Chronique de la quinzaine - 31 décembre 1865

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Chronique n° 809
31 décembre 1865


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 décembre 1865.

La fin de cette année marquera infailliblement une date dans l’histoire. Elle a donné à ceux qui ont le souci de voir la dignité humaine reprendre ses droits dans le gouvernement des sociétés modernes deux consolations éclatantes par le message du président des États-Unis et par les manifestations qui ont accompagné en Belgique le changement de règne : des faite pareils ouvrent même les yeux à ces habiles qui n’ont pas d’ambition plus fière que de raser la terre, afin de devenir les premiers courtisans du succès prochain. Des symptômes de cette force ne peuvent être trompeurs : ils sont l’aube certaine de l’avenir. Non, l’avenir ne sera point l’abrutissement de la démocratie sous le despotisme ; l’avenir appartient à la démocratie échauffée, élevée, ennoblie par les courans de cette électricité morale qui s’appelle la liberté.

Mais avant de considérer les belles perspectives qu’ouvrent sur la morale politique de notre époque les magnifiques déclarations de principes du président Johnson et les honnêtes effusions libérales du peuple belge et de son jeune roi, des intérêts immédiats et par conséquent plus pressans nous réclament. Voici la saison des affaires en politique qui va commencer chez nous et à peu près partout en même temps. Dans tous les pays de l’Europe, les pouvoirs exécutifs sont ou vont se trouver en présence des représentations nationales. En Italie, en Espagne, en Hongrie, en Belgique, les gouvernemens sont déjà en face des chambres ; en Angleterre, la vie parlementaire commencera le 1er février ; en France et en Prusse, elle s’ouvrira le 15 janvier. Or ce sont avant tout les affaires françaises qui nous préoccupent, et parmi ces affaires il en est une qui se présente avec un tel caractère de gravité et d’urgence, qu’il faut souhaiter qu’elle sorte résolue de la prochaine rencontre de notre gouvernement et de notre chambre des députés : nous voulons parler de la question mexicaine, et c’est de cette affaire qu’il nous paraît important de préparer le plus tôt possible la complète et décisive élucidation.

L’entreprise du Mexique est grave pour nous de deux façons. Elle est grave par les difficultés inhérentes à la fondation d’un gouvernement monarchique au moyen d’une grande et longue intervention militaire dans une contrée éloignée de deux mille lieues de nos rivages ; elle est grave par l’antagonisme d’intérêts et de principes qu’elle peut provoquer entre notre gouvernement et le peuple des États-Unis. Dès l’origine, les esprits sages avaient prévu et déploré les difficultés que notre création d’un empire au Mexique pouvait nous susciter avec la grande république américaine ; aujourd’hui ces difficultés existent, elles frappent tous les yeux. Elles ne sont point, nous nous hâtons de le dire, arrivées encore à l’état aigu, et c’est pour cela que nous croyons opportun que le gouvernement et le corps législatif les prennent en considération dès la discussion de l’adresse avec un calme bon sens et un viril esprit de justice.

Un examen approfondi et vraiment politique de la question du Mexique envisagée en elle-même aidera certainement le corps législatif et notre gouvernement à préparer la politique qui doit prévenir à jamais la calamité d’un antagonisme entre la France et les États-Unis. Pour nous guider dans la marche que nous avons à suivre, les raisons prépondérantes sont, grâce à Dieu, les raisons françaises. Même dans la question considérée au point de vue purement français, nous consentirions volontiers, pour notre part, à éliminer du débat plusieurs points essentiels. Nous ne parlerions plus du passé, des motifs accidentels de l’entreprise, des premières fautes diplomatiques et militaires de l’expédition, de ce qu’il y avait peut-être dans le projet primitif de chimérique et de contraire à ce qu’on pourrait appeler notre droit et à notre tradition révolutionnaires, qui répugnent à l’idée d’imposer par la force des armes à un peuple étranger une forme nouvelle de gouvernement ; nous renverrions aux limbes les erreurs et les fautes du passé. Nous ne nous occuperions que du présent et de l’avenir. Ici encore nous ne serions ni exigeans ni cruels. Vous avez fait un empereur du Mexique, dirions-nous : eh bien ! soit. Cet empereur a inauguré son règne depuis bientôt deux ans ; nous ne serons pas curieux : nous ne vous demanderons pas ce qu’il a fait et où il en est. Nous ne vous demanderons pas s’il a acquis la popularité qui lui aurait manqué au début, ou s’il a perdu celle qui l’aurait accueilli à son entrée dans Mexico ; nous ne vous demanderons pas s’il s’est livré aux travaux de cabinet plutôt qu’à la véritable action politique, et si vous êtes contens des gros volumes de lois que ce Solon a déjà édictés, pendant l’espace écoulé de son règne que lui-même a décoré du nom de période législative ; nous ne vous demanderons pas s’il est parvenu à rallier les partis, ou s’il demeure isolé au milieu des factions dédaigneuses et taciturnes ; nous ne vous demanderons pas s’il fait bon ménage avec les chefs de service français détachés près de lui. Si de ce côté il y a des déceptions qu’il eût été pourtant bien naturel de prévoir, ce n’est point nous qui voudrons leur faire violence et les tirer hors du huis clos des épanchemens intimes. Nous aborderons les choses au point de vue le plus actuel, le plus pratique, le plus simple. Combien d’hommes employons-nous au Mexique ? Que nous coûtent-ils chaque année ? Combien de temps pouvons-nous continuer au profit d’une idée fausse ou d’une idée juste, mais si excentrique à la sphère de nos intérêts, une semblable subvention annuelle en hommes et en argent ? Nous voulons bien que nos 30,000 hommes ne vous coûtent que le pied de paix de France, avec les frais de transport, et que le surplus soit à la charge du Mexique : c’est encore, sans compter le sang versé et les ravages des maladies, de 40 à 50 millions par an. Mais les frais extraordinaires de guerre, est-ce bien le Mexique qui est destiné à les supporter ? On connaît les ressources du Mexique, on connaît son budget. Le gouvernement mexicain dépense chaque année 40 millions de piastres, et son revenu ordinaire ne s’élève pas à la moitié de cette somme. Il y a donc chaque année un déficit d’au moins 100 millions de francs. Le pauvre empereur Maximilien ne possède point les moyens de trésorerie connus en Europe ; il n’y a pour lui qu’une façon de remplir son déficit annuel d’une centaine de millions : il faut qu’il emprunte cette somme sur émission de titres soumis à un amortissement rapide. Ces titres, il ne peut les placer qu’en France sous l’aspect d’un système d’énormes loteries qui est la corruption même du crédit, et sous le patronage manifeste de notre administration financière. Nous n’avons donc point seulement à dépenser 40 ou 50 millions par an aux frais du trésor public pour entretenir cette aventure mexicaine ; il faut encore que l’établissement de l’empereur Maximilien, sous peine de périr de famine et d’anémie foudroyante, trouve encore à prélever sur les capitaux français, sous forme d’emprunt, 100 millions effectifs par an. La question qui est donc posée en ce moment au gouvernement et à la chambre est celle-ci : pendant combien d’années voudra-t-on persévérer dans cette étourderie gigantesque et déjà trop prolongée ? Par quel chiffre d’années se figure-t-on qu’on pourra multiplier les 50 millions que le Mexique coûte au trésor et les 100 millions qu’il emprunte au capital français ? Mais d’une part les partisans de l’occupation du Mexique par la France prétendent, avec raison suivant nous, que, pour que notre œuvre ait quelque chance vraisemblable de réussite, il faut que nous restions au Mexique jusqu’à ce que nous y ayons frappé à notre effigie une génération nouvelle ; il faut que nous attendions que ceux que nous avons trouvés enfans dans ce pays y soient devenus des hommes. D’un autre côté, les emprunts mexicains qui ont été placés jusqu’à présent, ont été pris par le public avec une arrière-pensée à laquelle il nous paraîtrait difficile et même peu juste de donner un démenti catégorique. Les souscripteurs de ces emprunts se sont dit : Après tout, nous secondons une entreprise de notre gouvernement ; si cette entreprise ne réussit pas, si le Mexique devient mauvais débiteur, il est impossible que nous n’obtenions point de notre gouvernement une indemnité raisonnable. Et quelle est la chambre qui ne sera pas trop heureuse de liquider l’affaire mexicaine en augmentant de quelques millions au profit des porteurs de bons de Maximilien le service de la dette publique le jour où le gouvernement lui annoncera cette bonne nouvelle, cette nouvelle qui fera pousser à la France un si allègre soupir de satisfaction, à savoir que l’on renonce à l’expérience mexicaine, et que nos bons soldats vont être rappelés au pays natal ?

On le voit, il n’est pas possible que la France, prenant le parti de regarder en face l’état présent et l’avenir probable des affaires mexicaines, veuille de gaîté de cœur, jouet volontaire du hasard, continuer plus longtemps une pareille extravagance, pour employer un mot dont nous reconnaissons la dureté impolie dans le sens français, mais que nous employons ici avec la signification anglaise, qui qualifie ainsi la prodigalité aveugle qui ne veut ou ne sait point compter. En parlant ainsi, nous ne cédons nullement à une pensée d’opposition : nous obéissons au sentiment du patriotisme le plus désintéressé. Nous sentons que le temps des hésitations, des vagues critiques provoquant de vagues assurances, est passé. Pour employer une expression grossière, l’intérêt le plus élevé, le plus pressant de la France veut que quelqu’un mette enfin les pieds dans le plat. Il s’agit de reconnaître virilement une faute et de la réparer avec une promptitude sensée. Faute avouée est à demi pardonnée ; si notre vœu se réalisait, bien loin d’y voir pour l’opposition un sujet d’égoïste triomphe, nous conseillerions plutôt à l’opinion libérale de seconder et d’accueillir par une patriotique indulgence le courage sensé que montrerait le gouvernement en abandonnant la chimère mexicaine. Nous sommes convaincus que les plus dévoués serviteurs de l’empereur n’ont point sur cette affaire une opinion différente de la nôtre ; si nous osions aller plus haut et plus loin dans nos hypothèses, nous confesserions qu’il nous est impossible de croire que l’empereur lui-même conserve encore les illusions de 1861 et de 1862. Le chef de l’état ne nous a-t-il point laissé voir ses sentimens intimes sur les lointaines, longues et coûteuses colonisations militaires dans sa brochure sur l’Algérie ? Quel utile pendant à cette étude pourrait nous donner l’empereur, s’il lui convenait d’écrire une brochure sur le Mexique ! Peut-être l’opinion publique n’a-t-elle point prêté une attention suffisante à la dissertation algérienne ; mais on pourrait promettre un beau succès à un écrit impérial qui signalerait avec une précision souveraine les difficultés ou, pour mieux dire, les impossibilités radicales de l’entreprise du Mexique, démontrées déjà par une expérience suffisante.

Nous ne saurions trop insister sur ce que nous avons dit en commençant : nous parlons de la cessation de l’intervention militaire de la France au Mexique d’un cœur d’autant plus libre que c’est sur des intérêts français et des raisons d’état françaises que s’appuie la nécessité de cette solution. Quand ces intérêts seraient seuls en jeu, le moment serait venu de renoncer à une expérience dont les charges actuelles sont accablantes pour nous, et à laquelle il n’est pas possible d’assigner une autre issue prochaine et satisfaisante. La question d’honneur national est donc dégagée du débat. Notre politique a commis une faute, et qu’y a-t-il de plus honorable à la fois et de plus sensé que de reconnaître une faute commise et de prendre la résolution de n’y point persévérer ? Il est certain qu’il y a bien peu de gens dans le monde officiel, supposé même qu’il s’en trouve, qui pensent qu’il y aura encore une armée française au Mexique dans deux ans ; il est certain qu’un des organes les plus écoutés de la majorité ne supposait même pas, au commencement de l’avant-dernière session, quand il écrivit son fameux rapport sur les crédits supplémentaires, que nous aurions encore là-bas 25 ou 30,000 hommes à la fin de 1865, et que son impatience, comme celle de ses amis, ne peut qu’avoir été accrue par cette attente ; il est certain enfin que la présentation d’un nouvel emprunt mexicain n’est plus possible. Le terme de notre intervention approche donc visiblement, et personne n’a le droit d’intéresser notre honneur à l’ajourner encore. Nous n’avons évidemment contracté aucun devoir de ce genre envers l’empereur Maximilien. Il lui a plu de tenter une aventure où la France s’était engagée ; mais la France n’a pu contracter le devoir de lui prêter indéfiniment 30,000 de ses meilleurs soldats : on ne lui a accordé qu’un concours limité au délai d’une expérience temporaire ; cette expérience dure depuis deux ans, admettons, si l’on veut, qu’elle soit prolongée d’une année encore : qu’est-ce que ce prince peut exiger de plus ? Si au bout de ce temps il ne se croyait point en état de voler de ses propres ailes, cela le regarderait, et nous n’y pourrions rien. Son échec serait encore bien moins coûteux pour lui qu’il ne l’aurait été pour la France.

Ceci posé, nous sommes à l’aise pour parler de l’influence que notre présence au Mexique peut exercer sur nos rapports avec les États-Unis. Nous ne serons contredits par personne dans notre pays, si nous affirmons qu’aucun Français n’a l’idée qu’il valût la peine de fonder un empire mexicain protégé par nous, si nous devions, à ce prix, créer entre les États-Unis et nous une cause durable de défiance et d’antagonisme. Il est également certain qu’aux États-Unis aucun homme sensé ne croit à la possibilité de fonder au Mexique une monarchie même étayée par une intervention européenne. Entre deux nations qui entretiennent de pareils sentimens et de pareilles idées, la question mexicaine ne peut faire naitre aucune cause naturelle et nécessaire d’hostilité. Il faudrait, pour qu’il en fût autrement, que par une désastreuse maladresse on se laissât éloigner du fond même des choses et qu’on fît dévier étrangement les questions. Il ne nous est pas malheureusement permis de regarder de telles déviations comme tout à fait impossibles. Nous en avons un redoutable exemple dans le sort de l’empereur Nicolas et dans les désappointemens terribles que la question d’Orient a donnés à ce potentat. La première infortune de l’empereur Nicolas fut de faire passer les susceptibilités d’un faux amour-propre avant les intérêts pratiques de la politique positive ; son plus grand malheur fut d’être perpétuellement trompé par l’optimisme complaisant de sa diplomatie et de ses amis politiques d’Europe. De toutes parts on lui faisait dire que rien de ce qui devait effectivement arriver n’avait chance de se produire. On lui faisait croire qu’une alliance militaire et maritime entre la France et l’Angleterre était une conception monstrueuse et irréalisable ; on lui faisait croire que jamais l’Autriche n’oserait lui opposer une abstention hostile. Puis, lorsqu’il dut commencer à s’apercevoir qu’il s’était trompé sur la nature essentielle et nécessaire des choses, son inflexible, vanité ne put se résoudre à capituler. Il ne demandait qu’un mot pour consoler son amour-propre et couvrir sa retraite ; ce mot à peine intelligible pour les initiés, la conférence de Vienne le lui refusa. Nicolas est tombé victime de la conspiration dont l’orgueil autocratique est naturellement enveloppé par la courtisanerie.

Si nous rappelons cette grande leçon d’hier, c’est que nous avons la confiance qu’elle est encore vivante dans la conscience des contemporains. Cette leçon nous apprend à nous défier de l’amusement du babil diplomatique et de l’affectation des sentences oraculaires et dilatoires dans les affaires qui peuvent mettre aux prises les intérêts et l’honneur de deux grands états. Il n’y a point de temps a perdre quand on est engagé dans de telles affaires : il faut tourner le dos au hasard, dieu des paresseux ; il faut aller tout de suite au fond des choses, mesurer le possible et le nécessaire, prendre vite son parti, et, comme on dit vulgairement, avoir à temps, le courage de se couper un bras. Si donc, à l’endroit des États-Unis nous n’avons rien à sacrifier des vrais intérêts de. la France, il faut nous garder de toute illusion sur les intérêts et le caractère nécessaire de la grande république américaine. Le nouveau ministre des États-Unis à Paris, M. Bigelow, dans la réunion des Américains qui a eu lieu au commencement de ce mois à l’occasion du thanksgiving national, citait un mot fort juste de M. Drouyn de Lhuys. La première fois que le ministre américain aborda notre ministre des affaires étrangères, il lui avoua son inexpérience dans l’art de la diplomatie. M. Drouyn de Lhuys lui répondit qu’on était toujours assez bon diplomate quand on avait la bonne foi et l’équité de se rendre compte de la situation où sont placés ceux avec qui l’on négocie. Il n’est point de meilleure maxime, et nous en devons faire l’application au gouvernement américain. Nous devons avoir avant tout la bonne foi de reconnaître que. les Américains n’ont point été payés pour regarder d’un œil favorable l’origine et le but proclamé de notre expédition mexicaine. D’abord, sans la guerre civile qui semblait les menacer d’une ruine profonde, jamais le gouvernement français n’eût conçu le dessein de substituer au Mexique un gouvernement monarchique à la forme républicaine. Convenons que, si la France se fût trouvée dans une position semblable, si, souffrant des plus graves embarras intérieurs, il eût plu à l’Autriche, à l’Angleterre, à la Prusse, de profiter de la circonstance pour arranger les affaires d’Italie, d’Espagne ou de Belgique d’une façon contraire à nos traditions et à nos principes, nous ne serions guère tenus de garder d’un tel procédé un souvenir reconnaissant. La célèbre lettre adressée au général Forey accentuait le sens de notre entreprise d’une façon qui ne ménageait guère les susceptibilités ou, si l’on veut, les préjugés des Américains. Il s’agissait pour nous, en un moment où les États-Unis étaient plongés dans une détresse que plusieurs croyaient incurable, d’empêcher la grande république de s’emparer de tout le golfe du Mexique, de dominer de là les Antilles et l’Amérique du Sud, de rendre à la race latine de l’autre côté de l’Océan sa force et son prestige, de garantir la sécurité à nos colonies des Antilles et à celles de l’Espagne, etc. On doit remarquer en passant que, si tel a été le dessein de l’expédition du Mexique, l’objet principal de cette entreprise est aujourd’hui manqué totalement : les Chiliens et les Péruviens nous montrent le cas qu’ils font du panlatinisme ; maltraités par les Latins d’Espagne, c’est du côté des Saxons du Nord-Amérique que se tournent leurs regards fraternels. Quant à l’influence prépondérante du golfe du Mexique, les États-Unis la conservent telle que la nature la leur a donnée, et la sécurité de nos colonies et de celles de l’Espagne a pour garantie, sans compter notre droit et notre puissance, la modération et l’esprit de justice des républicains de l’Amérique, garantie que bien des gens se permettront toujours de préférer à celle qu’aurait pu promettre la fondation au Mexique d’un fragile empire. Cette politique avouée n’est point faite assurément pour gagner les sympathies de l’Amérique à notre expérience mexicaine ; mais c’est encore là du passé, et il n’y faut plus revenir. Au cœur du peuple américain, le souvenir des fautes de notre politique officielle durant la guerre civile ont été, nous en sommes sûrs, effacées par les témoignages que l’opinion libérale française, fidèle à ses plus belles traditions et éclairée sur l’avenir par la générosité de sa foi, n’a cessé de donner à la grande cause de l’Union républicaine. Ce qui résulte du moins d’un passé si récent, ce qui résulte surtout des déclarations sobres et fermes du message présidentiel en l’honneur de l’institution républicaine, c’est qu’on ne doit point s’attendre à voir reconnaître par les États-Unis l’empire mexicain. Ce serait une illusion dangereuse de fonder sur l’espoir d’une pareille reconnaissance l’expédient au moyen duquel nous pourrions sortir du Mexique. Pour mettre d’une façon honorable une prompte fin à nos stériles sacrifices, nous avons besoin sans doute d’entrer en une coopération amicale avec le cabinet de Washington. Notre vrai devoir d’honneur serait, en abandonnant le Mexique, d’y laisser une combinaison de pouvoirs qui permît d’espérer la pacification intérieure du pays. Une telle combinaison ne pourrait présenter des garanties d’efficacité que si elle était patronnée à la fois par la France et la république américaine cordialement unies. C’est à cette union qu’il faudrait travailler sans délai, sans se laisser amuser par des espérances illusoires. Le temps en effet est contre nous et non pour nous dans cette affaire. Avec le temps s’accroissent nos sacrifices et peuvent se développer chez le peuple américain des courans d’opinion dangereux. Se figure-t-on qu’on peut se laisser conduire par un système de temporisation jusqu’aux approches des élections qui auront lieu dans trois ans ? L’agitation électorale commence longtemps avant le vote aux États-Unis : supportera-t-on l’idée qu’on n’ait point enlevé avant cette époque aux candidats à la présidence le triste prétexte qui pourrait leur permettre de poser leur plate-forme sur la question du Mexique ?

En tout cas, il est une chose dont nous n’aurons point à nous repentir ; il est aussi une chose que nous demanderons avec confiance au gouvernement. Nous ne nous repentirons jamais, pour ce qui nous concerne, d’avoir poussé trop loin les scrupules de la prévoyance et les conseils de la prudence. Quant au gouvernement, nous l’adjurons de faire autant que possible la lumière sur la question mexicaine. Qu’il ne retienne point d’une main avare les documens officiels, qu’il les communique au contraire à la chambre avec abondance ; que nos députés soient mis en état de calculer complètement le prix de revient de l’entreprise mexicaine depuis l’origine jusqu’à l’époque actuelle ; qu’on leur fasse connaître dans leur exacte étendue les ressources en hommes, en argent, en crédits, qui sont nécessaires au maintien de l’empire de Maximilien, et au défaut desquelles il ne pourrait plus longtemps subsister. Il serait, ce nous semble aussi, d’une politique sensée et honorable de devancer la publication des correspondances diplomatiques dont la communication a été promise au congrès américain par le président Johnson. À quelque parti qu’on s’arrête, il faut savoir ce que l’on fait. Le pays a le droit de demander qu’on lui mette en main toutes les pièces, afin qu’il puisse se prononcer en connaissance de cause.

Nous sommes contraints, bien malgré nous, à dire un mot des incidens universitaires qui ont été depuis quelques jours et qui n’ont peut-être pas cessé d’être une cause de préoccupation et d’anxiété publique. Les écoles se sont émues des rigueurs dont le conseil académique a frappé quelques étudians à qui l’on reproche d’avoir tenu hors de France, en Belgique, au congrès de Liège, des propos irréligieux et une conduite séditieuse. L’émotion des écoles est devenue une cause d’inquiétude pour l’ordre public. Dans cette situation et avec la législation qui nous régit, il est fort embarrassant d’exprimer une opinion sur les faits qui ont agité notre jeunesse des écoles : on n’aimerait pas à courir le risque de paraître favoriser des doctrines ou des actes semblables à ceux qui sont imputés aux élèves d’exclusion, et l’on craindrait d’irriter l’autorité par une contradiction qui ne serait point opportune. Nous ne pouvons que gémir sur un état de choses qui rend possibles de tels conflits. N’est-il pas étrange que le principe d’autorité, comme on dit chez nous, soit amené à se commettre avec cette gravité et cette sévérité contre des escapades d’écoliers ? De pareils chocs nous confondent toujours. Nous en trouvons la cause dans l’excès de notre esprit autoritaire et dans l’organisation, suivant nous défectueuse, de notre université. À quoi bon faire ainsi de l’autorité à tout propos, en toute occasion ? Y a-t-il pour des erreurs d’opinion de répression plus juste et plus efficace que les jugemens mêmes de l’opinion publique ? Les débauches d’esprit sont-elles un accident si nouveau chez la jeunesse, et ceux à qui l’âge a malheureusement appris leur courte durée ne feraient-ils pas mieux de feindre de ne les point voir, au lieu de les mettre eux-mêmes en évidence par un étalage de sévérité ? Dans une société où l’on a vu de la jeunesse à l’âge mûr de si violentes mutations d’idées chez des hommes devenus les plus graves, est-on fondé à prendre si furieusement l’alarme ? Les hommes de notre génération ont vu des professeurs qui leur enseignaient le républicanisme devenir des conservateurs sévères et des organes rigides du principe d’autorité. Nous plaignons ceux que ces vicissitudes d’opinion n’ont point rendus indulgens envers la jeunesse ; puis, dans l’organisation de notre université, qui n’est point formée en corporation autonome et qui est peuplée de professeurs assimilés à des fonctionnaires, est-il bien facile de tracer ou de découvrir les limites de la discipline académique ? Une discipline quelconque, dans les idées naturelles, est quelque chose d’inférieur assurément à la justice nationale. Il est peu aisé de faire comprendre à des étudians, même à des esprits plus mûrs, que la discipline, prenant les formes judiciaires et appliquant une pénalité si grave qu’elle peut aller jusqu’à l’interdiction d’une carrière, ait une juridiction plus vaste que la loi même du pays, et puisse atteindre hors du territoire des délits que la justice ordinaire ne connaît pas. Il y a dans tout cela, ce nous semble, une grande confusion des choses et une excessive précipitation de conduite parmi ceux qui allèguent les intérêts de l’ordre moral et de l’ordre public. La vraie sagesse politique consiste à prévenir ces orages. Un bon moyen serait de réformer notre organisation universitaire et de définir législativement d’une façon claire et intelligible pour tous la discipline académique. Si nos jeunes étudians se trompent dans le jugement qu’ils portent sur les attributions de l’autorité disciplinaire, ils se trompent assurément de bonne foi. L’autorité n’a certes rien à perdre à ménager la bonne foi d’une jeune génération et à lui montrer sa sollicitude par la révision d’une législation mal définie, et qui donne lieu à de si regrettables malentendus.

Nous avons plus de goût à nous occuper des perspectives financières à propos du récent rapport de M. Fould à l’empereur. M. Fould nous semble poursuivre lentement, mais sans se laisser décourager, le système qu’il a inauguré en entrant au ministère des finances. Ce système a pour objet d’éclaircir notre comptabilité financière et de lui tracer des règles telles qu’il devienne de jour en jour plus difficile de se lancer dans les dépenses aventureuses. M. Fould fait aujourd’hui un pas nouveau dans cette voie en supprimant l’ancienne organisation de l’amortissement et en créant un amortissement restreint sans doute, mais dont les ressources seront efficacement appliquées à l’objet de cette institution. L’ancien amortissement ne fonctionnait plus depuis bien des années ; une somme considérable, 127 millions, lui était encore annuellement et nominalement affectée, mais il n’en était pas employé un centime au rachat de la dette. La dotation de l’amortissement était comme une grosse réserve à laquelle les autres services publics allaient puiser, au moyen d’écritures contre-passées, les ressources dont elles avaient besoin pour couvrir leurs crédits extraordinaires et supplémentaires. L’existence de cette réserve était commode pour ceux qui ordonnaient sans trop compter des dépenses pour lesquelles des ressources n’avaient point été prévues d’avance. Cette fiction disparaît de nos budgets. Le budget ordinaire de 1867 est réglé de telle sorte qu’il se solde par un excédant de près de 100 millions, et l’amortissement reçoit une dotation dont une partie, 30 millions au moins, sera employée en achats de rentes. L’excédant du budget ordinaire fournit et limite les ressources et par conséquent les dépenses du budget extraordinaire. Des excédans de cette nature devant se reproduire chaque année, ce sera au gouvernement et à la chambre d’aviser au meilleur emploi qu’il y aura à en faire, ou continuer les travaux publics, ou réduire certains impôts et essayer sur la taxation des expériences financières, comme font les Anglais. La distribution des ressources étant ainsi établie d’une manière permanente, il ne reste pour les dépenses que l’on engageait si facilement autrefois au moyen des crédits supplémentaires que les fonds relativement bornés qui pourraient être rendus disponibles par des viremens ou des annulations de crédit. Si désormais dans l’intervalle d’une session à l’autre le pouvoir exécutif voulait engager une dépense considérable non prévue au budget rectificatif de l’exercice, il serait forcé de convoquer extraordinairement le corps législatif. Cette nécessité d(en appeler aux chambres peut devenir un frein très efficace dans notre mécanisme gouvernemental. Ce qui nous frappe et nous intéresse surtout dans les arrangemens de M. Fould, ce sont ces limitations pratiques apportées peu à peu à l’initiative des dépenses, et que l’empereur a le mérite incontestable de s’imposer en quelque sorte à lui-même.

Nous ne nous dissimulons point au surplus que toutes les précautions de comptabilité sont peu de chose en matière de finances publiques auprès de l’influence des institutions générales qui régissent un pays. En temps régulier, c’est à l’efficacité du contrôle parlementaire et au degré d’homogénéité qui peut exister entre les chefs des divers départemens ministériels que se mesure la prospérité des finances d’un état. À ce point de vue, nous avons bien des progrès à faire. Pourtant, quoique notre système financier soit encore éloigné de la perfection, nous n’aurions guère à nous plaindre, si, au lieu de nous comparer à l’Angleterre, nous nous mettions en parallèle avec la plupart des grands états du continent. Voilà, par exemple, l’Italie, dont la crise ministérielle coïncide avec la révélation plus complète de ses embarras financiers. La nouvelle chambre ne semble point avoir eu un tempérament assez robuste pour supporter la lumière que M. Sella a fait luire sur les déficits italiens, ou pour suivre le sévère et hardi ministre dans les mesures héroïques qu’il avait conçues. Bien que le déficit annuel de l’Italie s’élève à une somme de beaucoup supérieure à 200 millions, il paraît que la situation serait tolérable, si l’on parvenait à créer une augmentation de recette régulière d’une centaine de millions. On subviendrait au reste pendant quelques années au moyen de ressources extraordinaires, telles que des aliénations de domaines et l’appropriation des biens du clergé ; mais il y a un bloc de 100 millions de recettes régulières à trouver, ou, ce qui revient au même, 100 millions à rayer dans les dépenses. M. Sella comptait obtenir ces 100 millions de l’impôt sur la mouture, impôt qui à un financier se présente avec l’avantage d’une perception et d’un produit certains, mais impôt tracassier, impopulaire, odieux en lui-même, il faut le dire, et qu’une nation ne pourrait accepter que par un rare effort d’abnégation patriotique. Le nouveau ministre des finances, M. Scialoja, économiste napolitain connu et fort estimé depuis longtemps, apportera-t-il un autre secret que celui de M. Sella ? Quant à nous, nous n’en voyons qu’un seul, et il est politique avant d’être financier. C’est la dépense qu’il faut diminuer de 100 millions, et c’est au budget de la guerre qu’il faut demander cette économie. Si deux grandes puissances européennes, la France et l’Angleterre, venaient dire à l’Italie : Nous vous garantissons une trêve de dix ans avec l’Autriche ; nous nous engageons à ne pas vous laisser attaquer durant cette période par cette redoutable voisine ; nous vous invitons en conséquence à retrancher 100,000 hommes de votre armée pour que vous puissiez retrouver enfin votre aplomb financier ; certes si une telle offre leur était faite, les hommes d’état italiens devraient l’accepter sur l’heure et commencer un véritable désarmement. Eh bien ! nous nous retournons vers eux et nous leur disons : Qu’avez-vous besoin d’une assurance semblable à celle que nous venons de supposer pour faire vos vraies affaires et prendre une résolution de salut ? La trêve, la paix avec l’Autriche, mais c’est la force des choses, c’est tout le poids des intérêts européens qui vous les imposent ou vous les assurent, à l’Autriche aussi bien qu’à vous. Vous signez à l’instant même un traité de commerce avec le Zollverein, croyez-vous que cette alliance des intérêts ne vaut pas mieux pour vous que l’entretien stérile de bien des milliers d’hommes sous vos drapeaux ? Au nom de Dieu, si vous voulez vivre, ne vous laissez pas envahir par la lèpre du délabrement financier. Il est bon, quand des peuples ont à combattre pour des questions suprêmes de liberté et l’existence, qu’ils ne ménagent pas plus l’or que leur propre sang. La France pendant la révolution, les États-Unis hier même ont donné l’exemple de ces prodigalités héroïques qui sauvent les peuples ; mais, quand ces crises suprêmes sont passées, il ne faut pas se laisser dégrader paresseusement et lentement par la misère chronique. Prenez donc un grand parti : rompez avec les routines, ayez le courage d’être modernes, suivez l’exemple que vous donnent les États-Unis, renvoyez cent mille hommes, et attendez d’être devenus riches pour vous donner le luxe d’une grande armée.

L’exemple de l’Espagne devrait être aussi pour l’Italie un avertissement en sens contraire. La session est ouverte en Espagne. La reine a franchi le pas délicat de la rentrée à Madrid. La réception qu’elle a rencontrée dans sa capitale a été froide, quoi qu’en aient dit les télégrammes officiels ; mais à l’honneur de la population de Madrid elle n’a point été traversée par les manifestations grossières dont le bruit public avait si longtemps répété l’odieuse menace. Le confesseur favori est revenu près de la reine, mais il faut espérer qu’on n’entendra plus parler des intrigues de camarilla. Il est difficile d’apercevoir encore si, devant un parlement nouveau dépourvu de toute opposition, le cabinet du maréchal O’Donnell trouvera l’occasion de dessiner une politique intéressante. C’est surtout aux questions financières que nous attendons ce cabinet ; la reine, dans le discours d’ouverture, a fait allusion à ces questions comme devant être soumises aux chambres durant la session. Nous sommes curieux de voir les solutions que le ministre des finances du maréchal O’Donnell apportera aux problèmes du crédit espagnol. Plus heureux que la reine d’Espagne, l’empereur d’Autriche a eu un beau jour à l’ouverture de la diète hongroise. L’enthousiasme est l’état d’âme qui s’accommode le mieux aux brillantes qualités extérieures des Magyars. L’éclat des costumes, l’élégance des attitudes, les eljen donnent aux réunions politiques des Hongrois un charme pittoresque dont il semble que l’on ressente l’effet même à distance. Le roi de Hongrie et les Hongrois ont eu l’air de s’entendre à merveille dans cette première rencontre. Quant à nous, nous n’avons pas caché dès l’origine les vœux que nous formons pour le succès du rapprochement aujourd’hui si solennellement tenté. Ce serait une vraie joie pour les libéraux européens de voir ces races vivantes, intelligentes, généreuses, de Hongrie rentrer enfin dans le mouvement et le bruit des affaires européennes. Il est aussi d’un haut intérêt d’avenir qu’une grande confédération animée de l’esprit moderne se forme le long du Danube, et pour l’organisation de ce système l’accord de François-Joseph et de la Hongrie paraît être le moyen le plus certain et le plus expéditif. L’opposition des Allemands à l’ordre de choses qui se prépare ainsi devient plus sèche et plus raide à mesure que s’accroissent les chances de la réconciliation de la Hongrie. Cette mauvaise humeur des populations germaniques n’est pas la seule des difficultés qui compliquent le problème que la cour de Vienne cherche à résoudre ; nous faisons des vœux pour que les antipathies de races ne se réveillent point contre les Hongrois parmi ces populations d’origine et de langues diverses que le royaume de saint Etienne embrasse dans ses limites.

Nous sommes bien attardés pour rappeler le grand et noble spectacle que le peuple belge et son jeune et libéral souverain viennent de donner au monde. L’attitude du peuple belge, le langage du roi si élevé, si sincère, si pénétré d’honnêteté communicative, n’ont point trompé notre attente et ont réjoui ceux qui savent accueillir les beaux exemples, qu’ils nous viennent des petits peuples ou des grands. La Belgique a dit de toutes les façons, avec une dignité et un élan bien remarquables, qu’elle veut demeurer une nation indépendante, parce qu’elle entend être une nation libre. Nous ne pensions point rencontrer si juste quand naguère nous comparions la position morale de la Belgique par rapport à nous à celle de l’Amérique du Nord vis-à-vis de l’Angleterre. Il y a eu dans la signification généreuse des manifestations belges et la grandeur politique du message du président Johnson une merveilleuse coïncidence. Par ces actes et par ce langage, il semble que le ton moral de la politique ait été soudainement élevé dans le monde et que la conscience de ceux qui ont gardé leur fidélité à la liberté se soit dilatée avec bonheur. Quelle belle, simple, forte, humaine, virile revendication des principes républicains fondés sur les droits de l’homme dans le message de Johnson ! Quelle foi profonde, bien que contenue sous une forme austère, dans l’influence que les institutions américaines doivent exercer sur le développement de l’idéal politique de l’humanité ! Et dire que pour avoir ces parties divines de l’art de gouverner il n’est pas nécessaire d’avoir eu des aïeux, qu’on peut parler devant l’histoire cette grande langue de la magistrature suprême quand on a commencé par être un ouvrier tailleur ! Quel titre de noblesse pour les démocraties du monde, et quelle promesse consolante pour l’avenir de l’humanité !

e. forcade.



REVUE MUSICALE.

Aux alentours de l’Opéra, l’arrivée à Paris du maestro Verdi met en éveil toute sorte de curiosités. Est-ce une partition nouvelle que l’auteur du Trovatore et de Rigoletto apporte à l’Académie impériale, que le vide menace aussi d’envahir ? Quel poème a choisi le compositeur pour sa musique ? quels chanteurs l’interpréteront, et à quelle date ? Patience ! les choses ne sont point si avancées. L’Opéra, pris de court au sortir de son rêve d’or de l’Africaine, se demande s’il ne serait cependant pas bientôt temps de s’occuper un peu du lendemain, et M. Verdi, qui se sent, comme on dit, l’homme de la situation, vient à Paris causer traités ; les affaires d’abord, la musique ensuite. Lorsqu’un dramaturge de renom se voit sollicité par un directeur de théâtre, il pose pour condition première la reprise de quelqu’un de ses anciens ouvrages. C’est là aujourd’hui une manière de question préalable fort en vigueur dans toutes les administrations secondaires, et qui même ne laissait pas d’avoir déjà cours en plus haut lieu au temps où Rossini, avant de consentir à écrire une partition toute française, imposait à l’Académie alors royale de musique diverses reprises de son répertoire italien. Maintenant, étant donné le sens très pratique dont le ciel l’a doué, il n’était point à supposer que l’auteur de Rigoletto fît autrement que tout le monde. Cet excellent usage de négocier le vieux au moyen du neuf nous vaudra tôt ou tard la Forza del destino, assez médiocre ouvrage écrit il y a quelques années pour Saint-Pétersbourg, et qui, pour se produire à Paris, n’attendait qu’une occasion. Parlons donc de la Forza del destino avant de parler de Don Carlos ou de telle partition qu’il plaira à l’illustre maître de composer en vue de notre scène. Je ne m’occupe pas de l’exécution et ne tiens pas à savoir d’avance qui pourra chanter à l’Opéra le rôle créé par Tamberlick. Le musicien ici est homme de ressources, nul mieux que lui ne s’entend aux variantes, transpositions et remaniemens. Trancher jusqu’au vif dans la partie du ténor, remplacer l’air de la femme par une cavatine empruntée soit à Giovanna d’Arc, soit à une partition quelconque de son répertoire également ignorée du public français, pointer un rôle dans les belles notes du chanteur et, fut-ce aux dépens de la tessitura des ensembles, s’arranger de manière à contenter la voix de M. Faure chantant ce qu’avant lui a chanté Graziani, — ce sont là jeux d’enfant pour un Italien. Autant un Allemand répugne à ces combinaisons de pacotille, autant un Italien s’y trouve à l’aise. Refondre, rajuster, avec du vieux faire du neuf, on dirait qu’il y a là comme une inéluctable nécessité, la force du destin ; bien avant Cimarosa florissait ce beau système. Voyez ce don Bucefalo, peinture grotesque, mais vraie à plus d’un titre, de ces mœurs musicales dont l’immortel Lablache, dans son Campanone de la Prova d’un opéra seria, bafouait déjà au milieu des éclats de rire des générations précédentes le suprême indifférentisme, l’incomparable sans-gêne.

On se souvient de Macbeth au Théâtre-Lyrique, du travail de rénovation auquel donna lieu cette malencontreuse mise en scène : partout la confusion, les disparates, des ajoutés sans relation avec le style primitif, des pâtés de couleur écrasant l’ancien dessin. J’imagine que nous verrons le cas se reproduire à l’Opéra, et pourtant ce n’est point encore ce qui me préoccupe davantage. Les ouvriers du tempérament de Verdi ont la poigne rude, la besogne ne les effraie pas ; mais, ce poème impossible, qui se chargera de le revoir, de le refaire ? Quel auteur parmi les contemporains prendra sur lui de créer l’ordre et la lumière dans ce chaos, de rendre, je ne dis pas intéressant, mais simplement représentable sur une scène française, cette série grotesque d’incidens suscités par la force du destin ? Au premier acte, don Alvar s’introduit chez sa maîtresse, comme don Juan chez donna Anna : le père survient qui provoque en duel le ravisseur. Celui-ci refuse et, pour ne pas être exposé à défendre ses jours contre un pareil adversaire, jette bas son arme ; mais, ô puissance du destin ! cette arme, qui pourrait si bien être une épée, est un pistolet ; le pistolet en tombant fait feu, et la balle assassine de traverser incontinent le cœur de l’infortuné beau-père ! Supposer que le destin va s’en tenir là serait ignorer sa force : une fois lancé, il ne s’arrête plus, et le voilà pendant quatre actes interminables donnant des croc-en-jambes à tous les personnages, qui finissent par tomber les uns sur les autres comme des capucins de cartes ! Callot fecit ! Et c’est une telle conception que le musicien a prise au sérieux, du commencement à la fin. En empruntant au faire moderne bien plus encore qu’à l’Allemagne, comme les gens à courte vue le prétendent, certains de ses moyens d’action, Verdi est resté par maint endroit un Italien de la plus vieille roche. Cet homme-là mettrait en musique sans sourciller la Tour du Nord et le Pont du Torrent : non qu’il professe à l’égard de la pièce une absolue indifférence ; tout au contraire, une situation l’attire, le captive, mais il ne s’informe pas de quelle manière cette situation se rattache au sujet. Ce qu’il cherche, c’est ce que le grand empereur parlant à Goethe appelait le genre tranché. Qu’importent l’ineptie de la contexture dramatique, les gestes et les contorsions de tous ces mannequins sans raison d’être, si de la grossière, inintelligible ébauche se dégage à un moment donné le sublime morceau ? Avec un tel système, il n’y a point de pièces, il n’y a que des sujets, et le Trovatore, charade absurde que jamais personne au monde n’a comprise, comptera aux yeux d’un maître autant, ni plus ni moins, que les œuvres du théâtre de Victor Hugo, Ernani ou le Roi s’amuse par exemple. Scribe, quand on lui parlait d’une situation, devenait sérieux ; puis, après avoir réfléchi : « Très bien, répondait-il, je comprends, mais où cela mène-t-il ? » Grave question que Meyerbeer à son tour se posait et dont Verdi n’a cure. « Voyez-vous ce pont ? disait le maréchal Pélissier, accoudé sur la balustrade du jardin de la chancellerie de la Légion d’honneur. On l’appelle le pont de Solferino parce qu’il ne mène à rien ! » Le miserere du Trovatore, égaré, perdu dans cette impasse dramatique, produit sur vous le même effet : c’est très beau, bien plus beau que le pont, c’est également sans issue. Étant donné ce genre d’opéra macabre, la Forza del destino en serait le chef-d’œuvre ; aussi j’admire d’avance l’habile teinturier qui va se charger d’imprimer une couleur française quelconque à cet affreux tissu de fabrique espagnole. On prétendait qu’il n’y avait plus de poète à l’Opéra depuis Scribe ; il paraîtrait qu’il a suffi cette fois d’étendre la main, pour en trouver un et des plus féconds, car cette reprise en sous-œuvre de la rapsodie exotique ne serait pour le lauréat qu’une manière d’entrer au jeu et de préparer les esprits à l’avènement d’un Don Carlos dont on raconte des merveilles. Il faut que le morceau soit bien fameux pour qu’on se le dispute de la sorte.

C’est peut-être une curiosité fort déplacée, mais je me demande, au point où en sont les choses aujourd’hui, ce que pourra bien être au théâtre un Don Carlos. Après les récentes découvertes historiques, en présence de tant de documens publiés de toutes parts, le personnage inventé par Schiller, même à l’Opéra, semblerait trop enfantin dans son nimbe de libéralisme humanitaire sur lequel la critique moderne a soufflé. C’est l’honneur de la musique de notre temps d’aimer à discuter les caractères qu’elle étudie ; pour traduire à la voix et à l’orchestre cette sensiblerie romanesque, le canto fiorito suffirait, la vieille cavatine à roulades, laquelle à son tour appelle le costume traditionnel des héros du répertoire : béret à créneaux, tuniques à crevés de velours noir, bottes à revers chamois. Tout se tient en ce monde, et ce que les portraits d’un Van-Dyck ou d’un Velasquez sont pour un peintre de costumes, les renseignemens de l’histoire devaient l’être nécessairement pour la musique. A Dieu ne plaise que je songe à médire de Schiller ! Rien ne me porte à supposer que le grand poète ignorât absolument la vraie cause de la mort du prince, et peut-être en savait-il sur son sujet tout autant que les nouveaux biographes nous en ont appris. Seulement à cette époque la profonde ignorance du public en matière historique autorisait bien des licences au théâtre. Du caractère et de la destinée du jeune fils de Philippe II, personne parmi les gens qui hantaient le spectacle n’avait souci. Schiller pouvait donc se croire en droit d’inventer tout, à ce point que le personnage sorti de ses mains ne saurait même passer pour une idéalisation du type original, qu’il ne rappelle par aucun trait. D’autre part, s’il semble que le personnage de Schiller ne pourrait plus guère servir désormais qu’au Théâtre-Italien, je ne vois guère en quoi l’art dramatique aurait à profiter du type reconnu pour vrai. Le fils de Philippe II venant chanter devant la rampe les élancemens de sa passion, sospiri, lamenti, etc., offrirait sans aucun doute un assez ridicule spectacle au public mieux informé de nos jours ; mais on devra convenir aussi que ce serait un bien funèbre héros d’opéra que le jeune prince découvert par l’histoire, cette espèce de crétin fanatique, mal bâti, mal embouché, travaillé de fièvres intermittentes, qui pour une goutte d’eau tombée d’une croisée vous faisait incendier une maison et châtiait les impérities d’un cordonnier en le forçant à manger le cuir de ses bottes coupé à petits morceaux et fricassé dans la casserole. Tout bien considéré, j’avoue qu’à la place de Verdi je ne me déciderais ni pour l’un ni pour l’autre des deux types, et m’abstiendrais d’écrire un Don Carlos. « Entre tant de pères qu’il pouvait me donner, pourquoi le ciel m’a-t-il infligé celui-là ? » s’écrie le héros de Schiller. Entre tant de sujets qu’un maître peut prendre, pourquoi choisir Don Carlos ? On avait parlé d’un Roi Lear, d’une Marion Delorme. Deux fois déjà le théâtre de Victor Hugo a porté bonheur à Verdi ; il ne serait pas impossible qu’une troisième expérience réussît encore davantage. Chose curieuse pourtant de voir ainsi nous revenir l’une après l’autre par la musique les plus nobles œuvres du théâtre contemporain ! Donizetti nous a conservé Lucrèce Borgia ; si le Roi s’amuse figure encore sur une affiche parisienne, c’est grâce à Verdi ; un maestro de Pérouse ou de Bergame a écrit un Ruy-Blas : vous verrez que nous retrouverons ainsi quelque jour Marion Delorme. C’est de la musique aujourd’hui que nous vient la littérature ; c’est dans les salles d’opéra, c’est au milieu des harmonies des voix et de l’orchestre qu’il faut aller rêver des imaginations de nos grands poètes.

A quoi sert donc la Comédie-Française ? Pourquoi de ces toiles splendides que le musée national possède sommes-nous réduits à n’avoir en quelque sorte que la gravure ? Question ingénue ! la Comédie-Française est de son temps. Les théâtres de genre ont donné le branle, et l’antique duchesse emboîte le pas du demi-monde et du petit monde. Elle qui jadis donnait le ton à son tour le subit. Les grandes dames vont à Mabille : pourquoi la maison de Molière se refuserait-elle les violons du bal de l’Opéra ? Les pierrots sont entrés avec les débardeurs, et à leur suite cette cohue carnavalesque des gens criant bravo et de ceux qui sifflent devant que les chandelles soient allumées. Du balcon de la rue Richelieu, on entendait parler l’argot du Vaudeville. Quand on a l’honneur de diriger la Comédie-Française, on se doit au culte de la belle langue, et s’il vous arrive d’en pouvoir enrichir le trésor, n’eussiez-vous d’ailleurs jamais su rien écrire qui vaille, vous vous serez acquis dans l’avenir un certain titre aux yeux de l’Académie. Sérieusement, nous n’avons au cœur ni malveillance ni pruderie, et pourvu que la question littéraire soit en jeu, on nous trouvera toujours inclinant plutôt du côté de l’audace. La question littéraire, la question d’art, je voudrais bien qu’on me fît voir ce qui pouvait l’intéresser dans cette histoire d’Henriette. Maréchal. J’accepte ce prologue impossible, je vais même jusqu’à tenir compte aux auteurs de l’idée plus ou moins originale. Mettre en scène l’œuvre de Gavarni, peut-être y avait-il là quelque chose. Par malheur, l’esprit du crayon manque ; plus de relief, plus de trait, des découpures sans perspective passant et repassant, des pantins qui se coudoient en s’adressant d’ignobles apostrophes dont la platitude vous déconcerte. Je me dis alors : C’est raté, voyons la pièce. Ici le désappointement n’a plus de bornes : des situations ayant traîné depuis trente ans sur tous les théâtres du boulevard, cet écœurant scandale domestique dont prose et vers ont tant abusé que dernièrement une pièce agréable d’ailleurs, la Fabienne de M. Meilhac, tombait au Gymnase pour s’être laissé prendre à si ingrat sujet ! Un caractère étrange, singulier, distingue pourtant ce drame d’Henriette Maréchal : l’inexpérience absolue unie au plus imperturbable aplomb. Jamais on ne vit sujet plus vieux traité d’une façon plus jeune ; c’est l’enfance de l’art, et le naïf par endroits n’est même point sans grâce. Tandis que dans l’invention de la pièce tout vous rappelle l’idée d’autrui, l’exécution vous livre à chaque pas des moyens d’un primitif incomparable. Les entrées et les sorties se font sans que rien les commande, sinon le bon plaisir des auteurs, lesquels se tirent d’embarras en évoquant un domestique ou une dame de charité de circonstance : « Monsieur, c’est votre déjeuner ; madame, ce sont vos pauvres ! » Il n’en faut pas davantage au Théâtre-Français pour se débarrasser des personnages qui nous gênent et ménager à discrétion les tête-à-tête. Otez à Mme Maréchal son domino de bal masqué, et vous avez Adèle d’Hervey tombant en pâmoison aux bras d’Antony, d’un Antony bébé : mêmes tirades, mêmes boursouflures ; toute la différence est dans la question d’âge. Paul de Bréville a dix-neuf ans, Mme Maréchal en a quarante : passion de matrone à jouvenceau, trame odieuse où se prend, comme un moucheron dans une toile d’araignée, le cœur d’une jeune fille qui aime l’amant de sa mère et meurt en s’accusant d’une honte dont sa virginale innocence n’a pas rougi d’instruire le procès.

Cette pièce sans invention et sans style, où la jeunesse surtout manque, ne pouvant réussir, a fait scandale. Au lieu de laisser ce qui était si médiocre s’enfoncer tout naturellement dans le silence et l’ombre, la cabale est accourue en troupe, comme s’il s’agissait de venger la morale publique. On a parlé d’influences de salon habilement mises en jeu ; bref, on a poursuivi et sifflé comme d’abus. Nous ignorons, cela va sans dire, ce qu’il pouvait y avoir de vrai dans ces sortes de récriminations, qui, fussent-elles justes, ne sauraient, en bon droit, porter d’avance atteinte à la fortune d’un ouvrage. Une pièce au théâtre doit avoir pour première condition de se faire à elle-même sa destinée et de ne point dépendre des circonstances plus ou moins contraires, plus ou moins favorables, qu’elle aura traversées pour arriver. Bonne, elle réussit ; mauvaise, elle tombe. Le nom de l’auteur n’y fait rien, puisque, ce nom ne figurant point sur l’affiche au jour de la première représentation, la fiction veut que le public appelé à juger la chose ne le connaisse même pas. D’ailleurs, sur ce sujet d’une intervention officieuse, la lettre du directeur du Théâtre-Français publiée dans la préface de la pièce imprimée répond à tout. Un directeur de théâtre, au temps où nous vivons, est maître chez lui, tout le monde sait cela, et s’il n’était point libre de jouer les chefs-d’œuvre de son goût, autant vaudrait pour lui se retirer dans quelque bonne bibliothèque de l’état. Cette lettre prouve qu’en recevant le drame d’Henriette Maréchal, le directeur a agi dans la plénitude de son indépendance : généreuse et noble initiative, tout à l’honneur de son caractère administratif, mais dont l’autorité de son goût littéraire ne se relèvera pas.

Cependant le succès de la Famille Benoîton est loin de diminuer. Tandis qu’à la rue Richelieu il n’était déjà plus question de ce triste drame refusé d’abord au Vaudeville, la comédie de M. Sardou continuait d’aller aux étoiles. Pourquoi ces fortunes si diverses ? pourquoi ici cet excès d’honneur, là cette indignité ? Interrogez la mode, et la mode vous répondra : il s’agit de donner la note du moment, de pincer, comme on dit, l’ut dièze. Les féeries sont à l’ordre du jour. Cinq cents représentations n’ont pas épuisé la fortune de la Biche au bois ; la Lanterne magique du Châtelet va renouveler l’âge d’or du Pied de Mouton, des Pilules du Diable, de Peau d’Ane, et de tant de chefs-d’œuvre destinés à rendre inutile désormais au théâtre tout autre art que celui de la mise en scène et des tableaux vivans. M. Sardou, qui prend son bien ou plutôt le bien d’autrui partout où il le trouve, s’est dit : Adressons-nous aux couturières, faisons des comédies qui, par les travestissemens, soient des féeries, et quand un peu de fine et spirituelle observation des mœurs contemporaines se mêlerait à notre exhibition, quand çà et là quelques mots rehausseraient le dialogue, arrangeons-nous de manière que le public nous les pardonne en faveur des extravagantes fanfreluches dont nous allons l’éblouir. Confions notre littérature aux jambes de ces demoiselles, et ces jambes la porteront loin ! On croira peut-être que je plaisante, et pourtant rien n’est plus sérieux. Le grand principe d’attraction consiste aujourd’hui dans ce qu’on appelle le spectacle, et l’unique spectacle au théâtre désormais, c’est la femme, la femme physique, entendons-nous bien, le mannequin, la poupée à travestissemens, non l’actrice, — la femme réduite à l’état de figurante qu’on habille et surtout qu’on déshabille à volonté.

S’il fut un temps où la danse et la pantomime servaient au moins de prétexte à ces sortes de théories, nous avons changé tout cela. Ni le talent ni l’Intelligence ne sont d’obligation ; il s’agit simplement d’être jolie et assez bien lancée pour savoir ne reculer devant aucun frais de couturière. Celles qui, par exemple, n’ont en partage que les charmes et la jeunesse de leur personne doivent s’attendre à ne briller qu’au second rang : c’est le menu fretin ; on les habille en poissons, en oiseaux, en coléoptères. Quant à la courtisane bien rentée qui arrive au théâtre en huit-ressorts, qui subvient au luxe tapageur de ses accoutremens et ne compte pas avec les fournisseurs lorsqu’il s’agit de payer sa gloire, voilà la vraie actrice, la virtuose ! M. Sardou a pris de cet art tout ce qu’il en pouvait prendre. Sa pièce de la Famille Benoîton est une féerie, et c’est par ce côté qu’elle réussit tant. Dès le lendemain de la première représentation, quel bruit courait la ville ? De la valeur dramatique ou littéraire de l’ouvrage, nul ne s’en occupait ; mais en revanche que d’émerveillrmens à propos des robes de ces demoiselles ! Telle toilette avait coûté six mille francs, telle autre huit ! Et, tandis qu’une actrice de premier ordre, Mme Fargueil, se voyait cette fois délaissée, les comparses tenaient le devant de la scène en faisant sonner leurs sonnettes. A l’extravagance des travestissemens venait se joindre l’argot du dialogue, nouvel attrait également emprunté au règne de la féerie, et qui, de même que le reste, n’est là qu’une manière d’accessoire et pour assurer un succès que la pièce livrée à ses propres ressources n’eût jamais fourni. Et c’est si vrai ce que j’avance, que, du moment où le drame cherche à s’engager, toute cette mascarade s’interrompt à miracle. Plus de toilettes funambulesques, plus d’argot ! Les princesses du turf descendent de cheval, déposent leurs cravaches et leurs marottes, elles s’habillent et parlent comme tout le monde. Même temps d’arrêt dans les caractères, mêmes inconséquences ! C’est que pendant les premiers actes l’auteur n’était occupé qu’à nous débiter des brochures, à barbouiller des arabesques sur son enseigne. Au conférencier de la salle Scribe succède brusquement le dramaturge. Assez de tirades et de mise en scène ! Il faudrait maintenant intéresser, émouvoir ! mais le temps presse, comment faire ? Mettre d’accord avec eux-mêmes tous ces masques demanderait bien du travail, et d’ailleurs où chercher le pathétique avec des personnages si grotesquement présentés ? Renoncer à toute espèce d’émotion sérieuse ou couper court à la logique des caractères, nulle autre alternative n’était possible : œuvre complexe et disjointe, merveille de décousu, d’incohérence ! Les caractères, à partir du troisième acte, ne se ressemblent plus ; vous les voyez se dérober, s’amender, rentrer leurs angles. L’odieux tourne au sentimental, et telle péronnelle à qui tantôt les plus sacrés intérêts du ménage soulevaient le cœur de dégoût, et qui ne détournait même pas du miroir son visage maquillé pour répondre aux honnêtes remontrances de son mari, devient subitement, et par une illumination d’en haut, la plus admirable et la plus sublime des mères. La bouche habituée aux indécens jargons éclate en ritournelles éloquentes dont chaque phrase est chargée à en coulera fond de sensiblerie et de pathos mélodramatique. On a dit : Les peuples ont les gouvernemens qu’ils méritent. Le mot peut s’appliquer au théâtre. Les publics aussi ont les ouvrages qu’ils méritent, et c’est parfois bien juger son siècle et procéder en homme d’esprit que de mystifier, en lui faisant payer les violons, une foule chez laquelle le niveau intellectuel et moral s’est assez abaissé pour qu’elle se reconnaisse complaisamment dans de pareils types. Vérité en-deçà des fortifications, erreur au-delà ! Tel est d’ailleurs le mérite intrinsèque de ces prétendus tableaux de mœurs contemporaines qu’il suffit de les changer de place pour qu’à l’instant le même monde qui les applaudissait hier au Vaudeville les trouve faux et saugrenus. On sait ce que valent les reprises des meilleurs chefs-d’œuvre de ce répertoire : la moindre distance agit là-dessus comme le temps. Deux heures de chemin de fer, du département de la Seine transportez-les dans Seine-et-Oise, et voilà toute cette littérature qui s’effrite, tombe en loques, tout ce grand succès qui s’évanouit ; on se regarde, on hausse les épaules, on n’y comprend plus rien.

La confusion des genres, où ne règne-t-elle pas ? Tel vaudeville, parce qu’on a oublié d’y mettre des couplets, s’intitule comédie ; tel autre, lesté de musique, va du Palais-Royal à Favart et s’y donne des airs d’opéra-comique. C’est l’histoire du Voyage, en Chine. J’entends dire de tous côtés : La pièce a tant d’esprit, d’entrain drolatique, qu’elle pourrait à merveille se passer de musique. Alors pourquoi l’avoir apportée là ? C’est d’ordinaire l’inconvénient des auteurs qui se sont fait dans un théâtre une physionomie très particulière de ne s’entendre que médiocrement aux combinaisons propres à la musique. Leur personnalité tient trop de place. Je ne vois pas ce que les violons pourraient ajouter de gaîté à des pièces comme la Fiancée du mardi gras, la Cagnotte ou la Bergère de la rue Mont-Thabor. Ces choses-là sont complètes en ce qu’elles sont, des chefs-d’œuvre, si vous voulez, et qui n’ont besoin d’aucun accessoire. En outre la musique doit-elle jamais être un simple accessoire ? Je ne le pense pas. Ce n’est point de la valeur plus ou moins littéraire d’une comédie ou d’un drame, c’est de l’idée qui se trouve au fond, qu’elle tire ses vrais avantages ; il lui faut des textes élastiques qui lui permettent de se loger, de s’installer tout à son aise, de choisir sa place et son moment. Les lieux communs en ce sens font bien mieux son affaire que les choses trop bien réussies. Ce qui est complet en soi ne se transforme pas, et la musique vit surtout de transformation. Qu’est-ce que la comédie du Mariage secret ? Une niaiserie sentimentale qu’on n’écouterait plus aujourd’hui. Qu’est-ce que l’opéra ? Un chef-d’œuvre. Il y avait donc en cette médiocre comédie un élément à découvrir, un dessous musical que le génie de Cimarosa frappant du pied le sol sait faire jaillir comme une de ces îles enchantées que la baguette magique d’un Prospero évoque du sein des mers. C’est à cette espèce de sous-sol musical, ignoré des dramaturges et des vaudevillistes de profession, que songent à pourvoir tout d’abord les auteurs ayant acquis l’expérience du genre. L’idée ne serait jamais venue au bon Sedaine de porter à Grétry le Philosophe sans le savoir ou la Gageure imprévue, pas plus que Scribe ne se fût avisé d’aller offrir à M. Auber Bertrand et Raton ou la Demoiselle à marier. Et si, par impossible, Sedaine et Scribe eussent eu la velléité dont je parle, ni l’auteur de Richard et du Tableau parlant, ni l’auteur de la Muette et du Domino noir n’eussent accueilli la proposition. Le malheur est qu’à notre époque les conditions d’un répertoire tout à fait spécial ne préoccupent plus personne ; tout ce qui est bon à dire est bon à chanter ; on met en musique les mots et les calembredaines du Palais-Royal, — avec quel sérieux, chacun peut aller s’en convaincre. Tout le monde pouffe de rire dans cette pièce extravagante ; seul, le musicien y conserve son plus beau sang-froid. La pantalonnade se démène, le dialogue éclate en mille pétarades ; lui, compose, module, et combien laborieusement ! Il aligne ses portées, écrit des rondos, des polkas, des chœurs d’orphéons. A la place de l’honorable M. Bazin mettez un Italien, non pas un Cimarosa ou un Rossini, mais un Ricci, même un Cagnone, l’auteur de Don Bucefalo, et tout de suite les rôles seront changés, la musique entraînera la pièce ; vous aurez un opéra bouffe, tandis qu’ici vous n’avez rien qu’une bouffonnerie sans opéra.

Il ne faudrait pas cependant à, ce propos enfler la voix outre mesure. L’Europe ne court aucun danger et la France ne périra point, grâce à Dieu, pour une fantaisie un peu trop carnavalesque jouée à l’Opéra-Comique, et, ce qui est pis, si bien jouée, qu’on se croirait tout autre part. Seulement il ne me paraît pas qu’on doive beaucoup encourager la tentative. Elle réussit cette fois, laissons-la faire, mais n’y revenons pas. Le nombre est assez grand des scènes exclusivement réservées aux exploits de la muse burlesque sans qu’on aille encore l’augmenter. Quand on est l’Opéra-Comique, quand on a, comme le Théâtre-Français, un répertoire que le monde entier vous envie, on demeure en quelque sorte obligé par certaines traditions dont il convient de ne s’écarter que le moins possible. Au lendemain de ce Voyage en Chine j’entendais, l’Ambassadrice, qu’on reprenait l’autre soir pour la rentrée de Mme Cabel. C’est le modèle du genre. Pièce et musique marchent ensemble de compagnie ; tandis que le dialogue va son train, l’orchestre ne cesse pas un seul instant de tenir en éveil votre curiosité, le chant de vous intéresser. On a beau dire, savoir son affaire est le grand point. La collaboration dont la plupart de ces charmans ouvrages sont sortis se composait d’auteurs connaissant à fond la matière, et qui tous, très capables d’écrire au besoin des comédies et des vaudevilles, savaient pourtant qu’un opéra-comique n’est ni une comédie ni un vaudeville. La musique n’a déjà que trop abondé dans ces associations banales ; depuis le décret promulguant la liberté des théâtres, il ne s’élève pas un tréteau sur lequel on ne la voie monter. Elle sert aux plus ignobles parodies, s’encanaille dans les plus bas lieux : chansonnettes en action, opérettes, il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Laissons cet art forain mener sa bacchanale, né nous mêlons pas de lui faire concurrence, il prospérera toujours assez sans nous. Claudile jam rivos, car en vérité les cascades nous débordent.


F. DE LAGENEVAIS.


ESSAIS ET NOTICES

Le Bosphore et Constantinople avec perspective des pays limitrophes, par M. de Tchihatchef ; Paris, Morgand, 1865.

Parmi les diverses contrées de l’ancien monde, l’une des plus admirables, personne ne l’ignore, est celle où les promontoires avancés de l’Europe et de l’Asie se regardent par-dessus la nappe bleue du Bosphore. En nulle contrée peut-être, les splendeurs de la nature, colorées d’ailleurs par l’immense reflet des souvenirs, ne se combinent d’une manière à la fois plus charmante et plus grandiose. Aussi, lorsque du bateau à vapeur on voit au loin s’ouvrir l’entrée du merveilleux détroit, est-il difficile de ne pas se sentir d’avance sous le coup d’une profonde émotion. D’un côté se déroulent les côtes de Thrace, de l’autre celles de Bithynie. Le bassin de la mer de Marmara, entouré de montagnes, se rétrécit peu à peu ; les falaises et les caps qui terminent les continens s’élèvent graduellement hors des flots ; la côte dessine ses pointes et ses baies, tandis que sur la droite les îles des Princes, aux escarpemens rouges ou jaunâtres rayés çà et là de verts taillis, semblent se détacher successivement du rivage, puis, vont, en se rapetissant et en se rapprochant les unes des autres, se perdre au milieu de la mer. En face, la péninsule doucement inclinée qui porte le dôme et les hauts minarets de Sainte-Sophie, les murs, les jardins du sérail et les innombrables maisons de Constantinople, se prolonge gracieusement dans le Bosphore comme pour en défendre l’entrée.

La scène change et devient encore plus belle lorsqu’on a pénétré dans le détroit et qu’il faut lutter contre le rapide courant de ce fleuve marin, portant à la Méditerranée le trop-plein de toutes les eaux que la Russie et l’Asie-Mineure ont versées dans la Mer-Noire. A gauche, au-delà de centaines de navires profilant sur le ciel leurs mâts et leurs cordages, s’étend le bassin recourbé de la Corne-d’Or, qui sépare la ville turque et son fouillis de constructions pittoresques des faubourgs chrétiens où s’élèvent des palais réguliers entourés d’arbres. De l’autre côté, sur la pointe d’Asie, apparaît la ville de Scutari autour de laquelle se dressent comme des lances les troncs noirs des cyprès et que domine la montagne de Boulgourlou-dagh aux longues pentes revêtues de bois. En amont commence le ravissant panorama qu’offrent les deux rivages parallèles de l’Europe et de l’Asie. Le long des hautes berges se développent en ligne presque continue de nombreux villages auxquels, suivant M. de Hammer, leur position escarpée a valu le nom d’échelles, transféré plus tard à tous les ports du Levant. Au-dessus s’élèvent des remparts de rochers, arides pour la plupart, qui limitent le champ de la vue et ramènent le regard sur les ravissans tableaux qui se succèdent sur l’une et l’autre rive. De distance en distance, on voit s’ouvrir de petites vallées qu’embellissent des groupes de châtaigniers ou de platanes, et dans le lointain les arcades blanches des aqueducs se détachant sur un fond de verdure. Le paysage change incessamment avec les contours du détroit, et tantôt on pourrait se croire sur un fleuve, tantôt sur un lac ; l’admiration est sans cesse tenue en éveil par de nouveaux aspects, mais elle n’a point le temps de se fatiguer, car après 26 kilomètres de navigation on sort du magnifique défilé de montagnes, et l’on voit se déployer jusqu’à l’infini de l’horizon l’immense rondeur de la Mer-Noire. Il est vrai que les rivages du Bosphore n’ont pas comme les bords du golfe de Naples un Vésuve fumant qui domine tout le paysage ; mais jadis ils eurent aussi leur volcan, ainsi que le prouvent les coulées de basalte qui forment les promontoires septentrionaux du détroit. Qu’étaient d’ailleurs les célèbres Cyanées, qui d’après la tradition erraient autrefois sur les vagues pour fermer le passage aux Argonautes ? Sans doute, ainsi que le suppose M. de Tchihatchef, c’étaient les produits de quelque éruption volcanique, et si les descriptions qu’en donnent Strabon et d’autres géographes de l’antiquité ne conviennent pas aux îles que l’on voit aujourd’hui, c’est que les oscillations du sol ont modifié le relief souterrain des mers. Les forces qui ont jadis fendu les montagnes de la Thrace et frayé une issue vers la Méditerranée aux flots de la Mer-Noire sont toujours à l’œuvre, et comme aux temps des premiers navigateurs elles déplacent encore les îles et les récifs sur le seuil du Bosphore.

C’est aux beaux rivages de ce détroit que M. de Tchihatchef veut conduire ses lecteurs. Et ce n’est point là une expression figurée, car l’un des buts principaux de l’ouvrage, qui, par son format et son prix, s’adresse spécialement à un public restreint de personnes riches, est bien de conseiller aux familles opulentes de l’Europe occidentale les bords du Bosphore comme lieu de villégiature pendant la charmante saison de l’été et du commencement de l’automne. Il est vrai que les autres parties de l’année sont fort peu agréables dans ce pays, et l’étranger qui veut jouir en hiver d’une température égale et douce doit bien se garder d’échanger les tièdes rivages de la Provence ou de l’Italie pour les froides côtes de la Mer-Noire et du canal de Constantinople. En effet, le climat annuel de cette région est des plus inconstans : les températures moyennes de chaque année et de chaque mois, à l’exception des mois d’été, y varient d’une manière imprévue, si bien qu’on pourrait se croire transporté successivement sous les latitudes les plus variées. D’ailleurs la moyenne générale de toutes ces températures, telle que M. de Tchihatchef a pu l’établir par de patientes observations de plus de dix-sept années, est relativement froide, puisqu’elle égale à peine celle de Bordeaux, de Trieste et de Venise, villes situées beaucoup plus au nord. Le nom d’Orient fait toujours penser aux palmiers, aux orangers en fleur ; mais ni Constantinople, ni les campagnes voisines de la Thrace et de la Bithynie n’offrent, comme les côtes de la Provence, des groupes de dattiers, des bosquets de citronniers ou même des cactus, des agaves et des oliviers. Le canal du Bosphore est librement ouvert à tous les vents qui descendent des régions polaires, en passant au-dessus des plaines basses de la Russie et des eaux de la Mer-Noire ; aussi les froidures de l’hiver y sont-elles parfois très intenses. Pendant l’ère historique, le détroit de Constantinople et la nappe avoisinante du Pont-Euxin ont été fréquemment recouverts de glace, ce qui prouve que, durant la période de congélation, la température de cette partie de l’Orient était analogue à celle de Copenhague. En 762, la surface presque entière de la Mer-Noire fut transformée, comme la Baltique, en un vaste champ de glace.

Si les hivers de Constantinople et des villages voisins peuvent être comptés parmi les plus désagréables de l’Europe à cause de la rigueur et de la variabilité du climat, en revanche les étés du Bosphore sont des saisons vraiment délicieuses, surtout à Therapia et dans les diverses localités situées à quelques kilomètres en amont de la grande cité. Là, grâce aux masses d’air qui viennent des régions du nord et s’engouffrent dans l’espèce d’entonnoir que forment les berges et les collines riveraines du Bosphore, l’atmosphère est sans cesse renouvelée et rafraîchie. Jamais la température n’y atteint cette élévation tropicale qui rend parfois le séjour de Paris et des autres grandes villes du nord presque intolérable pendant quelques jours de l’année. En outre les pluies d’été sont très rares dans le voisinage de Constantinople, et l’on peut, sans crainte des orages ou des changemens soudains de température, s’égarer au loin sur les collines d’où l’on voit se dérouler à ses pieds les tableaux si variés du Bosphore. C’est donc avec raison que M. de Tchihatchef, instruit lui-même par une longue expérience, conseille aux voyageurs aisés de Paris et de Londres de choisir pour l’une de leurs principales résidences d’été les frais vallons de la Thrace et de la Bithynie, d’où l’on peut contempler la nappe azurée du Bosphore.

Certainement il est à désirer qu’un nombre toujours accru d’Européens de l’Occident aille habiter ces belles campagnes, jusqu’à ce moment réservées aux pachas et à quelques diplomates. Bien que d’ordinaire le voisinage d’une ville de bains ou de plaisance soit une grande cause de démoralisation pour les populations indigènes et que la débauche, l’oisiveté, le jeu, les spéculations sordides servent trop souvent de cortège aux visiteurs étrangers, cependant on ne saurait douter que les Turcs et les Grecs des villages du Bosphore gagneront en intelligence et en instruction au contact des hommes plus civilisés de l’ouest. Malheureusement cela ne suffit point. Il faut que les habitans eux-mêmes, sous peine d’être écartés tôt ou tard, trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires pour prendre part à l’œuvre générale et seconder les rapides progrès dont ils sont les témoins. Quelles sont les modifications qui s’opèrent dans les idées et les mœurs des Turcs de toutes les conditions sociales ? Ont-ils gardé leur fatalisme antique et se laissent-ils envahir lentement par la mort en se bornant à quelques impuissantes convulsions ? De leur côté, les Grecs, qui pendant de longs siècles ont été traités comme des esclaves, et qui n’ont pu vivre qu’à force de ruses et de bassesses honteuses, acquièrent-ils rapidement les qualités viriles qui seules peuvent en faire un peuple ? Ce sont là des questions qui comptent parmi les plus importantes de notre époque et sur lesquelles nous eussions été heureux de trouver plus de détails dans l’ouvrage de M. de Tchihatchef. Le nom de Constantinople ne réveille guère que de tristes souvenirs. Pendant plus de mille ans, n’a-t-on pas vu tout dégénérer dans cette grande cité, l’industrie, le commerce, les arts, les sciences et le peuple lui-même, si bien que le mot de Bas-Empire est devenu le synonyme de servilisme et d’abaissement, et que la perspective la plus douloureuse pour une nation, c’est d’en venir un jour à ressembler aux Byzantins dégénérés ? Et que de malheurs pendant ces mille années ! que de fois Constantinople a-t-elle dû souffrir de sièges, d’assauts et de révolutions intestines ! Ces nombreux désastres firent disparaître presque tous les monumens du passé, et par une singulière ironie du sort les plus terribles destructeurs furent Baudouin et ces barbares croisés, les ancêtres de ces occidentaux qui devaient un jour mettre le mieux à profit les rares débris de l’antiquité byzantine préservés de la ruine commune. Puis vint la catastrophe finale, et l’empire grec succomba devant les hordes turques de Mahomet II, qui venait de franchir le Bosphore à l’endroit où l’innombrable armée de Darius était passée plus de dix-neuf siècles auparavant pour aller asservir l’Hellade. Depuis que Constantinople est entre les mains des musulmans, l’antique cité a joui d’une longue paix, elle s’est agrandie de nouveau, et son commerce a repris une importance très considérable. Actuellement elle est la troisième ville d’Europe, et des centaines de navires se présentent parfois en un seul jour à l’entrée du détroit ; mais quant aux progrès nouveaux accomplis par la population turque, il est difficile de les constater. Même au point de vue matériel, la civilisation moderne n’entame que bien lentement l’ancien ordre de choses, et nombre d’améliorations apparentes ne sont faites que par une vaine imitation ou bien dans l’intention puérile d’étonner les étrangers. Constantinople, la grande ville européenne de huit cent mille âmes, n’a pas un seul chemin de fer, tandis que dans certaines parties du Nouveau-Monde habitées par des métis indiens, il est peu de localités considérables qui n’aient déjà leur petite voie ferrée. Byzance, qui mille années après la chute de Rome était encore le boulevard de l’antique civilisation contre les barbares, reste maintenant presque isolée du mouvement rapide qui entraine les nations de l’Europe occidentale et de l’Amérique.

Cette malheureuse situation ne peut durer longtemps. Bien que le grand courant du progrès se dirige d’Orient en Occident, et que les Américains, fiers de leur prospérité sans cesse accrue, aient pu s’écrier joyeusement : « Weslward the star of empire takes its way ! l’étoile de la puissance gravite vers l’ouest ! » cependant le monde moderne s’élargit aussi du côté de l’orient, et là, comme dans le nouveau continent de l’Atlantide, les peuples doivent naître peu à peu au sentiment de la solidarité humaine. Comment s’accomplira cette heureuse transformation à Constantinople et dans le reste de la Turquie ? Nous ne savons, mais il nous paraît inévitable que là, comme dans tous les autres pays de la terre, une crise de dissolution politique et sociale précédera la période de régénération. M. de Tchihatchef semble être d’un autre avis ; il pense qu’en dépit « des plus irrésistibles et des plus légitimes appas, » qui promettent à l’heureux possesseur du Bosphore la double couronne de l’Occident et de l’Orient, » les grandes puissances comprennent désormais « l’absolue nécessité » de maintenir l’autonomie de la Turquie « dans l’intérêt de l’équilibre européen. » A cet égard, les ambitions rivales seraient tellement neutralisées, suppose M. de Tchihatchef, que, si la Mer-Noire devenait le grand centre de l’activité commerciale et de la marine militaire de la Russie, — et si les portes du Bosphore et des Dardanelles étaient librement ouvertes aux vaisseaux du tsar, ainsi qu’à ceux de tous les autres souverains, — l’intégrité de la Turquie n’en courrait néanmoins aucun danger. « C’est qu’aussi, dit l’auteur russe, l’existence de l’empire ottoman ne repose point sur des alliances, des promesses ou des considérations philanthropiques. Celles-là, on ne le sait que trop, n’engagent à rien. L’existence de cet empire est fondée sur des sentimens de jalousie, d’égoïsme et d’inimitié que se portent mutuellement les puissances européennes ; ce sont pour la Turquie des garanties de conservation bien autrement durables, car si en politique les affections et les instincts généreux ne produisent que des résultats éphémères, les rivalités nationales défient les siècles et dureront autant que le genre humain. » Certainement les haines et les jalousies de puissance à puissance ne sont que trop réelles ; mais ce ne sont là pour les nations convoitées que de bien trompeuses garanties d’indépendance. La Pologne aussi était entourée de rivaux qui se craignaient et s’enviaient mutuellement, et cela n’a pas sauvé ce royaume infortuné du partage et de la ruine. Un peuple entouré d’ennemis ne peut se croire en sûreté qu’à la condition d’être composé de fermes citoyens travaillant de concert à la grande œuvre du salut national. Quant aux populations qui, à l’exemple des Turcs, adorent la fatalité et se laissent aller nonchalamment à leur destinée, elles peuvent être sûres de perdre tôt ou tard leur autonomie. Pour vivre, il faut d’abord croire en soi-même et en son avenir.


ELISEE RECLUS.


LE CREDIT ET LES BANQUES, par M. VICTOR BONNET[1].

Dans ce volume, M. Victor Bonnet a réuni une série d’études qu’il a publiées depuis quatre ans, particulièrement dans la Revue. Les opinions de l’auteur en matière de finances sont donc bien connues de la plupart de nos lecteurs, qui ont en même temps apprécié la clarté parfaite avec laquelle il a exposé et discuté les questions si complexes que soulèvent l’organisation du crédit et la constitution des banques. Les principes les plus élémentaires de l’économie politique sont profondément engagés dans ces questions, ou plutôt ils les dominent. En effet, pour déterminer exactement le rôle des banques et pour discerner les moyens pratiques de répandre le crédit à l’aide de la circulation fiduciaire, il importe, avant tout, d’être bien fixé sur la nature même du crédit, sur le caractère et la valeur de la monnaie de papier, sur les conditions qui président à la hausse et à la baisse de cette valeur. Ce sont là des problèmes purement économiques. On doit ensuite examiner comment sont organisés les établissemens de crédit dans les pays où la monnaie fiduciaire est le plus utilement employée et exerce la plus heureuse influence sur l’ensemble des transactions. Quelque différente que paraisse l’organisation des banques en France, en Angleterre, en Hollande, aux États-Unis, on peut ajouter, en y regardant de près, que la diversité n’existe que dans la forme ; au fond, le crédit est soumis partout aux mêmes lois, aux mêmes principes. M. Victor Bonnet s’est livré à cette double étude, à la fois théorique et comparative, qui seule peut conduire à la solution des difficultés auxquelles donne lieu aujourd’hui le système des banques.

L’un des grands périls de l’économie politique considérée comme science, c’est qu’elle est exposée à voir ses axiomes les plus certains discutés et contestés par les intérêts auxquels ceux-ci peuvent faire obstacle. Rien de pareil ne s’observe dans les sciences dites exactes. Il n’y a pas de contradicteur, si ardent qu’il soit, qui ose s’attaquer à une règle d’arithmétique, tandis qu’en matière d’économie politique on ne se fait pas scrupule de revenir sur les règles admises, sur les faits établis, pour peu que l’intérêt s’en mêle. À ce compte, si l’économie politique ne possédait pas des principes certains, invariables, même au milieu de la diversité des applications, elle ne mériterait pas le nom de science ; elle s’abaisserait à la condition d’un simple expédient, et ses plus cruels ennemis ne pourraient la décrier plus sûrement. Quand on soutient, par exemple, qu’une banque, fût-elle la plus riche et la plus privilégiée du monde, pourrait continuer à fournir l’escompte à bas prix concurremment avec une hausse générale dans le taux du crédit, n’est-ce point méconnaître les principes depuis longtemps vérifiés par la science et répudier par le fait la grande loi de l’offre et de la demande, qui est assurément l’un des fondemens les plus solides de l’économie politique ?

Ce qui obscurcit en ce moment la question des banques, c’est qu’elle est livrée aux disputes véhémentes des intérêts. Les lumières qu’elle a reçues de la doctrine sont étouffées sous les passions qui s’agitent. On s’en prend à une institution particulière, à une forme du crédit, et l’on ne paraît pas songer que l’on s’attaque au crédit même, en lui enlevant ses caractères essentiels. Il n’y a pas à s’inquiéter de l’issue de ce débat. Les principes triompheront par leur propre vertu. Il n’en faut pas moins savoir gré aux hommes d’étude qui s’appliquent à la démontrer en rappelant la loi de la science et les enseignemens de la pratique. À ce titre, et sous la réserve de quelques points secondaires, sur lesquels la contestation pourrait s’établir sans compromettre les principes, les écrits que M. Bonnet vient de publier sur le crédit et sur les banques sont tout à fait dignes des succès qu’ils ont obtenus.


C. LAVOLLEE


L’ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES A NAPLES.

Le temps n’est plus où les académies italiennes faisaient parler d’elles, mais on peut se demander si le silence et l’obscurité dont elles s’enveloppent aujourd’hui ne sont pas préférables au bruit et à l’éclat des siècles passés. Dans cet étonnant XVIe siècle où la prose italienne prit son essor, où l’on poussa presque à l’excès, s’il peut y avoir excès en ce genre, l’art de bien écrire, on voyait se former, sous les noms les plus bizarres, les Lucides, les Obscurs, les Gelés, les Enflammés, etc., autant d’académies qu’il y avait de villes et même de bourgades. Dans chaque compagnie, chaque membre portait un surnom conforme à la prétentieuse appellation des doctes corps. Pour ne citer qu’un seul exemple, l’académie de la Crusca, qui a survécu, comme celle des Arcades, à tant de ruines, avait voulu se donner pour une compagnie de meuniers, triant la farine du son au moyen du blutoir : ces meuniers littéraires s’appelaient le Pétri, le Mou, le Pain bis, etc., et s’asseyaient sur des sièges qui imitaient par leur forme la hotte à porter le pain, le dossier rappelait la pelle à remuer le blé, et les coussins ressemblaient à des sacs. L’emploi du temps n’était pas soumis à des règles moins singulières. Se trouvait-il, par exemple, que, dans la très sérieuse assemblée de la Vertu, le consul ou président eût un grand nez, Annibal Caro faisait l’éloge des grands nez dans un long discours. Dans ces sortes de harangues nommées cicalate, parce que le débit de l’orateur rappelait le cri de la cigale, on louait, le premier jour d’août, la salade, le concombre, l’hypocondrie, on recherchait qui était antérieur de la poule ou de l’œuf. Le discrédit où tombèrent promptement ces premières académies italiennes n’était, on le voit, que trop mérité ; mais il faut dire à la décharge de l’Italie que si elle perdit son temps à de elles inepties, c’est peut-être que le despotisme ombrageux des princes, ne lui permettait pas les occupations sérieuses. L’historien qui voulait soulever un coin du voile dont la vérité était couverte courait risque d’être envoyé en exil ou même assassiné, comme Varchi. Seules, les sciences naturelles obtenaient, avec les discussions grammaticales, les encouragemens princiers, dont il semblait qu’on ne pût se passer pour aucune étude : les Médicis ne voyaient pas un dangereux adversaire de leur politique dans l’homme qui employait sa vie à compter les pattes des insectes ou à observer leur appareil digestif. Mais l’Italie n’a-t-elle pas assez longtemps porté la peine des sottises d’un temps passé sans retour ? Elle a marché, avec la civilisation, et quelques-unes de ses académies d’aujourd’hui mériteraient qu’on parlât d’elles sur un ton sérieux et pour les louer. Quoique disséminées, elles ont plus d’importance que n’en sauraient avoir chez nous les académies de province, parce que si la péninsule a longtemps souffert du régime municipal, elle en a eu du moins les avantages : chaque ville a conservé sa physionomie propre et tenté de se suffire à elle-même.

L’Académie de Turin, divisée en sections comme notre Institut, contient ou a contenu dans son sein des hommes d’une célébrité européenne, d’une science profonde, Lagrange, Plana, Gazzera, Gorresio, sans compter ses associés étrangers dont la réunion, si elle avait jamais lieu, formerait la plus brillante compagnie qu’on puisse imaginer. L’académie de la Crusca, dont le siège est à Florence et que Napoléon a réorganisée en 1811, conserve, comme fait chez nous l’Académie française, le précieux dépôt des traditions littéraires, et se borne à enrichir ce trésor en consacrant à l’occasion les heureuses hardiesses des nouveaux génies. Elle juge sévèrement, au sein de l’Italie régénérée, cette littérature élégante, mais verbeuse et vide, qui plut si longtemps à une noblesse éloignée des affaires publiques, avilie par la servitude, des cours, et qui, pendant plus de deux siècles, détourna une nation si heureusement douée de ses plus graves devoirs comme de ses plus chers intérêts.

Rendue à la liberté et à la vie, Naples n’a point voulu rester en arrière ; ne trouvant plus dans les vieux corps savans dont la dynastie des Bourbons avait toléré l’existence assez de flexibilité et de force pour se prêter aux changemens qu’exigeait l’esprit moderne, elle a fondé de nouvelles académies, comme elle fonde peu à peu toutes les institutions nécessaires à son existence intellectuelle. En 1862, quelques hommes de bonne volonté se réunirent pour créer une académie des sciences morales et politiques, c’est-à-dire celle qui, par son titre et ses études, semble correspondre le mieux aux besoins nouveaux de notre temps. Il fut décidé que cette compagnie ne se composerait que de quatorze membres résidens, limite prudente, pour être assuré de n’admettre que des hommes de valeur. Dans ce petit nombre, on rencontre des noms connus à Naples et même dans le reste de l’Italie, entre autres MM. Pisanelli, Manna, Desanctis, Spaventa, Imbriani et Vera, qui a professé longtemps la philosophie dans l’université de France avant de l’enseigner à Naples et à Milan. Parmi les six membres non résidens, nous trouvons MM. Mamiani, Sclopis, Cattaneo, Mancini, qui se sont fait un nom soit dans les lettres, soit dans la politique, et M. Ferrari, dont les lecteurs de la Revue n’ont peut-être pas oublié les travaux. Les associés étrangers sont MM, Stuart Mill, Michel Chevalier, Faustin Hélie, Victor Cousin, Mittermaier, Mohl, Brandeis ; on aurait pu, comme on le voit, plus mal choisir. Enfin il y a vingt places d’associés correspondait dont dix-huit sont occupées, et par une innovation à laquelle on ne saurait trop applaudir, au nombre de ces correspondans est une femme, Mme Marianne Florenzi-Waddington.

Une telle académie n’a donc rien de semblable aux sociétés dites savantes dont la bonne humeur du public s’est si souvent égayée. Ses premiers travaux font bien augurer de ceux qu’elle produira dans la suite. Les comptes-rendus qu’elle fait imprimer ne donnent que des analyses, mais il suffit de ces résumés pour voir que, si les sujets choisis n’ont pas tout l’attrait de la nouveauté, ils sont du moins dignes d’étude et contrastent singulièrement avec ceux qu’on traitait au XVIe siècle et au XVIIe. Nous avons sous les yeux les comptes-rendus du mois de mai 1864 publiés à la fin de cette même année et nous trouvons dans cette courte période des travaux importans. Au premier rang, il est permis de placer celui de M. Lomonaco, membre résident, sur l’origine, la nature et les vicissitudes du droit municipal en Italie, à l’époque romano-byzantine, au moyen âge et dans les temps modernes. On comprend l’intérêt d’une pareille étude pour un peuple qui n’a connu durant des siècles que la vie municipale, et qui cherche aujourd’hui à en concilier les traditions obscures, diverses, contradictoires même, avec les aspirations modernes qui le poussent vers la centralisation et l’unité. A côté d’un mémoire de M. Pessina sur l’Éthique d’Aristote, on en trouve un de M. Spaventa sur la doctrine de Gioberti relativement à l’espace et au temps, que le philosophe piémontais identifie avec la création. Les opinions scientifiques de Gioberti ont singulièrement perdu de leur prix depuis que le publiciste, l’homme d’état a cessé, en disparaissant de ce monde, de leur communiquer l’éclat de sa bruyante renommée ; mais après tout Gioberti n’est qu’un prétexte, qu’une occasion d’étudier à nouveau ces grands problèmes dont on a proposé tant et de si diverses solutions. Signalons encore le mémoire de M. Baldacchini sur le nominalisme dans la morale et dans l’instruction, et celui de M. Trinchera sur Sully et Colbert.

Nous n’ayons ni le droit ni le désir d’interdire aux académies italiennes les sujets étrangers à leur pays ; mais personne ne s’étonnera que nous mettions plus de prix à ce que les Italiens nous apprennent sur eux-mêmes. A ce titre, nous avons remarqué un mémoire de M. Tulelli sur la vie politique et la doctrine de Pasquale Galluppi, de Tropea, mort il y a vingt ans environ, initiateur des Napolitains aux études philosophiques par ses ouvrages et par un enseignement qui dura quinze années (de 1831 à 1846). Les élèves de Galluppi voient en lui le plus grand philosophe des provinces méridionales dans notre siècle, et il faut reconnaître que Naples est bien la capitale philosophique de l’Italie par la hardiesse et la force de la pensée. Ce n’est pas pour Galluppi un médiocre sujet de gloire qu’on lui en attribue le mérite, et on lui fait honneur en outre de la transformation qui s’est opérée dans les opinions politiques de ses concitoyens et qui les a disposés à recevoir et à goûter les bienfaits de la liberté. Le titre que portent les ouvrages de Galluppi permet de croire qu’à cet égard tout au moins les éloges qu’on lui accorde ne sont pas empreints d’exagération[2].

En général, la critique italienne manque de profondeur et de force, surtout dans les questions d’ordre purement littéraire. On analyse, on résume beaucoup, mais on juge peu ; on se borne à dire que l’auteur ou l’ouvrage est simpatico, et après cette sorte de tarte à la crème le critique n’a plus rien dans son sac. Rendons néanmoins cette justice aux Italiens, et en particulier à l’académie qui nous occupe, que dans les matières scientifiques ils font plus d’efforts pour ne pas rester à la surface des choses. Toutefois l’analyse nous semble trop dominer encore, non que nous en voulussions rien retrancher, mais nous y voudrions ajouter les considérations personnelles de celui qui l’a faite ; alors même qu’elles sont excellentes, et c’est souvent le cas, elles nous semblent tenir trop peu de place.

L’Académie des sciences morales et politiques de Naples, quoique née d’hier, a déjà su se faire sa place en Italie. Le prince Humbert est venu assister à la séance annuelle de la compagnie ; le ministre des affaires étrangères lui a demandé ses directions scientifiques pour un voyage de circum-navigation qui allait être entrepris aux frais de l’état. Nous ne doutons pas que cette jeune académie n’occupe désormais un rang très honorable parmi les plus savantes compagnies de l’Italie régénérée.


F.-T. PERRENS.


V. DE MARS.

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  1. 1 vol. in-8o. Paris, Guillaumin et Ce et Laine, éditeurs, 1865.
  2. Pensieri filosofici sulla libertà compatibile con qualunque forma di governo, — lo sguardo dell’ Europa sul Regno di Napoli, etc.