Chronique de la quinzaine - 31 décembre 1887

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Chronique no 1337
31 décembre 1887


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 décembre.

Les années passent vite et tombent l’une après l’autre dans l’immuable abîme des choses évanouies. Elles s’en vont, elles se précipitent, et lorsqu’à leur dernière heure comme aujourd’hui, avant leur disparition définitive, on s’arrête un instant pour chercher ce qu’elles ont fait, ce qu’elles ont produit, on est obligé de reconnaître périodiquement qu’elles n’ont rien changé dans nos destinées, que tout, après elles, reste incertain et obscur.

Parmi toutes ces années qui se sont succédé depuis longtemps, combien en est-il qui aient été heureuses et bienfaisantes, qui aient mérité l’honneur d’échapper à l’oubli ou aux dédains de l’histoire ? La plupart ont passé sans éclat et sans profit. Elles ont été quelquefois saluées à leur première heure avec confiance, avec ce besoin d’espérance qui reste toujours aux hommes de bonne volonté ; elles ont fini par disparaître sans laisser un regret. Elles ont eu beau se presser dans leur cours rapide : elles n’ont donné ni la paix assurée au monde, ni une tranquillité garantie et féconde à notre pays. Elles ont vu en Europe les complications se multiplier, les incidens se succéder comme des nuages noirs, la crainte perpétuelle des luttes gigantesques et sans merci envahir les esprits ; elles ont vu en France tous les ressorts de l’état ébranlés, la fortune publique compromise, les idées de droit obscurcies, les institutions battues en brèche, les pouvoirs confondus, les gouvernemens réduits à une incurable instabilité. Elles ont vu, en un mot, plus de mal que de bien, et ce qu’il y aurait de mieux serait de souhaiter à chaque année nouvelle de ne pas ressembler à l’année qui finit. Malheureusement, c’est tout le contraire jusqu’ici : les années se suivent et se ressemblent, accumulant les mécomptes. Elles commencent par des crises, elles finissent par des crises, en passant par la série indéfinie des incidens prévus ou imprévus. On vit à travers tout, il est vrai : c’est la compensation, et s’il est un phénomène frappant, c’est cette énergique vitalité d’un pays qui se sent mal gouverné, qui subit tout, qui résiste à tout par la force de son génie pratique et de ses mœurs laborieuses, attendant toujours un meilleur lendemain lent à venir.

C’est l’histoire du temps. Toutes ces années qui sont déjà derrière nous se ressemblent sans doute : elles représentent une grande et meurtrière expérience, le règne des idées fausses, des passions de parti, des majorités violentes et incohérentes, des ministères sans fixité, et l’année qui s’achève aujourd’hui n’est que la suite de celles qui l’ont précédée et préparée. Qu’a-t-elle été, qu’a-t-elle produit en définitive? Elle a, il est vrai, dans son histoire, deux bons momens. Au printemps et à l’automne, elle a vu s’élever sur nos frontières des Vosges, à Pagny-sur-Moselle et à Vexaincourt, deux incidens singulièrement délicats qui pouvaient mettre la paix en péril, et il s’est trouvé dans le gouvernement des hommes qui ont su conduire ces graves affaires avec une habile mesure, sans trouble et sans bruit. On a eu l’heureuse fortune de sauvegarder les droits et la dignité de la France, en écartant une complication redoutable, en évitant, pour tout dire, la guerre, que la plus légère imprudence aurait pu déchaîner. La paix a été préservée sans faiblesse, c’est ce qu’il y a de mieux. En dehors de ces deux événemens, qui ont fait la position et le crédit de M. le ministre des affaires étrangères encore aujourd’hui au pouvoir, que reste-t-il en vérité? Il reste des incohérences intérieures, de vaines querelles, l’impuissance du parlement pour les œuvres utiles, les indécisions agitées d’une politique sentant qu’elle ne peut aller plus loin dans la voie où elle a entraîné le pays et ne sachant ou n’osant se redresser. Il y a eu sans doute comme diversion l’épisode héroï-comique, la grandeur et la décadence de M. le général Boulanger, le ministre prétendu nécessaire, à la popularité un moment bruyante, et dont on ne parle plus même aujourd’hui. Il y a eu les fureurs radicales contre un ministère de bonne volonté, qui a essayé un instant d’être modéré, qui a malheureusement mis ses bonnes intentions dans ses paroles plus que dans ses actions, et dont le chef, M. Bouvier, a montré ce qu’il pourrait peut-être dans des circonstances moins ingrates. Il y a eu des interpellations, des intrigues, des agitations stériles, et tout cela a été couronné par ce qui caractérise essentiellement cette année expirante: les misères, les scandales qui ont préparé la crise présidentielle !

On n’aurait certes pu prévoir il y a un an, même il y a quelques mois, cette étrange et triste fin d’une présidence qui semblait garder encore toutes les apparences d’une autorité respectée et paraissait si sûre de son inviolabilité. Un jour est venu cependant où le torrent des délations et des infamies s’est déchaîné, est monté jusqu’à l’Elysée, et où M. Jules Grévy, menacé d’être submergé, abandonné par l’opinion, par la chambre, par le sénat lui-même, n’a plus pu se dégager que par une abdication forcée. M. Grévy est aujourd’hui dans la retraite, où il peut méditer sur ce que valent les partis. Il n’a pas eu certainement la prévoyance, l’esprit d’à-propos et la résolution nécessaires dans la position difficile qui lui était faite, surtout aux derniers momens de son pouvoir. Il a été un peu aussi, il faut l’avouer, la victime des circonstances; mais, dans tous les cas, il y a deux choses que n’ont pas vues ceux qui ont mis le plus de violence à précipiter la chute du dernier président. La première, c’est qu’ils brisaient d’un seul coup l’inviolabilité de la constitution, et que ce qu’ils appelaient la crise d’une présidence était fatalement la crise de la république elle-même, atteinte dans sa stabilité légale, livrée désormais à tous les caprices des partis. Ce qu’on n’a pas vu de plus, c’est que, s’il y avait tous ces marchés honteux, ces trafics de faveurs, ces captations, ces corruptions qu’on dénonçait, et si devant tant d’abus il y avait des incohérences ou des complicités administratives, des défaillances de magistrature, c’était ni plus ni moins la conséquence et l’accusation la plus sanglante de la politique de dix années, de tout un règne de parti. Cette situation avilie et si profondément altérée, où tous les abus, toutes les faiblesses sont possibles, ce sont les républicains qui l’ont créée par leurs procédés administratifs, par les mœurs qu’ils ont propagées, par le plus audacieux favoritisme, — Et cette crise de 1887 n’est par le fait que la répugnante liquidation des dernières années. Voilà la moralité, une des moralités de la dernière crise présidentielle !

Elles sont passées maintenant, toutes ces années, celle qui finit aujourd’hui comme celles qui l’ont précédée. Elles ne laissent pas un brillant héritage; elles viennent de se faire juger par leurs œuvres, par les habitudes d’anarchie morale et politique qui se sont dévoilées, et c’est à la lumière instructive de cette expérience qu’on entre dans l’année nouvelle, avec un nouveau président et même un ministère nouveau. Qu’en sera-t-il de tous ces changemens, de ce renouvellement partiel de la scène publique ? Est-ce la continuation du passé avec un changement de décor? Est-ce le commencement du retour à un régime de raison réparatrice? C’est là toute la question.

Il n’y a pas encore un mois que M. Carnot est à l’Elysée ; il a eu à peine le temps de s’accoutumer à son état et d’entrer dans son rôle de premier magistrat de la république. Il a l’avantage d’être arrivé au poste éminent et périlleux où il est placé sans être lié ou compromis par des brigues d’élection, par des engagemens avec les partis. Il a été pour ainsi dire improvisé président sur le champ de bataille, sans avoir dit un mot, sans qu’on lui ait demandé ni un gage ni un programme. Tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’à des opinions républicaines dont on ne peut douter, il allie le goût de la modération, la droiture du caractère et de bonnes intentions, probablement aussi l’intention de rester le plus possible à l’Elysée. Le message qu’il a adressé aux chambres pour sa bienvenue, et qui est jusqu’ici le seul acte public par lequel il ait révélé sa pensée, est une déclaration de bonne volonté encore plus qu’un programme de gouvernement. Tout y est, il ne reste qu’à en dégager une politique sérieuse et décidée, un système de conduite précis. M. Carnot hésite visiblement, on le voit bien, et la première, la plus évidente marque de ses hésitations, a été la manière dont il a fait son ministère. Il aurait pu, c’eût été même la chose la plus simple, garder comme premier ministre M. Bouvier, qui avait un budget tout prêt, et qui de plus a montré de la tenue dans les dernières crises. Il s’est laissé séduire par l’idée d’un nouvel essai de fusion ou de concentration républicaine. Il a bientôt vu qu’on ne fait pas un gouvernement avec un amalgame d’élémens incohérens, avec une majorité anarchique. Le résultat de toutes ses tentatives a été en fin de compte un ministère modeste et effacé, sous la présidence de M. Tirard, qui n’a eu rien de plus pressé que d’aller demander le moyen de vivre, le vote de trois mois de subsides, et de porter aux chambres un programme ministériel de plus, une déclaration encore moins décisive que celle de M. le président de la république. On lui a tout accordé sans confiance; on en est resté là, et les chambres sont parties pour aller prendre un repos si bien gagné, — pour aller préparer aussi les élections sénatoriales qui vont ouvrir l’année.

Ce n’est pas un dénoûment, on le sent bien. C’est tout au plus l’ajournement des résolutions nécessaires à la session prochaine, après le renouvellement du sénat, qui ne laisse pas d’avoir son importance à cette heure incertaine où se débattent peut-être les destinées de la France. Ce ministère Tirard, quelque bien intentionné qu’il puisse être comme M. le président de la république lui-même, n’est visiblement qu’un ministère de circonstance et d’attente, qui ne répond qu’incomplètement aux nécessités d’une situation si profondément ébranlée, qui ne résout rien. Il a pu sans doute se présenter comme un cabinet d’affaires, promettre dans son programme de s’occuper des caisses de secours et de retraite pour les ouvriers, de l’assistance publique dans les campagnes, du régime des mines, de l’enseignement agricole, du code rural. C’est fort bien ! Le problème essentiel ne reste pas moins tout entier. Il s’agit avant tout de savoir quelle sera la direction supérieure de la politique de la France, ce qu’on fera pour remettre l’ordre dans les finances, pour pacifier les esprité, pour ramener la vigilance et l’équité dans l’administration, pour raffermir l’organisation militaire ébranlée par des projets chimériques ; il s’agit de rétablir l’autorité de la loi violée partout ! Ce n’est pas facile, nous en convenons, de se refaire une politique, de reconstituer un gouvernement résolu à tenter l’œuvre de réorganisation et de réparation. La présidence nouvelle hérite des misères qu’elle n’a point créées, des conditions de vie publique qui lui ont été léguées, où elle peut avoir ses embarras du premier moment. Ce n’est pas facile de se tirer de là, disons-nous ; c’est cependant la plus pressante et la plus impérieuse des nécessités. Continuer le système qui a été suivi jusqu’ici, jouer par complicité ou par faiblesse le jeu du radicalisme sous l’apparence d’une prétendue concentration républicaine, qui n’est qu’un mot, c’est aggraver le mal, sans être même assuré de vivre longtemps. Il n’y a donc, si on ne veut pas capituler, qu’à prendre délibérément son parti, à accepter sans défi comme sans défaillance une lutte inévitable. On aurait beau d’ailleurs se faire illusion, essayer de se dérober par des feintes et toutes les habiletés évasives, on n’en serait pas plus avancé : on se retrouverait sans cesse, de plus en plus désarmé, en face d’une solution compromise par dix années de fausse politique, devant les difficultés qu’on a laissées grandir et qui se manifestent sous toutes les formes.

Une des plus sérieuses de ces difficultés, sur laquelle il serait puéril de fermer les yeux, est certainement dans la position extraordinaire, arrogante, qu’on a laissé prendre au conseil municipal de Paris. On l’a vu il y a quelques semaines, le jour où, en face du congrès réuni à Versailles pour l’élection présidentielle, l’Hôtel de Ville s’est tout simplement organisé en quartier-général de guerre civile, prêt à entrer en lutte contre le vote éventuel d’une assemblée nationale. Tout était prêt, organisé, les rôles étaient distribués, le gouvernement de la sédition était peut-être déjà désigné : les meneurs ont tout avoué pour qu’on ne pût l’ignorer ! Ce qui serait arrivé importe peu, l’intention y était, il y a eu même quelque commencement d’exécution. Le gouvernement nouveau se serait, dit-on, préoccupé un moment de cette fantaisie d’insurrection municipale ; il aurait voulu, en dépit des protestations du conseil, prendre ses sûretés en établissant M. le préfet de la Seine, qui est en même temps maire de Paris, à l’Hôtel de Ville. C’était assurément son droit, et, s’il s’est an été, c’est une concession de plus dont on ne lui saura aucun gré. Après cela, nous en convenons si l’on veut, c’était le petit côté de cette affaire. Que M. le préfet de la Seine habite ou n’habite pas de sa personne l’Hôtel de Ville, ce n’est, après tout, qu’un détail plus ou moins significatif; mais il y a une chose bien autrement grave, c’est le rôle exorbitant, tout révolutionnaire, que le conseil municipal de Paris se donne tous les jours dans les affaires publiques.

Le fait est que cette étrange représentation parisienne se moque ouvertement de tout, des lois, du gouvernement, des chambres, sans parler du bon sens, qu’elle étend ses prétentions sur tout, sur l’administration, sur la préfecture de police, sur la garde républicaine, sur les principes financiers, sur l’instruction publique à tous les degrés. Il y a quelques années, ce conseil municipal à tout faire a eu la fantaisie de créer une chaire en pleine Sorbonne, d’instituer un cours nouveau d’histoire de la révolution française, et on a eu la faiblesse de se prêter à son caprice, de lui ouvrir la vieille Sorbonne. Aujourd’hui, l’histoire ne lui suffit plus : il crée une chaire de « philosophie biologique, » il veut opposer les théories de Darwin au spiritualisme suranné de nos professeurs. Il a entrepris de régénérer la science et de donner une impulsion nouvelle à notre enseignement supérieur ! À plus forte raison s’occupe-t-il de l’enseignement primaire. Là il règne en maître et souverain, sans s’occuper des réglemens publics et des programmes officiels. Il réforme, bouleverse à son gré le régime intérieur des écoles. Il révise avec un soin jaloux les livres d’éducation ou de prix pour en bannir toute apparence d’un spiritualisme arriéré, toute allusion au « nommé » Dieu, — c’est le langage qu’on parle à l’Hôtel de Ville. Chose curieuse cependant ! on a refusé à tous les conseils municipaux de France le droit d’avoir un avis sur leurs écoles, sur le choix de leurs instituteurs ; on refuse aux pères de famille le droit de disposer de l’éducation de leurs enfans. Seul, le conseil municipal de Paris peut tout faire, tout régenter, supprimer des traitemens si les professeurs ne lui plaisent pas, imposer ses fantaisies radicales et anarchistes, — au risque de pousser l’omnipotence jusqu’au ridicule ! Et, bien entendu, il ne se borne pas à l’enseignement. Il est occupé aujourd’hui à réformer le système financier, à établir une nouvelle répartition de l’impôt personnel et mobilier à Paris, sans s’inquiéter des lois et des principes de notre régime financier. Par une combinaison ingénieuse, par un abus du mot « d’indigent, » il a trouvé le moyen d’exonérer d’un seul coup la plus grande partie des habitans de Paris, ceux qu’il veut favoriser, et de faire peser toute la contribution mobilière sur le plus petit nombre, sur ceux qu’il appelle les « riches. » Il met son socialisme dans les finances comme il met son radicalisme athée dans l’enseignement. Il va ainsi, cet étrange conseil, tranchant, bouleversant, désorganisant, à peine arrêté de temps à autre par quelque décret timide d’annulation qui n’empêche rien !

Eh bien ! la question est de savoir si l’état, représenté par le gouvernement, par les chambres, l’état légal de la France, peut admettre en face de lui un pouvoir bravant les lois, dirigeant l’enseignement, maniant à bon gré l’organisation financière, disposant arbitrairement d’un budget de 300 ou 400 millions, — et au besoin prétendant opposer par l’insurrection sa volonté à la volonté nationale. La question est là tout entière aujourd’hui, à cette fin d’année ; elle est entre deux politiques qui ont naturellement leurs conséquences, et entre ces deux politiques plus que jamais en présence, la présidence nouvelle peut aisément choisir si elle veut être pour la France un gage de pacification et de réparation.

Ce n’est pas dans les affaires de l’Europe que les années changent la condition générale des choses. Les incidens peuvent se succéder naître ou disparaître : la situation reste ce qu’elle était, obscure et douteuse, placée sous la sauvegarde des armemens gigantesques auxquels toutes les puissances demandent la garantie de leur sécurité ou de leurs intérêts. On vit en désirant la paix, en protestant qu’on ne veut que la paix, et en se préparant à la guerre, en redoublant de surveillance jalouse et d’activité, comme si on se sentait toujours à la veille du conflit où viendront se résoudre tous les problèmes qui s’accumulent depuis longtemps. L’année qui finit aujourd’hui aura eu sans doute le privilège d’être encore une année de trêve, de n’être troublée du moins que par des crises momentanées, par des incidens promptement et heureusement dénoués. L’année qui s’ouvre reste une énigme. La question est de savoir si la paix, qui est dans le vœu des peuples, sera plus forte que la terrible logique qui est au fond des situations troublées. C’est le doute qui renaît sans cesse et tient l’Europe en alerte, qui s’est réveillé plus que jamais depuis quelques semaines au milieu de tous les bruits des polémiques de journaux, des explications, des récriminations et des controverses. Ce n’est plus la France qui est en cause pour le moment, qui est accusée de troubler le monde! le prétexte est venu, cette fois, des dispositions militaires de défense que la Russie a cru devoir prendre en Pologne, sur ses frontières de l’ouest, et qui ont excité une certaine émotion dans les deux empires voisins, à Vienne comme à Berlin. A Vienne on a répondu, non par des demandes d’explications qui auraient pu être dangereuses, mais par des délibérations de conseils militaires, par des préparatifs plus ou moins secrets. A Berlin, on a fait partir en toute hâte l’ambassadeur d’Allemagne, M. de Schweinitz, pour Saint-Pétersbourg, — Et, en attendant, les journaux ont ouvert le feu contre la Russie. Un jour la panique est partout, un autre jour elle s’apaise pour se raviver le lendemain. On en est encore là plus ou moins, et c’est avec cette perspective d’un conflit toujours possible, sinon immédiatement menaçant, que l’Europe va entrer dans une année nouvelle.

Au fond, quel est le secret, quelle est la signification précise de cette augmentation des garnisons russes en Pologne, de ces mouvemens de troupes devenus le prétexte d’une agitation toujours périlleuse? On cherche bien loin les causes de cet accroissement des forces du tsar sur la Vistule: elles n’ont rien de mystérieux, elles sont dans les faits qui se développent depuis quelque temps, dans la situation qu’on a créée; elles sont tout à la fois de l’ordre militaire et de l’ordre politique. Le ministère de la guerre de Saint-Pétersbourg n’a pas caché les motifs de ses résolutions; il les a avoués par un de ses organes. l’Invalide russe. La Russie a cru le moment venu pour elle de se mettre en garde contre toute surprise, d’assurer à tout événement sa défense dans ses provinces occidentales. Elle s’est armée parce qu’elle a vu l’Allemagne et l’Autriche s’armer devant elle, multiplier leurs moyens de concentration par le développement de leurs chemins de fer stratégiques, doubler la force de leurs places. Elle a pris des mesures de prévoyance et de sûreté; mais ce n’est là encore, si l’on veut, qu’une explication partielle. La raison intime et profonde de ce qui arrive aujourd’hui, c’est cette triple alliance qui s’est constituée au centre de l’Europe, qui serait une formidable organisation de prépotence ou de guerre si la réalité répondait toujours aux apparences. Elle est faite, dit-on, dans un intérêt uniquement défensif, pour la sauvegarde de la tranquillité européenne: c’est la « ligue de la paix! » On a beau employer les euphémismes, on n’abuse personne. Cette alliance n’a aucun sens ou elle est par elle-même, par son caractère extraordinaire, un péril pour la paix même qu’elle prétend protéger; elle n’est qu’une puérilité fastueuse, — Et M. de Bismarck qui a noué cette coalition, qui en reste le maître, ne se livre pas à des jeux d’enfant, — ou elle est dirigée contre quelqu’un qu’on ne désigne pas. Une alliance semblable, œuvre d’un puissant artifice, est forcément un trouble dans l’économie européenne. Elle est un défi, une menace pour toutes les politiques, rien que par son existence, et quand, à une combinaison de ce genre, viennent se joindre les armemens, des préparatifs croissans, des déclarations d’hostilité sous la forme d’encouragemens envoyés aux Bulgares, est-il bien surprenant qu’une puissance comme la Russie prenne ses mesures? La Russie a fait tout simplement acte d’indépendance et de prévoyance en faisant militairement un pas vers l’Occident, en rétablissant un certain équilibre entre ses forces et les forces austro-allemandes. Elle a vu qu’elle avait à veiller à ses intérêts, elle a avisé sans trouble et sans éclat, en se bornant aux plus strictes nécessités d’une première défense. Ce n’est pas la Russie, il faut l’avouer, qui a pris l’initiative en tout cela : elle a répondu à une coalition qui pouvait porter en peu de temps sur ses frontières les armées de deux empires. La conséquence est que, sans l’avouer, en gardant toutes les apparences de la paix, on est aujourd’hui plus ou moins en présence.

C’est sans nul doute une situation aussi grave que délicate. C’est une phase de plus dans la crise politique où l’Europe est engagée depuis quelque temps. Est-ce à dire qu’on touche à un conflit inévitable, immédiat ou prochain, que la guerre soit près de se déchaîner sur le continent? On n’en est probablement pas encore là, et avant de se laisser entraîner ou précipiter dans les hasards d’une conflagration universelle, on réfléchira sans doute. On a le temps d’y songer, de négocier, de chercher le moyen d’échapper à un danger redoutable pour tous. D’abord la guerre ne se fait pas si aisément en plein hiver, dans des contrées qui sont sous la neige, où les armées auraient de la peine à se mouvoir, où les plus simples opérations deviendraient presque impossibles dès les premiers pas. C’est la trêve de la saison et de la nécessité laissée à la diplomatie. Et puis, on le remarquera, dans tous les camps, c’est à qui se retranchera dans une défensive rigoureuse en désavouant toute intention agressive. La Russie s’est sentie offensée dans sa politique et dans son orgueil en Orient, dans les affaires bulgares ; elle a pu se croire menacée par une coalition qui la tient en échec : elle a pris position par ses mesures militaires, elle entend rester libre dans sa défense ; mais elle s’est hâtée de déclarer qu’elle attendra l’attaque dans sa muette immobilité. L’Autriche, qui est la puissance la plus engagée, envoie à son tour des troupes, mobilise quelques réserves et se fortifie en Galicie ; elle désavoue en même temps toute idée d’agression. Elle y est obligée, d’autant plus que, si elle attaquait elle-même, elle resterait livrée à ses propres forces, elle ne pourrait plus invoquer la triple alliance, dont elle n’est pas déjà si sûre. L’Italie, qui s’est jetée dans cette aventure sans savoir pourquoi, n’est probablement pas pressée de prendre les armes contre les Russes, de se compromettre pour des intérêts qui lui sont étrangers. Est-ce l’Allemagne, conduite par M. de Bismarck, qui voudrait précipiter les événemens ? Mais l’Allemagne elle-même, quelle que soit sa puissance militaire et diplomatique, quelque confiance qu’elle ait dans ses forces, a plus d’une raison pour ne pas sortir de cette défensive, qui est le mot d’ordre universel. L’empereur a quatre-vingt-douze ans, et ce n’est d’ailleurs qu’à la dernière extrémité qu’il laisserait dans sa vieillesse ouvrir une campagne contre la Russie. Le prince impérial dispute toujours sa vie à un mal implacable. Le second héritier de la couronne, le prince Guillaume, a peut-être plus de fougue que de jugement et d’expérience. Le chancelier lui-même n’est point sans ressentir les atteintes de l’âge, et il a été récemment averti, dit-on, de la nécessité du repos. Ce ne sont point là, en définitive, des conditions bien favorables pour aller au-devant d’une grande guerre.

De sorte que, par une série de fatalités et d’entraînemens, on est arrivé à cette situation assez extraordinaire où l’on est en présence, il est vrai, mais où personne ne veut être l’agresseur, où il y a toute sorte de raisons d’éviter un conflit pour lequel tout le monde a l’air de se préparer en le désavouant. Comment en sortira-t-on ? Il faudra bien trouver une issue. M. de Bismarck, qui n’est point étranger aux récentes agitations de l’Europe, n’en est pas sans doute à la chercher ; il n’a pas dit son dernier mot. Évidemment, quelque prix qu’il ait paru attacher un moment à la triple alliance, le chancelier n’en est pas à une évolution près. Il garde probablement encore, il gardera jusqu’au dernier moment, l’espoir de se réconcilier avec la Russie, et il pourrait bien un de ces jours aller chercher dans les Balkans, en Bulgarie, la solution dont il a besoin, dont le prince Ferdinand, l’élu des Bulgares contre l’influence russe, paierait les frais par une retraite forcée. Il le pourrait d’autant mieux qu’il n’a jamais abandonné le traité de Berlin, et ce serait par un retour plus ou moins déguisé à ce traité qu’il croirait trouver une satisfaction qui pourrait apaiser le tsar. Reste à savoir si ce serait bien facile, si ce serait même une solution; mais y a-t-il des solutions aujourd’hui? y a-t-il en Europe autre chose qu’un provisoire gardé par la force? Lord Salisbury, dans une réunion conservatrice à Derby, disait l’autre jour que le vrai danger était moins dans des incidens de diplomatie grossis par les journaux que dans les arméniens toujours croissans de toutes les puissances; que ce serait une témérité de vouloir prédire au-delà de l’heure présente. Le danger existe sans nul doute; il est dans les arméniens démesurés, il est aussi dans ces combinaisons par lesquelles on croit protéger la paix, et on ne fait que rendre les antagonismes plus éclatans, plus redoutables. C’est à la vérité une situation qu’on ne changera pas du jour au lendemain. Pour le moment, ce serait déjà beaucoup si, sans chercher une solution insaisissable, on trouvait le moyen de prolonger la trêve des peuples, de gagner du temps, de préparer encore une année de paix à l’Europe.

Le malheur est qu’au milieu de toutes ces agitations de ce qu’on appelle la grande politique et de ces mêlées bruyantes de toutes les rivalités, les affaires plus modestes des peuples sont souvent interrompues. Mieux vaudrait sans doute s’occuper un peu plus dans tous les pays de ce qui touche aux conditions pratiques de la vie nationale. Les intérêts sont de grands pacificateurs ; mais les intérêts deviennent ce qu’ils peuvent, et se ressentent inévitablement des passions, des jalousies, de toutes les influences qui règnent dans la politique. Des questions qui devraient être résolues restent en suspens, et deux nations comme la France et l’Italie risquent de se réveiller en face d’une guerre meurtrière de tarifs. C’est la faute du gouvernement italien, c’est la faute du gouvernement français, c’est la faute de tout le monde si l’on veut : les deux nations n’ont pas moins été exposées à voir leurs intérêts compromis, leurs relations commerciales troublées. Comment en est-on venu là? C’est une histoire bien simple, où la politique a un peu son rôle, où la lutte du protectionnisme et du libre-échange a aussi sa place. Le dernier traité de commerce entre les deux pays date de 1881. L’Italie a cru devoir le dénoncer il y a un an, et les négociations ont été ouvertes pour régler dans des conditions nouvelles les relations commerciales. Ces négociations n’ont conduit à rien, soit par suite de prétentions difficiles à concilier, soit parce que les derniers négociateurs envoyés de Rome il y a quelques semaines sont arrivés à Paris en pleine crise présidentielle. Le traité dénoncé expirait cependant aujourd’hui même. On allait se trouver dans une situation singulièrement scabreuse; on restait en face d’un tarit général excessif voté il y a quelques mois par les Italiens, et il a fallu que notre chambre, avant de se séparer, votât en toute hâte une résolution autorisant le gouvernement à poursuivre la prorogation des anciennes conventions commerciales, en attendant un nouveau traité, ou l’armant, à tout événement, du droit de proportionner nos tarifs aux tarifs italiens. Le ministère s’est empressé d’envoyer à Rome M. Teisserenc de Bort, avec la mission de négocier un nouveau traité; et, avant tout, une prorogation assez courte, peut-être trop courte, du traité ancien, paraît avoir été convenue. Le premier danger est ainsi écarté; il n’est cependant écarté que pour le moment, pour ces deux mois de trêve qu’on s’est donnés. Les difficultés du nouveau traité restent encore assez graves, précisément parce que cette négociation se complique de bien des élémens insaisissables, parce que de plus, des deux côtés des Alpes, les passions protectionnistes sont en éveil.

Au fond, il n’est point douteux que les deux nations sont également intéressées à régler libéralement leurs relations, et la pire des éventualités serait qu’après une négociation infructueuse on fût ramené à cette dangereuse guerre de tarifs qu’on a voulu prudemment éviter La France en souffrirait dans ses industries sans aucun doute; l’Italie en souffrirait assurément encore plus que la France, et ce qu’il y aurait de plus désastreux, ce serait que cette guerre d’intérêts sans raison, sans profit, ne servirait manifestement qu’à aigrir les rapports entré deux nations que tout devrait rapprocher, que les fausses politiques seules peuvent diviser.

Les événemens ont donné Rome aux Italiens, ils ne l’ont pas complètement enlevée au pape, qui, en perdant ses états, n’a pas perdu sa grandeur. A côté du Quirinal, où règne le roi, le Vatican, asile du chef des catholiques du monde, garde sa majesté, et un des épisodes les plus curieux de cette fin d’année est assurément cette manifestation dont le saint-père est l’objet à l’occasion de son jubilé sacerdotal du cinquantième anniversaire de sa consécration ecclésiastique. C’est le jubilé du pape comme c’était, il y a six mois, le jubilé plus mondain de la reine d’Angleterre, et le souverain sans états n’est pas moins fêté que la souveraine dont l’empire s’étend jusqu’aux Indes. Rome est pour un instant le rendez-vous des délégués, des pèlerins de tous les pays allant porter au pape des présens de toute sorte, somptueux ou modestes. La plupart des chefs d’état, l’empereur d’Allemagne l’empereur d’Autriche, la reine régente d’Espagne, ont envoyé des ambassadeurs extraordinaires. La reine Victoria elle-même a choisi, pour la représenter, le chef d’une des grandes familles catholiques anglaises, le duc de Norfolk, dont la mission, toute de courtoisie en apparence, pourrait bien être le prélude d’une singulière nouveauté, du rétablissement de relations diplomatiques officielles entre l’Angleterre et le saint-siège. De toutes parts et sous toutes les formes, les hommages et les dons arrivent à Rome, au Vatican. Il y a cinquante ans que Léon XIII a été fait prêtre; il y a bientôt dix ans qu’il a été élevé au pontificat, et, dans ces dix années, il a certainement refait la position de la papauté par sa prudence, par son habile mesure. Les plus grandes puissances l’ont pris pour arbitre ; l’Angleterre le recherche comme médiateur dans ses affaires avec ses populations catholiques d’Irlande et du Canada. Les démonstrations dont il est aujourd’hui l’objet, sans avoir rien de politique, n’ont pas moins leur signification. Elles prouvent que, dans ce temps de la force et du fer, des armées innombrables, des canons et des fusils perfectionnés, de la dynamite, un simple pouvoir moral, représenté par le plus sage des papes, garde toujours sa grandeur aux yeux des hommes.


CH. DE MAZADE.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

La seconde quinzaine de décembre a été la contre partie exacte de la première. L’élan qui avait suivi la terminaison de la crise présidentielle a été brisé. Les valeurs qui étaient en pleine voie de hausse se sont arrêtées et ont commencé à reperdre du terrain. Plusieurs fonds d’états ont subi une dépréciation considérable.

Ce brusque revirement a été causé par la panique dont le marché de Vienne a été saisi à la suite des articles alarmans du Fremdenblatt et d’autres feuilles officieuses autrichiennes et allemandes, et des grands conseils militaires tenus coup sur coup dans la capitale de l’Autriche. sous la présidence de l’empereur François-Joseph.

Cette panique a infligé au marché viennois des pertes considérables que l’on a évaluées, avec une certaine exagération, semble-t-il, à plusieurs centaines de millions. Les fonds russes, autrichiens, hongrois et la rente italienne ont baissé comme si une guerre était imminente, et c’est à peine si l’on commence à se remettre de la perturbation causée par la persistance du conflit austro-russe.

On espérait que l’alerte serait passagère et qu’une déclaration quel- conque du gouvernement de Saint-Pétersbourg allait promptement rassurer l’Europe sur le maintien de la paix. La Russie n’a fait aucune déclaration, et le gouvernement du tsar s’est contenté de la publication, dans l’Invalide russe, d’un article où les préparatifs militaires reprochés à l’empire moscovite étaient mis en regard des armemens bien plus considérables de l’Allemagne et de l’Autriche.

Cette publication n’a satisfait, à Vienne, ni les hommes politiques ni les financiers. On attendait mieux et plus de Saint-Pétersbourg. Les inquiétudes ne se sont pas dissipées. Le gouvernement impérial austro-hongrois a commencé à expédier des troupes en Galicie, et la Bourse ne s’est point relevée. La mission du général Schweinitz, ambassadeur d’Allemagne à Saint-Pétersbourg, n’a pas eu les résultats qu’on en espérait.

L’année 1887 se termine donc sur des impressions maussades, moroses. Personne ne peut croire à l’explosion d’une guerre sur les confias de la Pologne et de l’Autriche en pleine saison d’hiver, mais personne n’est réellement sans inquiétude sur les complications que pourra voir surgir le printemps ou l’été prochain.

La Russie ne veut point la guerre cependant; elle n’y est pas complètement préparée, et elle ne la déclarera pas, ayant donné trop de preuves, depuis l’origine des troubles bulgares, de la patience avec laquelle elle a résolu d’attendre une solution favorable à ses vues. Mais la position indépendante qu’elle a prise, après sa sortie de l’alliance des trois empereurs, gêne et inquiète la nouvelle triple alliance, celle où l’Italie a été introduite pour compléter, au centre de l’Europe, la barrière continue de grands états qui doit isoler la Russie de la France.

On voudrait, à Vienne et à Berlin, obtenir du cabinet de Saint-Pétersbourg une déclaration positive d’intentions pacifiques, suivie d’actes qui attesteraient la sincérité de cette déclaration, par exemple le retrait de quelques-unes des troupes actuellement concentrées à la frontière.

La spéculation internationale ne doute pas qu’une telle déclaration ne soit obtenue sous une forme ou sous une autre. Déjà les dépêches ont annoncé que des protestations rassurantes avaient été échangées à Saint-Pétersbourg et à Vienne entre ambassadeurs et ministres des affaires étrangères, et cette annonce a eu pour résultat d’enrayer la baisse des fonds sur les places allemandes.

Le 4 pour 100 hongrois s’est arrêté à 78, le 4 pour 100 russe 1880 à 77 1/2. Il y a un mois, le premier était coté 81 1/2, le second 79. L’Italien, qui valait 97.60 le 30 novembre, est aujourd’hui à 96 francs. La liquidation s’est effectuée sans trop de difficultés à Berlin, et une certaine accalmie va permettre à la spéculation de reprendre son sang-froid dans les premiers jours de janvier. Le fonds qui a été le plus éprouvé est le 4 pour 100 autrichien or, qui de 91 est tombé à 86.

Les autres fonds d’états ont subi, pendant cette période si troublée peu de variations. L’Extérieure d’Espagne et le 3 pour 100 portugais se retrouvent à peu près aux mêmes cours qu’au milieu du mois 67.75 et 57.75. Une poussée de hausse avait été tentée sur les valeurs ottomanes à l’occasion des pourparlers engagés entre la Porte et le baron de Hirsch touchant les chemins de fer de Turquie ; le mouvement a été entravé par le malaise général.

Les rentes françaises ont au contraire très vivement ressenti le contre-coup des alarmes éprouvées à Vienne et à Berlin. Le 3 pour 100 s’était élevé à 82.60 après l’élection du président de la république. Un coupon trimestriel a été détaché le 16 courant, et presque immédiatement un recul s’est produit qui laisse le 3 pour 100 en perte de 0 fr. 85 à 81 francs. L’amortissable et le 4 1/2 ont fléchi de 0 fr 60 à 0 fr. 65.

Cet écart pourra être regagné sans peine en janvier, si les rumeurs belliqueuses se dissipent ; encore faut-il tenir compte du stock des rentes de la conversion, qui sans doute pèse encore sur le marché. Mais on ne saurait espérer que les fonds de l’Europe centrale reverront, au moins de quelque temps, les cours abandonnés depuis un mois. La Russie et l’Autriche sont condamnées, par leur situation réciproque, à des armemens extraordinaires qui grèveront lourdement leurs finances et peuvent difficilement ne pas modifier dans une certaine mesure l’assiette de leur crédit. Quant à l’Italie, on sait maintenant qu’elle peut être au premier moment entraînée dans une grave complication européenne, en même temps qu’elle s’est engagée à Massouah dans une entreprise dont elle ne sortira pas, même en cas de succès, sans de grands sacrifices au point de vue financier. À d’autres conditions doit correspondre une capitalisation nouvelle. Les porteurs de fonds publics de la Russie, de l’Autriche-Hongrie et de l’Italie auront désormais à surveiller de près les budgets de ces trois états.

Les valeurs sur lesquelles les haussiers s’étaient donné pleine carrière dans la première quinzaine de décembre n’ont pu garder intégralement la plus-value acquise. Le Crédit foncier qui, de 1,382 en liquidation de fin novembre, s’était élevé à 1,428 au milieu du mois, a rétrogradé jusqu’à 1,400 francs. Les résultats des onze premiers mois de l’exercice pour cet établissement permettent de compter que le dividende de 1887 sera de 62 francs, soit de 2 francs supérieur à celui de 1886.

La Banque de Paris avait été portée de 755 à 782, le Crédit lyonnais de 560 à 583 ; on a coté, jeudi 29, sur la première valeur 772 et sur la seconde 572.

Le dividende de la Banque de France, pour le second semestre de 1887, a été fixé à 72 francs net. L’action, du 15 au 29 courant, a fléchi de 4,350 à 4,175, soit de 100 francs, en tenant compte du dividende mis en répartition.

Les actions de nos grandes compagnies ont subi des offres qui par suite de l’étroitesse du marché, ont amené une réaction assez sensible des cours. Le Lyon a reculé de 1,252 à 1,235, le Nord de 1 560 à 1,540, l’Orléans de 1,317 à 1,310. Le marché des obligations est resté très anime et d’une fermeté remarquable, en dépit des rumeurs politiques. Voici la liste de ceux de ces titres qui ont maintenant atteint ou dépassé le cours de m francs : Dauphiné, Paris-Lyon-Méditerranée (fusion), Midi, Nord, Picardie et Flandres, Orléans, Grand-Central et Ouest.

Le Gaz à 1,360 n’a perdu que 5 francs sur la hausse importante (de 1,308 à l,365 entre les deux liquidations) où le laissait la première moitié de décembre. Le Suez a dépassé 2,100 francs, mais pour revenir en fin de mois à 2,072.

Le Panama, à la dernière liquidation de quinzaine, était déjà relevé de la dépréciation si rapide où une spéculation hardie l’avait jeté le mois précédent. Il a, depuis, oscillé entre 300 et 325 ; et il était à 310 lorsque a paru l’annonce de la convocation de l’assemblée générale pour le 28 janvier prochain. Les actionnaires recevront, dans cette assemblée, communication du programme des travaux pour l’ouverture a la grande navigation, en 1890, du Canal interocéanique et auront à approuver les voies et moyens. Le Panama s’est là-dessus relevé a 322.

La baisse des fonds austro-hongrois ne pouvait qu’exercer une action fâcheuse sur les prix des valeurs qui se négocient à la fois ici et à Vienne Les Chemins autrichiens ont baissé de 15 francs à 445, les Lombards de 6 francs à 178, la Banque des Pays autrichiens de 460 à 431, le Crédit foncier d’Autriche de 790 à 760. Les Chemins espagnols ont été constamment offerts, l’exercice 1887 ne devant apporter vraisemblablement aucune amélioration aux résultats médiocres de 1886. Le Nord de l’Espagne a encore perdu 18 francs de 315 à 297 et le Saragosse 15 de 270 à 255.

Les actions des Mines de cuivre ont eu des fluctuations fort étenaues. Le Rio-Tinto, après avoir atteint l’apogée de sa hausse à 560, a reculé de 100 francs à 460, pour reprendre et reperdre à plusieurs reprises le cours de 500, Le 14 novembre, on le cotait 516, le 29 nous le laissons à 470. Le Tharsis a passé de 172 à 200, pour revenir à 166. La Société des Métaux a franchi largement 800, mais reste à 762. Sur toute cette catégorie de titres, la spéculation cherche à réaliser ses bénéfices.

Un journal avait annoncé, à deux reprises, que la maison Rothschild, le Comptoir d’escompte et plusieurs autres maisons de banque avaient formé un consortium ou syndicat pour contrôler la production et la vente du cuivre, diriger les mouvemens du marché de ce métal et prévenir les grandes variations de prix que l’on a vues se produire depuis plusieurs années. Cette information a été formellement démentie par une note de l’agence Havas.

Si on consulte une cote de fin décembre 1886, on constate que l’année 1887, surtout dans les premiers et dans les derniers mois, n’a pas été bonne pour les fonds d’états. Nos deux 3 pour 100 ont perdu 1 franc à 1 fr. 10. le 4 1/2 plus de 2 fr. 50. Le Hongrois était à 85, il est à 78. Le 4 pour 100 russe a été ramené de 83 à 78, l’Italien de 101.50 à 96 francs, le Turc de 14.62 à 13.82, l’Unifiée d’Egypte de 379 à 370. Au contraire, l’Extérieure a gagné un point à 67 1/2 et le Portugais deux points à 57 1/2.

La Banque ottomane a perdu environ 20 francs, la Banque des Pays autrichiens 50 francs, le Crédit foncier d’Autriche 50 francs. Une des plus fortes baisses de l’année est celle des actions de Panama et de Corinthe, 100 francs sur l’une et sur l’autre; une des plus fortes hausses, celle du Rio Tinto. qui valait alors 270 et se cote aujourd’hui 470, après avoir baissé dans l’intervalle jusqu’à 180.

Parmi nos grandes valeurs, une encore a perdu 90 francs, le Gaz. Le Crédit foncier est à 20 francs seulement au-dessous de son cours de l’année dernière. La Banque de Paris, le Crédit lyonnais, la Société générale, le Crédit mobilier, etc., sont aux mêmes cours; de même l’action de Suez.

Le Nord a baissé de 47 francs; les actions des autres grandes compagnies se sont à peu près maintenues.

Les Chemins de fer étrangers ont eu des fortunes diverses. Les Portugais ont monté de 80 francs, les Méridionaux sont au même prix, les Lombards ont baissé de 40 francs, les Autrichiens de 70, le Nord de l’Espagne et le Saragosse de 75 francs.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.