À valider

Commentaire sur Des Délits et des Peines/Édition Garnier/3

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche


III.
des peines contre les hérétiques.

Ce fut surtout la tyrannie qui la première décerna la peine de mort contre ceux qui différaient de l’Église dominante dans quelques dogmes. Aucun empereur chrétien n’avait imaginé, avant le tyran Maxime, de condamner un homme au supplice uniquement pour des points de controverse. Il est bien vrai que ce furent deux évêques espagnols qui poursuivirent la mort des priscillianistes auprès de Maxime ; mais il n’est pas moins vrai que ce tyran voulait plaire au parti dominant en versant le sang des hérétiques. La barbarie et la justice lui étaient également indifférentes. Jaloux de Théodose, Espagnol comme lui, il se flattait de lui enlever l’empire d’Orient, comme il avait déjà envahi celui d’Occident. Théodose était haï pour ses cruautés ; mais il avait su gagner tous les chefs de la religion. Maxime voulait déployer le même zèle, et attacher les évêques espagnols à sa faction. Il flattait également l’ancienne religion et la nouvelle ; c’était un homme aussi fourbe qu’inhumain, comme tous ceux qui dans ce temps-là prétendirent ou parvinrent à l’empire. Cette vaste partie du monde était gouvernée comme l’est Alger aujourd’hui. La milice faisait et défaisait les empereurs ; elle les choisissait très-souvent parmi les nations réputées barbares. Théodose lui opposait alors d’autres barbares de la Scythie. Ce fut lui qui remplit les armées de Goths, et qui éleva Alaric, le vainqueur de Rome. Dans cette confusion horrible, c’était donc à qui fortifierait le plus son parti par tous les moyens possibles.

Maxime venait de faire assassiner à Lyon l’empereur Gratien, collègue de Théodose ; il méditait la perte de Valentinien II, nommé successeur de Gratien à Rome dans son enfance. Il assemblait à Trêves une puissante armée, composée de Gaulois et d’Allemands. Il faisait lever des troupes en Espagne, lorsque deux évêques espagnols, Idacio et Ithacus ou Itacius[1], qui avaient alors beaucoup de crédit, vinrent lui demander le sang de Priscillien et de tous ses adhérents, qui disaient que les âmes sont des émanations de Dieu, que la Trinité ne contient point trois hypostases, et qui, de plus, poussaient le sacrilége jusqu’à jeûner le dimanche. Maxime, moitié païen, moitié chrétien, sentit bientôt toute l’énormité de ces crimes. Les saints évêques Idacio et Itacius obtinrent qu’on donnât d’abord la question à Priscillien et à ses complices avant qu’on les fît mourir : ils y furent présents, afin que tout se passât dans l’ordre, et s’en retournèrent en bénissant Dieu, et en plaçant Maxime, le défenseur de la foi, au rang des saints. Mais Maxime ayant été défait par Théodose, et ensuite assassiné aux pieds de son vainqueur, il ne fut point canonisé.

Il faut remarquer que saint Martin, évêque de Tours, véritablement homme de bien, sollicita la grâce de Priscillien ; mais les évêques l’accusèrent lui-même d’être hérétique, et il s’en retourna à Tours, de peur qu’on ne lui fît donner la question à Trêves.

Quant à Priscillien, il eut la consolation, après avoir été pendu, qu’il fut honoré de sa secte comme un martyr. On célébra sa fête, et on le fêterait encore s’il y avait des priscillianistes.

Cet exemple fit frémir toute l’Église, mais bientôt après il fut imité et surpassé. On avait fait périr des priscillianistes par le glaive, par la corde, et par la lapidation. Une jeune dame de qualité, soupçonnée d’avoir jeûné le dimanche, n’avait été que lapidée dans Bordeaux[2]. Ces supplices parurent trop légers ; on prouva que Dieu exigeait que les hérétiques fussent brûlés à petit feu. La raison péremptoire qu’on en donnait, c’était que Dieu les punit ainsi dans l’autre monde[3], et que tout prince, tout lieutenant du prince, enfin le moindre magistrat, est l’image de Dieu dans ce monde-ci.

Ce fut sur ce principe qu’on brûla partout des sorciers, qui étaient visiblement sous l’empire du diable, et les hétérodoxes, qu’on croyait encore plus criminels et plus dangereux que les sorciers.

On ne sait pas bien précisément quelle était l’hérésie des chanoines que le roi Robert, fils de Hugues, et Constance sa femme, allèrent faire brûler[4] en leur présence à Orléans en 1022. Comment le saurait-on ? il n’y avait alors qu’un très-petit nombre de clercs et de moines qui eussent l’usage de l’écriture. Tout ce qui est constaté, c’est que Robert et sa femme rassasièrent leurs yeux de ce spectacle abominable. L’un des sectaires avait été le confesseur de Constance ; cette reine ne crut pas pouvoir mieux réparer le malheur de s’être confessée à un hérétique qu’en le voyant dévorer par les flammes.

L’habitude devient loi ; et depuis ce temps jusqu’à nos jours, c’est-à-dire pendant plus de sept cents années, on a brûlé ceux qui ont été ou qui ont paru être souillés du crime d’une opinion erronée.



  1. Saint Jérôme, De Viris illustribus, cap. cxxi.
  2. Voyez l’Histoire de l’Église. (Note de Voltaire.)
  3. Voyez tome XII, page 323 ; tome XV, page 504 : et le paragraphe xxii de l’opuscule De la Paix perpétuelle.
  4. Voyez tome XI, page 380.