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Commentaire sur la grammaire Esperanto 1903/Ch1

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COMMENTAIRE
SUR LA
GRAMMAIRE ESPERANTO






Règle 1. — L’ARTICLE


1o L’article défini la, l’ (le, la, les) est toujours invariable, comme en anglais l’article the, quels que soient le sexe, le nombre, le cas du nom, de l’adjectif ou du participe qu’il détermine.

Exemples. — La patro, le père ; la patrino, la mère ; la infanoj, les enfants. — El tiuj ĉi du piroj la pli dika estas matura, sed la alia estas ankoraŭ nematura. De ces deux poires la plus grosse est mûre, mais l’autre est encore verte. — Prenu la tablotukon sekan, kaj lasu la malsekan. Prenez la nappe sèche et laissez celle qui est mouillée (la mouillée). — Ne kalkulante la perditajn. Sans compter ceux qui sont perdus (les perdus).

2o L’article indéfini un, une, et son pluriel des n’existent pas en Esperanto.

Exemples. — Homo venis al mi por… Un homme est venu me trouver pour… — Ursino havis idon kiu… Une ourse avait un petit qui… — Ĉu vi vidas birdojn sur tiu ĉi arbo ? Voyez-vous des oiseaux sur cet arbre ? — Vi estas lernanto diligenta. Vous êtes un écolier diligent. — Vi estas lernantoj diligentaj. Vous êtes des écoliers diligents.

3o Les articles partitifs du, de l’, de la, des n’existent pas davantage en Esperanto.

Exemples. — Vino aŭ biero : jen estas miaj preferataj trinkaĵoj. Du vin ou de la bière : voilà mes boissons préférées. — Mi vendas salon, pipron, sukeron kaj spicojn. Je vends du sel, du poivre, du sucre et des épices. — Ĉu vi trinkas vinon ? Buvez-vous du vin ? — Mi ĝin trinkas. J’en bois. — Ĉu vi manĝas fragojn ? Mangez-vous des fraises ? — Mi manĝas ilin. J’en mange. — Iru ĉerpi akvon kaj alportu ĝin al mi. Allez puiser de l’eau et apportez-m’en.

Remarque. — Si l’on veut insister sur l’idée partitive, bien indiquer qu’il s’agit d’une petite quantité de la chose en question, on emploie iom da ĝi pour le singulier, et iom da ili pour le pluriel, ou même simplement iom.

Exemples. — Voici de la crème, prenez-en (un peu), Jen estas kremo, prenu iom da ĝi (un peu d’elle) ; ou simplement prenu iom. — J’ai des pommes, en voulez-vous (un peu) ? Mi havas pomojn. Ĉu vi deziras iom da ili ? (un peu d’elles) ou simplement ĉu vi deziras iom ? — Merci, je n’en veux pas. Mi dankas (ou dankon) ; mi ne deziras (iom). — Avez-vous de l’argent ? Ĉu vi huvas monon ? J’en ai un peu. Mi havas iom.

Si au contraire le pronom en est sans importance et pour ainsi dire explétif, on ne le traduit pas.

Exemples. — Avez-vous de l’argent ? Ĉu vi havas monon ? J’en ai. Mi havas. — Voulez-vous du vin ? Ĉu vi volas vinon ? Oui, j’en veux bien. Jes, mi volas ou jes, volonte.

4o Emploi de l’article défini la, l’. — Les numéros 2 et 3 de ce paragraphe restreignent évidemment l’usage de l’article défini, puisqu’on ne doit jamais l’employer dans aucun des cas qui y sont exposés. Mais formulons d’une façon spéciale et complète les principes qui régissent cet emploi.

a) On se sert de l’article défini la, l', pour marquer que le nom (au singulier ou au pluriel) exprime la totalité des êtres ou des choses qu’il représente.

Exemples. — La homo estas mortema (ĉiu homo). L’homme est mortel. La homoj estas mortemaj (ĉiuj homoij). Les hommes sont mortels. — La simio estas tre imitema (ĉiu simio). Le singe est très imitateur. La simioj estas tre imitemaj (ĉiuj simioj). Les singes sont très imitateurs. — La reĝo devas ordoni kaj la regato obei (ĉiu reĝo, ĉiu regato). Le roi doit commander et le sujet obéir. La regoj devas ordoni kaj la regatoj obei. — La medicino estas scienco kaj la pentrado arto (ĉiu medicino, ĉiu pentrado). La médecine est une science et la peinture un art. — La religio estas respektinda (la religio en la plena senco de l’vorto). La religion est respectable. — La papo estas la estro religia de l’katolikoj (ĉiu papo… de ĉiuj katolikoj). Le pape est le chef religieux des catholiques. — Kelkaj kuracistoj pretendas, ke la vino estas malutila al la sano (ĉiu vino… al la sano en ĝia pleneco, al la sano mem en ĉiuij). Certains médecins prétendent que le vin est nuisible à la santé. — Mi preferas la blankan vinon pli, ol la ruĝan (la tutan trinkaĵon « blanka vino » — la tutan trinkaĵon « ruĝa vino » ). Je préfère le vin blanc au vin rouge. — Sen la akvo nia tero rapide fariĝus dezerto (la akvo en sia pleneco, sen ia konsidero pri la apartaĵoj kiujn oni povas trovi en tiu aŭ alia akvo). Sans l’eau notre terre deviendrait vite un désert. — La pluvo kaj la neĝo estas necesaj por la fruktodono de l’ tero. La pluie et la neige sont nécessaires à la fécondité de la terre. — La vento kaŭzas ofte terurajn ruinojn en kelkaj landoj. Le vent cause souvent d’effroyables désastres dans certains pays. — Inter la diversaj specoj de bestoj, de fruktoj, de floroj, de legomoj, kiujn oni trovas en nia lando, estas : la ĉevalo, la bovo, la ŝafo, la porko, la pomo, la piro, la pruno, la vinbero, la ribo, la rozo, la violo, la lilio, la brasiko ; ou bien : la ĉevaloj, la bovoj, k. t. p. Parmi les diverses espèces d’animaux, de fruits, de légumes qu’on trouve dans notre pays, il y a le cheval, le bœuf, le mouton, le porc, la pomme, la poire, la prune, le raisin, la groseille, la rose, la violette, le lis, le chou ; ou : les chevaux, les bœufs, etc. — La infanoj estas kredemaj (ĉiuj infanoj). Les enfants sont crédules. — Mi ne amas la homojn obstinajn (ĉiujn homojn obstinajn). Je n’aime pas les gens obstinés. — La akvo fluanta estas pli pura, ol la akvo staranta senmove (ĉiu akvo fluanta… ĉiu akvo staranta). L’eau qui coule (courante) est plus pure que l’eau qui reste sans remuer (stagnante). — Dum la tago brilas la suno, kaj dum la nokto lumas la luno. Le soleil brille pendant le jour et la lune luit pendant la nuit.

Au contraire, comme l’ont déjà montré les deux numéros précédents, on n’emploie jamais l’article défini en Esperanto, lorsqu’on ne parle que d’un quelconque, que de quelques-uns, que d’une partie des êtres ou des choses représentés par le nom.

Exemples. — Homo ekzistis kiu… (homo ia el la homoj). Un homme s’est trouvé qui… — Mi vidis simion (simion ian el la simioj). J’ai vu un singe. — Reĝo, mi ne scias kiun, diris ke… Un roi, je ne sais lequel, a dit que… — Tiu kuracisto praktikas medicinon, kiun ĝis nun oni ne vidis ankoraŭ (medicinon ian). Ce médecin pratique une médecine qu’on n’a pas encore vue jusqu’à présent. — Vere liu pentristo kreis novan pentradon. Vraiment ce peintre a créé une peinture nouvelle. — Arto agrabla estas la muziko kaj scienco malfacila, la astronomio. C’est un art agréable que la musique et une science difficile que l’astronomie. — La sovaĝuloj de Afriko havas ordinare tre strangan religion. Les sauvages de l’Afrique ont ordinairement une religion très étrange. — Mi trinkas blankan vinon ĉe mia tagmanĝo kaj ruĝan vinon ĉe mia vespermanĝo. Je bois du vin blanc à mon déjeuner et du vin rouge à mon dîner. — Sen akvo oni ne povas havi glacion (sen akvo ia). Sans eau on ne peut pas avoir de glace. — Dum la tuta lasta nokto faladis neĝo kaj pluvo (nek la neĝo nek la pluvo en sia tuteco sed nur parto pli malpli granda). Toute la nuit dernière il est tombé de la neige et de la pluie. — Hajlo falas (ne la tuta afero nomata « hajlo » sed nur parto). Il tombe de la grêle ou : (de) la grêle tombe. — Mais nous dirions : La hajlo estas tre mulutila al lu vinbero (la tuta hajlo, ĉiu hajlo). La grêle est très nuisible au raisin. — Subite ekblovis vento terura. Tout à coup s’éleva un vent effroyable. — Inter la diversaj specoj de bestoj, de fruktoj, de floroj, de legomoj ekzistantaj en tiu lando, ni elektis kaj forportis ĉevalojn, porkojn, pomojn, rozojn kaj brasikojn, k. t. p. (ni ne forportis la tutan specon nomatan « ĉevaloj, porkoj » k. t. p. sed nur parton). Parmi les diverses espèces de bêtes, de fruits, de fleurs, de légumes existant dans ce pays, nous avons choisi et emporté des chevaux, des porcs, des pommes, des roses, des choux, etc. — En tago de kolero li… Un jour de colère, il.. — Ni iradis en nokto malluma, malvarma... Nous marchions dans une nuit sombre, froide... — Luno belega kaj brila lumigis al ni. Une lune superbe et brillante nous éclairait. — Fajra suno estis sekiginta ĉion, kiam ni alvenis en tiun regionon. Un soleil de feu avait tout desséché, quand nous arrivâmes dans cette contrée. — Soldato kriis al mi por helpo. Un soldat me cria à l’aide (pour de l’aide).

Comparez un à un et dans leur ordre ces exemples à ceux de a) ; leur opposition vous fera mieux saisir encore la raison qui détermine, en Esperanto, la présence de l’article défini dans les uns et son absence dans les autres.

b) On emploie encore l’article défini la, l’, devant tout nom, adjectif, participe déterminé par ce qu’on a dit, par ce qu’on dit, ou même par le simple fait que l’être ou la chose en question sont là sous vos yeux.

Exemples. — Mi havis ĉevalon ; la bona besto estis por mi tre facile kondukebla, sed vere ne tolerebla por la aliaj (la, ĉar « besto » estas determinata per « mi havis ĉevalon » ). J’avais un cheval ; la bonne bête était avec moi très facile à conduire, mais intolérable avec les autres. — En la mezo de korto mi pasante vidis du infanojn de la vilaĝo, kiuj disputis kaj batis unu la alian (la mezo, ĉar oni determinas ĝin per « de korto » — de la vilaĝo, ĉar oni parolas tie ĉi pri speciala vilaĝo konata de la leganto aŭ de la interparolanto ; — kontraŭe nenia artikolo antaŭ « korto », ĉar ĝi ne estas konata : oni tie ĉi parolas pri korto ia). Au milieu d’une cour, j’ai vu deux enfants du village qui se querellaient et se battaient l’un l’autre. — Mi loĝas en la palaco de l’reĝo (la palaco, ĉar oni ĝin determinas per « de l’reĝo » — kaj de l’reĝo, ĉar li estas konata : de nia reĝo, aŭ de l’reĝo de la lando). Je loge dans le palais du roi. — Mais je dirais : Mi loĝas en palaco de reĝo (se la palaco ne estus determinita, se ĝi estus ia palaco apartenanta al ia reĝo). Je loge dans un palais de roi. Dans ce cas, je pourrais dire aussi : Mi loĝas en reĝa palaco (palais royal). — Donu al mi la vinon (la vinon, kiun mi vidas, la vinon kiu estas apud vi). Donnez-moi le vin. — La vitroj de l’fenestro estas rompitaj (ne iaj vitroj, sed tiuj de l’fenestro — ne de ia fenestro, sed de fenestro konata, de la fenestro kiun oni vidas, kiun oni montras, kiu apartenas al ni). Les carreaux de la fenêtre sont cassés. — Li prenis la ĉapelon (la konatan ĉapelon). Il prit le chapeau. — Vivu la reĝo ! — Vive le roi !

Parfois les mots qui déterminent sont sous-entendus.

Exemples. — En la komenco Dio kreis... (la komenco de l’ mondo, la komenco de sia entrepreno). Au commencement Dieu créa… En la fino mi povis... (la fino de mia entrepreno, de mia penado). A la fin je pus...

c) On n’emploie jamais l’article devant les noms propres par la raison fort simple qu’il ne peuvent être plus définis, plus déterminés par lui.

Exemples. — Esperanto, Ameriko, Francujo. L’Esperanto, l’Amérique, la France. — Italujo estas pli varma ol Svedujo. L’Italie est plus chaude que la Suède. — Kongo, Kanado, Bosnio, Danubo, Tibro, Mediteraneo, Alpoj[1]. Le Congo, le Canada, la Bosnie, le Danube, le Tibre, la Méditerranée, les Alpes.

Ce principe subsiste alors même que le nom propre est précédé d’un nom commun marquant la profession, le rang, la situation, la nature.

Exemples. — Doktoro Zamenhof, kapitano M…, doktorino L…, kardinalo S…, papo Pie IXa, reĝo Henriko IVa, grafo de G…, monto Ĉimborazo.

Mais si le nom propre est déterminé par un adjectif ou un complément, il faut l’article.

Exemples. — La glora poeto Dante Alighieri (Aligjeri). Le célèbre poète Dante Alighieri. — La franca astronomo Laplace. L’astronome français Laplace. — La bona reĝo Henriko IVa. Le bon roi Henri IV. — La imperiestro de Germanujo Frederiko Ia. L’empereur d’Allemagne Frédéric Ier.

d) Les noms de peuples rentrent logiquement dans le principe posé par a).

Exemples. — La Italo estas ĝenerale bruna. L’Italien est généralement brun. Ou : La Italoj estas ĝenerale brunaj. Les Italiens sont généralement bruns. — La Amerikano estas tre negocema. L’Américain est très porté aux affaires. Ou : La Amerikanoj estas tre negocemaj. Les Américains sont très portés aux affaires. — Lernolibro por Francoj. Manuel pour (des) Français. — Mi renkontis en vojaĝo Rusinon vere ĉarman. J’ai rencontré en voyage une Russe vraiment charmante. — La Francino, la Italino, la Hispanino tre diferencas unu de la alia. La Française, l’Italienne, l’Espagnole diffèrent beaucoup l’une de l’autre. Ou : La Francinoj, la Italinoj, la Hispaninoj tre diferencas unuj de la aliaj. Les Françaises, les Italiennes, les Espagnoles différent beaucoup les unes des autres. — Oni trovas Francojn kiuj kredus… On trouve des Français qui croient…

Article sous-entendu. — À l’instar des langues qui emploient l’article, l’Esperanto peut le sous-entendre dans les titres des livres, des catalogues, des chapitres, ainsi que dans les proverbes ou les sentences.

Exemples. — Edziĝo de Figaro. Mariage de Figaro. — Iliado. Iliade. — Katalogo de la firmo N. Catalogue de la maison N. — Vinoj blankaj, vinoj ruĝaj, brandoj. Vins blancs, vins rouges, eaux-de-vie. — Ĉapitro Va. Chapitre Ve.

Kontenteco superas riĉecon. Contentement passe richesse. — Malriĉeco ne estas malvirto. Pauvreté n’est pas vice. — Progresado estas vivo ; restado estas morto. Le progrès, c’est la vie ; la stagnation, c’est la mort.

Élision. — Comme il est dit à la règle 16 de nos Manuels, on peut élider l’a de l’article. Mais il va de soi que cette élision ne doit jamais se faire que dans de bonnes conditions d’euphonie. Ne la faites donc qu’après une préposition finissant par une voyelle, suivant le principe posé par le docteur Zamenhof lui-même dans l’Ekzercaro.

Exemples. — La palaco de l’ reĝo. Le palais du roi. — Je la komenciĝo de l’jaro. Au commencement de l’année. — Tie ĉe l’ pordo. Là-bas à la porte. — Je l’ vespero. Le soir. — La vivo de l’homo. La vie de l’homme.

Mais jamais, quand il ne suit pas une préposition finissant par une voyelle, on ne doit apostropher l’article devant un mot commençant par un h ou un ĥ.

Dites donc toujours : la homo, kun la helpo, por la honoro, et jamais : l’homo, kun l’helpo, por l’honoro. En effet, avec l’élision et dans les conditions où se trouvent les mots homo, helpo, honoro du dernier exemple, il vous serait impossible de faire sentir l’h aspiré de ces trois mots.

On peut encore élider l’a de l’article devant les mots commençant par une voyelle.

Exemples. — L’amiko de mia frato. L’ami de mon frère. — L’oro kaj l’arĝento estas metaloj. L’or et l’argent sont des métaux, — L’obstina infano. L’enfant obstiné. — Mais ce n’est nullement obligatoire, et l'on peut dire très régulièrement : la amiko, la oro, la argento, la obstina infano.

L’article n’est pas indispensable à une langue ; le latin dans l’antiquité et les langues slaves actuellement le prouvent à l’évidence. Mais, s’il ne lui est pas indispensable, l’article est extrêmement utile à un idiome, car il lui apporte plus de clarté, de précision, de souplesse et souvent d’élégance. Ceci compense amplement ce qu’il peut lui enlever parfois en force et en concision. Dans le latin et dans les langues qui n’ont pas l'article, l’emploi des noms offre, en certains cas, un sens vague et indécis. C’est ainsi que l’expression palatium regis peut se traduire en français par un palais de roi (palaco de reĝo), un palais du roi (palaco de l’reĝo), le palais de roi (la palaco de reĝo), le palais du roi (la palaco de l’reĝo}, expressions qui offrent chacune un sens différent.

La langue internationale devant se soucier avant tout d’être claire et précise, ne pouvait donc se passer, sans y perdre, de l'article défini. D’ailleurs, les principes logiques sur lesquels nous nous sommes basés pour en régler l’emploi présentent cet avantage d’en restreindre l’usage aux seuls cas nécessaires, et de laisser à l’Esperanto, dans tous les autres, une force et une concision égales à celles du latin : homo venis — trinku vinon, par exemple, ne sont pas moins concis que homo venit — bibe vinum, mais ils sont plus précis. Puis, il ne faut jamais l’oublier, dans une langue internationale, la précision et la clarté valent cent fois la concision. Belle avance, que je sois bref, si je ne suis pas compris, ou si je le suis mal ! Enfin, il est à remarquer que, les langues allant à l’analyse, s’acheminent à l’article. Le latin ne l’avait pas ; tous ses rejetons le possédlent. L’Esperanto, en le prenant, suit donc l’évolution naturelle.

« L’emploi de l’article est le même qu’en français ou en allemand », disions-nous comme remarque dans nos premiers Manuels. D’une façon générale et comme indication sommaire, c’est exact. Mais les deux langues offrent, sous ce rapport, de réelles différences. De plus, ni l’une ni l’autre ne s’en tiennent toujours à des principes logiques et réguliers qui, une fois admis, puissent invariablement vous servir de guide. Nous avons donc ramené leurs règles ou leur usage sur l’article à quelque chose de fixe et d’invariable, en prenant pour guide la logique. Si tantôt c’est l’allemand qui l’emporte et tantôt le français, la cause n’en est pas à une préférence aveugle de notre part, car nous nous sommes complètement abstrait des modèles que ces deux langues nous donnaient. Nous n’avons été guidé que par le désir de poser des principes bien réguliers et faciles pour tous, même pour les peuples qui n’ont pas l’article. Les longues recherches et les essais différents auxquels nous nous sommes livré nous permettent de dire que les principes donnés plus haut sont les seuls qu’on puisse prendre. Le système pratiqué par la langue anglaise, notamment, serait tout à fait défectueux pour l’Esperanto. Sa simplicité n’est qu’apparente, et, dans tous les cas, si nous l’adoptions en Esperanto, il en résulterait fréquemment des obscurités et des méprises. Une étude approfondie ne nous laisse aucun doute sur ce point.

En somme, les principes que nous avons posés arrivent, sans que ce fût notre intention, à opérer un compromis assez heureux entre les différences constatées pour l’emploi de l’article en français, en allemand, en italien, en espagnol, etc. Ils ont encore ce grand avantage de s’accorder avec les habitudes prises en Esperanto. Si parfois, très rarement du reste, on constatait une différence, il faudrait se l’expliquer par ce fait que, jusqu’ici, nous manquions de règles précises et s’étendant à tout pour l’emploi de l’article dans la langue.

En réalité, si nous exceptons les noms propres, les principes posés plus haut en grand détail se réduisent à ceci :

N’employez l’article défini la, l’, que si vous voulez exprimer la totalité des êtres ou des choses marqués par le nom ; ou bien encore si vous parlez d’êtres ou de choses déterminés par ce qu’on en dit, voire même par les circonstances.

C’est assurément peu, en comparaison de tout ce que nos grammaires nationales nous apprennent sur l’article, et surtout de ce qu’elles laissent à l’usage le soin de nous apprendre.

  1. Pour l’orthographe des noms propres, voir dans l’Espérantiste, année 1898, numéro d’août-septembre, l’article « des noms propres en Esperanto ».