Claude Paysan/046
XLVI
… Père Pacôme !… père Pacôme !… Les enfants lui faisaient toutes sortes d’agaceries en l’appelant — Lui, en riant, les menaçait de son bras manchot : Ah ! mes vilains petits drôles, et il prenait son élan comme pour courir après eux, pour leur faire peur ; ensuite il continuait son chemin en demandant l’aumône :
— Me faire la charité, s’il vous plaît…
Il arrivait chez la vieille Julienne :
— Bonjour, la mère… C’est encore moi, lui dit-il.
— Bonjour, père Pacôme… toujours alerte, donc ?…
— Heu… heu… ça vieillit pourtant… les jambes, les bras… mon bras plutôt… j’ai peur que ça ne soit ma dernière tournée… Que voulez-vous, quand on voit les jeunes s’en aller, il faut bien s’attendre à ce que les vieux s’en aillent aussi, n’est-ce pas ?
… Voyant entrer Claude, il reprit :
— Pas les robustes comme celui-là, par exemple… Ressemble-t-il à son défunt père un peu… hein ! mère Julienne ?… Et toujours garçon ? Claude !…
— Comme vous voyez, père Pacôme…
— Je t’en nommerais bien des filles de Saint-Mathias, de Belœil, de Saint-Charles, des belles et des faraudes aussi, auxquelles ça ne coûterait pas de faire la moitié du chemin, mais tu ne voudrais pas faire l’autre moitié, toi ; je te connais à présent… T’as peut-être raison., après tout…tu n’es pas riche puis il faut penser à sa mère avant de songer aux étrangères…
— C’est vrai, père Pacôme… c’est vrai…
… D’ailleurs, c’est si facile de trouver à se marier quand l’envie prend trop fort… Fais comme moi. va, Claude, attends… J’en aurais-t’y une mine à présent, avec mon moignon de bras, si j’avais épousé la Louise à Gauthier…
— Qui ? père Pacôme, la Louise à…
— Oui, la mère Ricard à c’te heure… Je l’ai faraudée dur dans son jeune temps… Mais, prends bien garde que ça ne te poigne à ton tour, si tu ne veux pas te marier, mon Claude… c’est le diable à lâcher — ensuite…
Il prenait son sac :
— Et ta récolte ?… elle paraît bonne… C’est bien le moins après le malheur que vous avez eu, l’an dernier, y paraît… Vous n’avez pas eu de misère toujours, mère Julienne ?…
— Oh ! non, répondit-elle… avec nos voisins, je vous assure… Quelles bonnes gens !…
— Bien oui… J’en arrive justement… ils font pitié à voir à cause de leur jeune demoiselle qui est bien malade à ce qu’ils disent… Sapristi, j’ai failli me mettre à pleurer comme un enfant quand sa mère, je suppose, une fameuse femme en tous cas, m’a demandé, en me faisant l’aumône, de prier pour elle… Je ne sais plus qu’une petite prière maintenant, mais j’ vas la répéter de tout mon cœur, plusieurs fois… J’ sais pas, je la connais pas c’ te petite, mais ça m’a tortillé le cœur de les entendre demander des prières au père Pacôme…
Puis après un moment :
— C’est pour ça que je dis que les vieux peuvent bien s’attendre à mourir puisque les tout jeunes s’en vont…
Il jeta son sac sur son épaule : — C’est vrai ; j’ sais pas ce que ça me fait… Bonjour, mère Julienne… bonjour, Claude… tiens, il est sorti, lui…
— Au revoir, père Pacôme, répondit la vieille Julienne.
Son bâton ferré, ses gros souliers usés résonnèrent sur le perron, puis sur les cailloux du chemin…
Au bout de quelques pas, à l’extrémité du petit jardin des Drioux, derrière les cerisiers, il entendit tout doucement, sans aucune gouaillerie dans le ton :
— Hé ! père Pacôme… père…
— Tiens, c’est toi, Claude…
— Oui, je voudrais vous parler…vous y êtes allé… la… chez…
— Chez vos voisins ?… oui… C’est bien triste de les voir…
— Elle n’est pas mieux… elle…
— Il ne paraît pas : les pauvres gens, ils m’ont même demandé des prières, à moi, père Pacôme… Te souviens-tu ? je te faisais des folies, l’an passé, en te disant : Il y en a une là que tu ne refuserais pas… eh ! bien, quoique riche, jolie, jeune, la voilà qu’elle se meurt déjà… Qui est-ce qui aurait dit ça ?… Ta mère en a beaucoup de chagrin.
— Alors, vous la direz votre prière… pour elle…
— Ah ! sans doute… je l’ai bien promis… Pauvre petite… j’ ne sais pas ce que ça me fait, à moi aussi…
— C’est bon, père Pacôme, ne l’oubliez pas… insistait Claude.
Et il s’enfuit.