures, dégagée de toute délicatesse diplomatique, complétait d’avance la phrase de la couronne par l’allusion que le discours ne pouvait faire avec convenance que dans un paragraphe suivant, incidemment, en parlant des affaires de la Grèce et de l’Espagne. La paix du monde ne peut être sérieusement compromise que lorsque la France et l’Angleterre se trouvent dans deux camps opposées. Unies, elles préviennent toutes les folies ; tout mauvais vouloir est condamné à l’impuissance. Séparées, la paix serait encore possible, mais elle n’aurait plus de garanties. Des prévisions plus ou moins alarmantes succèderaient partout à la confiance générale. Le commerce perdrait de sa hardiesse, l’industrie n’oserait plus se livrer aux entreprises de longue haleine, et les gouvernemens eux-mêmes, tout en proclamant la paix, ne pourraient pas sans imprudence ne pas se préparer à la guerre. Telles sont les pensées que le discours réveillait indirectement, et ces pensées sont les pensées de tout le monde. Ceux-là même qui ne sont nullement disposés à oublier le vieil antagonisme de l’Angleterre et de la France, ceux-là même qui, par sympathie, par sentiment, préféreraient d’autres alliances à l’alliance anglaise, ne peuvent pas ne pas reconnaître que la paix générale n’est garantie que par cette alliance ; tout le monde sait qu’en brisant cette alliance par la convention du 15 juillet, lord Palmerston avait fait bon marché de la paix du monde.

Rien de plus naturel que la vive sollicitude de notre gouvernement à l’endroit de l’Espagne et de la Grèce : de l’Espagne, dont les intérêts touchent de si près et par tant de côtés aux intérêts français : de la Grèce, que nous avons, pour ainsi dire, tirée du néant par nos armes, par nos secours, par nos conseils. Mais ce qui a le plus frappé dans le discours de la couronne, et ce qui a excité une approbation qui était presque un applaudissement, c’est la pensée franchement libérale et constitutionnelle qui s’y trouve énoncée. La couronne n’a pas eu pour les deux révolutions de ces paroles réservées et glaciales qui ne sont qu’un blâme mal déguisé et une sinistre prédiction ; elle espère, au contraire, que l’issue de ces évènemens sera favorable aux deux nations, et ses espérances ne sont pas des espérances de contre-révolution et de despotisme, mais des espérances d’ordre et de liberté : le roi Othon à Athènes, comme les cortès à Madrid, ne peuvent pas se tromper sur les désirs et sur les vœux de la France ; la monarchie doit s’affermir par le respect mutuel des droits du trône et des libertés publiques. La couronne ne distingue pas entre la contre-révolution et l’anarchie ; elles sont à ses yeux également dangereuses, également coupables.

Enfin ce n’était pas sans quelque inquiétude qu’on se demandait si le gouvernement énoncerait hautement sa pensée sur la question qui occupe le plus les esprits en ce moment, sur la question de l’instruction secondaire, et si cette pensée serait de nature à rassurer tous les intérêts légitimes et à garantir tous les droits de l’état. Le silence aurait paru une retraite honteuse devant d’injustes et violentes attaques ; des paroles vagues et incertaines auraient attiré à l’administration un reproche non moins sévère ; on aurait dit qu’effrayée des difficultés de la question, et soumise à des influences opposées, elle voulait en quelque sorte s’en laver les mains, et laisser aux chambres le soin de la tirer d’embarras. Ne pas prendre une initiative franche et courageuse sur une question de cette nature, c’eût été renoncer au pouvoir. Le discours de la couronne a dissipé tous les doutes et rassuré les esprits. Rien de plus net, rien de plus ferme que la phrase du discours du trône sur la grande question du jour. On satisfera au vœu de la charte pour la liberté de l’enseignement, mais on y satisfera en maintenant l’autorité et l’action de l’état sur l’éducation publique. Ces expressions ne prêtent pas à l’équivoque. On veut maintenir non-seulement l’autorité, mais l’action de l’état, et cette autorité et cette action ne doivent pas seulement avoir pour objet l’instruction, mais l’éducation publique. Le gouvernement a pu se convaincre par l’accueil qu’on a fait à ces paroles qu’elles n’étaient que l’expression fidèle du vœu national, et que l’opinion est toute prête à entourer de ses faveurs, à fortifier de sa puissance le projet de loi dont le discours de la couronne nous a donné pour ainsi dire la substance.

Les chambres ont commencé leurs travaux, et la chambre des députés a tranché d’abord une grave question personnelle, qui pouvait être funeste à la majorité, et qui pourra peut-être encore avoir pour elle quelques conséquences fâcheuses. Nous voulons parler de la question de la présidence. M. Sauzet a été nommé. La gauche est restée fidèle à son chef, et les conservateurs, la grande majorité du moins, ont appliqué le principe beati possessores. Dans ce débat personnel, le ministère a paru s’effacer ; il a paru croire que ce n’était là qu’une affaire de chambre, qu’il n’avait qu’à laisser faire et à garder la neutralité.

En quittant la présidence provisoire, M. Laffitte a jugé à propos d’adresser à la chambre je ne sais quel petit discours politique qui l’a fort surprise et quelque peu indignée. Le fait est sans conséquence ; mais ce qu’il y a de curieux à remarquer, c’est cette manie que nous avons de faire en toute occasion des discours, et surtout des discours politiques. Est-on, par l’effet de l’âge, président d’une assemblée pendant quelques heures ? vite un discours politique. Fait-on un compliment du jour de l’an ? un préfet pose-t-il je ne sais quelle pierre ? Un maire ouvre-t-il une école ? encore et toujours des discours politiques. Chacun a des conseils à donner, une mission à remplir, des prophéties à faire entendre. On trouverait trop simple de mettre de l’à propos dans les choses et de faire chacun son métier.

La discussion de l’adresse fera bientôt oublier tous ces petits incidens et ramènera les esprits vers les grandes et sérieuses questions.

La chambre des pairs a déjà nommé la commission de l’adresse ; M. le duc de Broglie en est le rapporteur. La commission de la chambre des députés sera nommée après-demain.

C’est surtout cette année que l’adresse devra, ce nous semble, contenir deux ordres de paragraphes : ceux qui serviront de réponse aux paroles royales et ceux qui appelleront l’attention du gouvernement du roi sur des points que le discours du trône n’a pas signalés.

Sur les premiers, nous n’entrevoyons pas de graves débats, car les chambres ne voudront pas anticiper sur la discussion du budget et des autres lois spéciales que le discours de la couronne annonce ou suppose. Il ne peut donc y avoir que des paroles sans résultat, des généralités insignifiantes et sur nos finances, et sur l’Algérie, et sur l’instruction secondaire, et sur les traités de commerce.

Mais il est des points importans dont il n’a été fait aucune mention dans le discours du trône, et sur lesquels les chambres ne voudront pas, dit-on, imiter la réserve, fort naturelle d’ailleurs et fort convenable, du gouvernement du roi. L’opinion s’est émue du voyage des carlistes à Londres. Elle n’y a pas vu un danger, mais un scandale, une insulte à la dignité du pays, une bravade contre sa puissance. Toutes ces menées, si ridicules qu’elles puissent être, semblent n’avoir qu’un but, qui est de préparer une tentative criminelle, une tentative de contre-révolution pour ce jour de deuil que la Providence, nous l’espérons, éloignera de nous pendant long-temps encore. On a été surtout affligé de voir au nombre de ces voyageurs des hommes qui avaient prêté un serment formel, solennel, de fidélité au roi des Français. Décidé qu’il était à ne pas donner à ces faits l’importance qu’ils auraient eue sous bien d’autres gouvernemens, le ministère n’avait pas à en parler. Il n’y a pour lui convenance d’initiative que lorsqu’il veut faire un acte, prendre une mesure, obtenir un résultat. Les chambres ne sont pas dans la même situation. La parole est moins réservée que l’action. D’ailleurs les chambres peuvent avoir à s’expliquer avec le gouvernement lui-même, à lui demander des renseignemens et à savoir de lui s’il est suffisamment préparé à tout évènement. Ce qui n’a été que ridicule à Londres pourrait devenir sérieux en se renouvelant ailleurs, sur de plus grandes proportions, avec d’autres circonstances. Certes, le gouvernement a raison de se confier sans crainte au vœu national et aux forces du pays, et il n’y aurait qu’hypocrisie à montrer de l’inquiétude pour l’avenir et la solidité de l’établissement de juillet. Néanmoins une administration sage et habile ne doit pas seulement prévenir les grands bouleversemens et réprimer les grands crimes ; elle doit aussi s’appliquer à prévenir ces désordres partiels, ces folles tentatives qui ne sont dangereuses que pour les hommes qu’on égare. Mieux vaut prévenir que réprimer, et une discussion solennelle dans les chambres sera pour tous un avertissement salutaire.

La question du droit de visite reparaîtra très probablement dans la discussion de l’adresse. Il est difficile que le ministère ne soit pas interpellé sur la question de savoir s’il a ou non ouvert des négociations avec le gouvernement anglais au sujet des traités de 1831 et 1833. Le débat dépendra de la réponse du ministère. Si M. le ministre des affaires étrangères ne pouvait faire qu’une réponse négative ou évasive, le débat s’animerait, et nous en serions fâchés pour la froideur qu’il pourrait mettre de nouveau dans les relations politiques des deux grands états constitutionnels. Le débat tomberait à l’instant même, si, comme nous aimons à le croire, M. le ministre pouvait apprendre à la chambre que des négociations sont ouvertes et se poursuivent dans le but d’arriver à une modification des traités.

Il est un point sur lequel les chambres insistent depuis quelques années et que plusieurs personnes paraissent vouloir abandonner cette fois, comme si une plus longue et inutile insistance n’était pas conforme à la dignité du pays. Nous voulons parler de la nationalité polonaise. Mais ne peut-on pas se demander s’il est de la dignité des chambres de renoncer à l’expression d’un vœu légitime par cela seul que jusqu’ici cette manifestation est restée sans effet apparent ? Au surplus, ce n’est pas dans ces termes, ce nous semble, que la question doit être posée aujourd’hui. Aujourd’hui il ne faut envisager la Pologne que comme une portion, des plus brillantes, il est vrai, de la race slave. Cette race, long-temps oubliée et qui s’ignorait elle-même se prépare évidemment au réveil. Vous la voyez se remuer peu à peu, lentement, se remuer cependant partout ; sans doute les Russes aussi sont des Slaves, mais ces réveils sont des réveils de nationalité et de liberté, et il est fort douteux qu’ils plaisent à un gouvernement absolu. C’est au fond la question slave qui s’agite en Serbie et dans toutes les provinces du Danube. Tôt ou tard elle se mêlera à la question chrétienne dans les affaires déjà si compliquées de l’Orient. Dans cet état de choses, le moment serait-il bien choisi pour renoncer à l’amendement concernant la Pologne ? Nous sommes loin de le penser, et nous espérons que les chambres renouvelleront cette année encore l’expression d’un vœu si légitime et si conforme aux sentimens et aux sympathies du pays.

La nomination de M. Vivien au conseil d’état honore également M. Vivien et le cabinet : le cabinet qui, devant une capacité hautement reconnue, a su imposer silence à ses sympathies politiques ; M. Vivien, qui a mérité et franchement accepté une marque d’estime qui lui était si loyalement et si noblement offerte.

Les affaires d’Espagne en sont encore au même point. Les modérés essaient de gouverner, et paraissent jusqu’ici trouver appui dans les cortès et dans le pays. Les extravagances de M. Olozaga ont désorganisé le parti progressiste ; il se passera peut-être quelque temps avant qu’il se trouve en état de livrer de grandes batailles parlementaires, et d’aspirer au pouvoir, à moins toutefois que le parti modéré ne s’enivre de ses succès, et ne provoque des réactions par ses emportemens. Les violences exercées dans les bureaux de l’Eco del Comercio sont un fait déplorable et un exemple fâcheux. Les conservateurs doivent surtout se distinguer par les soins qu’ils donnent au maintien de l’ordre ; sous peine de se confondre avec les anarchistes, et de perdre toute autorité morale, ils doivent sévir contre les perturbateurs, quels qu’ils soient, et quelles que soient les victimes de leurs excès.

Dans le sein des cortès, les progressistes se battent en guerillas. Ils font la petite guerre, la guerre de chicane avec acharnement et habileté. On dirait qu’ils veulent arrêter la marche du gouvernement à force d’escarmouches et de diversions. Les ministres s’irritent de cette tactique ; ils ont tort. Les irriter et leur faire commettre toutes les fautes qu’inspire la colère, c’est précisément le but de leurs adversaires. Les partis vaincus fondent leurs espérances sur les fautes du vainqueur. Le sang-froid, la fermeté et la modération peuvent seuls déjouer ces manœuvres ; mais est-il donné à un Espagnol provoqué, harcelé, de se contenir et de se vaincre en paraissant presque se résigner aux provocations de son ennemi ?

Le ministère espagnol espère obtenir des cortès deux lois capitales, la loi municipale et la loi sur la garde nationale. Il est vrai que ce sont là deux lois sans lesquelles tout gouvernement est impossible en Espagne. Il est impossible, en effet, de gouverner avec de l’anarchie partout et de la force nulle part. Avec ces deux lois, et grace aux manifestations des provinces en faveur du parti modéré, on pourrait, en cas de besoin, affronter, sans tout compromettre, les chances d’une élection générale.

M. Olozaga a disparu. Dès-lors rien n’empêche de laisser l’accusation en suspens. Le drame peut se passer d’une péripétie plus imposante.

C’est le 15 janvier, dit-on, que le procès d’O’Connell sera repris à Dublin et définitivement jugé. Ce jour est attendu sans émotion aucune, soit en Angleterre, soit en Irlande. C’est que les Anglais et les Irlandais comprennent également que ce n’est pas au prétoire, mais dans la salle des communes, qu’auront lieu les débats sérieux et décisifs. À l’ouverture du parlement, le discours de la couronne devra contenir un paragraphe dont la rédaction ne sera pas facile. Le cabinet se trouve entre des adversaires habiles et des amis inquiets et soupçonneux. Sir Robert Peel aura besoin des derniers efforts de sa rare sagacité et de sa fermeté prudente et mesurée. Nous l’accompagnons de tous nos vœux, car dans ce moment nous ne saurions rien augurer de bon pour personne d’une crise ministérielle en Angleterre.


La première représentation de l’œuvre posthume de Marie-Joseph Chénier au Théâtre-Français a eu lieu presque la veille de la mort de Casimir Delavigne ; on eût dit que, par un triste pressentiment, la Comédie avait voulu se préparer par cette conquête dans le passé à la perte qu’elle allait faire dans le présent. La tragédie de Chénier n’a rien perdu à attendre : sous la restauration comme sous l’empire, la politique aurait eu trop bonne part, la meilleure part, dans la réussite de la pièce. Aujourd’hui, le bon accueil fait à Tibère a eu un caractère exclusivement poétique : les spectateurs n’ont été mus que par la sympathie littéraire en applaudissant à cette étude savante, à cette tentative hardie, dont le mérite sérieux et les touches rigoureuses commandent particulièrement l’estime. Les défauts du style de Tibère sont ceux du temps ; les mâles beautés, au contraire, qui s’y rencontrent sont propres à Chénier et assurent une belle place à son talent dramatique. Ligier a très habilement saisi le personnage de Tibère ; il a retrouvé, en les variant, toutes les qualités qu’on avait déjà reconnues dans ses créations de Glocester et de Louis XI. La chaleur émouvante que Geffroy a montrée dans le rôle de Cnéius, la dignité dont Guyon a fait preuve dans le rôle de Pison, ont aussi contribué au succès de la pièce. La représentation de Tibère est faite pour honorer la mémoire de Marie-Joseph Chénier et pour rappeler l’attention sur un écrivain qui n’a pas son vrai rang aujourd’hui. Cette gloire hier rajeunie de Chénier, cette carrière hier brisée de Delavigne, semblent réclamer toutes deux l’attentif souvenir de la critique : la critique ne fera pas défaut à cette tâche. En racontant d’abord la vie militante et agitée du conventionnel, en revenant plus tard sur la calme biographie de l’auteur du Paria, nous serons sûrs de rencontrer deux vrais poètes, poètes enlevés avant l’âge, et dont l’histoire littéraire accueillera dignement les noms.