Chronique de la quinzaine - 31 juillet 1839

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Chronique no 175
31 juillet 1839
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 juillet 1839.


Les derniers travaux de la chambre ont achevé de faire connaître l’esprit qui l’a animée dans cette session. La chambre semble vouloir remettre jusqu’à la session prochaine à se connaître elle-même et à se faire connaître. Elle a tout ajourné à la fois, les projets d’améliorations matérielles que le ministère lui demandait, et les réformes dont elle menace le ministère, la loi des sucres et le changement de l’institution de la philosophique, les grandes lignes de chemins de fer et la réforme électorale. L’ajournement de la loi sur les sucres a été vivement blâmé, et avec raison, même par ceux qui ont cru devoir prendre en main la cause de la chambre. La chambre est inexcusable en effet. A-t-elle craint de s’engager dans la discussion de deux grands intérêts entre lesquels elle n’avait pas de parti pris, ou a-t-elle voulu seulement avancer de quelques jours la fin de la session et le moment du départ, en se refusant à cette discussion ? Qui pourrait trouver un mot à dire en faveur de la chambre dans l’un et l’autre cas ? Où serait donc la force, où serait l’influence d’une législature qui craindrait de se compromettre en décidant avec justice une question aussi importante, sans s’arrêter aux mécontentemens que ferait naître sa décision ? Si la chambre était pour le bien faible dégrèvement que demandent les ports et les colonies, qui l’empêchait de se prononcer ? A-t-elle fléchi devant les démonstrations qui ont été faites par quelques manufacturiers du nord ? S’est-elle laissé troubler par les murmures qui se sont élevés dans son sein ? Mais qui donc aura, en France, le courage de braver les injustes mécontentemens que peut faire naître une mesure nécessaire, si la législature ne l’a pas ? Comment la chambre, qui s’est emparée de toutes les affaires, qui s’est jetée avec empressement sur le projet relatif à la philosophique, dont la Charte semble lui interdire la discussion, comment la chambre recule-t-elle devant une responsabilité qui lui appartient ? Cette responsabilité, il faudra donc que le ministère la prenne, et c’est à la fois son devoir et son droit. Nos colonies ne doivent pas périr de misère, nos ports devenir déserts, parce que les députés veulent conserver leur popularité au nord et au midi, ou plutôt parce qu’ils ont hâte de retourner dans leurs départemens. Le gouvernement ne peut pas chômer parce que les députés ont des récoltes à faire, et les intérêts commerciaux, ceux de notre marine marchande, n’ont déjà que trop souffert depuis un an que la question des sucres est pendante.

Sans doute, le ministère actuel a singulièrement compliqué cette affaire par les irrésolutions qu’il a montrées. En arrivant au pouvoir, il avait trouvé dans les cartons un projet de loi tout préparé, qu’on pouvait immédiatement livrer à la discussion de la chambre. C’était au ministère, qui savait à n’en pas douter quelles terribles conséquences devaient résulter de l’ajournement, de l’empêcher de toutes ses forces. Nous avons vu avec plaisir que le ministère est décidé à agir, et à user du droit que lui confère la loi, en décidant la question par une ordonnance royale. M. le ministre du commerce en a pris deux fois l’engagement, devant le commerce de Bordeaux et devant la chambre, et nous espérons qu’il saura remplir sa parole, sans se préoccuper de ceux qui lui criaient à la chambre qu’il commettrait un acte illégal, mais qui se refusaient en même temps à faire l’acte le plus légal du monde qu’on leur demandait, à confectionner une loi. On a objecté au ministère que le cabinet du 15 avril a reculé devant un projet de dégrèvement par ordonnance. Le cabinet du 15 avril n’a pas reculé ; mais la session était à la veille de s’ouvrir, les chambres étaient convoquées quand les députations des ports vinrent lui apporter leurs réclamations, et il ne jugea pas à propos de devancer le jugement du parlement. Assurément, si la chambre eût ajourné le projet de loi, le ministère du 15 avril n’eût pas laissé la question indécise, et mis des intérêts si importans en souffrance jusqu’à la session suivante. Ce que nous ne comprenons pas, il est vrai, c’est l’intention de ceux des ministres qui ont voté pour l’ajournement avec la majorité de la chambre. En votant seul pour la mise de la loi à l’ordre du jour, M. Dufaure nous semble s’être placé, comme ministre, au véritable point de vue de la question. C’était dire à la chambre que le gouvernement fait tous ses efforts pour que le nord et le midi ne soient pas laissés aux prises pendant six mois, pour que toutes les passions ne soient pas soulevées, excitées par l’espoir d’un succès ; et après cette démonstration, le refus de la chambre eût dicté au gouvernement sa conduite. Mais il semble que dans cette question des sucres, le ministère ait passé successivement par toutes les phases de l’incertitude. Son exposé de motifs de la loi sur les sucres, emprunté aux cartons du ministère du 15 avril, établissait que le gouvernement ne s’est pas regardé comme en droit de modifier les tarifs par ordonnance ; et, en effet, c’est ce que le ministère d’alors ne voulait pas faire au moment de l’ouverture d’une session. Depuis, par la dépêche télégraphique transmise à Bordeaux, le gouvernement a déclaré que la loi de 1814 lui donne le droit de procéder par ordonnance, et qu’il se réserve d’user de ce droit suivant les faits qui se manifesteront pendant la session. Enfin la majorité des ministres présens à la séance de la chambre du 16 a voté pour l’ajournement. Il nous semble que leur rôle était au contraire de sommer la chambre de procéder à l’examen du projet de loi ; car sans doute le ministère ne pense pas que son droit de modifier les tarifs par ordonnance soit absolu, c’est-à-dire qu’il lui ait été donné autrement que pour suppléer à l’absence des chambres. Toutefois, l’ordonnance aura lieu, nous n’en doutons pas ; mais le débat recommencera à la session prochaine, quand le ministère viendra, conformément à la législation, demander à la chambre de changer en loi son ordonnance ; et, malheureusement, les adversaires des intérêts si majeurs des ports et des colonies pourront se prévaloir, contre le ministère, de tous ces antécédens.

Nous ne nous lassons pas d’avertir le ministère des dangers de ses incertitudes en toutes choses, car nous prévoyons que le pays aura besoin, pour sa tranquillité, d’une administration ferme et unie dans ses principes, pour résister aux assauts qu’on prépare au gouvernement. Un des meilleurs esprits de la chambre, M. le comte de Rémusat, chargé d’examiner la proposition relative aux députés fonctionnaires, faite par M. Gauguier, a déposé, dans un rapport, le germe de quelques changemens à faire dans la loi électorale. Nous savons que quelques députés d’une intelligence distinguée, et appartenant au parti modéré de la chambre, ne sont pas éloignés d’adopter quelques mesures relatives au rejet des députés fonctionnaires ; mais ce qui se passera sans doute d’ici à la session prochaine les avertira des dangers d’un changement trop prompt. Dans son rapport, d’ailleurs très remarquable, M. de Rémusat n’a dissimulé aucune des objections qui peuvent être faites contre l’état actuel des choses. L’honorable député a cité les exceptions établies en Angleterre et aux États-Unis, et celles qui ont été prononcées en France par la constitution de 1791. L’état de la législation actuelle diffère peu de celle de l’Angleterre, où tout membre du parlement qui accepte une fonction salariée est tenu de se faire réélire. Quant aux exceptions formelles, elles atteignent les commissaires de la cour des banqueroutes, les shérifs et baillis des bourgs, les employés et fonctionnaires des régies des taxes créées depuis 1602, les commissaires des prises, les contrôleurs des armées, enfin les agens du gouvernement dont les fonctions exigent la résidence et une constante assiduité. En Angleterre, les exclusions portées par la loi ont été faites principalement en vue de la régularité des services publics ; on n’a pas voulu que les nécessités du gouvernement représentatif lui portassent atteinte. Les exclusions portées par l’article 65 de la loi de 1831 ont été, pour la plupart, conçues dans un autre esprit, et M. de Rémusat le fait très bien remarquer. Elles intéressent, en général, la pureté des élections. C’est ainsi que le préfet a été déclaré inéligible dans son département, le procureur du roi dans son ressort ; mais cependant on n’a pas perdu de vue, dans cette loi, le bien du service, car la résidence a été jugée indispensable dans certaines fonctions, et c’est pour obéir à cette pensée que les préfets ont été écartés de la chambre.

M. de Rémusat a parfaitement senti les dangers qu’il y aurait à séparer entièrement le gouvernement de la chambre, en écartant tous les fonctionnaires de son sein, et il fait très bien remarquer, dans son rapport, que l’un des deux pouvoirs ainsi rendus étrangers l’un à l’autre serait bientôt condamné à devenir envahisseur. Le pouvoir uniquement législatif serait sans influence sur la politique du dedans ou du dehors, ou son influence serait funeste ; et le pouvoir exécutif, entièrement isolé de l’autre, serait réduit à s’annuler comme en 1790, ou à s’exagérer comme en 1803. En un mot, on marcherait à l’anarchie ou au despotisme. Écarter entièrement de la chambre les fonctionnaires, c’est-à-dire les hommes qui peuvent l’éclairer sur toutes les questions d’administration et de gouvernement, ce ne serait pas seulement s’exposer aux dangers que signale M. de Rémusat, ce serait encore créer une chambre qui se trouverait au-dessous de toutes les idées générales, et rendrait impossibles toutes les améliorations. C’est ainsi qu’on entendait la représentation nationale en 1789. Voudrait-on en revenir aux erreurs politiques de cette époque ? Les grands principes de liberté qui furent émis alors n’ont pas varié, ils dominent encore en France ; mais la manière de les pratiquer a dû changer dans une longue application, et aujourd’hui que le ministère n’est que la représentation de l’opinion parlementaire, on sent combien il importe de ne pas le priver, dans la chambre, des fonctionnaires politiques qui sont ses liens les plus étroits avec la législature, et ses plus sûrs moyens de communication avec elle.

La commission dont M. de Rémusat faisait partie, paraît avoir été divisée sur plusieurs points, et quelques-uns de ses membres ont exprimé des défiances assez grandes au sujet de la présence des fonctionnaires dans la chambre. Les uns alléguaient la tendance des fonctionnaires à ne pas sortir de la subordination dans laquelle ils sont habitués à se renfermer, en ce qui est du gouvernement. D’autres faisaient remarquer combien le pouvoir s’affaiblit quand ses fonctionnaires le combattent et lui refusent leur confiance. Passant à la situation de l’administration, on la montrait accusée d’intolérance et de réaction, quand elle écarte les fonctionnaires opposans ; de faiblesse et de désaveu des idées qui l’ont portée au pouvoir, quand elle ne sévit pas contre les fonctionnaires qui l’attaquent. Ces assertions ont été repoussées par une partie de la commission, qui a démontré combien la chambre perdrait en écartant ceux qui y apportent l’instruction et la modération, résultat ordinaire de la pratique des affaires et de la connaissance de leurs difficultés, et M. de Rémusat a recueilli avec un soin infini, dans son rapport, tous les argumens de cette partie de la commission. Les réflexions dont il les a fait suivre sont d’une haute importance. Elles touchent au fond de la question, à l’idée même d’une réforme électorale, qui n’est pas moins que la révision de la constitution, et la réforme du jugement du pays qui a envoyé les fonctionnaires à la chambre. Néanmoins, la commission de la chambre paraît avoir reconnu en principe qu’on pourrait établir une distinction entre ceux qui entrent fonctionnaires dans la chambre, et ceux qui le deviennent après leur élection. Cette pensée, déjà développée avec beaucoup de lucidité par M. de Carné, dans son bureau, fera probablement naître une proposition qui aura quelque chance d’être bien accueillie par la chambre. Quant aux autres, il faut espérer que la chambre verra tout le danger d’une résolution prompte et hâtive en matière d’élection, et qu’elle ne perdra pas de vue cette sage observation du rapporteur de sa commission, à savoir que ce serait rétrograder que de séparer les pouvoirs exécutif et législatif, en isolant la chambre des fonctionnaires, et en réduisant l’influence du gouvernement dans la chambre à huit ministres qui ne seraient pas députés. Combien de fois avons-nous entendu l’opposition se plaindre des ministères où les députés ne figuraient pas en majorité ! Quel pouvait être le but de ces plaintes, si ce n’est de vouloir faciliter les rapports de la chambre et de l’administration ? On ne s’efforce déjà que trop, tous les jours, de représenter le gouvernement comme l’adversaire de la chambre : tous les hommes sensés savent qu’il n’en est rien ; mais la réforme électorale, telle que l’entend le parti de la gauche extrême, ne va pas à moins qu’à produire ce déplorable résultat.

La simple lecture des conditions posées comme bases du projet de réforme conçu par le comité formé sous les auspices de M. Odilon Barrot, montre combien elles s’éloignent des vues indiquées par la commission de la chambre. D’après la composition de ce comité, on ne pouvait s’attendre à des conclusions timides. Du premier coup, le comité renverse le cens de l’éligibilité, et déclare que tout électeur sera éligible. De là on en viendra sans doute à déclarer que tout garde national est électeur, ainsi que le demandaient les pétitions que l’opposition colportait au commencement de la dernière session. Les adjonctions se composeront, en attendant, de la seconde liste du jury, des capacités énumérées dans la loi municipale, des officiers de garde nationale, des conseillers municipaux, etc. Les fonctionnaires, moins les commandans de division, qui déjà ne peuvent être élus dans leur ressort, seraient écartés de la chambre, et chaque député recevrait une indemnité de vingt francs par jour pendant la durée des sessions. La portée de ces conditions est facile à comprendre. La base en est empruntée à la constitution des États-Unis, où aucune personne tenant un office sous l’autorité du gouvernement, ne peut faire partie de la législature.

M. de Tocqueville, qui fait partie du comité présidé par M. Odilon Barrot, aurait pu faire remarquer qu’aux États-Unis la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif a moins d’inconvéniens que dans une monarchie. Le pouvoir exécutif reçoit simplement les ordres de la législature et les met en pratique. Nulle jalousie n’est possible entre ces deux pouvoirs. La présidence n’a pas besoin de liens bien intimes avec la législature ; et quand celle-ci, entièrement séparée du gouvernement et de la masse des fonctionnaires, pèse trop rudement sur eux, il ne peut venir à la pensée d’un gouvernement qui change tous les quatre ans de lutter. L’administration, qui est toute locale aux États-Unis, dispense aussi la législature d’avoir les connaissances variées, l’intelligence des affaires journalières, qui sont indispensables aux chambres d’un gouvernement central comme le nôtre. En un mot, le pouvoir exécutif est annulé par le sénat aux États-Unis, ou plutôt il n’y a là, en réalité, qu’un pouvoir. Voudrait-on créer cet état de choses en France ? Une chambre où ne seront admis d’autres fonctionnaires que des commandans de division, ne sera plus un grand conseil national. Il y manquera tous ceux qui pourraient l’éclairer de leurs lumières, et l’arrêter dans la carrière des innovations peu réfléchies. Les magistrats inférieurs des parquets, les secrétaires généraux et les personnes qui reçoivent un traitement de la liste civile, qui se trouveraient aussi atteintes par les exclusions du comité, nous semblent moins nécessaires dans une chambre ; mais on oublie trop vite, dans ce désir immodéré de réformes, que beaucoup de fonctionnaires se sont pénétrés de l’esprit de nos institutions, et qu’ils ont appris à embrasser la généralité des intérêts publics, en remplissant leur devoir de députés. Dans la chambre même, les utiles discussions des bureaux sont une école où se forment plus promptement les hommes distingués qu’ils ne pourraient le faire pendant de longues années passées dans les instructions judiciaires, ou dans l’examen nécessairement restreint des affaires d’une branche d’administration.

La gauche avancée compte cependant ne pas s’arrêter là. La réforme électorale ne lui suffit pas, ou plutôt cette mesure n’est, à ses yeux, qu’un acheminement à tous les prompts changemens qu’elle réclame. À l’occasion de l’anniversaire des journées de juillet, la gauche a donné son programme. Ce qu’elle attend du ministère, ou du moins de la partie du ministère qu’elle croit acquise à ses vues, c’est, elle le dit, le rétablissement du droit d’association, l’abolition des lois de la presse, ainsi que le retrait des lois relatives au jury et aux attributions de la cour des pairs. Il est vrai que ceux qui réclament ces prétendues améliorations exhortent le parti républicain à ne pas supprimer le principe de la propriété, et à cesser de prêcher l’établissement d’une dictature populaire. Tout doit, selon eux, se passer en discussions et en appels à l’opinion publique. Ces exhortations sont bonnes sans doute, mais nous serions curieux d’entendre la réponse de ceux à qui elles s’adressent, gens peu disposés à entrer en discussion, même avec l’opposition de gauche, et qui semblent bien résolus à faire prévaloir leurs théories ailleurs qu’à la tribune parlementaire ou dans les journaux. En attendant, on propose sérieusement au gouvernement de laisser ses adversaires s’associer librement, sans doute parce que la loi des associations a gêné le développement des clubs qui descendaient le 12 mai sur la place publique ! Il est encore bien important de se débarrasser de la législation de la presse qui ne gêne cependant guère certaines feuilles dans les attaques qu’elles font chaque jour contre nos institutions. Le gouvernement n’a sans doute qu’à se désarmer pour désarmer aussitôt les factions ! Voilà un expédient tout nouveau, et qui a le mérite de ne ressembler à aucun autre. Eh bien ! on nous assure qu’il y a dans le gouvernement quelques personnes qui ne seraient pas éloignées de l’approuver.

Depuis neuf ans que le gouvernement de juillet est occupé à se défendre contre ses ennemis, il a été forcé de prendre plusieurs fois des mesures sérieuses pour assurer la tranquillité du pays. La gauche avancée convient que la propriété est menacée par les innocentes vues que le défenseur d’un des accusés traduits devant la cour des pairs nommait avec indulgence les idées babouvistes. La gauche avancée convient encore que la liberté est menacée par une dictature populaire. Toutes ces choses ne sont pas d’hier Elles fermentent dans les sociétés secrètes depuis neuf ans, et les lois que le gouvernement a demandées comme des armes propres à combattre, dans la rue et dans la presse, ces hardies tentatives, ont été proposées par les hommes les plus distingués de la chambre, par des hommes que les partis ont mis avec orgueil à leur tête, et qui ne se repentent sans doute pas de ce qu’ils ont fait. Que penser maintenant des partis qui proposent l’abolition de ces lois ? Assurément, ils n’ont pas pour appui les hommes qui les ont faites ; leurs engagemens avec l’opposition, s’ils en ont eu, n’ont jamais été jusque-là. L’opposition avancée n’a même été dangereuse qu’un moment, quand, subissant l’influence des chefs parlementaires dont nous parlons, elle savait se modérer et ne pas proposer chaque jour le changement complet de l’état social. Maintenant que nous la voyons revenue à ses anciennes habitudes, nous devons en conclure qu’elle est séparée de tous les hommes modérés, opposans ou non, et qu’elle veut de nouveau marcher seule. Si ces symptômes ne nous trompent pas, on pourrait espérer de voir le parti modéré reprendre son unité, et s’appuyer encore sur les hommes qui ont fait sa force et sa gloire. Ce serait en réalité l’établissement tant désiré du gouvernement parlementaire, que le rapprochement des hommes d’une même opinion dans un seul camp. Nous ne parlons pas ici d’une modification ministérielle. Le rapprochement dont nous parlons aurait une portée bien plus haute ; il amènerait une modification dans la direction de la chambre et de l’esprit public, un retour aux véritables idées de gouvernement, et le classement dans le pouvoir, à leur place, des hommes qui ont le plus contribué, depuis 1830, à combattre l’anarchie et le désordre. Quelques journaux parlent d’une nouvelle coalition qui serait dirigée contre le ministère actuel ; la coalition qui se ferait ainsi aurait lieu au-dessus de toutes les combinaisons personnelles ; elle comprendrait tous les hommes influens qui sentent le besoin de sauver l’ordre social, et, sous ce point de vue, on doit penser que l’administration actuelle ferait en sorte de figurer dans ce cercle, et non en dehors. Voilà, du moins, ce qui nous semble ressortir de l’attitude que prend la gauche avancée depuis quelques jours, et nous ne voyons pas quelle autre interprétation on peut donner aux bruits que répand la presse. Nous n’avons pas d’autres indices d’une combinaison quelconque ; aussi ne sont-ce pas des nouvelles que nous prétendons donner, mais seulement des réflexions qui découlent naturellement de l’état des choses.

Tandis qu’une partie de la gauche avancée se sépare ainsi et peut-être malgré elle, par le seul effet de ses passions, des hommes modérés qu’elle soutenait depuis quelque temps, d’autres organes de ce parti paraissent se préparer à une scission plus volontaire entre eux et les chefs qu’ils s’étaient donnés. Les organes dont nous parlons attendent évidemment quelques circonstances pour prendre un parti. Nous ne nous joindrons pas à ceux qui pensent que ces circonstances sont toutes personnelles, et qui assurent qu’un chef dans l’opposition semble infiniment moins utile et moins profitable aux organes en question, que deux chefs dans le pouvoir, même s’ils étaient d’un moindre mérite. Ces misères d’intérieur de parti ne méritent pas qu’on s’y arrête. Nous abandonnons aux anciens organes de la coalition, aux puritains même dégénérés de l’opposition formée contre le dernier ministère, l’usage des accusations d’immoralité et de corruption. Les petites circonstances particulières qui détachent quelques fragmens des partis politiques laissent toujours ces partis subsister, et nous voyons que la gauche avancée ne diminue ni d’ardeur ni d’impétuosité, si elle est destinée à décroître en nombre.

Pour passer du rigorisme qui se dément au rigorisme qui se borne à être injuste, nous opposerons quelques réflexions aux attaques dont ce recueil a été l’objet à la tribune, de la part de deux députés, M. Taschereau et M. Combarel de Leyval. Ces attaques, et c’est le nom qu’il faut donner aux discours des deux députés, ont eu lieu à l’occasion de quelques souscriptions prises par le dernier ministre de l’instruction publique. M. Taschereau a fait obligeamment remarquer que l’époque où ces souscriptions ont été faites, coïncide avec l’époque où ce recueil s’est montré plus favorable au gouvernement. Cette assertion était assez sérieuse pour qu’on y réfléchît avant de la porter à la tribune. Or, il était facile de s’assurer que nous nous sommes montrés favorables au gouvernement dès le 22 février, époque où le système tracassier que nous blâmions cessa, et fit place à la politique libérale et modérée apportée au pouvoir, à cette époque, par M. Thiers. Quand M. Molé, dont nous appelions l’administration depuis plusieurs années, vint au pouvoir, nous nous fîmes un devoir de le soutenir ; et, après avoir approuvé la marche de ce ministère, nous n’avons pas cessé de défendre ses actes depuis qu’il s’est retiré. Que deviennent, après ce simple exposé, les réflexions malveillantes de M. Taschereau ?

Nous avions donc donné notre approbation aux actes du gouvernement, deux ans avant qu’une seule souscription ministérielle eût été accordée à ce recueil, qui y avait bien droit, puisque de semblables souscriptions sont accordées à un recueil de peu d’utilité, tel que la Revue Rétrospective, dont M. Taschereau est le propriétaire et le fondateur. L’approbation que nous reproche M. Taschereau a cessé depuis quelques mois malgré les souscriptions ministérielles, et ce fait honore à la fois, ce nous semble, le ministère actuel et la Revue des deux Mondes. Les souscriptions accordées par le dernier ministère ne l’honoraient pas moins, car elles étaient accordées uniquement au recueil littéraire qui a répandu en France des connaissances sérieuses, utiles, et auquel ont concouru la plupart de nos savans et nos premiers écrivains. Si M. Taschereau avait pris connaissance de l’acte ministériel par lequel ces souscriptions ont été accordées, il aurait vu qu’elles avaient été prises en faveur des bibliothèques des départemens et d’autres établissemens publics, et que, par son arrêté, le ministre imposait à ce recueil la condition de consacrer un nombre déterminé de ses feuilles à l’examen spécial des ouvrages qui se rapportent à l’instruction publique, ainsi qu’à toutes les publications importantes qui ont trait à cette matière en France et dans les pays étrangers, en même temps qu’à l’histoire, à l’archéologie, aux sciences et aux belles-lettres. C’est en conséquence de cet arrêté que d’importans travaux ont été demandés à des hommes spéciaux, et qu’on a lu dans ce recueil des morceaux importans sur l’instruction publique en Angleterre, en Allemagne, dans le Nord, aux États-Unis, et sur d’autres sujets. Les noms des hommes les plus éminens de l’Université et de l’Institut : MM. Augustin Thierry, Cousin, Fauriel, Jouffroy, Letronne, Ampère, Magnin, Sacy, Saint-Marc Girardin, Mignet, Nisard, etc., et du ministre de l’instruction publique actuel lui-même, sont des garanties suffisantes, et prouvent que le gouvernement a fait un acte de justice en approuvant des travaux signés de pareils noms. Nous en appelons à tous les hommes impartiaux ; ils verront, sans nul doute, dans des souscriptions accordées de cette sorte, autre chose qu’une transaction politique et une faveur.

Après avoir déploré l’injustice, un peu volontaire à notre égard, d’un homme instruit et d’un écrivain spirituel, il nous reste peu de chose à répondre à M. Combarel de Leyval, qui n’a vu dans la souscription du ministre qu’une allocation, bien faible, il est vrai, mais qui n’engage à rien ceux qui en sont l’objet. M. Combarel n’a qu’à se rendre dans la bibliothèque de son chef-lieu pour s’assurer de l’envoi de notre recueil dans les établissemens publics, et c’est là qu’il pourra lire notre réponse. Nous espérons que M. Combarel, rendu aux loisirs de la vie de province, nous lira plus souvent ; peut-être alors changera-t-il d’opinion, et pensera-t-il qu’au lieu de restreindre les souscriptions de ce genre, l’intérêt public voudrait qu’elles fussent étendues. Les notions utiles ne se répandent jamais trop, et les études littéraires bien dirigées n’ont jamais nui aux progrès d’une nation. M. Combarel, qui n’est pas étranger aux arts, puisqu’il a exécuté long-temps sa partie d’instrument dans l’orchestre d’un de nos théâtres, non lyriques, il est vrai, reviendra facilement à des idées plus libérales, nous l’espérons. Mais passons à des questions plus sérieuses.

Un journal a annoncé que le gouvernement français a adressé au ministère belge une note pour demander le paiement de la double intervention de l’armée française en Belgique, et quelques feuilles conseillent au gouvernement de presser cette réclamation. Selon ces feuilles, la Belgique nous doit son indépendance, nous avons sauvé Anvers menacé d’une destruction totale, et c’est bien le moins que nos voisins paient les frais des expéditions qui ont été faites dans leurs seuls intérêts. Peut-être le gouvernement français a-t-il adressé à ce sujet un memento au gouvernement belge ; mais nous ne croyons pas qu’il entre dans ses desseins de se placer vis-à-vis de la Belgique dans la situation d’un créancier rigoureux. Rien ne serait plus impolitique, en effet, que d’exiger des Belges le paiement immédiat ou même régulier des frais de l’occupation française. La France doit accoutumer la Belgique à demander et à recevoir nos secours dans toutes les occasions difficiles, car la Belgique est la frontière de la France, et en la secourant, la France se secourt elle-même. Que sera-ce donc si la Belgique sait qu’elle ne peut appeler les troupes françaises à son aide qu’en obérant son trésor ? Elle hésitera plus d’une fois à recourir à une protection aussi dispendieuse, et qui sait si un peuple aussi bon calculateur que l’est le peuple beige, ne préférera pas le risque d’une oppression douteuse au nord que les inconvéniens d’une dépense certaine au midi ? Nous avons du malheur en France. Nous abandonnons partout la politique des intérêts, et quand il y a lieu à exercer, pour notre avantage, une politique désintéressée, c’est le génie financier qui nous souffle nos déterminations. Qu’on examine la conduite de la Russie à l’égard de l’empire turc. Certes nous n’assimilons pas la Belgique à la Turquie, et la France ne peut être soupçonnée de vouloir asservir cette puissance voisine ; mais le fait arrivé il y a six ans peut servir comme exemple de politique habile. Quand le grand-seigneur se vit menacé par le pacha, il se hâta d’appeler la Russie à son secours. Elle accourut à l’instant même, comme nous l’avons fait en Belgique ; elle se retira, ainsi que nous, dès que le danger eut disparu, et la Russie, si exigeante, toujours si attentive à ses intérêts, n’a fait acheter à la Turquie, par aucun sacrifice, le service qu’elle lui a rendu. Qu’en est-il arrivé ? C’est que, malheureusement pour nous et les autres puissances, la Turquie s’est accoutumée au secours des Russes, et qu’elle l’invoque peut-être à cette heure. Nos intérêts seront encore bien mieux servis en Belgique, par le désintéressement, que ne le sont, par un procédé semblable, les intérêts des Russes à Constantinople. Jadis la France payait des subsides annuels à presque toutes les puissances secondaires ; le roi de France était à la fois leur trésorier et leur défenseur. Cette politique, qui nous donnait tant d’influence en Europe, n’est plus praticable ; mais le principe ne doit pas être entièrement abandonné. En ce qui est de sa protection, la France doit l’accorder sans réserve à la Belgique, et il a fallu un motif tel que le respect qu’on doit aux traités pour que le dernier ministère obéît à la douloureuse nécessité de se conformer aux vues de l’Angleterre, qui exigeait l’exécution immédiate des 24 articles. Pour nous, qui n’avons cessé d’exhorter les Belges à exécuter un traité défavorable sans doute, mais qui était inscrit à la première page de leur histoire politique comme nation, nous ne sommes pas suspects en plaidant pour l’ajournement indéfini du paiement des frais d’occupation. Sait-on bien que l’Allemagne fournirait à l’heure même cette somme à la Belgique, si le gouvernement belge voulait accéder à l’association des douanes prussiennes ? Ne perdons pas aussi de vue les avarices que font les puissances du Nord à la Belgique, avec laquelle elles s’empressent d’ouvrir des relations diplomatiques. On dit que le ministère met pour condition de l’abaissement de notre tarif de douanes du côté de la frontière belge le paiement immédiat de cette indemnité. Abaissons notre tarif et ajournons indéfiniment le paiement de la créance. Ce sera d’une bien meilleure politique, et nous y gagnerons doublement. Mais s’il est vrai, comme le bruit s’en répand, que la Belgique se dispose à entrer dans le cercle des douanes prussiennes, une réclamation de 60 millions pour frais d’occupation, suivie d’une nouvelle occupation en cas de non-paiement immédiat, serait la seule mesure à prendre. En pareille occurrence, ce serait à M. le maréchal Soult de montrer comment un homme tel que lui entend les devoirs d’un ministre des affaires étrangères

La mort du sultan est déjà un évènement ancien, tant les évènemens se sont précipités depuis quelque temps en Orient. Aujourd’hui l’empire turc, s’il existe encore, est gouverné en réalité par Kosrew-Pacha, qui a été promu à la dignité de grand-visir. On vante beaucoup l’intégrité de ce fonctionnaire, et l’on espère beaucoup de son administration. Les difficultés de sa situation sont grandes toutefois, car Kosrew-Pacha est un ancien ennemi de Méhémet-Ali, et malgré la nécessité de plier devant le pacha d’Égypte, où se trouve le divan depuis la bataille de Nézib et la défection du capitan-pacha, le visir surmontera difficilement sa haine déjà bien ancienne. Il ne faut pas oublier que Kosrew-Pacha, qui est né au pays des Abases, ayant été acheté par le fameux capitan-pacha Kutchuk-Hussein, fut nommé pacha du Caire, et qu’il gouverna l’Égypte pendant quelque temps, après la retraite de l’armée française. Il y serait même peut-être encore, si Méhémet-Ali, qui n’était alors que simple bimbachi dans l’armée turque, grade qui équivaut à celui de chef de bataillon, s’étant révolté à la tête de quelques soldats, n’avait chassé Kosrew du Caire, et ne l’avait poursuivi jusqu’à Damiette, où il le força de s’embarquer pour Constantinople. Kosrew-Pacha fut depuis tour à tour pacha de Bosnie et capitan-pacha. Il contribua puissamment à la destruction des janissaires, et travailla activement à former les nouvelles troupes qui ont achevé à Nézib leur honte commencée à Koniah. Le maréchal duc de Raguse, qui connut Kosrew-Pacha en 1806, lorsqu’il était pacha de Bosnie, et qui le retrouva depuis à Constantinople, le peint comme un homme vif, fin, rusé, qui sait conduire les intrigues les plus compliquées, et qui a traversé plusieurs règnes en ajoutant constamment à son pouvoir et à son crédit. Son élévation récente confirme ces paroles du maréchal, qui ajoute que Kosrew, dont la fortune est très considérable, a su mieux conduire ses affaires que celles de son maître et de l’état. Ce portrait de Kosrew-Pacha diffère beaucoup de celui qu’on fait de lui en Europe depuis son avènement à la présidence du divan. Au reste, Méhémet-Ali, l’adversaire de Kosrew-Pacha, est aussi un orphelin, élevé presque par charité, et un journal anglais, l’Atlas, donne aujourd’hui sa biographie dans ce peu de lignes : « En 1773, à Cavala, petit port maritime près de Philippi, mourut, accablé sous le poids de la misère, un officier inférieur de la police turque. Il laissa, pour tous biens, un enfant de quatre ans, sans asile. Heureusement l’aga de la place, un Turc nommé Toussoon, était son oncle : c’était un homme bienfaisant. Touché de compassion, il recueillit l’orphelin, et lui fit donner une éducation qui pouvait passer en Turquie, et dans ce temps-là, pour libérale. On lui apprit à manéger un cheval et à se servir avec adresse de la carabine ; quant à lire et à écrire, ces deux talens étaient regardés comme une superfluité, et l’enfant avait atteint un âge avancé avant de les posséder. Ce furent là les premières années de Méhémet Ali. »

Méhémet-Ali a aussi beaucoup gagné aux yeux d’un certain nombre de personnes depuis la défaite des troupes turques. Méhémet-Ali est devenu le sauveur de l’Orient. Le bien de cette partie du monde veut aujourd’hui qu’on le laisse maître absolu de la Syrie, et que sa domination, s’étendant jusqu’au golfe Persique, embrasse Bagdad, Bassorah, et toute l’Irak-Arabie, qu’il ne tarderait pas à civiliser, comme il a civilisé I’Égypte ! Il est certain que Méhémet-Ali, maître aujourd’hui du cours du Tigre et du cours de l’Euphrate, peut s’avancer sans obstacles jusqu’au golfe Persique, et enlever à la Porte toutes ses provinces méridionales. Mais nous espérons que cet enivrement causé par la victoire de Méhémet-Ali à quelques organes de la presse en Europe n’atteindra pas le pacha lui-même ; dans tous les cas, la France ne perdra sans doute pas de vue que si elle est favorable à Méhémet-Ali, elle ne doit pas moins, dans l’intérêt européen, sa protection à l’empire ottoman.

Abandonner cet empire, et laisser Méhémet-Ali s’emparer de ses provinces à titre de vassal, sous la condition d’un tribut qu’il ne paiera pas, c’est appeler les armées russes à Constantinople, et amener la guerre, ce qui n’est sans doute dans les desseins ni de l’Angleterre, ni de la France. Il est inutile, nous le pensons, de relever les assertions des journaux légitimistes, qui accusent le gouvernement français d’avoir favorisé la défection du capitan-pacha ; mais les vues qui tendraient à accorder au pacha d’Égypte peut-être plus qu’il ne demande lui-même, veulent être contredites sérieusement. C’est pousser trop loin le culte du succès. Il y a peu de jours, on représentait la Syrie comme prête à se soulever contre le pacha, et frémissant de cette domination qui y a déjà fait naître plus d’une révolte ; on assurait que l’armée turque était à la fois nombreuse et instruite ; sa défaite a tout changé. Certes, rien ne change plus la face des choses qu’une bataille perdue ; mais la France n’est pas faite pour jouer entre la Turquie et l’Égypte le rôle que jouait autrefois l’Autriche entre Napoléon et les Russes. Si elle a quelqu’un à favoriser et à soutenir dans cette affaire, c’est assurément le plus faible, et cet acte de générosité se trouve d’accord avec les intérêts de sa politique.

Nous sommes de ceux qui ne croient pas à la longue durée de cet empire d’une ville, comme l’appelle un des hommes les plus distingués qui aient parcouru l’Orient dans ces derniers temps ; mais une conduite ferme et loyale de la part de la France peut, malgré tout le dédain que nous montrent les journaux anglais, retarder encore de quelques années la chute de l’empire turc. Ce délai est d’une haute importance. Il nous permettra de nous assurer des garanties que nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de prendre, de regagner une influence que des fautes politiques inouies, et qui nous sont pour la plupart communes avec l’Angleterre, nous ont fait perdre. C’est une raison assez puissante pour ne pas livrer aveuglément à Méhémet-Ali le reste de cet empire si malheureux.

Chaque jour, les journaux tories annoncent que lord Melbourne a supplié la reine d’accepter sa démission, et une des feuilles les plus éhontées qui aient jamais paru en Angleterre, le Satyrist, feuille qu’on dit en rapport avec le roi de Hanovre, rapporte que la reine, qu’elle nomme the little lady, a refusé encore, il y a peu de jours, de laisser s’éloigner son ministre, en disant « qu’elle ne veut pas de ces odieux tories. Il est vrai que les tories travaillent à mériter chaque jour de plus en plus ce nom aux yeux de la reine, et que l’aristocratie anglaise a bien démérité de son ancienne réputation de loyalty. Les choses se sont envenimées à ce point que des projets qui seraient à peine concevables de la part des radicaux ont été discutés, assure-t-on, dans certaines réunions de la noblesse anglaise. Dans ces circonstances, les yeux des hommes sensés se sont tournés vers le duc de Wellington, qui a toujours été l’objet du profond respect de la jeune reine, et qui paraît lui porter un intérêt sincère. On doit déjà au noble duc la fin de quelques dissentimens de famille dans l’intérieur du palais, et l’on sait qu’il s’efforce d’apaiser les esprits les plus animés de son parti. En attendant, les tories ont fait éprouver au ministère, dans la chambre des lords, un échec qui prolongera encore l’affreuse situation de l’Irlande. Le bill de la réforme municipale en Irlande, entièrement dénaturé il y a quelques années, par les amendemens de lord Lyndhurst, et repris chaque fois sans succès à la chambre haute, a été encore cette année combattu par le même orateur. Tel qu’il est maintenant, la chambre des communes se refusera sans doute à y donner son adhésion, et on ne sait jusqu’à quel point ce nouvel ajournement influera sur les esprits en Irlande. Il est à remarquer que depuis lord Castelreagh jusqu’à lord Lyndhurst, ce sont toujours des membres irlandais qui ont nui au bien-être de leur patrie. On s’attend plus que jamais à la dissolution du ministère anglais.