Code des gens honnêtes/2-1

La bibliothèque libre.
Code des gens honnêtes
ou l’art de ne pas être dupe des fripons
J.-N. Barba (p. 157-170).


CHAPITRE À PART


Des appels faits à votre bourse dans la maison du Seigneur.


Nous avons réuni tout ce qui concerne les impôts volontaires levés sur les fidèles sous un seul chapitre.

On devra d’autant plus le méditer, que c’est avec les préposés de la Fabrique que notre amour-propre a les plus rudes combats à soutenir. Ils excitent une lutte entre celui-ci et l’argent, et ce dernier succombe presque toujours.

Nous rendrons avant tout une pleine justice au clergé français, dont jamais, à aucune époque, les mœurs ne furent plus pures, les richesses moindres, et l’influence plus désirable, afin de ramener l’âge d’or.

Aussi, ne sont-ce pas les prêtres qui paraissent dans les combats journaliers qu’on livre aux bourses chrétiennes, mais bien ce qu’on nomme improprement le bas clergé ; savoir :

Un bedeau, un sacristain, un suisse, les enfans de chœur, etc.

Mais, par-dessus tout, une puissance séculière appelée Fabrique, ce qui veut dire administration des revenus de l’église. Et comment l’église peut-elle rapporter ? A-t-elle d’autres produits que les âmes ? Oui, certes ; et vous l’allez voir :

Il s’agit de vous maintenant.

Vous allez à l’église régulièrement, ou vous n’y allez pas.


Si vous y allez :


Tous les dimanches on fait trois quêtes, quelquefois quatre.

Et d’abord la Fabrique alloue à un entrepreneur le prix des chaises. C’est une dépense de trente francs par an pour les vrais fidèles.

Toutes les autres Communions ont eu soin de rendre leurs temples accessibles à tous, et de ne point les paver de redevances quotidiennes. Ceci est un point sur lequel tous les étrangers insistent en France, et qui a terni le culte de l’église gallicane. Nous avons consigné cette remarque, parce que le clergé français est généreux, la France polie, et les bourses peu garnies.

Si vous allez à l’office, faites apporter votre chaise ; il n’y a à cela aucune honte. Les dames du onzième siècle étaient suivies d’un page qui portait à l’église leur carreau de velours. On a tant d’amour-propre aujourd’hui, que ce serait une mode facile à faire prendre : on ferait voir ainsi qu’on a des laquais.

Première quête.

« Pour les pauvres, s’il vous plaît ! » Puis trois coups de la hallebarde officielle retentissent sur le pavé de l’église ; et un sacristain vous tend un bonnet pointu renversé.

Le don est volontaire, nous le savons ; mais comme tout est calculé ! vous êtes au milieu d’une assemblée ; on demande pour les pauvres ; vous ne donnerez que ce que vous voudrez ; tout vous commande la charité ; la loueuse de chaises a eu soin de vous laisser des gros sous ; votre voisine a jeté son offrande dans le bonnet pontifical : vous valez bien cette voisine !

Pour la conclusion de ceci, nous renvoyons à celle du paragraphe 3 du présent livre.

Deuxième quête.

« Pour les frais du culte ! » Et toujours la hallebarde et le bonnet.

Collez sur votre paroissien l’article du budget alloué aux cultes du royaume ; et fortifiez votre courage en voyant cette liste ecclésiastique de vingt millions, sans compter les bois.

Troisième quête.

On quête quelquefois pour les petits séminaires.

Cet article se confond avec le paragraphe premier du présent livre.

Ceux qui ont l’honorable coutume de ne jamais rien donner, s’y sont affermis par les observations suivantes :

« Je viens à l’église pour prier.

« Un vrai chrétien reste absorbé dans sa prière.

« Rien n’est vil comme l’or et l’argent.

« On nous commande de nous en détacher.

« Nous ne pouvons donc pas penser à la monnaie en pensant à Dieu. »

Enfin ces sages pensées valent environ cinquante sept francs par an, savoir :

54 dimanches à 0,75 : 40 fr. 50 c.
17 fêtes à 1 fr. : 17
Total : 57 fr. 50


Si vous n’allez pas habituellement à l’église.


Vous êtes un mauvais chrétien ; mais, dans cette hypothèse même, il y a quatre cas où vous y allez forcément.

Le baptême. — Vous êtes un marmot, on paie pour vous. Voyez le paragraphe 22, où l’on traite du parrainage.

La première communion. — Vous êtes un adulte ; et comme vous ne connaissez pas le monde, ce sont encore vos parents qui paient.

Le mariage. — Le jour des noces est plein de dangers, de surprises, de piéges. Le moyen qu’un marié refuse de l’argent dans ce jour unique où il a et n’a pas de femme !

Or, depuis l’autel du saint le plus modeste jusqu’à l’autel de la Vierge, tout a un tarif :

On est marié par le curé,

Ou par un vicaire,

Ou par un prêtre.

Il y a un grand poêle,

Un magnifique poêle,

Un poêle ordinaire,

Un petit poêle,

Et le poêle du commun des martyrs.

On peut être heureux en ménage en s’épousant à huit heures du matin, en allant à l’église à pied, vêtus comme d’ordinaire, bénis par un bon prêtre, sous le poêle du commun des martyrs, à l’autel d’un saint qui n’a même pas de tableau dans sa chapelle.

Lorsque vous allez à la sacristie, débattre avec monsieur le vicaire les frais de votre mariage, ayez un cœur contrit, humble ; ne vous épouvantez pas d’un sourire de dédain qui se répétera sur toutes les figures comme un son, d’écho en écho.

Dites, et cela vous sera compté un jour, dites : « Mon père, on nous a recommandé l’humilité, je suis humble, modeste. »

Si vous êtes titré, remarquez que c’est votre beau-père qui exige cette simplicité ; mais ayez soin qu’il ne soit pas là.

Si l’on vous fait observer que ce que l’on vous demande est pour la plus grande gloire de Dieu, répondez que « la gloire de Dieu brille dans les cœurs purs et les louables intentions. »

Nous savons bien que vous êtes oppressé dans cette sacristie ; mais, en sortant de l’église, comme le jeu de vos poumons est facile ! comme la rotondité de votre bourse est consolante ! par la même raison, mettez peu d’argent aux cierges, ne faites pas briller une pièce d’or aux yeux des passants, faites-la plutôt distribuer aux pauvres.

Vous avez bien tout prévu, tout payé. Entouré de votre nouvelle famille, vous arrivez à l’église, vous signez le bail de bonheur ou de malheur ; arrive alors le suisse ; il vient vous demander, en présence de toute l’assemblée, des gants blancs et des rubans de même couleur.

Vous n’avez jamais songé à ce suisse, il triomphe ! s’il n’avait pas de gants blancs, quel indice fatal ! d’ailleurs la famille est là, votre fiancée vous regarde. « Procurez-vous-en !… » Telle est la funeste réponse.

Il aura bien soin ce suisse de se montrer avec une paire de gants éblouissants de blancheur. Vous la paierez cette virginale candeur ; et c’est au moment où vous tiendrez votre bourse, que fondront sur vous le bedeau, les enfans de chœur et le sacristain. Chacun a une demande légitime à faire. Si vous avez le malheur d’être lent, les pauvres accourent !…

Alors songez à donner au suisse et pour les pauvres la plus faible somme possible ; soudain le suisse se retournera. — Quos ego !… Vous ne verrez pas un seul mendiant.

Vous retiré, le suisse remettra la paire de gants blancs dans l’armoire, à côté de sa sœur, la paire de gants noirs. C’est le jour et la nuit, la mort et la vie. Ces deux paires de gants sont toute notre histoire. Chaque fois qu’il prend l’une ou l’autre, ce vénérable suisse les ploie, les presse avec un soin paternel ; il se remémore et raconte au bedeau à combien de solennités elles ont paru : il les regarde avec satisfaction.

Un suisse retiré, qui nous a fourni ces détails, nous a avoué n’avoir jamais acheté plus de deux paires de gants par trimestre, et bon an, mal an, avoir touché huit à neuf cents francs.

Songez-y bien : soit que vous alliez à l’église pour épouser ou enterrer votre femme, il ne faut jamais vous piquer du faux point d’honneur de voir les suisses gantés.

Cette observation s’applique également au crêpe de la hallebarde ou aux rubans qui la décorent dans l’un ou l’autre cas.

En ce qui concerne les enterremens, les réflexions sont bien plus abondantes, il faut une présence d’esprit continuelle. Si vous êtes réellement affligé en votre qualité d’héritier, chargez du soin du convoi et du service, quelque collatéral déshérité : il verra les choses plus sainement.

L’ordonnance d’un service et d’un convoi est une des grandes difficultés du genre.

Le moment où l’un de nos amis fait cette terrible procession horizontale, et sort de chez lui les pieds en avant, est si court, si rapide, si tôt oublié, que la plus grande simplicité est toujours ce qu’il y a de plus noble.

Le souvenir est-il plus touchant quand il se rattache à dix-sept cent, dix-huit cent, deux mille, trois mille, six mille fr. qui, dans vingt-quatre heures, disparaissent comme le défunt.


De bons esprits penchent pour le char des pauvres.

Nous inclinons aussi pour cette voiture modeste.

Le char des pauvres, dessins sur le papier, vous présentera les lignes les plus pures, le cénotaphe ambulant le plus simple, le plus éloquent. Il fait impression. La mort y est touchante et dans son beau.

Des gens riches l’ont préféré.

Des hommes remarquables par leurs talens et leur force de caractère ont voulu être ainsi portés à leur dernière demeure.

De vrais chrétiens l’ont désiré.

En tout, l’expression simple est la plus belle.

« Voyez-vous passer ce corbillard ? »

— « Il est le moins cher. »


Les plumes, les larmes d’argent, les torches, les chevaux caparaçonnés, rien ne peut couvrir et effacer la mort ; et cette heure de luxe et d’opulence, empruntée à l’administration de la rue du Pas-de-la-Mule, coûte mille écus.


Souvenez-vous que l’on peut toujours dire que le défunt a voulu être enterré avec simplicité.

Les gens qui regrettent un ami vont au cimetière à pied, à moins qu’il ne pleuve. S’il pleut, leur action est encore plus belle.

Les voitures de deuil coûtent très-cher.

Enfin la véritable douleur est dans le cœur et non pas dans le pas lent et symétrique des chevaux d’un cortège.


Le mariage et l’enterrement sont deux occasions où, avec de la philosophie, de la religion et des principes, on doit économiser beaucoup.

Ce sont les deux occasions où l’on cherche à vous prendre le plus d’argent, parce que les passions ne calculent pas, et que dans l’une vous êtes joyeux, dans l’autre triste. Or, la tristesse et la gaieté sont les seules affections de l’homme : tout s’y rapporte.

Quand on vous apportera le pain béni pour le rendre le dimanche suivant, vous pouvez facilement vous exempter de cet impôt religieux, en ordonnant à votre portier de toujours dire au suisse et à l’enfant de chœur que vous êtes à la campagne.

Ce système de campagne est meilleur que celui de Law.

ANECDOTE

Le président Rose, académicien, était aussi avare que spirituel. En janvier 1701 il se mourait ; et se voyant entouré d’ecclésiastiques qui lui promettaient les prières les plus ferventes pour le salut de son âme, il fait appeler sa femme, qui avait la présence d’esprit de pleurer, et lui dit : « Ma chère amie, si ces messieurs en m’enterrant vous offrent des prières pour me tirer du purgatoire, épargnez-vous cette dépense-là ; j’attendrai, je ferai mon temps. »