Colloque Sentimental entre Émile Zola et Fagus/L

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Société libre d’édition des gens de lettres (p. 61).

L

« L’ŒUVRE » : l’éternel raté.

Tous les plus grands, aimez, vénérez le Raté,
Génie boiteux, soleil toujours en crépuscule,
Et ses yeux fous, ses enthousiasmes ridicules :
— Vous, les plus grands, jadis avez ainsi été ;

Et toujours vous le serez, si vraiment vous êtes
Les grands : l’Œuvre, hélas, c’est un rêve raté, c’est
L’aigle empaillé ! la preuve ? eh ! c’est vous qui la faites :
L’œuvre close, et qu’importe quel fût son succès,

Vous vous ruez bâtir une autre œuvre, ô génies !
Quand le Dieu Beethoven de ses neuf Symphonies
Acheva la neuvième, édifice si beau

Que l’on doute à l’ouïr ouïr œuvre mortelle,
Lui, mécontent, en entreprit une plus belle.
Et c’était un raté qu’on couchait au tombeau.

Le vrai raté, c’est l’homme arrivé qui, la cime
Grimpée, regarde en bas, poltron audacieux,
Et s’arrête, content… — Et là-haut ! et les cieux,
Ô Prométhée, Homme, éternel Raté sublime !


14 avril 1898.