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Commentaire sur Des Délits et des Peines/Édition Garnier/8

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VIII.
histoire de simon morin.

La fin tragique de Simon Morin n’effraye pas moins que celle d’Antoine. Ce fut au milieu des fêtes d’une cour brillante, parmi les amours et les plaisirs, ce fut même dans le temps de la plus grande licence, que ce malheureux fut brûlé à Paris, en 1663. C’était un insensé qui croyait avoir eu des visions, et qui poussa la folie jusqu’à se croire envoyé de Dieu, et à se dire incorporé à Jésus-Christ.

Le parlement le condamna très-sagement à être enfermé aux petites-maisons. Ce qui est extrêmement singulier, c’est qu’il y avait dans le même hôpital un autre fou qui se disait le Père éternel, de qui même la démence a passé en proverbe. Simon Morin fut si frappé de la folie de son compagnon qu’il reconnut la sienne. Il parut rentrer pour quelque temps dans son bon sens ; il exposa son repentir aux magistrats ; et, malheureusement pour lui, il obtint son élargissement.

Quelque temps après il retomba dans ses accès ; il dogmatisa. Sa mauvaise destinée voulut qu’il fît connaissance avec Saint-Sorlin Desmarets, qui fut pendant plusieurs mois son ami, mais qui bientôt, par jalousie de métier, devint son plus cruel persécuteur.

Ce Desmarets[1] n’était pas moins visionnaire que Morin : ses premières inepties furent, à la vérité, innocentes : c’étaient les tragi-comédies d’Érigone et de Mirame, imprimées avec une traduction des psaumes ; c’étaient le roman d’Ariane et le poëme de Clovis à côté de l’office de la Vierge mis en vers ; c’étaient des poésies dithyrambiques enrichies d’invectives contre Homère et Virgile. De cette espèce de folie, il passa à une autre plus sérieuse ; on le vit s’acharner contre Port-Royal ; et après avoir avoué qu’il avait engagé des femmes dans l’athéisme, il s’érigea en prophète. Il prétendit que Dieu lui avait donné, de sa main, la clef du trésor de l’Apocalypse ; qu’avec cette clef il ferait une réforme de tout le genre humain, et qu’il allait commander une armée de cent quarante mille hommes contre les jansénistes.

Rien n’eût été plus raisonnable et plus juste que de le mettre dans la même loge que Simon Morin ; mais pourra-t-on s’imaginer qu’il trouva beaucoup de crédit auprès du jésuite Annat[2] confesseur du roi ? Il lui persuada que ce pauvre Simon Morin établissait une secte presque aussi dangereuse que le jansénisme même. Enfin, ayant porté l’infamie jusqu’à se rendre délateur, il obtint du lieutenant criminel un décret de prise de corps contre son malheureux rival. Osera-t-on le dire ? Simon Morin fut condamné à être brûlé vif.

Lorsqu’on allait le conduire au supplice, on trouva dans un de ses bas un papier dans lequel il demandait pardon à Dieu de toutes ses erreurs : cela devait le sauver ; mais la sentence était confirmée, il fut exécuté sans miséricorde.

De telles aventures font dresser les cheveux. Et dans quel pays n’a-t-on pas vu des événements aussi déplorables ? Les hommes oublient partout qu’ils sont frères, et ils se persécutent jusqu’à la mort. Il faut se flatter, pour la consolation du genre humain, que ces temps horribles ne reviendront plus.



  1. Né en 1596, mort en 1076.
  2. Né en 1607, mort en 1670.