Commentaire sur Des Délits et des Peines/Édition Garnier/16

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XVI.
de la révélation par la confession.[1]

Jaurigny[2] et Balthazar Gérard, assassins du prince d’Orange Guillaume Ier, le dominicain Jacques Clément, Châtel, Ravaillac, et tous les autres parricides de ce temps-là, se confessèrent avant de commettre leurs crimes. Le fanatisme, dans ces siècles déplorables, était parvenu à un tel excès que la confession n’était qu’un engagement de plus à consommer leur scélératesse ; elle devenait sacrée, par cette raison que la confession est un sacrement.

Strada dit lui-même que Jaurigny « non ante facinus aggredi sustinuit, quam expiatam noxis animam apud dominicanum sacerdotem cœlesti pane firmaverit. — Jaurigny n’osa entreprendre cette action sans avoir fortifié par le pain céleste son âme, purgée par la confession aux pieds d’un dominicain ».

On voit, dans l’interrogatoire de Ravaillac, que ce malheureux, sortant des feuillants, et voulant entrer chez les jésuites, s’était adressé au jésuite d’Aubigny ; qu’après lui avoir parlé de plusieurs apparitions qu’il avait eues, il montra à ce jésuite un couteau sur la lame duquel un cœur et une croix étaient gravés, et qu’il dit ces propres mots au jésuite : « Ce cœur indique que le cœur du roi doit être porté à faire la guerre aux huguenots. »

Peut-être si d’Aubigny avait eu assez de zèle et de prudence pour faire instruire le roi de ces paroles, peut-être s’il avait dépeint l’homme qui les avait prononcées, le meilleur des rois n’aurait pas été assassiné.

Le vingtième auguste ou août[3], l’année 1610, trois mois après la mort de Henri IV, dont les blessures saignaient dans le cœur de tous les Français, l’avocat général Servin, dont la mémoire est encore illustre, requit qu’on fît signer aux jésuites les quatre articles suivants :

1° Que le concile est au-dessus du pape ;

2° Que le pape ne peut priver le roi d’aucun de ses droits par l’excommunication ;

3° Que les ecclésiastiques sont entièrement soumis au roi comme les autres ;

4° Qu’un prêtre qui sait par la confession une conspiration contre le roi et l’État doit la révéler aux magistrats.

Le 22, le parlement rendit un arrêt par lequel il défendait aux jésuites d’enseigner la jeunesse avant d’avoir signé ces quatre articles ; mais la cour de Rome était alors si puissante, et celle de France si faible, que cet arrêt fut inutile.

Un fait qui mérite d’être observé, c’est que cette même cour de Rome, qui ne voulait pas qu’on révélât la confession quand il s’agissait de la vie des souverains, obligeait les confesseurs à dénoncer aux inquisiteurs ceux que leurs pénitentes accusaient en confession de les avoir séduites, et d’avoir abusé d’elles. Paul IV, Pie IV, Clément VIII, Grégoire XV[4], ordonnèrent ces révélations. C’était un piége bien embarrassant pour les confesseurs et pour les pénitentes. C’était faire d’un sacrement un greffe de délations et même de sacriléges : car, par les anciens canons, et surtout par le concile de Latran tenu sous Innocent III, tout prêtre qui révèle une confesssion, de quelque nature que ce puisse être, doit être interdit et condamné à une prison perpétuelle.

Mais il y a bien pis ; voilà quatre papes au xvie et xviie siècles, qui ordonnent la révélation d’un péché d’impureté, et qui ne permettent pas celle d’un parricide. Une femme avoue ou suppose dans le sacrement, devant un carme, qu’un cordelier l’a séduite : le carme doit dénoncer le cordelier. Un assassin fanatique, croyant servir Dieu en tuant son prince, vient consulter un confesseur sur ce cas de conscience : le confesseur devient sacrilége s’il sauve la vie à son souverain.

Cette contradiction absurde et horrible est une suite malheureuse de l’opposition continuelle qui règne depuis tant de siècles entre les lois ecclésiastiques et les lois civiles. Le citoyen se trouve pressé dans cent occasions entre le sacrilége et le crime de haute trahison ; et les règles du bien et du mal sont ensevelies dans un chaos dont on ne les a pas encore tirées.

La confession de ses fautes a été autorisée de tout temps chez presque toutes les nations. On s’accusait dans les mystères d’Orphée, d’Isis, de Cérès, de Samothrace. Les Juifs faisaient l’aveu de leurs péchés le jour de l’expiation solennelle, et ils sont encore dans cet usage. Un pénitent choisit son confesseur, qui devient son pénitent à son tour ; et chacun l’un après l’autre reçoit de son compagnon trente-neuf coups de fouet pendant qu’il récite trois fois la formule de confession, qui ne consiste qu’en treize mots, et qui, par conséquent, n’articule rien de particulier.

Aucune de ces confessions n’entra jamais dans les détails, aucune ne servit de prétexte à ces consultations secrètes que des pénitents fanatiques ont faites quelquefois pour avoir droit de pécher impunément, méthode pernicieuse qui corrompt une institution salutaire, La confession, qui était le plus grand frein des crimes, est souvent devenue, dans des temps de sédition et de trouble, un encouragement au crime même ; et c’est probablement pour toutes ces raisons que tant de sociétés chrétiennes ont aboli une pratique sainte qui leur a paru aussi dangereuse qu’utile.



  1. Voltaire, en 1771, reproduisit ce paragraphe, moins les deux derniers alinéas (et non premiers , comme Beuchot l’a dit en sa note, tome XVIII, page 226) dans son article Confession des Questions sur l’Encyclopédie .
  2. Voltaire a toujours appelé Jaurigny (voyez tome XII, page 471 ; XIII, 546) l’assassin de Guillaume, que d’autres appellent Jaureguy.
  3. C’est ainsi qu’on lit dans l’édition originale et dans toutes les autres données du vivant de Voltaire. (B.)
  4. La constitution de Grégoire XV est du 30 août 1622 ; voyez les Mémoires ecclésiastiques du jésuite d’Avrigny, si mieux n’aimez consulter le Bullaire. (Note de Voltaire.)