Code des gens honnêtes/2

La bibliothèque libre.
Code des gens honnêtes
ou l’art de ne pas être dupe des fripons
J.-N. Barba (p. 97-157).



LIVRE SECOND.


DES CONTRIBUTIONS VOLONTAIRES-FORCÉES LEVÉES PAR LES GENS DU MONDE DANS LES SALONS.


Les classes honnêtes se courrouceront peut-être de se voir opposées aux industriels qui figurent dans le livre premier ? Ô crime abominable ! les faire contraster ainsi, se servir d’elles comme de nuances pour s’élever de la canaille aux grands voleurs des livres III et IV ! C’est un tort impardonnable ! Mais ne faut-il pas que tout le monde soit passé en revue ? Et puisque les rois absolus et leurs emprunts, les gouvernemens constitutionnels et leurs dettes inextinguibles, seront examinés comme au jour du jugement dernier, nous ne voyons pas pourquoi les gens comme il faut ne seraient pas traduits aux yeux de l’opinion.

Ce livre est donc consacré tout entier à ces industries de bon ton qui, fort en usage parmi le beau monde, n’en sont pas moins traîtresses à la bourse. Ces jolies manières de vous prendre votre argent, toutes gracieuses, toutes gentilles et loyales qu’elles puissent être, n’en deviennent pas moins mille fois plus dangereuses pour votre patrimoine que les manœuvres infâmes contenues au livre premier. Que l’on vous tue d’un coup de bâton ignoble, ou par un dégagé en tierce, bien civil, bien poli, vous n’êtes pas moins mort !

Il est tellement difficile de classer ces impôts indirects, levés par les gens de la bonne compagnie, que nous les avons exposés sans aucune nomenclature. En effet, cette volerie de bon ton est indéfinissable ; c’est un fluide qui échappe à l’analyse.

Est-ce une mauvaise action ? non ; est-ce une escroquerie ? non ; encore moins un vol ; mais est-ce parfaitement loyal ?… Chaque sommation que l’on vous adresse est bien, comme tout ce qui se fait en France, appuyée par tout ce que l’esprit, la politesse et l’humanité ont de plus séducteur ; sans cela elle serait ridicule, et le ridicule est tout ce que nous craignons ; mais l’appel fait à votre bourse a toujours une tournure telle, que la conscience violentée murmure en souriant. Enfin cette industrie, si difficile à classer et à définir, se trouve si bien sur la limite qui sépare le juste de l’injuste, que les casuistes les plus habiles ne peuvent la ranger ni d’un côté ni de l’autre.

En plaçant ces métis dans le livre II, nous les avons mis entre les grandes industries et les petits voleurs ; c’est comme un terrain neutre qui convient à ces personnes honorables ; et cette classification est un véritable hommage rendu aux mœurs françaises et à la supériorité de la bonne compagnie.

Un honnête homme doit d’autant plus se tenir sur ses gardes, que les caméléons, dont nous essaierons de saisir les couleurs et les formes, se présentent sous les jours les plus favorables. Ce sont des amis, des parens, et même, ce qui est sacré à Paris, des connaissances. Acteurs dans ces petits drames, ils frappent droit au cœur, émeuvent la sensibilité, les sens, placent l’amour-propre en de cruelles perplexités, et finissent toujours par vaincre les résolutions les plus héroïques.

Pour vous mettre à l’abri de cette pluie de demandes légitimes, souvenez-vous perpétuellement que l’égoïsme est devenu une passion, une vertu chez les hommes ; que peu d’âmes en sont exemptes ; et qu’il y a cent à parier contre un que vous êtes victimes, vous et votre bourse, de ces belles inventions, de ces enthousiasmes de générosité, de ces complots honnêtes auxquels on n’est que trop enclin à payer tribut.

Rappelez-vous toujours ce mot énergique de je ne sais quel homme bien pensant : « Mon ami, il n’y a pas d’amis. »

Ici nous n’avons pas de type à offrir ; chaque paragraphe sera un portrait ressemblant, une physionomie nouvelle, et le lecteur pourra y reconnaître bon nombre des misères quotidiennes de la vie.

§ 1er.

Votre domestique entre tout effaré.

« Monsieur, voici deux dames, l’une est comtesse, l’autre marquise ; elles veulent vous parler. »

— « Sont-elles jeunes ? »

— « Assez. »

— « Jolies ? »

— « Oui, Monsieur. »

— « Faites entrer. »

Votre visage prend un air agréable, vous vous regardez dans la glace, vous passez vos doigts dans vos cheveux en ramenant quelques boucles sur les tempes, enfin vous avez pris une attitude,… cette certaine attitude : vous savez ?…

Malheureux, vous vous bercez d’idées légères ; vous ne pensez pas à l’argent, à l’argent monnoyé, à ces pièces rondes affligées de tant de maladies : les budgets, les amis, le jeu, les contributions ; non, vous n’y pensez pas.

Elles sont entrées, elles sont jeunes, elles sont belles, nobles, charmantes ; il y a plus, leur chaussure mignonne est sèche. Tout à coup votre figure est devenue froide ; vous affectez la sévérité, le mécontentement, vous n’osez plus regarder ces dames.

Ah ! vous avez vu la bourse en velours rouge à glands d’or, et vous entendez cette phrase connue depuis dix ans :

« Monsieur, votre humanité, votre bienfaisance nous font espérer que notre visite, en faveur des petits séminaires, ne sera pas infructueuse… »

Ces dames vous tendent la bourse, terrible argument ad hominem. À travers leur ton suppliant, elles vous laissent apercevoir qu’elles sont habituées à commander.

Il y en a qui se rejettent sur ce que le clergé est devenu riche, qu’ils sont eux-mêmes pauvres… Mauvais moyen !

Des catholiques osent se dire protestans, et cela pour gagner cent sous ! Le mensonge à si bon compte est plus qu’un péché.

Après avoir consulté plusieurs casuistes, nous nous sommes assurés que la phrase que nous allons transcrire ne renferme rien de blâmable ; elle est le port où se réfugie nombre d’honnêtes gens ; elle empêche les charitables dames de revenir.

Sans aucun étonnement l’on répond : « Mesdames, je suis flatté qu’un motif si honorable me procure la faveur de vous saluer ; mais je suis d’une Communion différente, et vous sentez que nous avons nos pauvres. »

COMMUNION

Ce mot, communion, signifie diocèse, paroisse, réunion de fidèles, comme il signifie aussi la confession d’Augsbourg, le protestantisme, etc.

Cette décision ayant été donnée par de respectables jésuites, qui pensent que l’on peut d’ailleurs faire, pour plus de sûreté, une petite restriction mentale, on peut la suivre ; elle tire d’affaire avec honneur, surtout si l’on met une grande politesse avec les deux dames.

§ 2.

Quand vous gagnez au jeu, gardez-vous de le laisser apercevoir. Si on vous demande formellement : « Gagnez-vous ? » Renfermez-vous dans une de ces phrases qui ne disent rien.

N’y a-t-il pas toujours là un ami intime qui perd tout son argent ? et l’on rend si lentement, si difficilement : la mémoire est si courte et la vie si longue.

Voici quelques réponses d’usage :

Je ne fais rien ;

Je ne perds ni ne gagne ;

Je suis comme si j’entrais au jeu.

Il y en a qui poussent la précaution jusqu’à dire : « Je perds. » Cette ruse ne doit être mise en usage qu’avec un de ces hommes immoraux, véritables sangsues d’une bourse débonnaire.

Plusieurs gens sages se contentent de faire une grimace, une petite moue, qui laisse l’emprunteur dans l’indécision. Nous penchons assez pour le froncement des lèvres : il ne compromet jamais et signifie tout.

§ 3.

Ceci est presque une extension du paragraphe précédent.

Jeune homme, qui faites vos premiers pas dans le monde, lorsqu’il s’agit de jeu, retenez bien le principe que nous allons essayer de graver dans votre mémoire.

Quand vous arrivez dans un salon où votre vieille tante, votre respectable grand-père ou votre oncle… (vous connaissez ce vieil oncle en perruque, qui ne parle que du parlement Maupeou et de l’exil que lui, conseiller au parlement, a subi à Pontoise ?) lorsque, dis-je, quelqu’un parmi vos grands-parens vous introduira dans un salon, afin de vous lancer dans le monde, vous apercevrez peut-être une rangée de douairières et de vieillards.

Ne riez pas, vous seriez perdu ; faites-leur mille politesses, aux vieilles surtout ; dites comme elles, soyez galant et vantez l’an 1750, car il faut songer qu’elles ont des filles de quarante ans et des petites filles de dix-huit. Alors, un beau jour, vous serez tout étonné d’entendre dire partout que vous êtes un fort aimable jeune homme.

Si l’on veut vous faire jouer, gardez-vous d’y consentir, et répondez que vous ne connaissez aucun jeu : dites même cela en souriant.

Souvenez-vous, 1o Que toutes ces vieilles têtes-là sont de l’ancien régime, sous lequel on ne se faisait aucun scrupule de tricher au jeu ;

2o Qu’elles savent le boston, le wisth, le reversi, comme nous l’écarté, qu’alors vous perdriez toujours ;

3o Que vous leur feriez ainsi une rente de cinq ou dix francs par semaine, et que le jour où vous sauriez jouer, vous ne seriez plus un aimable jeune homme.

Ceci est très important : les vieilles femmes ne savent que causer, et ce sont elles qui font notre réputation.

§ 4.

Si vous êtes connu pour riche, vous aurez toujours de la peine à éviter une de vos parentes, dont voici le signalement :

Elle est d’un âge incertain, et, sans avoir une grande fortune, ne rêve que la bienfaisance. À défaut d’un manteau, elle aurait donné je ne sais quoi aux pauvres.

Elle a toujours rencontré un pauvre homme ou une pauvre femme.

Si c’est une pauvre femme : elle a des enfants à nourrir, et ne possède rien ; elle vient d’accoucher sur la paille ; ou bien elle est malade, et n’a pas de quoi se procurer un bouillon, etc.

Si c’est un homme : il a vu sa ferme incendiée ; il est tombé du haut d’un échafaudage ; il est père de deux, trois, quatre, cinq, quelquefois six enfants, et il n’a pas un sou.

Quand l’histoire est racontée, elle ajoute : « J’ai déjà trouvé deux cents francs pour eux dans la famille, et parmi mes connaissances, etc. »

Elle ne vous dira jamais ce qu’elle a donné ; mais elle vous suppliera de grossir le trésor de ses indigens.

Songez que la véritable charité est silencieuse et voilée : elle donne directement, sans bruit, ne parle pas, et rougit de la reconnaissance.

Ergo, éconduisez la parente. Ceci est difficile, car les vieilles parentes sont fines, elles ont vécu, et leur langue est dangereuse.

Il y a une marche à tenir. Lorsque la bonne parente arrive, témoignez-lui une vive amitié, persuadez-la que votre argent est à son service, donnez-lui un bon dîner (toutes les vieilles femmes sont gourmandes), soignez-la bien ; et quand vous refuserez de secourir son protégé, vous aurez si bien enfermé sa bienfaisance entre la reconnaissance du ventre et la peur d’offenser un parent si aimable, qu’elle n’osera peut-être pas élever la voix.

Si la parente est ennuyeuse, désagréable, cessez de la voir par degrés ; allez souvent à votre campagne ; soyez sorti ; mais quand vous la rencontrerez, soyez toujours désespéré : « Oh ! ma bonne tante, que je suis aise de vous voir ! Mais vous ne venez jamais nous visiter. »

§ 5.

À l’égard des parens pauvres, il y a une conduite à tenir : elle est l’écueil du genre. Il faut opter entre la réputation d’un cœur dur ou celle d’un homme bienfaisant.

§ 6.

Refusez, si cela se peut, la tutelle des orphelins sans fortune qui ne sont pas de votre famille.

Néanmoins, assister de loin, secourir un orphelin sans se faire connaître, devenir une sorte de dieu pour lui, le conduire dans la vie, l’arracher au malheur, est un plaisir que l’on peut payer tout comme un autre.
§ 7.

Un chapeau neuf coûtant une somme considérable, en comparaison du prix qu’on retire d’un vieux chapeau ; nous consignerons ici un aphorisme que Cicéron ne formulerait pas autrement :

« N’allez jamais au bal avec un bon chapeau, pas même chez les ministres. »

En 1817, un huissier du ministère de l’Intérieur répondit à un honnête homme qui, vers une heure du matin, lui demandait son chapeau en disant : « Monsieur, il est tout neuf. — Des chapeaux neufs !… Monsieur, passé onze heures, il n’y en a plus. »

C’est cette confusion de chapeaux qui fit venir la mode, pendant un temps, de les tenir à la main : ce précieux usage est tombé en désuétude. En 1824, on comptait encore des rentiers qui gardaient le leur.

§ 8.

Quand vous aurez une campagne à vendre auprès de Paris, vous verrez venir des acquéreurs, surtout le dimanche ; vous leur donnerez à dîner, ils vous feront faire vingt fois le tour du clos, du parc, visiteront la ferme, etc., puis ne reviendront plus.

Voici la marche à suivre pour ne pas perdre un dîner :

1o Ne recevez personne sans un billet de votre notaire : c’est la précaution par excellence.

2o Si vous avez oublié cette clause-là, promenez l’acquéreur avant le déjeuner, et montrez-lui votre propriété.

S’il est content de tout, s’il se promène plutôt qu’il n’examine, admire vos espaliers, vos plantations, trouve tout bien, même le prix qui n’est qu’un peu élevé, soyez sûr que ce n’est pas un acquéreur ; ne l’invitez pas à dîner.

§ 9.

Ne vous liez jamais avec les présidens ou vice-présidens des sociétés de bienfaisance maternelle, caisse économique, bureau des indigens, caisse de secours, société de délivrance pour les prisonniers, etc.

Un jeune homme de bonne famille est mis à Sainte-Pélagie. Un ami va voir le créancier, homme riche.

Cet ami, par sa position dans le monde, écartait tout soupçon d’indiscrétion ; il parle avec chaleur :

« Comment, Monsieur, vous, riche, avez-vous pu mettre mon jeune ami en prison ; vous, président d’un comité de bienfaisance, vous profitez d’une loi barbare qui n’atteint que le malheur et jamais le crime ? »

Le paisible et joyeux négociant écoutait ce discours en souriant.

« Monsieur, dit-il, votre ami ne restera pas trois jours en prison, et je serai payé.

— « Mais il est orphelin et n’a pas d’amis assez riches pour… »

Encore un sourire du négociant.

— « Ne voyez-vous pas, Monsieur, que je l’ai fait arrêter la veille de l’assemblée du comité. »

— « De quel comité ? »

— « Celui de la délivrance des prisonniers. Un de mes collègues fera payer les dettes de votre ami, et à la première occasion je lui rendrai la pareille. »

Ab uno disce omnes !

§ 10.
MONSIEUR UN TEL.

Un homme très-aimable, et connu dans la société, s’est trouvé, à quarante ans, presque sans fortune. On le voit toujours bien mis, recherché, galant ; c’est enfin Monsieur un tel. Il a su conquérir un très-bel état ; et voici comme :

Vous, père de famille, riche et ayant maison de campagne, vous avez une fille à marier ; il vous propose un gendre. Ce gendre est un charmant jeune homme, qui a une belle place, une honorable famille, un nom.

Monsieur un tel vient dîner cinq ou six fois pour causer avec vous, il passe les soirées, gagne au jeu, établit le compte de votre fortune, s’enquiert de la dot. On consulte mademoiselle Paméla. Paméla ne demande pas mieux. Elle aime singulièrement ce bon monsieur un tel, qui s’occupe ainsi de marier les jeunes personnes.

En effet, rien n’est plus sérieux, et l’entrevue a lieu au spectacle ; vous trouvez le jeune homme on ne peut mieux (phrase consacrée). Monsieur un tel est enchanté ; il vous amènera même le jeune homme ; il tient tout ce qu’il a promis. Le mariage marche ; les renseignemens se prennent ; Paméla s’engoue, et le jeune homme vient souvent avec son ami monsieur un tel à la campagne du futur beau-père.

Après un certain temps déterminé par monsieur un tel, le jeune homme est forcé d’épouser une jeune personne très-riche, laide, qu’il n’aime pas. Monsieur un tel est désespéré ; le prétendu est violenté par son père, et alors déclamations contre la tyrannie des parens : mais il a encore quelqu’un en vue.

Nous ne connaissons personne qui n’ait été dupe de monsieur un tel ; nous seuls avons deviné ce petit commerce de dîners d’amitié, de parties d’écarté lucratives. Cette profession est cachée sous les formes les plus agréables, sous l’amabilité la plus séduisante ; et monsieur un tel est réellement un homme aimable.

Monsieur un tel n’a plus à payer que son loyer, son bottier, son tailleur, et encore… il a tant d’ordre !

Il lui est arrivé de négocier plusieurs fois de bons mariages ; et alors avec quel soin il l’a proclamé : il vante ces ménages-là comme les plus heureux : c’est un da capo de conversation : il y revient sans cesse.

Monsieur un tel est aimé et estimé ; il nous en voudra peut-être, mais nous ne l’avons pas nommé : c’est de la générosité.

Ceci s’applique aussi à madame une telle.

§ 11.

Règle générale qui a peu d’exceptions : ne vous abonnez jamais à des souscriptions. Librairie, gravure, musique, tout est compris.

1o Quand la souscription est terminée, vous payez toujours l’ouvrage meilleur marché que les souscripteurs ;

2o La plus belle entreprise, la mieux soutenue, peut manquer.

§ 12.

N’allez jamais en voiture chez les marchands, à moins qu’il ne pleuve : alors faites-vous descendre à quelques pas.

§ 13.

L’axiome général, et qui ne souffre aucune observation, c’est celui-ci :

« En quelque entreprise que ce soit, ne soyez jamais simple actionnaire. Il faut toujours avoir le droit de s’accouder au tapis vert avec les directeurs et les administrateurs, parce que ce tapis vert représente un plat dont il faut pouvoir prendre sa part comme à table d’hôte. »

Muni de cet axiome comme d’une longue-vue, vous apercevrez l’origine d’une foule de fortunes illégitimes.

Si vous suivez l’axiome, c’est affaire de conscience.

§ 14.

Ne vous mettez dans une tontine qu’avec un cœur de bronze, un estomac de fer, des poumons de tôle, un cerveau de marbre, des jambes de cerf, et encore !… faites doubler vos chapeaux en moiré métallique, de peur qu’une tuile ne vous casse la tête.

§ 15.

N’ambitionnez pas l’honneur d’être colonel ou capitaine de la garde nationale : cet honneur vous coûterait au moins douze cents francs par an, en uniformes, repas de corps à la moindre occasion, sans compter les dîners et déjeûners hors de chez vous les jours de garde, les étrennes du tambour, ses profits, etc.

C’est aussi une belle chose que de se soustraire à l’impôt de monter la garde.

Pour cela, il suffit de changer de logement tous les ans, après avoir dit à l’état-major que vous partez pour l’Amérique ; car, dans cette occurrence, votre campagne ne vous servirait de rien.

On peut encore ne pas se montrer, et prouver, par un mandataire, que l’on a l’âge requis pour ne pas faire partie de cette garde immortelle, en produisant l’acte de naissance de M. son père.

§ 16.

Le soir, au bal, si vous gagnez à dîner même chez un homme honorable ; ou le matin chez vous le lendemain du jour où vous avez touché vos revenus ; enfin toujours au moment où vous avez de l’argent, et que vous ne craignez rien pour votre bourse :

Une connaissance aimable, un ami même, un de ces gens auxquels on ne refuse rien, parce qu’ils connaissent notre situation ; mais le plus souvent une dame fort aimable, engageante, spirituelle, vous racontent les infortunes d’un homme de la société :

« Oui, disent-ils avec onction, un tel est tombé dans la misère ! Je le plains de tout mon cœur. Ah ! c’était un bien brave et digne homme : il ne mérite pas son sort. »

Là, vous faites un signe d’approbation. En effet, que risquez-vous ? Vous n’apercevez rien de sinistre pour votre bourse.

« C’est un devoir pour tous les honnêtes gens de le secourir… »

Qui n’applaudirait pas à cette maxime chrétienne si touchante, si belle, et si banale qu’elle signifie tout le contraire ?

« Enfin, ajoute-t-on, je ne sais pas comment cela se fait ; mais son malheur est tel, que le pauvre diable n’a pas un écu. »

Là, vous vous doutez de quelque piège : il y a des pressentimens salutaires.

Alors vous dites quelque phrase, et c’est toujours ce que vous pouvez trouver de plus insignifiant. Enfin, pour échapper, vous feignez de chercher des yeux une connaissance dans le salon.

Il est trop tard ; on vous tient, on vous regarde, et l’on ajoute : « Il a été forcé de vendre :

« Un bel Elzévir, » si c’est un homme de lettres ;

« Un tableau, » si c’est un peintre ;

« Un beau meuble, » si c’est un homme du monde ;

« Une belle porcelaine, » si c’est un journaliste ;

« De la vaisselle plate, » si c’est un artiste dramatique ;

« Des bagues, » si c’est un seigneur déchu.

Et remarquez qu’il y a toujours des circonstances intéressantes : l’auteur a eu des succès ; le peintre a été à Rome ; le banquier est un sot qui n’a pas eu l’esprit de faire faillite ; le seigneur a été un personnage.

« Vous devriez bien, dit-on d’un air sentimental, prendre des billets : le prix est si modique ! Pour vous, c’est une bagatelle ! Vous gagnerez, tout est presque placé. »

— « Voulez-vous me permettre de voir ? » dites-vous froidement ; car vous espérez encore vous tirer de ce mauvais pas.

Vous tenez le billet, vous le tournez, retournez. On vous voit : il y a là plusieurs personnes… Il est impossible de le rendre.

Quand on est arrivé jusqu’à se faire offrir les billets, il faut agir avec grandeur ; se tenir obligé de rendre service ; ne prendre qu’un billet, mais d’un air réjoui ; car songez que, dans le traquenard où vous êtes pris, il y a quatre-vingt-neuf personnes qui perdent avec vous cinq francs, dix francs, un napoléon, deux, trois, dix quelquefois.

Mais souvenez-vous, pour l’avenir :

1o Que l’objet promis est porté à trois fois sa valeur ;

2o Que souvent on ne place pas assez de billets pour que le tirage ait lieu ;

3o Que le propriétaire garde presque toujours la moitié des billets, et qu’il a quarante-cinq chances contre vous une ;

4o Vous ne connaissez jamais ni d’Ève ni d’Adam la personne secourue ;

5o Elle ne vous connaîtra jamais ;

6o Partant, il n’y a ni reconnaissance à attendre, ni plaisir à espérer.

Nous connaissons un compositeur dont le piano a été mis sept fois en loterie. Il rapporte dix-huit cents francs par an. Mais il ne reste plus que trois quartiers de Paris à exploiter.

Quant aux moyens de se garantir des loteries, il n’en existe qu’un seul. Il faut avoir une grande connaissance du système de Lavater, et d’après les figures, les inflexions de voix, les gestes, deviner d’une lieue ce dont il s’agit.

§ 17.
ANECDOTE.

Nous avons connu un honnête homme, que nous offrirons comme un modèle, un type véritable de l’homme prudent.

Il s’était habilement cuirassé contre toutes les attaques que les fripons, les gouvernemens, les gens comme il faut, la société, pouvaient faire à sa bourse.

D’abord il résolut de mourir garçon. Il est mort !… et nous l’avons suivi, lui dans le char des pauvres, et par-dessus lui un drap blanc. Il n’était cependant pas mort vierge. Oh ! non.

Toute sa fortune était placée en viager par de belles et bonnes hypothèques. Il avait réussi à amasser ainsi cent soixante mille livres de rentes viagères.

Il ne payait donc pas d’impôts fonciers, ni d’emprunts forcés, ni de réquisitions de guerre, subventions, contributions, etc.

Il avait fait assurer sa vie.

Il logeait dans le plus bel hôtel garni de Paris, et occupait un appartement magnifiquement meublé.

Il ne payait donc jamais d’impôts mobilier, personnel, etc., était exempt de la garde nationale et du logement des troupes.

Il n’avait pas de domestiques.

Il s’était arrangé chez un loueur de carrosses pour avoir toujours à ses ordres une voiture et un laquais.

Il faisait les meilleurs repas en ville, et n’était pas tenu de les rendre, en sa qualité de garçon.

Il dînait chez les plus célèbres restaurateurs, ergò n’avait pas de parasites.

S’il eut des enfans, il n’en fut jamais embarrassé, non plus que de leurs mères, et ne se releva jamais la nuit pour les soigner.

Il atteignit cette terre qui pèse tant sur notre poitrine, sans avoir dépensé un sou autrement que pour son plaisir : il pouvait se comparer au justum et tenacem d’Horace.

Il eut toute sa vie une liberté illimitée, ne sentit aucun frein, aucune chaîne, et vécut heureux comme on doit l’être lorsqu’on jouit de tous les bénéfices de la société, sans supporter une seule de ses charges.

§ 18.

N’ayez jamais la sotte ambition d’être revêtu de fonctions gratuites ; et, parmi tous ces honneurs, fuyez la mairie, surtout celle d’un chef-lieu d’arrondissement.

1o Le préfet en voyage vient chez vous, il faut le traiter : le lendemain il a oublié votre nom.

2o Lorsqu’on tirera au sort pour le recrutement, pendant trois jours vous aurez le sous-préfet. Un sous-préfet est encore pire qu’un préfet.

3o Enfin, votre commune n’aura-t-elle pas des procès à finir, des chemins à commencer ; et la moindre petite affaire ne vous conduit-elle pas à Paris ou au chef-lieu du département : grâces au système de centralisation ! Et alors que de courses, de voyages, de dîners et de séjours loin de chez vous, sans compter les peines.

4o Vous vous ferez des ennemis ; et le plaisir d’être le César de la commune ne peut pas compenser ce seul inconvénient.

D’après une évaluation honnête de tous les frais de la place, on fixe les déboursés à douze cents francs : c’est la dot d’une honnête fille.

§ 19.

Si deux amis passent le pont des Arts, il y en a toujours un qui se trouve perdre un sou.

Ne combattez jamais à qui paiera.

§ 20.

Défiez-vous des auteurs qui veulent vous dédier un livre.

Méfiez-vous aussi d’un auteur qui vous envoie son ouvrage sans avoir mis dessus : Présent d’amitié. Le mot hommage est même douteux : il n’exclut pas assez positivement le paiement du livre.

§ 21.

Une bonne coutume est celle qu’ont plusieurs honorables personnes de s’absenter le 30 décembre pour un mois : ce sont des philosophes qui jugent sainement des choses.

§ 22.

Ne soyez le parrain que de vos enfans.

Si l’on vous propose un filleul, voire une jolie commère, répondez imperturbablement que, « la religion catholique considérant un parrain comme chargé, aux yeux de Dieu, de l’âme de son filleul, qui devient ainsi son fils spirituel, vous vous êtes fait une loi de ne jamais prendre sur vous une pareille responsabilité. »

Cette phrase renferme dignité, savoir, noblesse, prudence.

Le plus petit baptême coûte cent écus à un homme honorable, sans compter le filleul.

Nous savons cependant qu’il est des circonstances où l’on est forcé d’être le parrain de son filleul ; mais c’est une extension extra-conjugale du principe que nous avons posé d’abord.

§ 23.

Mariez-vous rarement sans dot ; mais craignez encore plus d’épouser toute une famille.

§ 24.

Beaucoup de personnes honorables ont pris l’habitude de sortir sans argent : ces gens sages ressemblent à ces bons soudards de nos ancêtres, qui, couverts d’une cotte de mailles, ne craignaient que les coups de poignard.

§ 25.

Les jours de Fête-Dieu, marchez vite, à cause des mille chapelles que construisent les enfans.

Ils ont une voix si douce ;

Ils sont si jolis ;

Si bien habillés ;

Et les petites filles !… les fleurs… Ah !…

Vous n’en seriez pas quitte pour cent sous.

§ 26.

Quand vous aurez un cheval à vendre, soyez prudent : il viendra pour le voir un jeune homme botté, éperonné, la cravache à la main ; il emmène votre cheval. Ne vous impatientez pas, il vous le ramènera au bout de trois heures.

Il lui a reconnu un défaut majeur ; mais il a été au bois de Boulogne.

§ 27.

Après la sottise que l’on commet en épousant une femme sans dot, la plus cruelle c’est de donner dans toutes ces vertus patriotiques de dons, d’offrandes, de souscriptions monarchiques et patriotiques du Texas, du Champ-d’Asile, de statues à ériger, de palmes d’or et d’épées à monsieur le général un tel.

Tout cela ira bien sans vous.

Quand un homme fait le bien, n’a-t-il pas son cœur ?

§ 28.

Quelque imprimé qu’on puisse vous annoncer pompeusement dans les rues, ne l’achetez jamais, ne coûtât-il qu’un sou : vous le lirez dans le journal du soir en prenant une tasse de café avec votre ami.

§ 29.
ANECDOTE

L’art d’escroquer une place, et de se venger en même temps de la bassesse de son protecteur, étant ce qu’il y a de plus difficile, nous consignerons le fait suivant qui a échappé à l’auteur de l’Art d’obtenir des places.

En 1815, lors de cette destitution en masse d’une foule de fonctionnaires, au moment où les boîtes pleines de billets de banque étaient à la mode, et qu’on les offrait comme du tabac, un jeune homme, plein de talent, destitué injustement, alla se promener aux lieux fréquentés par les belles Parisiennes, qui ne savent rien refuser les jours de loyer.

Il examine ces dames avec la curiosité d’un marchand d’esclaves, et trouve enfin un modèle de beauté, de grâces : fin sourire, lèvres rosées, teint pur, dents blanches ; elle était faite à ravir. Il offre une somme assez raisonnable, et emmène cette demoiselle chez lui. Elle devait passer pour sa femme quinze jours environ.

Il pare cette épouse d’emprunt, l’instruit de son rôle, et va à l’audience d’un protecteur puissant, général russe ou prussien …?

« Monsieur, c’est ma femme ! répondit-il.

— « Ah ! c’est madame… »

Huit jours après il avait emporté sa place à la pointe de l’épée. Et le général ? Oh ! le pauvre général, n’en parlons pas.

On prie les protecteurs de se défier des protégés, autant que les protégés se défient d’eux.

§ 30.

Quand vous êtes en société, méfiez-vous singulièrement de ces papiers que l’on vous passe avec invitation d’y mettre votre nom.

C’est toujours une promesse de donner un louis, dix francs, etc., pour un concert ou autre invention pareille. Lorsque la recette est assurée, nous avons toujours vu les artistes jouer plus mal, et souvent, l’argent donné, le concert ou l’assemblée n’ont pas lieu.

Dites simplement que ce jour-là vous allez à la campagne.

Il n’y a pas de propriété foncière qui puisse rapporter plus que cette campagne que vous n’avez pas.
§ 31.

« Non, Madame, mes moyens ne me permettent pas… » — « Non, mon ami, je ne suis pas assez riche… »

Phrases qu’il faut avoir le courage de prononcer quelquefois, mais avec fermeté.

Elles garantissent d’une sotte partie de plaisir, d’un achat ridicule, d’une foule de choses enfin qui ne portent ni honneur ni profit.

§ 32.

Règle générale : « Ne laissez jamais apercevoir la véritable somme à laquelle se monte votre fortune. » Et méditez cet axiome.

§ 33.

Sottise, duperie, pas de clerc, que de donner de l’argent pour voir d’avance ce qu’on verra publiquement quelque temps après, comme les tableaux, les chapelles à fresque, les plafonds peints, les coupoles, les répétitions, les objets d’art.

§ 34.

Il y a régulièrement tous les ans à Paris quelque nouvelle invention qui tend à faire passer l’argent d’une poche dans une autre, volontairement et sans effort. Songez bien que le zodiaque de Denderah était une pierre noire que l’on voit gratis au Musée ; que le fossile humain est aussi une pierre, et que son existence serait tout bonnement un fait pour les sciences naturelles, et que cela ne regarde que M. Cuvier ; que le tombeau d’un roi égyptien est facilement connu en ouvrant un volume d’antiquités à la Bibliothèque royale ; qu’une momie, un lion de marbre antique, toutes ces expositions enfin sont des inventions perverses dont il faut se garer soigneusement.

Il ne faut aller voir que ce qui peut procurer du plaisir ; un danseur célèbre, un acteur, une débutante, une fête, etc.

§ 35.

Quand vous imprimerez un livre pour la première fois, si vous laissez voir au petit drôle qui apporte vos épreuves que vous êtes flatté de lire vos pensées imprimées toutes vives, il sait qu’il sera récompensé. Bien ; le piège n’est pas là. Un matin, il viendra tout propre, tout drôle, tout gentil, vous demander au nom des ouvriers imprimeurs. La fête de leur patron se trouvera toujours dans le temps qu’on imprimera votre ouvrage.

§ 36.

Si par aventure vous êtes nageur, et que vous vous rendiez aux écoles de natation.

1o Ne vous noyez pas ;

2o N’emportez jamais rien de précieux sur vous. Les cabinets sont bien sûrs ? — On le sait. — Les habitués sont tous honnêtes gens. — Raison de plus.

Ayez soin de vous faire un costume de nageur, comme un chapeau de bal, un habit de jeu.

§ 37.

Quand vous aurez quelque bijou précieux, ne le montrez jamais dans une grande assemblée.

L’abbé Desmonceaux, oculiste de Mesdames sous Louis XVI, montrait une tabatière qui venait de lui être donnée par le roi de Suède. « C’étaient tous seigneurs, nous a-t-il dit ; cela n’empêcha pas que, lorsqu’elle eut fait le tour du salon, il fut impossible de la retrouver. »

§ 38.

Entre la parole d’honneur d’un avoué et celle d’une actrice, n’hésitez pas : croyez l’actrice.

§ 39.

Défiez-vous des femmes grosses : elles sont subtiles dans leurs envies.

§ 40.

Ne faites jamais de dépôt entre des mains humaines, pas même à la banque.

Si vous êtes forcé de mettre votre argent entre les mains de quelqu’un, choisissez une actrice, ou un homme d’une profession et d’une conscience simples, comme les commissionnaires, les charbonniers, les porteurs d’eau, les fruitiers, etc.

Il y a deux Fois, la foi de Ninon et la foi punique : et les Carthaginois sont encore bien nombreux !
§ 41.

En général gardez le plus long-temps possible vos pièces d’or et de cinq francs sans les changer. L’expérience a dicté ce précepte. En effet, remarquez qu’une pièce de cent sous est encore respectable ; on regarde à deux fois avant de l’entamer ; c’est un morceau de résistance. La monnaie coule, elle s’échappe insensiblement d’entre les doigts.

§ 42.

Un ami de collège dans le malheur, tonneau de Danaïde.

§ 43.

Défiez-vous constamment des inventions nouvelles, telles que : les huiles de Macassar, les poudres à rasoir, les pâtes de jeunesse, les fioles virginales, les scaphandres, les cafetières, les lignes qui se fourrent dans une canne, les parapluies qui rentrent dans un fourreau de tôle, les lits qui se cachent dans un mur, les fourneaux économiques qui coûtent à établir plus que cent fourneaux, les cheminées de cent écus qui doivent chauffer sans bois, les fusils, les marbres factices, les bottes sans couture, etc. En général, tout ce qui porte le nom d’économique est une invention coûteuse ou impraticable.

Il y a, de par le monde, un brave et honnête cultivateur qui inventa, il y a quelques années, un outil pour empêcher, au moyen d’une incision annulaire, la vigne de couler. Ce digne homme remédie effectivement à ce grave inconvénient qui perd les récoltes précieuses ; mais il n’a pas vu qu’avant que l’on ait pratiqué cette circoncision de la vigne sur des clos de cinquante, soixante arpens, le raisin a le temps de mûrir, tel nombre d’ouvriers qu’on y emploie.

Cette invention, très-ingénieuse et remarquable, est bonne pour ceux qui ont un arpent ou deux de vignes, mais inutile au reste des cultivateurs. Cet exemple nous a frappé entre mille autres.

Aussi ces inventions-là sont-elles bien les plus terribles impôts qu’on ait jamais levés sur les honorables bourgeois. Que l’on ne nous accuse pas ici de vouloir étouffer l’industrie ; nous applaudirons de toutes nos forces aux inventions réellement utiles ; mais nous ne cesserons de répéter à l’occasion des charlataneries :

Attendez que la voix publique et un assez long usage aient consacré les inventions nouvelles, alors vous participerez à leurs bienfaits, moyennant la somme de dix, vingt, trente ou quarante francs.

§ 44.

Vous êtes fils ; vous serez père, à moins que…

Vous êtes fils… Souvenez-vous alors de ce certain sac, ce sac qui était dans cet endroit, vous savez ?… Monsieur votre père n’y prenait jamais garde, et de temps à autre vous y puisiez avec confiance. En ce temps-là, vous vous disiez : « Bah ! cela ne paraît pas ! » Puis encore : « Mon père me doit des leçons d’ordre, d’économie, de bonne administration ; je fais là une épreuve et je vois qu’il n’a ni mémoire ni attention, défauts essentiels dans un chef de famille. Dieu se sert de moi pour le punir… »

Vous vous donniez là une leçon indirecte, si vous êtes aujourd’hui père. Aussi ce présent paragraphe n’est-il ici porté que pour… mémoire.

§ 45.

Ne vous avisez jamais d’offrir le bras aux dames de votre connaissance pour aller au spectacle, etc., etc.

Il peut pleuvoir.

Cependant si une dame vous témoigne quelque estime, trois francs de voiture deviennent une économie.

§ 46.

Un vieux garçon ne doit jamais avoir qu’un coupé pour voiture, et sans strapontin.

Malheur à lui s’il prend une berline ou un landau !

Que de femmes il reconduira ! et… trois douairières dans une calèche, c’est pire qu’un vol !
§ 47.

De femme à femme, il y a des vols qui s’exécutent d’une manière épouvantable.

Comme il y a d’honnêtes femmes autant que d’honnêtes gens, nous leur conseillons en amour la plus grande discrétion et l’économie.

§ 48.

Si votre femme vous persuade qu’avec les cent louis que vous lui avez remis, elle a pu acheter une parure qui vaut cinq mille francs ;

Que la parure vaille même davantage, tout examen fait :

Vous êtes volé, mais sans effraction.

§ 49.

Pauvre petit innocent ! Il a dix ans : il ne connaît pas le monde, les hommes, les femmes !… Il était fils unique.

Le voilà qui saute, et tout joyeux croque des bonbons, des dragées : il est heureux comme une actrice applaudie. Il y a eu un baptême à la maison, et le parrain de sa sœur lui a donné, avec les bonbons, un joli petit sabre. Il aime ce bon parrain.

À vingt-cinq ans il se trouvera volé ; et cependant que de choses on lui a données !

Un aîné peut être volé comme cela deux fois, trois fois.

Les lois ne punissent jamais ces horribles brigandages.

Vous, pauvre bambin, vous n’y pouviez rien faire, et Monsieur votre père encore moins.

Il ne vous reste d’autre parti que de bien aimer votre jolie petite sœur.

§ 50.

Aussi autrefois, et c’était chose sage, on mettait les demoiselles au couvent.

§ 51.

Lorsqu’un de vos parens est dans le commerce, n’achetez jamais rien chez lui.

1o Vous n’oseriez pas marchander, et vous ne pourriez jamais lui reprocher de vous avoir mal servi.

2o S’il vous connaît riche, vous n’aurez pas de crédit, et vous perdrez un an d’intérêt de vos fonds.

3o Il vous trompera plus facilement qu’un autre.

Ceci s’applique encore aux amis intimes.

Songez qu’il faut toujours se considérer comme en état de guerre avec ses fournisseurs.

§ 52.

Il y a deux honorables classes de citoyens français avec lesquels il ne faut pas légèrement contracter : les Normands et les Gascons.

§ 53.

Vous êtes médecin, avoué, notaire, etc., homme public enfin ; alors retenez bien ceci :

Lorsque vous verrez venir un homme qui a tenu ou qui tient encore un grand état dans le monde ; que cet homme,

(Ce paragraphe s’applique également aux dames.)

Que cet homme ou que cette dame doit, par son rang même affecter une hauteur, une fierté, un orgueil, une morgue, une insolence de qualité avec vous, qui n’êtes pas noble, ou qui, par votre profession estimable, êtes censé au-dessous de lui ou d’elle, qui ne fait rien, ou dont l’oisiveté est chèrement soldée par une sinécure ;

Que cet homme ou cette dame dépose sa fierté en entrant chez vous, et veuille vous parler d’affaires…

Retenez qu’il y a toujours un piège là…

Elle entre, elle s’assied ; vous la connaissez, vous êtes flatté de sa visite. Son ton est moitié humble, moitié hautain. On reconnaît cette exquise politesse du grand monde, ces manières distinguées… Vous êtes mis sur une ligne de décence et de haut ton qui force à garder un visage agréable. La visite se prolonge.

On vous demande tout à coup pour affaire dans votre cabinet.

« Oh ! mon Dieu ! dit-elle avec un sourire et un mouvement de tête gracieux, allez, Monsieur, j’attendrai. »

Que la terreur se glisse dans votre âme : ceci veut dire qu’on vous empruntera de l’argent, une forte somme que vous ne reverrez jamais.

À votre retour on vous fera une proposition telle, qu’il vous sera difficile de refuser.

Nos ancêtres avaient des usages et des coutumes qui semblent bizarres au premier coup d’œil ; mais il n’en reste pas moins vrai que cette petite grille placée à la porte d’entrée, et par laquelle le maître de la maison venait reconnaître les arrivans dans les temps de troubles, avait une utilité bien réelle, et que cela évitait bien des sottises.

La petite grille subsiste encore en province dans quelques villes.

Aujourd’hui à Paris les gens qui ont des créanciers, pratiquent une meurtrière à leur porte pour savoir de quelle nature est l’homme qui sonne.

Ces honorables ressources n’existent plus. Un maître n’a jamais de valets assez intelligents pour deviner de semblables tours.

Alors la seule garantie qui reste est une profonde connaissance du système de Lavater, et une grande habileté.

Vous venez d’acheter une campagne ;

Vous avez placé vos fonds ;

Vous devez faire un remboursement ;

Vous venez d’essuyer une banqueroute, etc. Un homme profond, juge si l’honorable mendiant, si le noble emprunteur n’éprouve qu’un embarras momentané.

Prêtez alors, avec un visage radieux, mais prenez hypothèque et des sûretés, et par-dessus tout, montrez-vous rarement jusqu’au remboursement.

Si la comtesse emprunte, parce qu’elle est ruinée, tâtez-vous le pouls, et voyez si vous pouvez impunément vous laisser saigner.

§ 54.

Vous, femme, aimable, élégante, riche, vous avez une femme pour amie ; elle est aussi aimable, spirituelle, bonne, riche.

Ne vous prêtez jamais ni cachemire, ni robe, ni parure.

Nous savons qu’il n’y a nulle intention ; mais un soir vous donnez à votre bonne amie un schall pour qu’elle puisse se coiffer en turban, à la grecque, à la juive.

Le lendemain votre femme de chambre vous rapportera le cachemire en huit morceaux ; car le coiffeur qui ne connaissait pas jusqu’à quel point allait votre intimité l’aura coupé impitoyablement.

§ 55.

Lorsqu’il paraît un écrit de quelques pages et bien intéressant, songez que Delaunay, libraire au Palais-Royal, l’a sur son étalage, et que, pour se populariser, il l’a coupé, afin que vous le lisiez à votre aise.

§ 56.

Il en est des beaux cafés nouveaux, comme des changemens de ministère ; c’est vous qui paierez.

§ 57.

Prenez garde aux Saint-George, qui ne vous cherchent querelle que pour vous appeler en duel, et vous faire payer un déjeuner de quarante ou cinquante francs.

§ 58.

Lorsque vous voyagez dans Paris avec un cabriolet de place, et que le conducteur est propriétaire du cheval, soyez sûr d’entendre rouler ses plaintes sur la cherté de l’avoine, et sur ce qu’on lui porte envie. Il perd à ce métier-là ; il vaut mieux être chez un maître loueur, etc., etc.

Mais si le conducteur n’est pas propriétaire, c’est autre chose :

Les maîtres exigent une somme exorbitante.

Lui, pauvre diable, a femme et enfans, et peut à peine les nourrir.

C’est la première fois qu’il étrenne de la journée.

Il est ancien militaire.

Bref, vous donnerez toujours plus qu’à un autre qui ne dirait rien.

Nous avons connu un homme très-distingué qui suivait l’ordonnance comme aurait pu faire le Shylock de Shakespeare.
§ 59.

Quand vous allez au spectacle, ne prenez jamais l’argent qu’on vous rend sans bien l’examiner.

Idem, au Trésor.

On reçoit quelquefois des pièces fausses.

Mais examinez encore plus sévèrement les petits rouleaux de papier intitulés : Pièces de un franc, deux francs, etc…

§ 60.

Un bel enthousiasme dont tous les enfans sont victimes tous les ans, lorsqu’ils sont en pension, c’est celui-ci :

La fête de l’honorable instituteur arrive ; on complote de la lui souhaiter. On demande à son épouse quel est le meuble, la pièce d’argenterie dont l’offrande serait agréable à Monsieur.

« Non, mes enfans, dit-elle toute confuse, non, je ne vous le dirai pas : l’année dernière vous donnâtes douze couverts, et vous savez combien Monsieur a été mécontent ; il a failli ne pas accorder le congé ; non, ne donnez rien. »

C’est de l’huile sur le feu : on s’impose par tête, on se moque de ceux qui donnent peu : c’est à qui harcèlera père et mère pour avoir davantage ; on prend même sur ses menus-plaisirs. Oh ! quel âge d’innocence ! avec quelle bonne foi on conspire soi-même à se duper !

On offre la soupière. L’instituteur se fâche, gronde et sa modestie paraît dans tout son éclat. Il accorde le congé d’un air sévère et promet de punir l’année suivante si pareil scandale a lieu. Encore dix ans, et son service sera complet. « Ce sont de bien bons enfans !… » dit-il à son épouse. Puis à chaque père en particulier il assure pendant quelque temps que son fils fait des progrès, qu’il promet, que c’est un fort joli sujet !

§ 61.

Cours de langue italienne en vingt-quatre leçons ; cours de mnémotechnie en douze séances ; cours de musique en trente-deux leçons ; l’écriture apprise en dix leçons, etc.

Nous ne ferons pas l’injure de commenter ces charlataneries.

Ceci s’applique encore aux portraits à un louis faits en deux séances.

§ 62.

À Londres, les consultations de tout genre se paient fort cher, et le moindre avis est regardé comme une consultation. Le célèbre Driadust, avocat, passait dans Alls-street, lorsqu’un marchand, lui montrant un schelling, lui demanda s’il était bon. « Fort bon, dit le docteur en le mettant dans sa poche ; vous me donnerez le second une autre fois. »

Ainsi, quand vous irez en Angleterre, si vous parlez à un médecin ou un avocat, ne terminez jamais votre phrase par un point d’interrogation.

§ 63.

Vous n’avez que votre bourse à garantir : on peut vous prendre encore votre réputation.

En se servant de votre crédit ou de votre nom, des fripons, qui doivent faire banqueroute, peuvent vous proposer une belle affaire, des gains certains : ils veulent votre nom et votre virginale réputation pour attirer des dupes. Vous, jeune homme pur et candide, ou vous, honnête homme foncé, vous ne vous douteriez jamais que des hommes honorables, bien vêtus, bien disans, qui vous vont chercher en voiture, vous amènent dans un bel hôtel, vous donnent un dîner somptueux, puissent être des fripons.

Cela est ainsi. Il vaut mieux perdre quelques écus que de risquer cette glace pure qu’on nomme réputation.

§ 64.

Un parasite qui n’est pas gai, qui ne sait rien, qui se plaint des mets, vous vole.

§ 65.

Que de maris ne se font aucun scrupule de dévorer le bien de leurs femmes !… ou celui de leurs enfans. Que de femmes prodigues et légères !

On devrait marier toutes les femmes séparées de biens ; cela n’empêche pas les testamens d’aller leur train.

Une femme qui a tout donné à son mari a commis une grande sottise.

Il y a une coquetterie dans les bienfaits comme en amour.

§ 66.

Que direz-vous de ces banquiers d’Allemagne qui, avec une bonne foi teutonique, nous envoient des séries de numéros pour les loteries des terres d’Engelthal, de Newhy, de Sigmaringen, d’Hohenligen, etc. Il faut que l’on nous croie aussi bénins que les Allemands ! Nous espérons bien que pas un de nos lecteurs n’a encore risqué une pièce de vingt francs.

§ 67.

Acheter des arbustes, des fleurs, des plantes au quai aux fleurs, est une haute et cruelle sottise qui se commet journellement : aussi combien de rosiers ne voit-on pas mourir sur les fenêtres, empoisonnés par la chaux qui garnit le fond du pot à fleurs. Les bourgeois de Paris, les commerçans de la rue Saint-Denis sont incorrigibles !…

§ 68.

Avoir sa campagne près de Paris, c’est mettre un setier de blé dans un champ au temps où les oiseaux nourrissent leurs petits. Allez donc au moins à vingt lieues de la capitale, ou n’ayez pas de campagne.

§ 69.

Il y a des gens prodigues et corrupteurs de toute morale, qui, non contents de manger leur patrimoine, veulent encore dissiper celui des autres par contre-coup. Ils démoralisent la classe honnête des ouvriers et des ouvrières, et gâtent par leurs folles générosités une partie utile de la nation : ils l’accoutument à de nouveaux besoins, et c’est ainsi que l’on prépare des révolutions loin d’en fermer l’abîme.

L’une des habitudes les plus perverses de ces jeunes gens consiste à donner des pièces de vingt, trente, quarante et cent sous aux ouvriers et ouvrières qui leur apportent de la part de leurs maîtres des paires de bottes, des habits, du linge, des chapeaux, des meubles, etc. ; si bien qu’un honorable bourgeois est vilipendé quand, par faveur insigne, il octroie un pourboire modeste et convenable.

Nous le répétons, dans l’intérêt des bonnes mœurs, les fournisseurs doivent leurs marchandises franc de port ; et corrompre ainsi le commerce dans sa source est un crime.

§ 70.

Il y a peu de chose à dire contre les médecins ; ce n’est pas aux vivans à se plaindre d’eux ; cependant, ils ont bien aussi, par-ci, par-là, quelques petites manières de faire gagner de l’argent aux apothicaires. Remarquez qu’il y a tous les ans un spécifique en faveur : un temps ce fut le sagou, un autre le salep : on mangeait tout au salep ou au sagou. L’arrow-root a détrôné le sagou : mais vint, avec Walter Scott, le lichen d’Islande, puis les sangsues indigènes combinées avec l’eau de Seine ; enfin le bol purgatif, etc., etc. ; et toujours ces bons remèdes coûtent plus cher quand ils sont en vogue ; et c’est, à bien prendre, comme ces réimpressions que font nos auteurs qui finissent par nous mettre entre les mains ce que nous connaissons. Voyez les résumés.

§ 71.

Ne dites jamais où est votre testament et ce qu’il contient.

Vieux célibataires, oncles sans enfans, vieilles qui amassez sou sur sou pour des collatéraux, honnêtes gens fortunés, etc., à tous présens et à venir, salut : vous faisons savoir par ces présentes qu’il ne faut jamais s’embarrasser d’un testament chez soi ; et que, règle générale, on doit toujours le déposer chez un notaire : c’est le parti le plus sage et le plus sûr.

§ 72.

Dans telle société que vous puissiez vous trouver, lorsqu’autour de la table d’écarté il y a beaucoup de monde, que vous êtes intéressé par un pari à la partie, ne quittez pas votre argent des yeux, et trouvez-vous toujours présent au moment du paiement ; sans cela, vous auriez beau parier des deux côtés, vous ne réussiriez pas toujours à toucher votre argent après cette douzaine de mains qui s’avancent à la curée.

§ 73.

Il y a quelques personnes qui s’amusent à prendre et à cacher votre argent, d’autres jouent avec des bijoux et font de très-mauvaises plaisanteries. Il arrive alors quelquefois que l’argent ou l’objet précieux s’égare par une circonstance fortuite, et l’embarras le plus ridicule, les soupçons les plus odieux se glissent dans l’âme de chacun. Tantôt l’argent se coule dans une botte, la boucle d’oreille se cache dans les falbalas d’une robe de bal, sous le coussin d’une gondole, et l’on finit par admirer les caprices d’une divinité, sur le compte de laquelle on met bien des choses : le hasard.

Règle générale, ne jouez jamais avec les choses précieuses : outre que cette plaisanterie est de mauvais ton, elle amène toujours une situation désagréable ; sans compter que le hasard vous fait quelquefois perdre ainsi de l’argent.