Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1865

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Chronique n° 787
31 janvier 1865


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 janvier 1865.

Si nous avions besoin d’un exemple présent, parlant et saisissant, afin de démontrer l’inanité des mesures auxquelles le gouvernement a cru devoir recourir pour protester contre l’encyclique, la brochure de M. Dupanloup nous le fournirait ; si nous avions besoin d’un exemple significatif pour montrer aux catholiques l’avantage qu’ils doivent trouver dans l’abandon des prérogatives qu’ils ont demandées jusqu’à présent à l’union du spirituel et du temporel, à la confusion de l’église et de l’état, et dans l’usage simple et direct des garanties du droit commun, nous n’aurions également qu’à signaler l’éloquent écrit de M. l’évêque d’Orléans sur la convention du 15 septembre et l’encyclique du 8 décembre. Du côté de l’état, la preuve est complètement faite aujourd’hui de la stérilité et de l’inefficacité des restrictions illusoires que le gouvernement peut opposer à l’initiative épiscopale au nom de la vieille législation des articles organiques. Qu’a voulu le gouvernement en défendant aux évêques de lire et de commenter l’encyclique dans leurs chaires ? A-t-il eu l’idée d’empêcher que l’encyclique n’arrivât à la connaissance des fidèles ? A-t-il entendu empêcher que les doctrines politiques de l’encyclique ne fussent publiquement avouées et recommandées par les évêques français ? Cette intention, si elle a été la sienne, a été, on en conviendra, déjouée de la façon la plus éclatante. Il a suffi de la presse pour fournir à l’encyclique une publicité universelle. Tous les évêques, en protestant contre l’interdiction qui leur était signifiée, ont donné à l’encyclique une adhésion retentissante. Enfin M. l’évêque d’Orléans ne s’est pas contenté d’une simple protestation : il a pris hardiment l’offensive. Il a combattu avec une rare vigueur la politique du gouvernement envers l’Italie ; il a expliqué et défendu l’encyclique avec une ardeur et une verve qui ont réconforté ses amis, et que ses adversaires eux-mêmes ont admirées. À en juger par le résultat, la lettre ministérielle du 1er janvier a donc complètement manqué le but qu’elle se proposait ; elle n’a eu vis-à-vis des évêques que l’effet d’une vexation puérile et inefficace : elle leur a été un prétexte commode pour déplacer le terrain de la discussion, et pour changer une position défensive pleine d’embarras contre une attitude de protestation et de revendication qui leur procure et la force morale et les honneurs de la lutte. En embrouillant la controverse engagée entre les prétentions pontificales et les principes de la société moderne, elle a momentanément affaibli la cause de ces principes.

Du côté de l’église, le caractère et la portée de la résolution prise par M. l’évêque d’Orléans ne méritent pas moins d’être attentivement remarqués. Si nous n’étions pas dans la France d’après 89, si l’ancienne confusion du spirituel et du temporel qui formait avant la révolution la constitution de l’église gallicane subsistait encore, M. Dupanloup n’eût pas pu abriter l’accomplissement de ce qu’il considère comme son devoir d’évêque dans l’exercice de son droit de citoyen ; en cas de conflit entre le spirituel et le temporel, il ne lui eût pas plus été permis de publier une brochure que d’écrire un mandement ; il lui eût été impossible de déjouer la fiction d’une interdiction ministérielle ou parlementaire par un acte qui ne relève que du droit commun. Si M. l’évêque d’Orléans a pu remplir ce qui à ses yeux est un devoir de conscience, si, se débattant dans ce qu’il appelle ses chaînes, il a cependant trouvé « un moyen de dire et de crier ce qu’il a dans l’âme et sur les lèvres, » s’il a fait comme citoyen ce qu’il n’aurait pu faire comme évêque, à quoi le doit-il ? Il le doit, et certes il n’a pas lieu de s’en plaindre, à ce peu de liberté de presse que notre législation a encore conservé. Il a pu parler librement comme évêque, parce qu’on peut encore parler en France comme citoyen, avec une certaine liberté, dans une brochure. Lui, qui veut conserver à la tête de la hiérarchie catholique l’union de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle, 11 vient donc de faire avec éclat un acte d’église libre dans l’état libre. La contradiction est piquante et vaut la peine d’être notée au passage. Kncore une fois, M. Dupanloup n’a point lieu de s’en plaindre, et nous ne nous en plaignons point, nous non plus. Il faut bien voir un effet de l’invincible force des choses et une des tendances nécessaires de ce temps-ci dans ce premier hommage de fait rendu par un évêque français au système qui dans tous les pays libres doit désormais placer la liberté de conscience sous la sauvegarde de la liberté politique.

Quoi qu’il en soit et en dépit des confusions qu’ont produites la lettre ministérielle aux évêques, les protestations de ceux-ci et les appels comme d’abus, il faudra bien que le débat soit repris dans les termes mêmes où l’ont posé la convention du 15 septembre et l’encyclique du 8 décembre, dans les termes où M. Dupanloup l’a franchement abordé. L’arène du conseil d’état n’est point assez large pour contenir ou détourner une telle controverse. De grandes discussions parlementaires où tous les organes des opinions du pays, où la voix surtout du gouvernement, devront se faire entendre, peuvent seules édifier et diriger la conscience publique sur ces immenses questions de l’avenir de l’Italie et de la papauté temporelle. L’écrit de M. Dupanloup a un mérite dont ses adversaires doivent lui savoir gré : il va au fond des choses, et par la force des coups qu’il porte il doit pousser le débat à ses conséquences extrêmes. L’espace nous manquerait aujourd’hui, quand nous en aurions l’ambition, pour opposer une réponse complète à M. l’évêque d’Orléans. Nous ne voulons que noter rapidement quelques-uns des faits, des points de vue ou des principes qui, suivant nous, créent entre l’éminent prélat et l’opinion libérale une division irréconciliable.

Et d’abord, pour juger la convention du 15 septembre, M. Dupanloup est amené à tracer une rapide histoire de l’Italie depuis quelques années. Rien n’est plus erroné quant aux faits, plus injuste quant aux appréciations que cette histoire. L’évêque d’Orléans, par un parti-pris puéril et peu digne de l’élévation de son esprit, supprime l’Italie de sa narration, rapporte au Piémont seul tous les événemens contre lesquels il proteste. À ses yeux et malgré de vaines précautions oratoires, on dirait qu’il n’y a pas d’Italie, qu’il n’y a dans la péninsule que le Piémont, dont l’ambition aurait accompli tout ce qui s’est fait jusqu’à présent, et veut accomplir tout ce qui pourra se faire dans l’avenir contre le pouvoir temporel de la papauté. Il affecte de n’adresser son réquisitoire qu’au Piémont. Un écrivain d’ancien régime aurait été plus exclusif encore que M. Dupanloup ; pour lui, il n’eût pas plus existé de peuple piémontais que de peuple italien ; il n’eût vu dans tout ce qui s’est passé que les ambitieuses manœuvres de la maison de Savoie. M. Dupanloup n’est point allé jusque-là ; il a senti le ridicule qu’il y aurait eu à n’attribuer tout ce qui s’est fait en Italie qu’à la politique de la maison de Savoie : si grand qu’ait été le rôle joué par le Piémont dans les événemens italiens, il n’est pas moins absurde d’attribuer exclusivement ces événemens à la seule initiative piémontaise. C’est aller contre le bon sens et l’évidence que de croire non-seulement que le Piémont ait fait, mais qu’il ait voulu, prémédité, prévu tout ce qui est arrivé. En présence de ce qui se passe à Turin depuis trois mois, les imputations arbitraires de M. Dupanloup ont l’air d’une mauvaise plaisanterie et d’une cruelle maladresse. Il n’est pas bien sûr que Turin eût jamais cédé de bon cœur à Rome son rang de capitale ; mais ce qui est aujourd’hui malheureusement certain, c’est que la convention du 15 septembre n’a pas plus de partisans dans le Piémont que dans le diocèse de M. Dupanloup.

Les révolutions qui depuis 1859 ont changé la constitution de l’Italie ont été, comme toutes les révolutions, dominées par un principe général, mais déterminées dans leurs incidens décisifs par des nécessités qu’aucune politique n’avait préparées ni prévues d’avance, par des nécessités dont la manifestation a été pour tous une série de surprises. Le principe qui a dominé les révolutions italiennes a été l’idée de l’affranchissement national. Au nord, au centre, au midi, les patriotes italiens ont voulu délivrer leur pays du joug autrichien. Dans les diverses formes que l’émancipation a prises suivant le tour des événemens, le Piémont n’a eu d’autre influence que celle que lui donnait sa propre indépendance. Du jour où il avait reçu, avec le statut, les garanties d’un gouvernement représentatif et libre, le Piémont avait été la seule région italienne soustraite à la pression de l’Autriche. À partir de ce jour-là, le Piémont, dans ses étroites limites, représenta la cause de l’indépendance italienne. Tout ce qui a suivi n’a été que la conséquence nécessaire d’une situation qui a été longtemps le péril et qui est devenue la gloire du Piémont. Il n’y avait pas de milieu : il fallait ou que le dernier vestige d’indépendance italienne s’éteignît avec la jeune liberté du Piémont sous l’influence de l’Autriche, ou que le Piémont, prenant la direction de la cause de l’indépendance nationale, parvînt à renverser la prépondérance étrangère. En principe, la question se pose donc en ces termes : entre l’affranchissement de l’Italie ou la continuation de la domination autrichienne, que fallait-il choisir ? La haine dont M. Dupanloup et ses amis honorent le Piémont est bien peu intelligente ou bien peu libérale, car c’est pour l’Italie autrichienne qu’elle se prononce. Elle est bien peu française, car toutes ses récriminations aboutissent à ce paradoxe insensé, qu’une Italie soumise aux influences autrichiennes était préférable, dans l’intérêt de la France, à une Italie appartenant aux Italiens !

Mais le principe de l’affranchissement national étant posé, il est facile de voir que les incidens qui ont suivi la guerre de 1859 étaient non l’effet d’une préméditation ambitieuse, mais l’ouvrage même de la nécessité. Il est une seule hypothèse qui, si elle se fût réalisée, eût laissé au Piémont et à la France leur liberté d’action dans la reconstitution de l’Italie indépendante ; on n’eût eu la chance d’échapper à la tyrannie des incidens que dans le cas où le programme de la guerre de 1859 eût été intégralement rempli, où la Vénétie eût été enlevée à l’Autriche, où l’Italie eût été affranchie des Alpes à l’Adriatique. L’Italie n’eût pu être constituée en confédération, et au moyen de cette confédération les autonomies séparées des diverses régions italiennes n’eussent pu être conservées qu’à la condition que l’Autriche fût absolument exclue de la confédération. Ce n’est pas l’ambition du Piémont, c’est la paix de Villafranca qui a fait l’unité de l’Italie. Ce n’était évidemment pas une pensée sérieuse de songer à former une confédération italienne dont non-seulement l’Autriche eût fait partie, mais où l’Autriche aurait eu la prépondérance obligée, puisque la majorité des états y eût été représentée par des princes de la maison d’Autriche ou par des cliens de la cour de Vienne. Ce qui rendait cette combinaison encore plus monstrueuse et plus impraticable, c’est qu’elle ne pouvait plus se réaliser que par une sorte de rétroactivité et qu’en imposant aux diverses régions italiennes des restaurations impossibles. Le fait seul de la guerre avait amené des révolutions locales et le renversement des anciens gouvernemens ; tous les patriotes éclairés, éminens, des provinces révolutionnées étaient compromis dans ces mouvemens produits par la guerre ; ils ne pouvaient pas vouloir se livrer et on ne pouvait pas avoir la pensée de les livrer aux gouvernemens qu’ils avaient renversés. La réunion au Piémont pour former l’Italie était donc une nécessité morale et matérielle inévitable. Accuser la politique piémontaise d’avoir préparé ce résultat, ce n’est pas seulement de l’injustice, c’est de la déraison, car il est avéré que la paix de Villafranca fut pour la politique piémontaise une cruelle déception. Contradiction bizarre, cette triste paix de Villafranca ne plaisait alors qu’à ces politiques à courte vue qui aujourd’hui, de concert avec M. Dupanlonp, en dénoncent avec tant de passion les conséquences forcées.

L’évêque d’Orléans n’est pas moins injuste lorsqu’il esquisse l’histoire des relations du Piémont et de l’Italie avec la papauté. C’est la fatalité de la papauté temporelle d’avoir été en lutte avec tout ce qui pouvait et devait rendre à l’Italie une vie politique nationale et indépendante. La papauté ne nourrit point contre le statut piémontais une hostilité moins ardente et moins acharnée que l’Autriche. L’Autriche haïssait dans les institutions libres du Piémont le germe de l’indépendance italienne ; la cour de Rome détesta tout de suite dans ces institutions l’émancipation de la société civile italienne vis-à-vis du pouvoir ecclésiastique. En naissant à la vie constitutionnelle, le Piémont fut obligé sur-le-champ de constituer la société laïque, de faire cesser les vieilles confusions qui s’étaient établies, à la faveur d’un long despotisme dévot, entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux, d’abolir des privilèges ecclésiastiques intolérables et partout incompatibles avec la civilisation de notre époque. La pensée première du gouvernement piémontais fut de concilier par une transaction les droits de l’état et de l’église ; il demandait à Rome un concordat, et certes un concordat qui eût assuré à l’église bien plus d’avantages que notre propre concordat français. On peut dire sans exagération que cette pensée du Piémont de bien définir les droits de la société civile et de tracer les justes limites du domaine ecclésiastique mit la cour de Rome en fureur. Le pape défendit en Piémont les privilèges ecclésiastiques et les empiéteraens du spirituel sur le temporel avec cette opiniâtreté qu’il apporte aujourd’hui à la défense de son pouvoir politique. Il repoussa les offres de transaction les plus généreuses. La cour de Rome considérait l’Italie comme une région consacrée où devaient régner, en fait de privilèges ecclésiastiques, les doctrines que nous voyons promulguées dans la récente encyclique, où il ne fallait à aucun prix laisser pénétrer aucun des principes qui ont prévalu ailleurs sur les droits de la société civile. Rome peut bien céder à la nécessité dans les pays où elle est faible, elle peut bien accorder des concordats à un pays comme la France et à un capitaine impérieux tel que Napoléon ; mais le Piémont ! un petit royaume, un petit état constitutionnel, tout meurtri encore de sa défaite de Novare, voulant tenter en Italie l’émancipation de la société civile, c’était aux yeux de Rome un excès d’insolence et d’audace qui devait être réprimé avec une sévérité méprisante et irritée. La lutte de Rome contre le Piémont pour le pouvoir temporel a pris naissance, on peut le dire, plusieurs années avant la guerre de 1859, et cette lutte, Rome l’a commencée en soutenant à Turin de la façon la plus violente et la plus tracassière les absurdes et injustes empiétemens du pouvoir ecclésiastique sur la liberté de la société civile. M. Dupanloup croit en vérité parler à des ignorans quand il évoque le souvenir des lois Siccardi et des prétendues persécutions exercées par le gouvernement piémontais contre l’église ; mais lui, qui déclare accepter loyalement les institutions françaises, comment peut-il flétrir en Piémont comme sacrilèges des lois qui ne font que consacrer des garanties semblables à celles que la France s’est données, et qu’elle entend bien garder contre les usurpations du pouvoir ecclésiastique ?

Toute cette partie historique de l’écrit de l’évêque d’Orléans, appuyée sur des autorités discréditées, des assertions partiales et des documens suspects, ne tiendrait point dans le détail contre une discussion modérée et précise. Le côté le plus curieux de la brochure est la glose de l’encyclique. M. Dupanloup ne se plaindra point si son commentaire de l’encyclique pontificale a été considéré par une grande portion du public comme un désaveu ironique des doctrines politiques exposées par le pape. M. Dupanloup tente, par un effort immense et généreux, de concilier les condamnations du stjllabus avec les principes libéraux des sociétés modernes. Ses explications, aidées de tous les expédiens de la scolastique, interprétant l’expression formelle par des sous-entendus captieux, distinguant entre le contraire et le contradictoire, entre la thèse ou l’hypothèse, font parfois l’effet d’une colossale raillerie. Si dans cette interprétation étrange M. Dupanloup n’a pas cherché surtout à mettre son propre bon sens et son propre libéralisme à l’aise à l’égard de l’encyclique, s’il a cru réellement dégager la liberté civile des mailles du syllabus, on doit le prévenir qu’il s’est trompé et qu’il s’est donné une peine inutile. L’encyclique n’a pu être une révélation surprenante que pour les ignorans ; elle n’a pu scandaliser que les esprits mal faits qui ne comprennent rien à la logique des convictions religieuses. On n’avait pas besoin de l’encyclique pour savoir qu’un pape ne peut point admettre la liberté des cultes, la tolérance, une institution telle que celle du mariage civil, dans le sens où ces idées et ces principes sont entendus par les sociétés modernes. Pour le pape, tout ce qui se rapporte, de près ou de loin, au dogme chrétien prend le caractère absolu d’une vérité ou d’une erreur ; il n’y a point là pour lui d’équivoque possible. Le pape ne peut point empêcher que, hors du cercle de son action, l’erreur subsiste ; mais partout où atteint son action, il est tenu en conscience de combattre l’erreur et de l’étouffer. Nous ne sommes donc ni étonnés ni scandalisés de voir un pape, souverain temporel, subordonner son action politique à sa foi et gouverner suivant son dogme. C’est justement pour cela que dans l’état actuel du monde, lorsque l’idée de gouvernement est nécessairement associée aux idées de patriotisme, de liberté et d’égale justice envers les gouvernés, à quelque religion qu’ils appartiennent, c’est pour cela, disons-nous, qu’il nous paraît monstrueux qu’une autorité politique soit donnée à un pontife obligé par sa conscience d’exercer cette autorité dans le sens rigoureux, partial, exclusif, de sa foi religieuse.

Voilà le scandale dont la religion, pas plus que la politique, n’est intéressée à prolonger la durée, car ce scandale n’opprime point seulement l’indépendance d’un peuple ; il divise les âmes, il est intolérable à la conscience moderne. Un homme tel que M. Dupanloup ne devrait point prendre le change sur l’objection invincible que le libéralisme oppose au pouvoir temporel des papes. Nous n’en voulons pas à ce pouvoir d’être ce qu’il est ; nous savons qu’il ne peut être autre, et ce n’est pas nous qui lui adressons l’invitation hypocrite de se réformer. Nous trouvons naturel que ce pouvoir, étant dominé par une foi religieuse, ne puisse avoir d’autres doctrines que celles qu’il professe, une autre conduite que celle qu’il pratique ; mais nous protestons contre l’union odieuse des deux autorités qui superpose une tyrannie religieuse à un pouvoir politique. À quoi sert alors de tenter des conciliations impossibles et de nous amuser par des compromis qui ne sont qu’un triste jeu d’esprit ? Ces tentatives de justification impossible n’aboutissent qu’à de regrettables altérations de la vérité. Par exemple, M. l’évêque d’Orléans croit nous démontrer la tolérance du pape en nous disant avec la frivolité d’un touriste que les Juifs ont à Rome une synagogue. Parlons donc du sort des Juifs sous le gouvernement pontifical ! Certes la colonie juive de Rome est aussi romaine qu’aucune autre partie de la population. S’il y a encore des Juifs à Rome, c’est que le pouvoir temporel les y a trouvés et n’a pu supprimer, comme il a fait des dissidens survenus plus tard, cette communauté autochtone. Son immigration date du siège de Jérusalem, et la tradition fait remonter au temps de Titus la synagogue actuelle. Voici comment la tolérance pontificale est exercée à l’égard des Juifs romains. Il y a encore un ghetto à Rome lorsqu’il n’y en a plus dans le reste de l’Europe. Or un ghetto, ce n’est pas seulement un quartier particulier et marqué, c’est à une certaine heure de la nuit une prison où toute une population est séquestrée. Les Juifs ne peuvent demeurer hors du ghetto. Un très petit nombre d’entre eux ont eu la permission d’avoir des magasins hors de cette enceinte et seulement dans quelques rues voisines. Ils ne peuvent quitter Rome sans l’autorisation de l’inquisition, et s’ils ont obtenu d’aller dans une autre ville romaine, ils doivent, dès leur arrivée, se présenter à l’inquisiteur de la localité. Ils n’ont droit d’exercer qu’un nombre très restreint de métiers ; ils n’exerceront la médecine que dans l’intérieur du ghetto ; l’accès aux professions libérales leur est interdit. Le droit de tester est pour eux soumis à un grand nombre de restrictions ; leur témoignage n’est admis dans les causes civiles que sous une foule de réserves. On sait à quelles avanies est soumise leur foi religieuse et le droit que l’autorité ecclésiastique s’arroge de leur enlever leurs enfans pour les baptiser : ils sont tenus de payer l’entretien des catéchumènes que l’on recrute parmi eux. Au moment où l’un de ces catéchumènes reçoit le baptême, son père est forcé de déposer son bilan et de remettre la part d’héritage du nouveau catholique, comme si la conversion ou l’apostasie de son enfant le frappait d’une mort anticipée. Le Juif romain qui n’est point moralement enchaîné au ghetto par les liens de famille, par l’ùge, par l’amour du sol natal, le jeune homme qui aspire aux professions libérales et à la dignité d’une existence émancipée, ne peuvent échapper à cette destinée qu’en s’évadant par les montagnes comme des malfaiteurs ou des contrebandiers. Ainsi il n’y a parmi les Romains qu’un culte différent de la religion catholique, le culte Israélite, et voilà le traitement que les Juifs reçoivent ! Ils ne sont pas seulement outragés dans leur foi, blessés cruellement dans ce que le sentiment religieux a de plus cher et de plus sacré ; ils sont chargés des plus pénibles et des plus humiliantes entraves dans tous les actes de la société civile. Nous supplions M. Dupanloup de nous démentir, si ce que nous avançons n’est point exact. M. Dupanloup ne nous démentira point, et alors nous lui demandons si la tolérance du gouvernement pontifical à l’égard des Juifs n’est pas la pire des oppressions, et s’il croit que son commentaire sur l’encyclique n’est point cruellement et surabondamment réfuté par ce commentaire vivant de l’arrêt du syllabus contre la tolérance.

On est forcé en Europe, où malheureusement les intérêts d’église sont encore si étroitement mêlés aux intérêts politiques, de prendre à cœur les questions de religion et de politique soulevées par l’encyclique pontificale et violemment entretenues par la controverse catholique. Il n’en est point ainsi en Amérique, où les questions d’église ont reçu depuis longtemps la solution demandée par l’esprit moderne. Aussi lisons-nous avec envie dans un journal des États-Unis, dans la Tribune de New-York, le jugement calme et impartial porté par un écrivain américain sur le manifeste de la cour de Rome. « Les citoyens catholiques des États-Unis sont mis en demeure de choisir entre les doctrines exprimées par la déclaration d’indépendance, fondement de notre constitution et base de notre système politique et social, et les doctrines que le pape vient de promulguer avec son autorité pontificale. Nous ne mettons pas un seul instant en doute le résultat. Nous croyons que le catholicisme romain, toléré légalement chez nous comme toute autre religion, est compatible avec l’esprit civique et patriotique. Nous n’avons qu’à regretter que le chef de l’église catholique ait jugé opportun de mettre ici son troupeau dans la nécessité de rejeter les conseils qu’il lui donne sur les affaires temporelles, ce qui n’empêchera point nos concitoyens catholiques de lui demeurer attachés comme à un instructeur religieux et même à un guide infaillible dans les questions qui intéressent la foi religieuse. » Ainsi dans un grand pays comme la république américaine, qui compte un nombre considérable de catholiques, mais où la religion n’est plus qu’une affaire de droit commun, l’apparition de l’encyclique n’excite aucune émotion, aucun trouble, aucune amertume. Nous sommes de ceux qui désireraient qu’il en pût être ainsi en France, car les controverses religieuses, compliquées de malentendus politiques qui exposent à de douloureux froissemens les sentimens les plus délicats et les plus respectables, nous inspirent une répugnance véritable. Nous sommes convaincus que c’est l’organisation officielle si défectueuse des églises en France qui envenime chez nous tous les débats religieux. On en a eu un exemple nouveau, en dehors même de la grande agitation libérale et catholique, dans la lutte animée qui s’est engagée au sein de la communauté protestante de Paris. Cette lutte à nos yeux est essentiellement factice, car elle ne résulte que de l’organisation officielle du protestantisme en France. L’état, se mêlant de ce qui ne le regarde point, n’a prévu dans son budget qu’une seule église protestante ; mais il arrive qu’il y a en fait dans la communauté protestante les élémens de deux sections qui, dans le régime de la séparation de l’église et de l’état, formeraient deux congrégations différentes, et qui, forcées de vivre ensemble dans une unité artificielle, se divisent en deux partis. Il y a le parti orthodoxe et le parti libéral, lesquels viennent de se combattre avec une véhémence extraordinaire dans l’élection des membres du consistoire. L’incident le plus remarquable de cette lutte a été la non-élection de M. Guizot, repoussé avec violence par le parti libéral comme le représentant le plus éminent du parti orthodoxe. Bien que nous n’ayons aucune autorité pour nous mêler à ce débat, nous regrettons l’acharnement que les adversaires de M. Guizot ont montré en cette circonstance contre un homme aussi éminent. Nous ne savons point si M. Guizot a mérité d’être classé parmi les orthodoxes par le jugement qu’il a porté sur la prédication de M. Goquerel. Si nous étions ses coreligionnaires, c’est plutôt son orthodoxie qui nous serait devenue suspecte le jour où on l’a vu défendre le pouvoir temporel du pape avec son élévation habituelle et avec un zèle <iu’on n’était point en droit d’attendre d’un protestant. Il nous semble cependant qu’une communauté religieuse et un parti se relèvent lorsqu’ils peuvent trouver leur représentation dans un nom tel que celui de M. Guizot. Devant l’ensemble d’une telle carrière, on peut avec honneur faire le sacrifice de quelques petites dissidences passagères. C’est bien moins M. Guizot que la communauté protestante qui a, suivant nous, à regretter le petit échec dont les passions de parti viennent de le frapper ; mais enfin, nous le répétons, cette mésaventure, qui a étonné le public, est la conséquence de la situation fausse d’un culte salarié par l’état. En luttant ainsi autour d’un salaire, les protestans ne semblent point répondre à l’idée de liberté qu’ils représentent. Que le parti orthodoxe reste une église orthodoxe, que le parti libéral devienne une église libérale, et chacun rentrera dans une situation honorable et naturelle. Que le parti libéral imite l’exemple que lui a donné, il j’a plusieurs années, l’église presbytérienne libre d’Écosse, lorsque le docteur Chalmers rompit avec tant de générosité le système qui enchaînait dans une organisation officielle la liberté de l’église.

Turin traverse en ce moment une situation difficile. Le parlement italien a voté sur l’enquête dont les événemens douloureux de la fin de septembre ont été l’objet. La discussion engagée sur l’enquête et le vote qui a suivi ont ranimé les passions et l’agitation qui éclatèrent lorsque la condition de la convention du 15 septembre qui exigeait le transfert de la capitale fut soudainement révélée. À notre avis, le Piémont et Turin ont droit aux plus grands égards et à la plus sincère reconnaissance de la part des autres régions de l’Italie. Ce sont les qualités piémontaises, l’énergie, la discipline, la persévérance du petit royaume subalpin, qui ont fait l’unité italienne, — et pour s’asseoir et se consolider, l’Italie, même après avoir changé de capitale, aura longtemps encore à demander au Piémont le concours et l’exemple de ces qualités sérieuses et viriles. Il importe en outre de tenir compte à la population turinoise et du sacrifice nouveau qui lui est imposé et de cette surprise dont elle a eu à subir en septembre le sanglant dénouement. C’est le souvenir des émeutes maladroitement et cruellement réprimées dont la convention du 15 septembre fut le prétexte qui était évoqué par la délibération du parlement sur le rapport de la commission d’enquête. Les principaux hommes d’état du parlement italien se sont conduits en cette circonstance avec un véritable esprit politique. Ils ont fait le sacrifice de leurs rivalités, de leurs ressentimens, afin de prévenir une discussion qui eût soulevé d’irritantes questions personnelles et enflammé les passions. M. Ricasoli, inspiré par son patriotisme et recommandé à tous par son désintéressement bien connu, est intervenu dans le débat pour concilier par un ordre du jour habile les diverses fractions de la chambre et empêcher l’explosion intempestive des questions personnelles. L’amendement de M. Ricasoli a réussi dans la chambre, où il a rallié une majorité considérable ; mais il ne paraît point avoir obtenu un succès égal auprès de la population turinoise. On eût voulu à Turin que la responsabilité du peuple dans les scènes sanglantes de septembre fût atténuée par un aveu quelconque, fût-il indirect, de la responsabilité encourue par les ministres de cette époque. Certes nous trouvons que les Turinois poussent jusqu’à l’injustice l’animosité contre le ministère qui a signé la convention du 15 septembre, et qui n’a pas su prévenir la répression sanglante de l’émeute. Ce déplorable accident est résulté d’une imprévoyance, de méprises, de contre-temps, que personne n’a sans doute regrettés avec plus de sincérité que M. Minglietti et ses collègues. Ce cabinet croyait avoir, par la convention du 15 septembre, fait faire un pas décisif à la question italienne ; il croyait avoir rendu un grand service à son pays, et il s’est trouvé qu’on a rejeté sur lui le sang versé à Turin, et qu’il a perdu le pouvoir dans une émeute. La vraie générosité politique serait de pardonner à des hommes qui ont été les serviteurs utiles du pays la part involontaire qu’ils ont pu avoir dans un malheur que tout le monde déplore. Nous reconnaissons néanmoins qu’on eût dû saisir l’occasion du vote de l’amendement de M. Ricasoli pour donner quelque satisfaction morale aux sentimens de la population turinoise. Personne n’eût pu le faire, ce semble, avec plus de dignité et d’à-propos que MM. Minghetti et Peruzzi. Ces anciens ministres n’auraient point eu à entrer dans une justification dont l’amendement Ricasoli les dispensait ; mais, venant de leur part, quelques paroles émues, sans aller jusqu’à l’aveu de fautes commises, empreintes seulement d’une douleur franche et sympathique à celle que Turin a ressentie, eussent pu exciter chez la population de l’ancienne capitale une généreuse pensée de conciliation et d’oubli. Nous regrettons que cette occasion ait été négligée, nous le regrettons d’autant plus au spectacle de l’agitation qui depuis quelques jours s’est de nouveau emparée de Turin. Nous ne doutons point cependant que cette agitation, qui en se prolongeant deviendrait contraire aux intérêts nationaux, ne fasse bientôt place au calme et à une résignation courageuse. Que les Piémontais se rassurent : l’Italie aura toujours besoin de leurs mérites, de leurs aptitudes, de leur tenace énergie, et nous sommes convaincus que leur ascendant ne sera jamais mieux assuré dans la direction des affaires italiennes que le jour où, la capitale étant transférée, les injustes jalousies municipales auxquelles ils ont été exposés n’auront plus de prétexte.

L’ouverture des chambres prussiennes attire de nouveau sur Berlin l’attention du public européen. La Prusse a en ce moment une rare bonne fortune : ses deux politiques, celle du dedans et celle du dehors, présentent un égal caractère dramatique. Au dedans, comment finira le conflit constitutionnel ? au dehors, comment la cour de Berlin parviendra-t-elle à garder les duchés ? Voilà la double intrigue dont l’Europe peut suivre le développement avec la même curiosité. L’attitude de la seconde chambre prussienne, hâtons-nous de le reconnaître, est d’un excellent exemple. La chambre est revenue avec son ferme esprit constitutionnel ; elle ne s’est point laissée étourdir par la gloriole militaire de Düppel ; elle maintient son droit au vote du budget, tout comme si l’armée royale n’eût point attaché dans l’intervalle des deux sessions un laurier tout frais au drapeau national. Cette persévérance, si bien manifestée dans le discours du président de la chambre, M. de Grabow, a reçu les applaudissemens de tout ce qu’il y a en Europe d’esprits libéraux. Les peuples européens ont de notre temps une faculté merveilleuse ; ils ont l’air de dormir, ils dorment même solidement, et ils se réveillent, comme la belle au bois dormant, sans avoir rien perdu de leur jeunesse. Nous retrouvons la chambre prussienne comme nous l’avons laissée, et nous nous figurons que le jour où la France couronnera son édifice, on la retrouvera aussi libérale qu’il y a vingt ans, et qu’il n’y aura de vieux, de laid et de décrépit parmi nous que les absolutistes. Cette calme et obstinée résolution de la chambre prussienne nous paraît préférable à des élans enthousiastes et à des mouvemens exagérés qui seraient suivis de profonds découragemens et de longues prostrations. La chambre populaire de Prusse et les institutions parlementaires de ce pays gagneront lentement, mais infailliblement du terrain, et le terrain gagné, elles ne le reperdront plus. Dans sa politique étrangère, M. de Bismark a l’air de suivre le même système que ses adversaires du parlement ; lenteur et persévérance. Son occupation actuelle est de tenter l’Autriche pour l’amener à consentir à l’annexion des duchés à la Prusse ; il exerce cette tentation sans se presser, évitant de répondre aux questions, d’ailleurs réservées, de l’Autriche, ou n’y répondant que le plus tard possible, amusant et allongeant la négociation par le voyage à Vienne du prince héros de Düppel. Avec tout cela, on gagne du temps, et avec le temps la bonne occasion peut se présenter. Nous ne savons la contenance que font la France et l’Angleterre devant ces manèges de M. de Bismark ; mais rien ne nous donne le droit de supposer que cette contenance soit fière.

En Espagne, il faut convenir que le cabinet du général Narvaez travaille avec quelque application et avec une certaine résolution à réparer les fautes commises par les ministères qui l’ont précédé et surtout par celui du maréchal O’Donnell. Il a fallu au duc de Valence la force de Caractère qu’on lui connaît pour abandonner l’absurde et ruineuse entreprise de Saint-Domingue. Cette folie aura coûté à l’Espagne non-seulement la perte de malheureux soldats, mais le gaspillage de 75 millions de francs. Ce ne sont point les rodomontades que le duc de Tetuan débite devant le sénat espagnol qui combleront le déficit causé par ces ingrates dépenses. Le ministre des finances du duc de Tetuan, le célèbre M. Salaverria, a laissé au ministre chargé aujourd’hui de ce département une tâche bien pénible ! M. Barzanallana n’a pas à faire un bel emploi de ses lumières financières ; il imite le procédé qui paraît être cette année à la mode parmi les états besogneux, et qui consiste à frapper les contribuables d’un emprunt forcé sous la forme d’une avance d’impôt. Peut-être M. Barzanallana eût-il agi plus sagement, si, réglant avec décision et promptitude les réclamations des anciens créanciers de l’Espagne, il se fût mis en mesure de recourir avec efficacité au crédit. Il eût trouvé, après la liquidation des vieilles dettes, de grandes facilités de crédit en France et en Angleterre, et eût pu donner une force réelle et durable au cabinet dont il fait partie. Nous ne nous dissimulons pas les difficultés que ce ministre rencontre dans ses efforts pour restaurer le crédit espagnol. Il a pour adversaires dans cette tâche ses prédécesseurs, qui exploitent à Tenvi un sentiment d’amour-propre national étrangement placé. On aura une idée de la façon dont certains hommes d’état espagnols entendent la bonne foi en matière financière par une brochure de M. Bravo Murillo, sur les anciennes dettes en souffrance, publiée il y a peu de temps. M. Bravo Murillo est un jurisconsulte éminent, il a été ministre des finances et président du conseil. C’est lui qui en 1851 arrêta le règlement des anciennes banqueroutes espagnoles, règlement dont, après quatorze ans, des créanciers anglais et français réclament encore en vain l’exécution. M. Bravo Murillo prétend que l’Espagne ne doit plus rien aux porteurs des dettes amortissables, parce que le principal des gages qui leur avait été assigné, ayant reçu une autre destination, a été transformé et n’existe plus. — Je vous avais hypothéqué une propriété, je l’ai vendue, elle ne m’appartient plus ; donc je ne vous dois plus rien. — Voilà le raisonnement avec lequel M. Bravo Murillo entend que l’Espagne paie une catégorie de ses créanciers. Ce n’est certainement point en mettant en pratique cette logique picaresque que l’Espagne trouvera de nouveaux prêteurs.

Des bruits de paix nous arrivent de nouveau des États-Unis. Deux amis intimes de M. Lincoln, MM. Blair, le père et le fils, ont fait un récent voyage à Richmond, et paraissent avoir trouvé M. Jefferson Davis ébranlé dans ses résolutions guerrières. Au surplus les chances de la guerre continuent à être défavorables aux confédérés. Leur dernier port, Wilmington, est fermé par la prise du fort Fisher, qui en domine l’approche. Ce fort, que le général Butler déclarait imprenable, a été emporté d’assaut par un autre lieutenant, plus énergique et plus résolu, du général Grant. Sherman marche sur Charleston. Sa trouée dans la Géorgie a révélé dans cet état, le plus important de la confédération, l’existence d’un parti favorable au rétablissement de l’Union. La sécession est enveloppée de toutes parts, et la guerre qu’elle soutient ressemble à un siège immense. Cette grande erreur politique aura bientôt perdu le prestige de la force et de la victoire. La joie sera donc refusée aux ennemis que la démocratie rencontre en Europe d’assister à la destruction de la grande république américaine, destinée à servir de type et de modèle à la démocratie moderne.

La vie parlementaire va enfin recommencer à peu près en même temps en France et en Angleterre. C’est le 6 février que s’ouvrira le parlement britannique ; c’est le Ih que sera inaugurée la session française. Cette année étant la dernière de la législature anglaise, la session chez nos voisins sera probablement accidentée, et les divers partis y commenceront en face de l’opinion publique la brigue électorale. Chez nous, après les grands débats inévitables sur les questions italienne et romaine et sur la situation financière, qui trouveront leur place naturelle dans la discussion de l’adresse, un grand nombre de projets de loi seront présentés au corps législatif, qui aura, dit-on, force besogne. Il est fâcheux que nous ne soyons point comme les Anglais à la veille d’une élection générale : la plupart des élections partielles profitent, comme on vient de le voir encore par celle de M. Bethmont, à l’opposition. Le mouvement est commencé, une grande élection ne manquerait point d’être pour la France l’occasion d’une puissante manifestation libérale. e. forcade.



ESSAIS ET NOTICES.

LES PLANTATIONS DE PARIS.

Les plantations urbaines ont pris depuis quelque temps, dans la plupart de nos grandes villes, mais surtout à Paris, un développement extraordinaire. Il y a moins d’un demi-siècle, la campagne s’étendait jusqu’aux boulevards intérieurs, et de nombreux jardins, espaçant les maisons, empêchaient une excessive agglomération. La hausse des terrains recula les limites de la ville jusqu’aux fortifications, et fit peu à peu disparaître les jardins particuliers, sur l’emplacement desquels des rues nouvelles alignèrent leur double rangée de maisons. Quand le mètre carré de superficie vaut un millier de francs, conserver quelques arpens de terrain plantés d’arbres est un luxe qui touche presque à la folie, et si quelques-uns se le permettent encore, on peut être certain que leurs héritiers ne suivront pas leur exemple. Cette situation a créé à la ville un devoir nouveau, celui de donner aux habitans l’ombre et la fraîcheur qu’ils ne peuvent plus attendre que d’elle, et c’est pour ce motif que les plantations figurent au premier rang des travaux qu’elle a récemment entrepris sur une si grande échelle.

Ce n’est cependant pas d’aujourd’hui que datent les embellisseraens de Paris, et il ne faudrait pas prendre tout à fait au mot ceux qui prétendent que jusqu’ici cette ville était presque inhabitable. Les précédentes administrations, responsables devant le pays, jalouses de leur popularité, s’étaient sans doute montrées peu favorables aux dépenses de luxe, mais on ne saurait les accuser d’avoir reculé devant les travaux réellement utiles. Si elles avaient hésité à terminer le Louvre et à reconstruire l’Opéra, elles avaient jeté des ponts, construit des quais, creusé des égouts, toutes choses que les monumens qu’on élève aujourd’hui ne sauraient faire oublier. Elles n’avaient pas non plus négligé les plantations, et quoiqu’elles y aient procédé petit à petit et sans plan d’ensemble, elles n’en avaient pas moins réussi à orner les places et les voies principales d’arbres magnifiques que les plantations actuelles sont encore bien loin d’égaler.

C’est du règne de Henri IV que datent les premiers travaux de ce genre. L’initiative en est due à François Miron, qui administrait Paris à cette époque, et qui fit de ses propres deniers planter six mille pieds d’arbres. Le dernier des survivans est un orme que l’on peut voir dans la cour de l’institution des Sourds-Muets, le plus beau peut-être qui existe en France. Sans parler des jardins du Luxembourg, du Palais-Royal, des Tuileries, qui étaient en quelque sorte des créations particulières dont le public ne profitait pas, les plantations de Paris furent continuées sous les règnes suivans. C’est à Richelieu qu’on doit le Jardin des Plantes et la promenade du Cours-la-Reine. Sous Louis XIV, on détruisit les fortifications qui entouraient Paris, on combla les fossés sur lesquels on planta des arbres, et l’on créa ainsi cette belle promenade des boulevards qui ne fut terminée qu’en 1760. Chaque règne depuis lors apporta son contingent et se signala par quelque création nouvelle. Malheureusement les émeutes, si fréquentes à Paris, furent mortelles pour les arbres comme pour beaucoup d’autres choses. Dans ces momens d’effervescence, on ne trouvait rien de mieux que de les jeter au travers des rues pour empêcher la circulation. On fit si bien que, dans l’intérieur même de Paris, il n’existe plus que fort peu d’arbres antérieurs à 1848, et que la plupart des plantations ont dû être renouvelées depuis cette époque.

L’utilité des plantations urbaines n’est mise en doute par personne. C’est une question de salubrité d’abord[1], une question d’embellissement ensuite. Rien en effet ne contribue plus à la beauté d’une ville que l’association de la végétation et de l’architecture. Les anciens savaient apprécier cette utile alliance : de majestueux platanes ornaient les rues d’Athènes, et Rome jouissait d’un véritable luxe de verdure; mais la bonne volonté ne suffit pas, et dans une ville comme Paris une entreprise de ce genre se complique de considérations qui ne relèvent en rien de l’art. Virgile a dit quelque part qu’il y a des essences d’arbres pour tous les terrains, même les plus ingrats; nous doutons pourtant qu’il y en ait une seule qui ait quelque prédilection pour le sol de nos boulevards. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler en quoi consiste le phénomène de la végétation et les conditions qu’il exige pour se produire. L’arbre se compose de trois parties distinctes, — les racines, la tige et les feuilles, — dont chacune a son rôle à remplir. Les racines puisent dans le sol, par l’intermédiaire des spongiotes , l’eau, les substances inorganiques qui y sont dissoutes et les matières azotées qui entrent dans la composition des tissus végétaux. Sous l’influence de la chaleur et de l’oxygène de l’air, ces divers corps se combinent avec la fécule contenue dans les racines et produisent des liquides sucrés qui, par l’effet de l’endosmose, pénètrent de proche en proche dans la tige, et s’élèvent jusqu’aux branches en s’infiltrant à travers les fibres du bois. C’est ce qu’on appelle la sève ascendante; elle se répand dans les rameaux, fournit aux bourgeons les principes nutritifs dont ils ont besoin pour se développer et provoque la formation des feuilles. Celles-ci sont de véritables organes respiratoires : par de petites ouvertures appelées stomates situées à la partie inférieure, elles laissent s’évaporer une partie de la sève qui se trouve bientôt remplacée, et, agissant ainsi comme une pompe aspirante, elles facilitent le mouvement ascensionnel de ce liquide. En même temps elles décomposent l’acide carbonique de l’air en rejetant l’oxygène et en absorbant le carbone. Ce dernier se combine avec l’eau contenue dans les feuilles, forme de la fécule et de la cellulose qui, suivant une marche inverse de la sève ascendante, descendent vers les racines en ajoutant entre l’écorce et le bois une nouvelle couche de ligneux. Quand arrivent les premiers froids, l’épiderme des feuilles s’épaissit, leurs stomates se bouchent, la circulation de la sève s’arrête, la feuille cesse de vivre, et la fécule indécomposée reste dans les cellules ligneuses pour fournir l’année suivante les élémens nutritifs nécessaires à la formation de nouvelles feuilles et de nouveaux bourgeons. Ainsi la végétation n’est possible qu’à deux conditions : c’est d’abord que l’eau et l’air nécessaires à la décomposition de la fécule et à la production de la sève ascendante aient accès jusqu’aux racines; c’est ensuite que les stomates des feuilles ne soient obstruées par aucun corps étranger qui arrête la transpiration et empêche l’absorption de l’acide carbonique. Voyons comment ces conditions sont remplies pour les plantations de Paris.

Le sol qui reçoit ces plantations, formé des remblais et des plâtras que les siècles ont accumulés sur l’emplacement de la capitale, déjà rendu presque imperméable par le tassement, est en outre presque partout recouvert d’une couche de bitume qui empêche l’air extérieur et l’eau de pluie d’y pénétrer. Sillonné de conduites de gaz qui laissent, quoi qu’on fasse, échapper sans cesse des émanations délétères, il s’imprègne d’hydrogène carboné qui devient pour les racines de l’arbre un véritable toxique. Les feuilles ne sont pas mieux partagées. Incessamment exposées à la poussière du macadam, elles se couvrent bientôt d’une couche noirâtre que les pluies elles-mêmes ne parviennent pas à enlever, et qui, bouchant leurs stomates, en arrêtent les fonctions; elles se dessèchent à peine épanouies et tombent alors que la campagne est encore parée d’une végétation luxuriante. Ne pouvant se nourrir et respirer que d’une manière incomplète, l’arbre ne tarde pas à languir; son écorce, que ne renouvelle plus une sève insuffisante, se détache et tombe, signe précurseur d’une mort prochaine, souvent hâtée encore par des chocs, des secousses ou d’autres accidens inévitables au milieu d’une circulation incessante. Tels sont les obstacles qu’il s’agit de vaincre pour orner les voies publiques des arbres destinés à les ombrager. Avant que le gaz et le macadam exerçassent leurs ravages, la difficulté était beaucoup moindre, puisque les principales causes de mort n’existaient pas. Aussi les plantations faites à cette époque ont-elles beaucoup mieux réussi que celles de création plus récente ; mais les nombreux mécomptes survenus depuis dix ou douze ans ont forcé l’administration de la ville de Paris à tenter tous les moyens pour combattre les influences contraires d’un milieu aussi défavorable.

Le premier qu’on essaya fut de planter des sujets tout venus. On y trouvait un double avantage : d’abord ces arbres donnaient immédiatement de l’ombrage et répondaient dès le début à l’objet qu’on avait en vue; ensuite ils étaient d’une reprise plus certaine, puisqu’on avait le soin en les plantant de conserver autour de leurs racines la motte de terre où elles s’étaient développées. Tout le monde a vu circuler dans les rues de Paris ces arbres, de 10 mètres de haut et de 50 centimètres de tour, qu’on transporte avec leur motte de terre sur les lieux où l’on a préparé à l’avance et pourvu de terre végétale les trous destinés à les recevoir[2]. Bien des personnes sans doute ont peine à comprendre qu’une pareille opération puisse être suivie de succès : c’est cependant le cas le plus ordinaire, grâce à l’habileté des ouvriers employés et aux soins qu’on prend pour éviter toute secousse pendant le trajet ; mais elle coûte fort cher, car on ne peut guère évaluer à moins de 200 francs le prix de revient d’un arbre ainsi mis en place, en y comprenant les travaux de terrassement, la fourniture de terre végétale, l’achat des grilles, tuteurs et corsets, etc. Aussi préfère-t-on en général planter aujourd’hui des arbres plus jeunes et plus faciles à manier, dont le prix est beaucoup moindre.

L’arbre une fois planté, il faut en assurer la végétation. On avait pensé d’abord que, pour permettre à l’air et à l’eau de pénétrer jusqu’aux racines, il suffisait de ménager un petit espace circulaire autour de la tige sans le recouvrir de bitume; mais on s’aperçut bientôt que la terre en se tassant devenait elle-même absolument imperméable. On imagina alors de la protéger par une grille de fonte mobile qui, pouvant s’enlever, permettrait de temps à autre d’ameublir le sol et de l’arroser; ce moyen fut lui-même bientôt reconnu insuffisant, et l’on dut recourir à des procédés plus énergiques encore. Au fond du trou creusé pour recevoir l’arbre, et autour de l’espace que doivent occuper les racines, on adapte bout à bout des tuyaux de drainage qui sont mis en communication avec l’air extérieur au moyen d’un tube vertical qui débouche sous la grille. Grâce à cette disposition, l’air s’introduit dans ces tuyaux, s’échappe à travers les joints et se répand autour des racines. On peut de la même manière y faire arriver l’eau nécessaire. Ce procédé, qui n’est encore qu’à l’essai, revient à environ 10 francs par arbre; il peut toutefois recevoir des applications diverses qui le rendront moins onéreux. Ainsi, au lieu d’entourer chaque arbre d’un système spécial de tuyaux, on s’est borné, au Cours-la-Reine, à en établir une seule rangée continue qui suit la ligne des arbres et débouche à l’air extérieur tous les cinquante mètres.

Après avoir pourvu les racines de l’air et de l’eau indispensables, il restait à les mettre à l’abri des émanations souterraines du gaz. Les conduites maîtresses sont placées sous les trottoirs des boulevards, et c’est de ces conduites que partent les branchemens qui amènent le gaz d’un côté dans les maisons, de l’autre dans les candélabres. Pour rendre les fuites moins funestes et empêcher le sol de s’imprégner de cette substance toxique, on a imaginé d’isoler par un mur la conduite maîtresse et d’entourer les branchemens secondaires de tuyaux de drainage débouchant sur la chaussée; mais c’est là une dépense considérable qu’on hésite à imposer à la compagnie du gaz tant qu’une fuite ne vient pas à se manifester.

Voilà ce qu’on a fait pour les racines; quant aux feuilles, on n’a pris encore, que je sache, aucune mesure pour les débarrasser de la poussière qui leur est si préjudiciable. Il semble pourtant qu’il serait facile et peu coûteux de les arroser tous les soirs, pendant les chaleurs, au moyen de pompes à incendie. C’est un essai à tenter. Dès qu’un arbre paraît souffrant, on s’empresse de le médicamenter de toute façon pour lui rendre la santé. On racle l’écorce, si l’on a lieu d’y soupçonner la présence d’un insecte parasite; on l’entoure de paille et de toile, si l’on craint l’action du froid; on humecte la tige au moyen d’un entonnoir de fer-blanc placé à la partie supérieure, si la sécheresse est à redouter. En un mot, tout est mis en œuvre pour empêcher ces pauvres arbres de mourir; on y réussit quelquefois, sans pour cela les faire vivre, car ce n’est pas vivre que de traîner pendant quelques années une chétive existence.

Dans l’origine, on avait voulu adopter pour chaque section de rue ou de boulevard une essence particulière: c’eût été fort joli sans doute, et il eût suffi d’un coup d’œil sur les arbres pour reconnaître le quartier et trouver son chemin; mais l’on dut renoncer à ce beau projet, qui rentrait si bien dans les habitudes symétriques des administrations françaises, car on aurait trouvé des essences assez mal avisées pour ne pas vouloir se plier au programme et pour refuser de végéter là où on les mettrait. On s’en tint donc aux ormes, aux marronniers, aux platanes, aux tilleuls, aux acacias, aux érables et aux vernis du Japon[3]. Cependant même parmi celles-ci il faut faire un choix, car elles ne résistent pas également bien à toutes les influences. Ainsi les marronniers et les tilleuls poussent très vite et donnent beaucoup d’ombrage; mais, comme tous les bois blancs, ils absorbent dans le sol une grande quantité d’eau, et souffrent beaucoup des substances nuisibles qui s’y rencontrent. Ils sont très sensibles à l’action de la poussière, qui, jointe à la réverbération des murs, fait tomber leurs feuilles dès le mois de juillet. Les ormes gardent les leurs plus longtemps, mais ils donnent peu d’ombre et croissent lentement. En somme, ce sont les platanes et les vernis du Japon qui paraissent le moins souffrir et qui répondent le mieux à l’objet qu’on a en vue, celui d’embellir et d’ombrager la voie publique.

Les arbres qu’on plante depuis quelques années proviennent en partie du commerce, en partie des jardins expropriés pour le percement des rues nouvelles; mais la ville a créé récemment une grande pépinière à Petit-Bry, près de Nogent-sur-Marne, où elle trouvera bientôt de quoi faire face à tous ses besoins. En attendant, elle demande beaucoup de sujets aux horticulteurs et pépiniéristes de profession, qui lui fournissent aussi des fleurs et des arbustes pour les squares. D’après le cahier des charges, les arbres doivent être extraits et amenés à leurs frais à jour et à heure fixes sur le lieu de la plantation, où les agens de la ville, après vérification, en acceptent ou refusent la livraison. Les époques assignées pour ces opérations sont les mois d’octobre, novembre, février et mars. Malgré les garanties qu’on exige pour n’avoir que des sujets de choix, malgré les soins que l’on prend pour en assurer la reprise et en empêcher le dépérissement, je crois que tôt ou tard on sera forcé de renoncer aux plantations en lignes, sinon sur les quais, places et avenues où le gaz et la poussière sont moins à craindre, du moins sur les boulevards, où ils exercent leur action délétère dans toute son intensité. Sans doute, à force de sacrifices, on pourra toujours y conserver des arbres; il suffit de remplacer à mesure ceux qui viennent à mourir, c’est-à-dire de renouveler la plantation à peu près tous les quatre ou cinq ans; mais la question est de savoir si de pareilles dépenses ne sont pas hors de proportion avec les résultats obtenus. Pourquoi n’ombragerait-on pas par exemple la voie publique avec des plantes grimpantes qu’on pourrait disposer de mille manières, dont l’entretien serait presque nul, et ne réserverait-on pas les arbres pour former de petits massifs dans les carrefours? Réunis en groupe, ils se protègent mutuellement et résistent beaucoup mieux aux influences contraires que lorsqu’ils sont isolés, sans pour cela offrir aux regards un aspect moins pittoresque. Rien ne nous paraît plus propre à dissimuler la sécheresse de notre architecture et à égayer nos rues que des bouquets d’arbres disposés de distance en distance et dont la création des squares peut déjà donner une idée. Ce système présenterait un autre avantage, celui de mettre fin aux réclamations dont les plantations des boulevards ont souvent été l’objet de la part des habitans des maisons voisines. Quand ces arbres sont grands, ils obscurcissent les appartemens, y entretiennent l’humidité, et y attirent des insectes; ce sont là des inconvéniens très sérieux qui, s’ils ne sont pas très sensibles encore, le deviendront lorsque les sujets qu’on plante aujourd’hui auront atteint les dimensions de ceux qu’on voyait avant 1848 sur quelques parties des boulevards.

Je viens de parler des squares ; c’est une création récente et l’une des meilleures de l’édilité parisienne. Il existait bien autrefois quelques places plantées d’arbres, mais c’est depuis 1855 seulement qu’on a eu l’idée d’en faire des promenades et d’en augmenter l’étendue. Ils sont aujourd’hui au nombre de treize, sans compter les parcs et jardins publics[4], et comprennent une superficie de 6 hectares 95 ares. Ces squares sont une importation anglaise qui a beaucoup gagné à passer le détroit, car ils sont tracés avec un goût dont ceux de Londres n’approchent pas. Il est vrai que ceux-ci n’y sont pas comme chez nous entre les mains d’une administration centralisée qui leur consacre un budget spécial ; ils appartiennent les uns à la couronne, d’autres aux paroisses, d’autres à des particuliers. Le parc Monceaux, ouvert au public depuis 1861, est plus qu’un simple square, puisqu’il a une contenance de 8 hectares 69 ares. Construit en 1778 par le duc d’Orléans sur les dessins de Carmontel, puis confisqué par l’état, il fut restitué en 1814 à la famille d’Orléans, qui en resta propriétaire jusqu’en 1852. Devenu propriété de la ville de Paris, il fut transformé en une promenade publique où l’exagération du luxe frise parfois le mauvais goût.

Les Champs-Elysées, dont la contenance est de 18 hectares 95 ares, étaient encore, au commencement du XVIIe siècle, un simple terrain cultivé, sillonné seulement de quelques sentiers, borné par les villages de Chaillot et du Roule. En 1628, Marie de Médicis fit tracer au bord de la Seine une promenade, composée de trois allées d’arbres, qui prit le nom de Cours-la-Reine. En 1670, on planta les terrains jusqu’au faubourg Saint-Honoré, mais en leur laissant leurs inégalités, leurs gazons et leurs sentiers, en manière de jardin anglais. Plus tard, on ouvrit l’allée principale en face du palais des Tuileries; enfin, sous Louis XV, on nivela le terrain, on perça de nouvelles avenues, et l’on créa ces quinconces d’ormes et de marronniers qui subsistèrent jusque dans ces dernières années. Le nombre total des arbres de cette promenade ne s’élevait pas à moins de 9,955, mais depuis longtemps déjà beaucoup d’entre eux commençaient à dépérir. On s’en était pris d’abord aux insectes xylophages, et l’on avait imaginé d’enlever l’écorce pour mettre à jour les galeries de ces ennemis cachés. Ce remède héroïque n’arrêta pas cependant le mal, car la vraie cause du dépérissement des arbres était non les insectes, mais les remblais qu’on avait accumulés à leur pied et qui empêchaient l’air et l’eau d’arriver aux racines. En 1855, il y avait 3,500 arbres à remplacer; c’était une grosse dépense, sans compter que pour conserver les autres il eût fallu renouveler le sol sur presque tous les points. C’est alors que M. Alphand, ingénieur en chef des plantations, eut l’idée de substituer des pelouses et des jardins à une partie des quinconces et de créer des mouvemens de terrain qui permettraient de dégager les racines des arbres encore sains. Ce projet, dont la dépense était évaluée à 790,000 francs, fut mis à exécution; les quinconces et les baraques qui les encombraient disparurent, et les Champs-Elysées furent transformés en un jardin anglais orné de fleurs et de plantes diverses. Bien des personnes avaient craint les dégâts que la population parisienne pourrait commettre dans les parterres. Les fleurs furent respectées cependant, et il ne vint à l’idée de personne de dégrader une promenade dont tout le monde est appelé à jouir.

Les travaux de l’édilité parisienne ne se sont pas arrêtés à l’enceinte fortifiée, et l’on sait de quels soins les bois de Boulogne et de Vincennes ont été l’objet de sa part. Le premier, qui n’a plus aujourd’hui que 700 hectares environ, couvrait autrefois une étendue beaucoup plus vaste et embrassait toute la plaine enveloppée dans la courbe que décrit la Seine depuis Paris jusqu’à Saint-Denis, en passant par Meudon, Saint-Cloud et Asnières. L’invasion de 1814 porta au bois de Boulogne un coup terrible. Il consistait alors en une vieille futaie de chênes âgés et branchus, semblables à ceux qu’on peut voir encore aux environs de la mare d’Auteuil, et qui, à en juger par ceux-ci, devaient lui donner un aspect des plus pittoresques. Une grande partie de ces arbres furent abattus et employés à la construction des barricades pour la défense de Paris, les autres servirent à l’établissement des camps ennemis installés dans le voisinage. Le camp anglais, deux fois incendié, fut deux fois reconstruit aux dépens du bois; les soldats le mettaient à contribution pour leur chauffage et laissaient paître leurs chevaux dans les taillis. Ils firent si bien qu’à leur départ il ne restait presque rien. Dès 1816, le sol, retourné sur tous les points, fut entièrement replanté, et l’on vit bientôt une forêt nouvelle se montrer sur l’emplacement de l’ancienne. Les essences qu’on choisit de préférence furent le chêne et le bouleau, qui aujourd’hui encore forment la base du peuplement; le charme et le hêtre ne se montrent qu’accidentellement. Il existe encore quelques massifs qui datent de cette époque, âgés par conséquent de quarante-cinq à cinquante ans ; mais la plupart ont depuis lors été coupés et ont produit des fourrés composés de cépées de chênes plus ou moins mélangées de broussailles et d’essences diverses. Sous le roi Louis-Philippe, on y introduisit les résineux, et les parties les plus arides furent repeuplées en pins, car alors le bois de Boulogne, qui faisait partie de la dotation immobilière de la couronne, ne fut pas l’objet de moins de sollicitude que sous la restauration. Après avoir fait retour à l’état en 1848[5], il fut cédé par lui, en vertu de la loi du 22 juillet 1852, à la ville de Paris, à charge par celle-ci de subvenir à toutes les dépenses de surveillance et d’entretien et d’y faire, dans le délai de quatre ans, des travaux d’embellissement jusqu’à concurrence d’une somme de 2 millions. Ce n’était pas pour l’exploiter à son profit que la ville de Paris avait obtenu la concession du bois de Boulogne, mais pour le transformer en promenade. Aussi commença-t-elle par y suspendre les coupes, puis elle fit disparaître ces immenses allées droites dont l’aspect parfois grandiose ne rachète pas toujours la monotonie. Deux seulement furent conservées : celle des Acacias, de Longchamps à la Porte-Maillot, et celle de la Reine-Marguerite, de Boulogne à la porte de Neuilly ; toutes les autres furent replantées et remplacées par des routes sinueuses. Dans le principe, ces routes étaient ouvertes un peu au hasard, au gré de ceux qui ont été appelés à donner leur avis. Le plus souvent on se dirigeait à vue d’œil d’un point vers un autre, en infléchissant le tracé à droite ou à gauche, quand on voulait épargner quelque vieil arbre ou ménager quelque point de vue. Ce ne fut qu’en 1855 que M. Alphand, ingénieur en chef des ponts et chaussées, fut chargé de la direction des travaux, et qu’il leur donna l’unité qui résultait d’un plan arrêté à l’avance. Il fit creuser un lac, une rivière et de nombreux ruisseaux, accidenter le paysage au moyen de rochers amenés à grands frais de Fontainebleau, bâtir des chalets de toutes formes et de toutes dimensions, planter de tous côtés des fleurs et des arbustes, pour varier la teinte trop uniforme du feuillage, et réussit à faire du bois de Boulogne la magnifique promenade que tout le monde connaît. Les îles sont devenues de véritables jardins botaniques renfermant les plantes exotiques les plus diverses : des géraniums, des pélargoniums, des crinoles d’Amérique, des dielytres de Chine, des gandasulis, des bananiers, des escalonies, dont le feuillage semble verni au pinceau, des hortensias panachés, etc. Enfin la création de l’hippodrome de Longchamps et du jardin d’acclimatation devint pour le public un attrait de plus, et l’intéressa à des entreprises utiles dont il n’avait pas eu jusqu’alors l’occasion de s’occuper. On ne peut cependant s’empêcher de reconnaître que, sous le rapport du goût, l’ornementation du bois laisse à désirer. C’est avec raison sans doute qu’on a transformé ce bois en jardin anglais; mais c’est une faute d’y avoir accumulé tant de chalets, de rochers et d’ornemens divers, et surtout d’avoir construit cette cascade dont rien dans ce qui l’entoure ne justifie la présence. Dans certaines parties du bois heureusement, les lacs et les ruisseaux ne trahissent pas trop leur origine artificielle, et l’on a pu les créer sans violenter la nature. Il a suffi de bétonner le fond du lac inférieur, dont le sol était trop perméable; partout ailleurs, l’argile qu’on rencontre à peu de profondeur empêche naturellement les infiltrations. L’eau était à l’origine amenée dans le lac supérieur de la pompe à feu de Chaillot, et de là s’écoulait dans la rivière et les divers ruisseaux. Plus tard, lorsqu’on construisit la cascade, ce moyen d’alimentation étant devenu insuffisant, on dut faire une prise d’eau dans le canal de l’Ourcq. Enfin, depuis l’achèvement du puits de Passy, c’est à lui qu’on a recours pour alimenter tous les lacs, rivières et ruisseaux. De chacune des conduites principales partent dans tous les sens des conduites secondaires, munies de nombreuses ouvertures, et destinées à l’arrosement des routes et des pelouses. L’eau, venant d’un point plus élevé que la surface du bois, exerce une pression qui suffit pour produire un jet considérable, sans autre travail que l’adaptation d’un tube irrigateur et l’ouverture d’un robinet. Tout le sous-sol est sillonné ainsi de conduites qui amènent l’eau sur tous les points du bois, mieux partagé sous ce rapport que la ville de Paris, où l’arrosement se fait encore au moyen de tonneaux incommodes qui encombrent la voie publique et éclaboussent les passans.

Nous avons dit que, lors de la création du bois en 1816, on avait surtout employé le chêne et le bouleau. C’était une faute au point de vue sylvicole aussi bien qu’au point de vue pittoresque, car les essences à feuillage léger, quand elles sont à l’état pur, ont un aspect triste et monotone, et ne végètent jamais aussi bien que quand elles sont mélangées d’arbres à couvert plus épais et plus touffu. On a depuis lors cherché à remédier à cet inconvénient. Outre les abords de l’avenue de l’Impératrice, qui ont été plantés d’arbres résineux de toute espèce, tels qu’araucarias, séquoias, plus noirs, sapinettes bleues, etc., les îles ont été peuplées d’arbres exotiques, et les anciennes routes repiquées en marronniers, tilleuls, sorbiers, vernis du Japon, et autres essences à croissance rapide. De plus, on laisse végéter sous l’étage principal des massifs des buissons d’épines, des broussailles, qui contribuent à ombrager le sol, tout en donnant à l’ensemble un aspect plus pittoresque.

Ainsi disposé, le bois de Boulogne est bien supérieur à ce que Londres possède de mieux en ce genre. Les parcs dont les Anglais sont si fiers ne sont le plus souvent que de vastes pelouses de gazon, couvertes de quelques chênes, hêtres, ormes ou marronniers, tantôt épars, tantôt en bouquets, et entrecoupées parfois de pièces d’eau. Au premier coup d’œil, ils plaisent beaucoup à cause du contraste qu’ils présentent avec les maisons enfumées et les pavés boueux de l’immense capitale ; mais ce gazon si vert, si anglais, sans aucune de ces fleurs et de ces plantes qui ornent nos prairies, finit bientôt par paraître monotone. Les pelouses, couvertes d’enfans déguenillés et de moutons qui broutent (car en Angleterre l’utilité ne perd jamais ses droits), sont parfois battues comme une grande route et peu agréables à parcourir. Les pièces d’eau sont mal entretenues, et les barrières souvent en mauvais état. Enfin les arbres sont trop rares, une partie d’entre eux sont déjà morts, et si on ne se hâte de les remplacer, il est à craindre qu’il n’en reste bientôt plus.

Malgré les éloges que mérite l’administration du bois de Boulogne, il est bien des points encore cependant qu’on doit signaler à sa sollicitude, et notamment les collections d’arbres d’Amérique dont la création est due à Michaux. Naturaliste comme son père, Michaux parcourut comme lui les régions inexplorées du Nouveau-Monde, et publia à son retour une Histoire des arbres forestiers d’Amérique, ouvrage trop peu connu en France, mais qui jouit aux États-Unis, où il est devenu classique, d’une réputation méritée. Désireux d’acclimater chez nous quelques-unes des précieuses essences qu’il avait rencontrées, il rapporta de son voyage une grande quantité de graines. On en sema une partie dans un coin du bois de Boulogne, aux environs de la mare d’Auteuil. Créées en 1824, ces collections ont subsisté jusqu’à ce jour, et ont prouvé que la plupart de ces essences pourraient parfaitement vivre dans nos climats. On y rencontre en effet, dans un état de végétation remarquable, plus de vingt espèces de chênes, autant de noyers, quarante de frênes, vingt-cinq d’érables, cinquante de résineux, des variétés nombreuses de châtaigniers, de bouleaux, d’ormes et d’acacias, formant en tout trois cent trente espèces ou variétés inconnues jusqu’ici en France, et qu’on aurait tout intérêt à y propager. Une partie de ces collections a été emportée par les fortifications ; une autre, celle qui renferme les chênes et les noyers, a été livrée au public. On y remarque les quercus palustris, bicolor, ferruginea, rubra, alba, tinctoria, phellos, etc. Dans le surplus, entouré d’une clôture et non accessible aux promeneurs, les résineux dominent : on y trouve des araucarias, des thuyas, des cèdres, des pins-laricios, Weymouth, etc. ; on y voit aussi des tulipiers, un érable jaspé, dont l’écorce ressemble à la peau d’un serpent, greffé sur un érable commun, un chêne-liège et une espèce particulière de hêtre connue sous le nom de fan de Saint-Basle, qui est encore pour les physiologistes un phénomène inexplicable. Cet arbre, qu’on rencontre seulement dans un canton de la forêt de Verzy (Marne), affecte les formes les plus bizarres : il a les feuilles et les fruits du hêtre ordinaire, mais son tronc, au lieu de s’élever verticalement, est replié sur lui-même dans tous les sens ; ses branches sont étalées, contournées à droite et à gauche, tantôt complètement pliées, tantôt soudées entre elles, comme si un poids énorme s’était abattu sur la tête de l’arbre et l’avait aplati. Ses racines, chose singulière, présentent la même disposition que les branches. Il vit très longtemps, bien qu’il n’atteigne jamais plus de 10 mètres de haut, et M. Pissot, le conservateur du bois de Boulogne, qui a fait venir cet échantillon, prétend avoir vu un de ces arbres qui est désigné dans un titre du XIVe siècle comme ayant servi à cette époque de limite de coupe dans la forêt de Verzy. Quoique âgé de plus de cinq cents ans, il n’a que 2m 50 de tour.

Le bois de Boulogne n’est pas absolument improductif, mais les revenus qu’il fournit sont loin de suffire à son entretien[6]. Il possède en effet une administration tout entière, qui ne comprend pas moins de quatre services différens placés tous sous la direction supérieure d’un ingénieur en chef des ponts et chaussées. Ce sont le service des routes et des eaux, celui du jardinage et des plantations d’agrément, celui de l’architecture et celui de la surveillance et de l’entretien du bois. Grâce à cette puissante organisation, les routes sont très régulièrement balayées et arrosées pendant l’été à partir de midi; mais ne pourrait-on pas arriver au même résultat sans un pareil luxe d’employés? On eût compris ce déploiement de la force publique il y a quelque vingt ans, alors que le peuple, livré à ses instincts brutaux, cherchait dans les plaisirs grossiers l’oubli de ses misères; mais aujourd’hui que, grâce à Dieu, il n’en est plus ainsi, aujourd’hui que le peuple sait jouir de la campagne et apprécier ce qu’on a fait pour la lui rendre aimable, ne pourrait-on se relâcher de cette surveillance? On diminuerait ainsi les dépenses considérables dont les plantations de Paris sont l’occasion. L’entretien de ces plantations figurait sur le budget de 1864 de la ville de Paris pour une somme de 2,697,000 fr., pour celle de 2,886,000 fr. sur le budget de 1865, non compris 500,000 fr. portés au budget des dépenses extraordinaires. Les sommes ainsi employées depuis douze ans doivent former un total assez respectable. Aussi comprend-on à quelques égards les objections de ceux qui se placent, pour apprécier les dépenses qu’entraînent les embellissemens de Paris, au point de vue de l’intérêt général. Un député de l’opposition, dans l’une des dernières séances du corps législatif, a fait observer avec raison que pour estimer ce qu’a coûté la transformation de Paris, il faut faire entrer en ligne de compte, non-seulement les dépenses ordonnées par la ville ou le gouvernement, mais encore celles qui ont été faites par les particuliers, et qui, comme les premières, ont été prélevées sur le capital disponible du pays et enlevées par conséquent à la production nationale. Il en a évalué le chiffre à 6 milliards. Cette somme a servi à payer la main-d’œuvre et les matériaux employés à la transformation de la capitale. Pour bien se rendre compte de l’emploi de cette dépense, il suffit de se rappeler ce qu’était Paris en 1852 et de voir ce qu’il est aujourd’hui ; c’est le résultat de cette comparaison qui a coûté 6 milliards. En avons-nous pour notre argent? Voilà toute la question. Autrement dit, le Paris actuel est-il tellement supérieur au Paris de 1852 que l’on puisse estimer à 6 milliards cette supériorité? Il semble que la chose n’est point tellement évidente qu’on ne soit excusable d’avoir quelques doutes à cet égard. Il s’en faut de beaucoup que cette dépense ait été improductive, et il ne viendra à l’idée de personne de prétendre que la création des halles, la construction d’égouts et de fontaines, l’élargissement de certaines rues, l’assainissement de certains quartiers, n’étaient pas des travaux d’une utilité incontestable; mais il n’est pas également bien prouvé que les capitaux consacrés à des monumens de luxe, à des constructions nouvelles dans des quartiers perdus, n’eussent pas été, avec plus d’avantage pour le pays, dirigés vers des entreprises industrielles et commerciales. Avec 3 milliards, on eût pu sans nul doute exécuter à Paris les travaux les plus indispensables; si l’on s’en était contenté, il serait resté entre les mains du public 3 autres milliards avec lesquels on eût pu construire 10,000 kilomètres de chemins de fer par exemple, ou alimenter des milliers d’établissemens industriels.

Faut-il ajouter que ces dépenses sont une des causes les plus sérieuses de la cherté excessive de tous les objets nécessaires à la vie, qui s’est produite dans ces derniers temps? Oui ne voit en effet qu’en haussant d’une manière factice le prix des salaires et qu’en absorbant une partie des capitaux disponibles, elles accroissent les frais de production et aboutissent nécessairement à une élévation des prix? Je sais bien qu’on n’est point à court de raisons pour justifier toutes ces entreprises. Ainsi l’on prétend que, la circulation de Paris s’accroissant sans cesse, il faut bien ouvrir des voies nouvelles et élargir les anciennes, devenues trop étroites. C’est parfaitement vrai, mais on oublie d’ajouter que ce sont précisément ces travaux exagérés qui ont accru la population parisienne dans une aussi grande proportion par suite de l’élévation artificielle des salaires qu’ils ont produite. On prétend encore que ces travaux ont été un véritable bienfait, puisqu’ils ont nourri de nombreux ouvriers, alimenté des industries diverses et accru par conséquent la prospérité générale. Je ne dis pas non, mais appliquez, je vous prie, le même raisonnement aux 10,000 kilomètres de chemins de fer dont nous parlions tout à l’heure. Est-ce qu’eux aussi n’auraient pas occupé des ouvriers et alimenté des industries? Quant à la prospérité générale, il est permis de croire qu’elle n’eût pas perdu au change. C’est du moins ce qu’on a pensé en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, où les principale villes ne se transforment que peu à peu, suivant les ressources disponibles du moment, mais où l’étendue des voies ferrées est, par rapport à la population, bien supérieure à ce qu’elle est chez nous. Qu’on ne s’y trompe pas, nous obéissons à un penchant fatal qui nous mènerait à confondre le faste et la grandeur, à dépenser en monumens inutiles les ressources qui seraient plus utilement consacrées au développement industriel du pays. Espérons que sur cette pente dangereuse nous saurons nous arrêter à temps, et que nos administrateurs finiront par comprendre que les monumens les plus stables, ceux qui durent éternellement dans la mémoire des hommes, ne sont pas les monumens de pierre, mais les bonnes lois, et qu’elles seules transmettent à travers les âges les noms bénis de ceux qui les ont faites.


J. CLAVÉ.


REVUE DRAMATIQUE.

LE SECOND MOUVEMENT. — LES VIEUX GARÇONS.


La comédie bourgeoise sous une de ses formes les plus aimables, celle qui s’efforce de concilier la peinture réaliste avec le noble langage de la poésie, vient d’obtenir un nouveau succès avec le Second Mouvement de M. Pailleron. L’auteur du Mur mitoyen et du Dernier quartier apporte à ce genre, d’une si difficile acclimatation sur la scène, l’appoint de certains procédés satiriques à la fois très vifs et très précis, et si jamais le vers pouvait être, de l’aveu des muses, le langage naturel des avocats et des hommes d’affaires, la plume svelte de M. Pailleron aurait presque naturalisé cet aubain de haut lignage parmi le monde prosaïque du négoce et de la chicane. Sans insister sur ce point, voyons quelle idée préside au Second Mouvement.

Ce n’est pas seulement dans son être physique que le cœur de l’homme est soumis à un mouvement double et alternatif de dilatation et de contraction; il a aussi ses systoles morales, qui sont l’essor, le jet en avant de tous nos instincts de générosité, de reconnaissance et de sympathie. Ce flot nourrissant qui se précipite au premier moment apporte et verse avec lui les bienfaits et les dévouemens, la fécondité et la vie; mais ce n’est là qu’une ondée. Bientôt la valvule du cœur se referme et arrête l’écoulement de la source pure; c’est le retour des pensées étroites et égoïstes, c’est le repentir du bien accompli à la légère et comme le remords de la vertu irréfléchie qui jure qu’on ne l’y prendra plus, et qui rallie du dehors, pour les refouler au fond de l’âme, les premières effluves de bonté et d’abnégation. Tel est le cas des époux Renaud, fabricans de draps en la ville normande de Louviers. Ils ont recueilli chez eux avec la plus large hospitalité la fille de leur bienfaiteur, le chimiste Valin. Ils ont fait plus : ils se sont engagés à payer les dettes du père de Jenny, et, pour ménager la fierté de l’orpheline, ils ont couvert d’une ruse délicate l’expansion de leur gratitude. — Vous êtes riche, Jenny, nous gardons le dépôt de votre héritage ! Demandez, agissez ici à votre caprice : âmes et choses, tout est à vous sans réserve. — Mais ce fardeau de la reconnaissance, qui paraît d’abord léger aux Renaud, ne tarde pas à peser lourdement sur leurs épaules. Le second mouvement s’opère dans leur cœur. A l’acheteur des créances Valin, ils n’offrent plus qu’un dividende dérisoire, et quand leur fils Henri, séduit par la noblesse d’âme et les grâces modestes de Jenny, refuse d’épouser l’héritière Boutin, alors les actions de grâces si bruyantes se changent en malédictions contre le bienfaiteur défunt et sa fille. Tout à l’heure, quand le caissier des Renaud aura pris la fuite et que leur ruine, leur faillite sera imminente, ces âmes sans consistance reviendront aux instincts généreux et à leur tendresse pour Jenny : l’orpheline alors reprendra aux yeux de Mme Renaud ces ailes d’ange que lui ôtent et lui rendent alternativement les accès de bonté ou de rigueur de la capricieuse belle-mère. Ce n’est pas tout; dans une heure d’épanchement subit, Jenny se verra fiancée à celui qu’elle aime, à Henri. La comédie finit-elle ainsi? Non, le point noir reparaît bientôt à l’horizon : Boutin, l’homme d’affaires, est venu proposer au drapier un marché honteux et ridicule au moyen duquel celui-ci pourra éviter la ruine; il n’en faut pas tant pour retourner encore une fois l’âme et les intentions de ce couple faible et intéressé. M. Renaud, il est vrai, ému de pitié par la douleur des deux enfans, interpose enfin son autorité, et se résigne à une faillite qui assure le bonheur d’Henri et de la jeune fille; mais qui sait à quel va-et-vient de sentimens ce cœur était encore réservé, si le retour inattendu du caissier prévaricateur et repentant ne venait rendre soudain le devoir aimable et la joie facile, même à l’intraitable belle-mère?

La série de ces fluctuations, cette houle de passions et de désirs est rendue par M. Pailleron avec des saillies très heureuses et des nuances finement colorées, qu’ont su saisir à merveille deux artistes intelligens. Mme Ramelli, qui vient d’être appelée à jouer désormais sur la scène de la Comédie-Française, et Romanville; mais le passage du premier mouvement au second est visiblement un peu brusque, et il y a péril que la thèse ici ne montre l’oreille. Les honteux sentimens qui prennent naissance dans le secret de l’âme, « cette arrière-boutique » dont parle Montaigne, ne font pas si vite irruption au dehors et sont soumis à une sorte de gestation qui en accroît précisément la portée funeste. La scène, je le sais, se prête mal à l’analyse méthodiquement prolongée des passions et des caractères ; s’ensuit-il que la vieille devise : ad eventum festina, autorise le poète dramatique à faire bon marché des transitions? Les Renaud se sont d’ailleurs avancés bien loin tout d’abord; s’ils ne jouaient qu’une partie, les pentes douces seraient inutiles à leur retour, et l’auteur pourrait couper à pic les faces diverses de leur rôle; mais on ne saurait mettre en doute la sincérité de leur premier désintéressement : c’est bien l’âme qui distille tour à tour la haine et l’amour par ces bouches prêtes, selon l’occasion, à souffler le froid et le chaud. Mme Renaud, la femme de tête et de ménage, qui traîne son mari à la remorque, et qui, après réflexion, se décide à faire son devoir avec l’ordre qu’un comptable met à tenir ses livres, est franche, malgré sa gloriole et ses vaines parades, toutes les fois qu’elle repousse ou attire l’orpheline; ce n’est qu’un cœur indécis, sans solidité, au fond ni bon ni mauvais. En dépit des coups de théâtre ingénieux et inattendus, il reste donc ici des vides à combler, et sous ce rapport cette comédie, si ample de forme, remplie de détails charmans, où l’âme jaillit et pétille en de si vives et si lumineuses étincelles, ressemble assez bien à un riche vêtement dont la trame serait peu serrée. Néanmoins, si l’ensemble laisse à désirer plus de cohésion, bien des parties prises séparément accusent un grand fini de travail. Voici par exemple des figures logiques, aux fermes arêtes, sculptées tout en cœur de chêne : c’est Boutin, l’homme avisé et calculateur, le chiffre vivant de la comédie, pour qui « les affaires sont les affaires, » et que Thiron représente avec tant d’aisance et de naturel. C’est Jenny, la douce et triste jeune fille, dont Mlle Mosé rend si bien les fiertés simples et mélancoliques, et qui, après s’être révoltée avec dignité contre l’aumône, revient, le pardon aux lèvres, mêler ses pleurs aux larmes de ceux qui l’ont insultée. La scène où l’orpheline, après avoir enjoint aux Renaud de payer intégralement les dettes de son père, apprend que l’argent dont elle a cru faire un si noble usage sort de la bourse du drapier et grève la charité de cette famille qui l’a recueillie, est conduite jusqu’au bout avec une chaleur, une verve et une habileté peu communes; c’est sans contredit la plus belle de la comédie. En somme, malgré quelques invraisemblances dans la conception et de la brusquerie dans la succession des contrastes, la pièce mérite les applaudissemens qu’elle a obtenus à l’Odéon. Le vers incisif de l’auteur pénètre au vif des sentimens et des situations, et le dialogue ne s’attarde pas en ces tirades longues et déclamatoires qui sont l’écueil ordinaire du genre. Ici encore, comme dans ses pièces précédentes, M. Pailleron s’est plu à rappeler, par des redites d’un heureux à-propos, les formules où chaque personnage résume en quelque façon toute son âme et toute sa pensée, et qui sont comme les points culminans des diverses phases du développement dramatique. C’est un procédé ingénieux dont il ne faut pas toutefois abuser, car une plume moins habile que celle de M. Pailleron courrait risque de s’y enferrer. — Avant de quitter la scène de l’Odéon, ajoutons que le Second mouvement y est encadré entre deux petites pièces nouvelles qui ne laissent pas que d’offrir un contraste. L’une, l’Oncle Sommerville, de M. Ernest de Calonne, est une bluette aisée et sans prétention, écrite par une main soigneuse des plus petits détails de forme; il n’y règne pas cette verve hardie, pétillante et quelquefois un peu brutale de manières, à laquelle les allures du théâtre contemporain nous ont habitués. La donnée simple, trop simple peut-être, provoque seulement le sourire discret et tranquille, et se déroule sans bruit à travers des péripéties assez innocentes. Tout autre est le caractère d’une pièce de MM. Nus et Bravard, Lisez Balzac. D’intrigue, point : ce n’est qu’un dialogue, une suite de conversations, qu’épice de gros sel un esprit hardiment grivois. En acceptant ce vaudeville rabelaisien, qui excite le rire au même titre que le font après boire les mots gaillards, l’Odéon a visiblement empiété sur le répertoire du Palais-Royal.

Au Gymnase, M. Victorien Sardou vient de donner sous ce titre, les Vieux Garçons, une de ces pièces d’un genre mixte et mal défini dont le public de nos jours paraît si friand. En écrivant Don Quichotte, M. Sardou avait fait un fâcheux écart : de ces peintures réalistes, quelquefois outrées ou mesquines, mais qui reproduisaient certains types et certains travers de ce temps-ci, il était tombé brusquement dans une sorte de parodie froide et confuse d’un chef-d’œuvre. Les Vieux Garçons le ramènent dans sa première voie. Revient-il de son excursion capricieuse riche de nouvelles ressources et guidé par un goût plus sûr ? Les applaudissemens enthousiastes de la première soirée signifient-ils qu’il rentre au bercail dru et nourri d’un lait plus pur ? Non, le voici seulement avec sa même verve mutine, osée et intempérante ; le voici, selon sa coutume, prenant le public par ses côtés faibles, à la façon des enfans gâtés. De l’air cavalier dont il se présente sur la scène, il semble dire au spectateur : Ami, je vous ai tâté plus d’une fois ; maintenant je vous connais et je vous manie à ma guise ; vos routines littéraires, vos petits entraînemens et vos petites passions du moment, tout cela est devenu mon critérium. — Et le spectateur d’applaudir et de continuer ses cajoleries au dramaturge si avisé. Sans avoir égard à une entente si cordiale, examinons quel jugement il convient de porter sur les Vieux Garçons.

L’idée sur laquelle repose cette comédie, c’est que le célibataire est au ménage du mari ce qu’est le loup à la bergerie. La grande, l’unique affaire du vieux garçon, du « galant chauve, » c’est de chasser sans port d’armes sur les terres d’autrui et de réchauffer sa solitude au foyer du voisin. Il y a certes dans cette donnée, qui n’est pas nouvelle au théâtre, un germe fécond de comédie. Pourquoi M. Sardou ne l’a-t-il pas creusée franchement au lieu de se mouvoir autour et aux environs ? Fidèle à son procédé d’effleurement, il ne nous montre le type comique qu’à la surface, de sorte que le rire et l’émotion naissent moins du développement de ce type lui-même que des élémens secondaires combinés à côté pour l’effet scénique. Où est l’intrigue dans les Vieux Garçons ? Où et comment s’engage la bataille des cœurs et des personnages ? Qu’est-ce que cette scène énigmatique du premier acte, où les maris, on ne sait pourquoi, — et de toute la pièce on ne le saura, — battent en retraite devant l’ennemi, c’est-à-dire devant les célibataires? Il n’y a là qu’un jeu de scène, un épisode, comme l’apparition de la petite pêcheuse d’écrevisses, destinée par la suite à plus haute fortune, grâce au caprice d’un des vieux garçons, et qui, en attendant les fins soupers et son renom de diva, chante pour un verre de vin pur le plus drôle des refrains agrestes. Qu’est-ce aussi que cette histoire usée et rebattue d’un fils naturel reconnu à la fin par son père? Cela réussit toujours au théâtre, quand un acteur comme Lafont a l’art de faire ressortir le pathétique de la situation; mais il est permis de trouver ici que la fiction purement théâtrale s’étend aux dépens de la peinture psychologique et de l’étude du type social. Ce père sur le point de se battre en duel avec son fils, qui l’accuse d’avoir séduit et déshonoré sa fiancée, rappelle de près Montjoye, le viveur taré, perçant d’un coup d’épée le fiancé de sa fille; mais combien, dans la pièce de M. Octave Feuillet, cette péripétie dramatique est mieux amenée et plus naturelle! Quant à la conduite des maris sur la défensive, elle est parfois d’une puérilité tout à fait propre à les mettre à mal, n’était l’insigne maladresse ou l’incurie des vieux garçons, et il faut avouer qu’à part Mortemer l’infatigable, qui passe sans désemparer de la femme mariée à la jeune fille sortie la veille du couvent, les vieux garçons de M. Sardou ne se font guère honneur dans le métier que leur assigne l’auteur.

La figure la plus logique et la mieux rendue de cette comédie, c’est la jeune fille innocente, dont les accès de curiosité et les élans de tendresse naïve passent comme un souffle pur et rafraîchissant sur cet amas d’épisodes et de détails parfois obscènes ou hasardeux, et reposent de la niaiserie un peu fade de ces femmes mariées qui sont le point de mire des célibataires à l’affût. Ce personnage de jeune fille, interprété par Mlle Delaporte avec une grâce et une délicatesse infinies de nuances, sauve heureusement la pièce malgré les hors-d’œuvre et les longueurs qui l’entravent. Chose étrange, il y a dans presque toutes les comédies de M. Sardou, comme dans celles de M. Barrière, mais à un moindre degré, je crois, un filet de fraîcheur fugitive qui jaillit dans deux ou trois scènes, par exemple la scène du piano dans les Vieux Garçons, puis disparaît comme tari. Si l’auteur poursuivait moins au théâtre les succès faciles et multipliés, peut-être eût-il pu tirer, avec de l’étude et de la patience, des effets heureux et solides de cette aptitude à peine accusée de son talent: mais dans les Vieux Garçons, comme dans ses autres comédies, il est évident qu’il a plus compté. pour obtenir les suffrages du parterre, sur les pétillemens de son esprit, sur les excès les plus insensés de son audace, tant éprouvée en fait de dialogue et de situation, que sur les notes vraies ou les cris de l’âme. Ces notes justes et ces cris émus, M. Sardou les rencontre pourtant en plus d’un endroit. S’il n’a point cet esprit de suite et cette puissance ouvrière qui bâtit solidement une œuvre dramatique et conduit à travers cinq actes une intrigue nouée d’une main sûre ou un caractère logiquement conçu. si ses pièces, en un mot, ne sont pas des pièces, mais une série de scènes, d’épisodes ajustés les uns au bout des autres, M. Sardou est du moins l’homme des éclairs furtifs et des riantes échappées de vue dramatique. Il a comme une provision de jolis diamans qu’il incruste dans telle pierre commune qui autrement serait sans valeur. La lassitude menace-t-elle de s’emparer de vous et le froid de gagner votre esprit, il vous ouvre bien vite un jour sur un horizon coloré de soleil ou de verdure, puis aussitôt referme la fenêtre. Vous en voulez à la main brutale qui vous dérobe ainsi le spectacle de cet azur et de cette fraîcheur; mais vous en avez assez entrevu pour que le rayon tombé dans votre âme y laisse courir une lumière.

On s’explique donc le succès qu’obtiennent à la scène les comédies de M. Sardou. Son talent n’est pas de ceux qui font brèche et emportent les âmes d’assaut : ces conquêtes de haute lutte sont le privilège des esprits absolus et originaux qui ne procèdent que d’eux-mêmes. M. Sardou, lui, se glisse en vous par mille ouvertures imperceptibles, et il vous pénètre à la longue et à votre insu. Pour peu que vous n’y songiez, vous serez tout à l’heure imprégné de ce talent leste et fluide; couvrez-vous donc de votre jugement comme d’un bouclier, tenez éveillé en vous ce sens exquis et délicat qui recherche l’art et l’apprécie, car l’esprit de M. Sardou fait un siège en règle de vos facultés, et en résumé, avec sa verve intarissable, sa parfaite entente du détail, il possède plus que personne le don d’amuser ce public vague et sans préférences littéraires, dont l’oreille et l’âme s’emplissent volontiers d’un cliquetis de mots et de péripéties purement scéniques.

Qui sait si cette puissance d’un ordre secondaire n’eût pas pu devenir en M. Sardou la véritable force comique dans toute l’acception du mot? Mais l’auteur, amorcé par un succès trop rapide, s’est maintenu volontairement dans de certaines sphères dramatiques, en ajournant l’effort pénible qui l’eût fait monter vers les hautes régions. Pourrait-il désormais prendre son essor à sa volonté? Le souci de l’art ainsi différé, n’est-ce pas la cognée mise à la racine de ses plus belles facultés? Que si nous sommes dans l’erreur, c’est à M. Sardou de montrer, en s’attaquant définitivement à une œuvre d’art, que ce long sacrifice de sa plume, cette imprudente inféodation de sa verve trop complaisante aux petits goûts passagers du jour, n’a pas étouffé ses meilleures aptitudes natives ni corrompu sans remède les plus saines énergies de son tempérament dramatique.


JULES GOURDAULT.


V. DE MARS.

  1. L’air est composé d’oxygène, d’azote et d’acide carbonique; les animaux, par l’effet de la respiration, absorbent de l’oxygène et dégagent de l’acide carbonique: c’est ce qui fait que dans toute réunion où l’air ne se renouvelle pas l’atmosphère ne tarde pas à se vicier et à devenir irrespirable. Les plantes au contraire décomposent l’acide carbonique de l’air, absorbent le carbone et laissent l’oxygène en liberté; elles agissent donc en sens contraire des animaux, rétablissent l’équilibre dans la proportion des divers élémens de l’air, et détruisent les émanations toxiques qui résultent des trop grandes agglomérations.
  2. Cette opération exige un atelier de déplantation et un atelier de replantation. Pour déplanter, on fait autour de l’arbre une tranchée circulaire d’environ 50 centimètres de large au moyen d’une pioche à manche court dont le pic est transformé pour servir à tailler les racines qui s’étendent au-delà de la motte qu’on veut enlever. On glisse ensuite sous celle-ci deux planches courtes, mais épaisses, et on l’entoure de branches de troëne reliées par des cordes pour empêcher la terre de se désagréger. Cela fait, on amène un chariot spécial dont on détache l’arrière-train afin de le placer au-dessus de la motte à extraire; puis, au moyen de deux treuils, on soulève celle-ci pendant que trois hommes maintiennent la tige avec des haubans. La replantation se fait à peu près de la même manière. Voyez sur ce sujet les Annales forestières de janvier 1860.
  3. Au 1er janvier 1863, on comptait 53,993 arbres d’alignement, non compris les massifs : 22,295 ormes, — 6,697 marronniers, — 11,403 platanes, — 2,328 tilleuls, — 2,378 acacias, — 6,668 érables, — 2,224 arbres divers.
  4. Les jardins des Plantes, du Luxembourg, des Tuileries, du Palais-Royal, n’appartiennent pas à la ville, et l’entretien n’en est pas à sa charge.
  5. Un décret du 28 août 1851 prescrivait l’exploitation en taillis du bois de Boulogne à la révolution de trente ans, c’est-à-dire par coupes annuelles au trentième de l’étendue totale, sauf réserve d’une bordure le long des routes. La cession à la ville a annulé ce décret.
  6. Ces revenus ne consistent pas dans la vente des bois, car on n’exploite que les arbres morts, qui suffisent à peine au chauffage des employés, mais dans les locations et concessions diverses : cafés et restaurans, hippodrome, glacière, chaises, barques, etc.