Commentaire sur la grammaire Esperanto 1903/Ch10

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EMPLOI DES MODES

Une des grosses difficultés de nos langues est certainement l’emploi des modes, parce qu’il ne repose le plus souvent sur aucun principe logique. A chaque instant il constitue, dans tel idiome donné, des idiotismes spéciaux que contredit la raison, mais qu’il faut pourtant essayer de retenir.

Ainsi, en français, on nous dit que l’indicatif est le mode de la certitude. Par conséquent, comme en Esperanto, tout fait certain ou présenté comme tel devrait se rendre par lui. Cependant je dis avec le subjonctif, mode du doute et des choses éventuelles : quoique je sois malade. Voilà, certes, un fait positif, absolument certain. Rien n’est moins douteux ou éventuel : je suis malade.
Pourquoi donc le subjonctif ? A cause de la conjonction quoique, me répond-on. Ma raison ne voit pas très bien en quoi une conjonction peut décider du choix d’un mode ; mais je dois m’incliner et tâcher de retenir. D’ailleurs on me prévient qu’il en sera encore ainsi dans une foule de cas que l’usage finira par m’apprendre. Cela revient à dire que je me débattrai pendant longtemps, et peut-être toujours, dans une incertitude agaçante entre l’indicatif et le subjonctif. De fait, qui d’entre nous oserait soutenir qu’il ne viole jamais les principes de nos grammaires pour l’emploi des modes ? Dans le cas présent l’Esperanto dirait : Kvankam mi estas malsana, quoique je suis malade. Le fait est certain, il relève donc de l’indicatif.

Se io fossi ricco, sarei contento, dit l’Italien, avec l’imparfait du subjonctif. Si j’étais riche, je serais content, dit le Français, avec celui de l’indicatif. Pourquoi cette opposition de modes ? Tient-elle encore à la conjonction ? Vous l’avez dit. Celle-ci est même particulièrement fantasque : ici elle veut le subjonctif, là elle réclame l’indicatif, et ailleurs elle exige encore autre chose. Aussi, pourquoi la consulter, nous dit l’Esperanto ; ne vous en inquiétez pas et ne tenez compte que de l’idée. Dans cette phrase et dans tous les cas analogues, vous voulez si bien marquer la condition, que vous employez, à cause de cela, le conditionnel dans la proposition principale. Pourquoi donc ne l’employez-vous pas aussi dans la proposition subordonnée qui pose précisément la condition ? Pourquoi ne dites-vous pas, conformément à la logique : Si je serais riche, je serais content ? Se mi estus riĉa, mi estus kontenta. Eh bien ! c’est précisément ce que fait toujours l’Esperanto. Dans cette langue, ce n’est pas une conjonction, un mot, une locution quelconque, mais uniquement l’idée à rendre qui détermine le mode.


INDICATIF

L’Indicatif. — Il est réellement, en Esperanto, ce qu’il est par définition dans nos langues : le mode de la certitude. Par conséquent, tout ce qui est positif ou présenté comme tel requiert ce mode en Esperanto, quelles que puissent être nos habitudes françaises.

Exemples. — Je crois. Mi kredas. — Il pleut. Pluvas. — J’espère. Mi esperas. — Il viendra aujourd’hui. Li venos hodiaŭ. — Elle pense. Ŝi pensas. — On doit lui pardonner. Oni devas pardoni al li. — Nous estimons (opinion). Ni opinias. — Il a été justement récompensé. Li estis juste rekompencita. — Ils croyaient. Ili kredis. — La lune est habitée. La luno estas loĝata.

L’Indicatif est donc obligatoire en Esperanto après les verbes, les adjectifs, les participes et les noms exprimant d’une manière positive ce qu’on pense ou ce qu’on éprouve d’un fait présenté comme certain.

Exemples. — Je crois qu’il pleut. Mi kredas, ke pluvas. — J’espère qu’il viendra aujourd’hui. Mi esperas, ke li venos hodiaŭ. — Elle pense qu’on doit lui pardonner (à lui). Ŝi pensas, ke oni devas pardoni al li. — Nous estimons qu’il a été justement récompensé. Ni opinias, ke li estas juste rekompencita. — Je m’étonne qu’on vous ait reçu. Mi miras, ke oni akceptis vin (de ce qu’on vous a reçu). — Nous prétendons qu’il doit refuser. Ni pretendas, ke li devas rifuzi. — Ils nient qu’il ait bien fait. Ili neigas, ke li bone faris (Il a bien fait, mais ils le nient). — Nous sommes heureux que vous soyez là. Ni estas feliĉaj ou ni ĝojas, ke vi estas tie ĉi (Nous sommes heureux de ce que vous êtes là). — Elle regrette qu’il soit parti. Ŝi bedaŭras, ke li foriris (qu’il est parti). — Il s’indignait qu’on le traitât ainsi. Li indignis, ke oni traktis lin tiel (qu’on le traitait). — Je suis confus qu’on vous ait forcé d’attendre. Mi estas konfuza, ke oni vin devigis atendi (qu’on vous a forcé). — Ils sont convaincus que vous les avez trompés. Ili estas konvinkitaj, ke vi trompis ilin. — Je ne puis dire ma honte qu’il m’ait vu en cet état. Mi ne povas diri mian honton, ke li vidis min en tiu stato (qu’il m’a vu). — Il est faux que nous l’ayons rencontré. Estas malvere, ke ni renkontis lin (que nous l’avons). — Elle suppose qu’il est malade. Ŝi supozas, ke li estas malsana. — Il est probable qu’il gagnera son procès. Estas kredeble, ke li gajnos sian proceson. — Je crains au contraire qu’il ne le perde. Mi kontraŭe timas, ke li ĝin perdos (qu’il le perdra)[1]. — Il est tout naturel qu’il sache cela mieux que vous. Estas tute nature, ke li scias tion pli bone, ol vi. (L’indicatif et non un mode de doute en Esperanto, car le fait est certain : il sait cela mieux que vous.)

Remarque. — Après les formes négatives ou interrogatives qui n’enlèvent rien à la réalité du fait énoncé, on emploie toujours l’indicatif en Esperanto.

Exemples. — Je ne crois pas qu’il pleuve (actuellement). Mi ne kredas, ke pluvas (qu’il pleut}. — Croyez-vous qu’il pleuve (plus tard). Ĉu vi kredas, ke pluvos (qu’il pleuvra). — Je n’espère pas qu’il vienne aujourd’hui. Mi ne esperas, ke li venos hodiaŭ (qu’il viendra). — Espérez-vous encore qu’il vienne ? Ĉu vi esperas ankoraŭ, ke li venos ? (qu’il viendra). — Elle ne pense pas qu’on doive lui pardonner (à lui). Ŝi ne pensas, ke oni devas pardoni al li (qu’on doit). — N’estimez-vous pas qu’il a été justement récompensé ? Ĉu vi ne opinias, ke li estas juste rekompencita ? (qu’il a été).

Pourquoi la forme négative ou interrogative de ces phrases et de toutes les analogues oblige-t-elle à employer, le subjonctif en français ? Nous ne nous chargeons pas de le dire. Car, remarquez-le, cette forme n’y a aucune action sur la réalité du fait énoncé dans la seconde proposition. Par ailleurs, le doute n’est-il pas assez rendu par « je ne crois pas » ou « croyez-vous ? » Si le subjonctif est nécessaire dans ces sortes de phrases, pourquoi ne disons-nous pas : « Je demande s’il pleuve » ? Là aussi il y a un doute dans mon esprit et j’interroge pour l’éclaircir..

Que les grammairiens épuisent encre et salive, jamais ils ne feront comprendre pourquoi, après avoir dit : je crois qu’il pleut, il faut dire : je ne crois pas qu’il pleuve, sous peine de n’être pas correct. Aussi, les trois quarts des gens se chargent-ils de donner gain de cause au bon sens, en faisant carrément la faute, sans se soucier autrement des prescriptions de la grammaire.

Quoi qu’il en soit, langue rationnelle, l’Esperanto n’a pas à imiter de tels errements.

Que la phrase se présente sous forme positive, négative ou interrogative, qu’il y ait ou non devant le verbe la conjonction quoique, ou telle autre amenant le subjonctif en français, peu lui importe ; c’est toujours l’indicatif qu’il emploiera, et non le subjonctif, si le fait est présenté comme certain.

Verbes d’interrogation. — Les verbes qui servent à demander si une chose est, a été, ou sera, veulent logiquement après eux le mode indicatif précédé de l’adverbe ĉu (est-ce que ?) qui sert à poser la question en Esperanto[2].

Exemples. — Il demande si vous dormez. Li demandas, ĉu vi dormas. — Dites-moi s’il est mort. Diru al mi, ĉu li estas mortinta. — Le malheureux se demandait s’il mourrait ainsi abandonné de tous. La malfeliĉulo demandis sin, ĉu li mortos (s’il mourra) tiel, forlasita de ĉiuj[3].

Remarque. — Par le fait, les verbes exprimant l’incertitude ou le doute à l’égard de tel ou tel fait rentrent dans la règle précédente, car ils renferment une question implicite que se pose le sujet.

EXEMPLES. — Je ne sais s’il est ici. Mi ne scias, ĉu li estas tie ĉi. — Nous doutons qu’il soit parti. Ni dubas, ĉu li foriris (s’il est parti). — Elle n’est pas sûre que Pierre ait réussi. Ŝi ne estas certa, ĉu Petro sukcesis (si Pierre a réussi). Ne doutez-vous pas qu’il guérisse ? Ĉu vi ne dubas, ĉu li resaniĝos (s’il guérira) ?

Mais, si ces verbes sont modifiés de manière à présenter une idée affirmative, il n’y a plus de raison pour employer l’adverbe interrogatif ĉu. C’est alors le principe général qui reste en vigueur.

Exemples. — Je ne doute pas qu’il ne vienne. Mi ne dubas, ke li venos (qu’il viendra). — Nous ne doutons pas que cela ne soit. Ni ne dubas, ke tio estas ou estos (que cela est ou que cela sera, selon le temps à rendre). — Vous ne pouvez douter qu’il y ait un Dieu. Vi ne povas dubi, ke estas Dio (qu’il y a).


CONDITIONNEL

Le Conditionnel. — Avec l’indicatif nous étions dans le domaine de la certitude. Avec le conditionnel nous entrons dans le domaine opposé, celui de la supposition, de la condition, comme l’indique le nom même du mode. Les faits ne sont plus positifs ou présentés comme tels, ils deviennent éventuels, conditionnels, relevant d’un mais, d’un peut-être ou d’un si. Employez donc toujours le conditionnel pour les faits de cette nature, quelles que puissent être nos habitudes françaises.

Exemples. — Il serait content si… Li estus kontenta se… — Peut-être nous pourrions réussir. Eble ni povus sukcesi. — Je voudrais bien le recevoir, mais je suis trop souffrant pour cela aujourd’hui. Mi tre volus lin akcepti, sed mi estas tro suferanta por tio ĉi hodiaǔ. — Dans ce cas-là je partirais de suite. En tiu okazo mi tuj forirus. — Comment ferions-nous ? Kiel ni farus ? — Je croyais qu’il refuserait. Mi kredis, ke li rifuzus. — Je jurerais qu’il serait venu sans cet obstacle. Mi ĵurus, ke li estus veninta sen tiu kontraŭaĵo. — Serait-il possible qu’il fût (serait) malade ? Ĉu estus eble, ke li estus malsana ? — Ne croyez-vous pas qu’un tel langage l’impressionnerait fortement ? Ĉu vi ne kredas, ke tia parolo impresus lin forte ? — Sans notre aide ils auraient infailliblement péri. Sen nia helpo ili estus nepre pereintaj. — Est-il croyable qu’ils y eussent consenti. Ĉu estas kredeble, ke ili estus konsentintaj pri tio ? — Serait-il possible qu’une mère puisse abandonner son enfant (pourrait abandonner) ? Ĉu estus eble, ke patrino povus forlasi sian infanon ? — Il vaudrait mieux que je partisse. Estus pli bone, se mi forirus[4].

Après la conjonction si exprimant une condition, une supposition, nous mettons illogiquement, en français, l’imparfait de l’indicatif au lieu du conditionnel présent, et le plus-que-parfait au lieu du conditionnel passé. L’Esperanto ne procède pas ainsi, mais rétablit les deux temps du conditionnel que réclame la logique.

Exemples. — Si vous vouliez, vous seriez heureux. Se vi volus (si vous voudriez), vi estus feliĉa. — Si nous avions été avertis, nous vous aurions défendus. Se ni estus avertitaj (si nous aurions été avertis), ni estus defendintaj vin. — Je crois que, s’il en était informé, il viendrait de suite. Mi kredas, ke, se li estus informita (s’il serait informé) pri tio, li tuj venus.

Conditionnel d’atténuation. — Il est parfaitement régulier et logique d’employer le conditionnel en Esperanto, comme on le fait en beaucoup de langues, pour atténuer, adoucir l’idée rendue par l’indicatif de certains verbes d’une manière trop autoritaire ou trop affirmative.

Exemples. — Je voudrais que ce travail fût achevé ce soir. Mi volus, ke tiu laboro estu finita hodiaŭ vespere. — Nous souhaiterions qu’il partît. Ni dezirus, ke li foriru.

Cet emploi est d’autant plus logique qu’il suppose toujours une condition implicite : Je voudrais, si j’osais, si cela se pouvait, etc.

Remarque. — Si le conditionnel français est mis illogiquement à la place d’un futur indicatif, il faut naturellement lui substituer en Esperanto l’indicatif futur.

Exemples. — Il espérait qu’il trouverait. Li esperis, ke li trovos (qu’il trouvera). — Elle nous a écrit qu’elle serait ici demain. Ŝi skribis al ni, ke ŝi estos tie ĉi morgaŭ.

Je trouverai, espérait-il. — Je serai demain ici, a-t-elle écrit. L’idée est absolument future, elle doit donc être rendue par le futur, et, comme elle est positive, par le futur indicatif. (Voyez la note 2 de la page 85.)


IMPÉRATIF-SUBJONCTIF

L’Impératif-Subjonctif. — Ce mode sert à marquer que le fait ou l’état relèvent de l’ordre, de la prière, de la volonté, du désir, de la nécessité, du besoin, de la convenarne, du mérite.

Exemples. — Commencez à raconter. Komencu rakonti. — Qu’il vienne de suite, j’ai à lui parler. Li venu tuj, mi bezonas paroli kun li. — Je veux que vous lui écriviez (à elle). Mi volas, ke vi skribu al ŝi. — Demandez qu’on nous réponde. Petu, ke oni respondu al ni. — Nous souhaitons de tout cœur que vous réussissiez. Ni deziras el la tuta koro (ou tutkore), ke vi sukcesu. — Nous empêcherons qu’on l’entende. Ni malhelpos, ke oni aŭdu lin. — Ils consentent à ce qu’il vienne.Ili konsentas, ke li venu. Je défends qu’il entre ici. Mi malpermesas, ke li eniru tien ĉi. — Nous lui recommanderons de se taire. Ni rekomendos al ŝi, ke ŝi silentu. — Pourquoi tolérez-vous qu’il réponde ? Kial vi toleras, ke li respondu ? — Enfin il permit qu’on s’en allât. Fine li permesis, ke oni foriru. — Soyez éternellement béni pour le bien que vous m’avez fait ! Estu eterne benata pro la bono, kiun vi faris al mi ! — Vive le roi, vivat ! Vivu la reĝo, vivu li ! — Il faut que j’y aille. Estas necese, ke mi tien iru. — Il est convenable que vous lui rendiez visite. Konvenas, ke vi lin vizitu. — J’ai besoin qu’il vienne. Mi bezonas, ke li venu. — Vous méritez qu’on vous pende. Vi meritas, ke oni pendigu vin.

L’expression por ke (pour que, afin que) exige toujours après elle l’impératif-subjonctif, parce que, quand on emploie cette locution, le fait ou l’état relèvent bien réellement de la nécessité, du besoin, de la convenance ou de la volonté.

Exemples. — Pour que vous puissiez payer cette dette, il faut que vous emportiez une assez forte somme d’argent. Por ke vi povu pagi tiun ŝuldon, estas necese, ke vi kunportu sufiĉe grandan sumon da mono. — Pour qu’il soit élu, vous aurez besoin de lutter avec la dernière énergie. Por ke li estu elektita, vi bezonos batali kun ekstrema energio. — Pour qu’on vous récompense, il convient que vous le méritiez. Por ke oni rekompencu vin, konvenas, ke vi ĝin meritu. — Je veux tout faire pour que vous soyez content de moi. Mi volas ĉion fari, por ke vi estu kontenta je mi. — Répondez-moi avant demain, afin que je sache au juste ce que je devrai lui dire. Respondu al mi antaŭ morgaŭ, por ke mi sciu, kion mi devos diri al li.

La proposition qui dépend d’un impératif-subjonctif veut ce mode pour son propre verbe, parce qu’il relève par le fait même de l’ordre, de la prière, du désir.

Exemples. — Commandez qu’il vienne. Ordonu, ke li venu. — Diru al ŝi, ke ŝi tuj foriru. Dites-lui de partir de suite (qu’elle parte). — Prenez garde de tomber. Atentu, ke vi ne falu (Faites attention que vous ne tombiez pas). — Ne souffrons pas qu’il nous résiste ainsi. Ni ne toleru, ke li tiamaniere konstraŭstaru al ni. — Attendez que je revienne. Atendu, ke mi revenu. — Veillons à ce qu’il ne puisse rien abîmer. Ni zorgu ; ke li nenion povu difekti.

Remarque. — On peut dire que l’impératif-subjonctif reçoit en propre tout ce qui ne relève pas, en Esperanto, des deux autres modes personnels : l’indicatif et le conditionnel.

Exemples. — Il suffit qu’il veuille pour que je ne veuille plus. Sufiĉas, ke li volu, por ke mi ne volu plu. — Si nous obtenons ce résultat, il sera impossible que nos ennemis prétendent… Se ni atingos tiun rezultaton, estos neeble, ke niaj malimikoj pretendu… (on pourrait dire aussi estos neeble al niaj malamikoj pretendi). — Il est inadmissible qu’il refuse notre proposition, si vous la lui faites comme il faut. Estas nesupozeble, ke li rifuzu nian proponon, se vi ĝin faros al li konvene (ou kiel konvenas).

L’idée qui domine dans ce mode est celle du but à atteindre, but imposé d’une manière quelconque ou volontairement poursuivi. Il suit de là qu’on doit employer l’impératif-subjonctif toutes les fois qu’on veut montrer la volonté, le désir qu’on a d’arriver à un résultat, alors même qu’il n’y aurait dans la phrase ni verbe ni locution le disant formellement.

Exemples. — Écrivez-lui de venir. Skribu al li, ke li venu (on veut qu’il vienne). — Arrêtons-nous (pour) qu’il se repose. Ni haltu, (por) ke li ripozu (on veut qu’il se repose, c’est le but visé). — Vous arrangerez les choses de façon à lui donner satisfaction. Vi aranĝos la aferojn tiamaniere, ke vi donu al li kontentigon (le but que vous devez poursuivre est de lui donner satisfaction ; il faut arranger les choses de manière à ce que vous lui donniez satisfaction).

D’une façon générale, il faut toujours faire très attention à l’idée qu’on veut rendre, car il peut arriver que seule l’intention qu’on se propose fixe sur le mode à employer.

Ainsi la phrase Il est bon qu’on nous résiste peut relever du mode indicatif ou de l’impératif subjonctif selon l’intention de celui qui l’exprime. S’il veut parler du fait en voie d’accomplissement il dira : Estas bone, ke oni kontraŭstaras al ni. S’il y a pure supposition dans sa pensée, il dira encore avec l’indicatif : Estas bone, se oni kontraŭstaras al ni. Enfin si, à cause des avantages qu’il y voit, il souhaite qu’il y ait résistance, il dira avec l’impératif-subjonctif : Estas bone, ke oni kontraŭstaru al ni.

Quelle forme prendre ? — 1° Si le fait marqué par l’impératif-subjonctif coïncide avec le moment de la durée explicitement ou implicitement en question, prenez la forme simple à l’actif, et la forme estu…ata au passif. Il y a alors concomitance entre le fait et le temps où il se passe[5].

Exemples. — Il faut qu’il vienne (actuellement). Estas necese, ke li venu. — Il fallait, il a fallu qu’il vînt (en ce temps-là). Estis necese, ke li venu. — Pour cela, il faudra qu’il le recommande chaudement. Por tio estos necese, ke li rekomendu lin varme. — Je voudrais que vous veniez ou vinssiez aussitôt que je vous appellerai. Mi volus, ke vi venu tuj, kiam mi vokos vin. — Dieu a voulu que tous les ans la terre produise des moissons. Dio volis, ke ĉiujare la tero produktu rikoltojn. — Il convient que vous soyez soutenu de tous dans cette entreprise. Konvenas, ke vi estu subtenata de ĉiuj en tiu entrepreno. — Il consentait ou il consentit à ce qu’elle fût écoutée. Li konsentis, ke ŝi estu aŭskultata. — Je défends qu’il soit reçu passé 3 heures. — Mi malpermesas, ke li estu akceptita post la 3a horo. — Pour qu’il se corrige, il faudrait qu’il fût longtemps et sévèrement puni. Por ke li korektiĝu, estus necese, ke li estu longe kaj severe punata.

2° Mais si le fait marqué par l’impératif-subjonctif s’est passé ou doit se passer avant le moment de la durée mis en cause, prenez la forme composée à l’actif, et la forme estu… ita au passif. Il y a alors antériorité du fait sur le temps en question[6].

Exemples. — Il faut, il faudra que j’aie fini avant son retour. Estas necese, estos necese, ke mi estu fininta antaŭ lia reveno. — Je souhaiterais qu’il fût arrivé quand vous partirez. Mi dezirus, ke li estu alveninta, kiam vi foriros. — J’aurais souhaité que vous l’eussiez vu auparavant. Mi estus dezirinta, ke vi estu vidinta lin antaŭe. — Il faut que ce travail soit achevé dans deux heures. Estas necese, ke tiu laboro estu finita post du horoj. — Ils n’ont pas voulu que nous fussions reçus plus tôt. Ili ne volis, ke ni estu akceptitaj pli frue. — Il aurait été convenable qu’ils eussent été avertis les premiers. Estus konveninte, ke ili estu averlitaj la unuaj.

Remarque. — Ce que nous disons à 1° n’infirme pas le principe général posé à la page 46 sur l’emploi de ita, quand on n’envisage que le fait accompli, le résultat de l’action et non son déroulement. (Voyez la remarque de cette page.)

Comparez les règles nombreuses, compliquées et insuffisantes, établies en français pour la concordance des temps avec le double principe simple et complet qui vient d’être exposé, et dites-moi de quel côté se trouvent l’exactitude et la facilité.

En se plaçant sur un terrain tout autre, l’Esperanto nous donne là encore un point d’appui certain. Le français, au contraire, en dépit de bien des règles, ne nous offre qu’une base inconstante et douteuse. Dans notre langue, les temps du subjonctif donnent lieu à une telle incertitude que les grammairiens y sont à chaque instant en désaccord avec nos auteurs d’abord, avec l’usage général ensuite, enfin avec eux-mêmes. La concordance exige ce temps, dit l’un ; pas du tout, répond l’autre, c’est une incorrection. Quant aux profanes, désespérant d’y voir jamais bien clair, ils choisissent au petit bonheur entre les temps contestés.


INFINITIF

Sujet et complément. — Comme dans nos langues, linfinitif peut remplir, en Esperanto, le rôle de sujet ou le rôle de complément soit direct soit indirect.

Exemples. — Perdre ainsi son temps est vraiment désagréable. Tiel perdi la tempon estas io vere malagrabla. — On doit manger pour vivre, mais non vivre pour manger. Oni devas manĝi por vivi, sed ne vivi por manĝi. — Il continue à ou de prétendre que… Li daŭrigas pretendi, ke

Les prépositions et l’infinitif présent. — 1° Seules les prépositions por pour, anstataŭ au lieu de, antaŭ ol avant de, peuvent précéder l’infinitif présent.

Exemples. — Pour courir. Por kuri. — Au lieu de boire. Anstataŭ trinki. — Avant de manger. Antaŭ ol manĝi.

Quant aux prépositions à et de, que tantôt nous mettons et tantôt ne mettons pas, en français, devant l’infinitif présent, on ne les traduit pas en Esperanto.

EXEMPLES. — Je veux apprendre à danser. Mi volas lerni danci. — J’aime à chanter. Mi amas kanti. — Il m’a forcé à ou de courir. Li devigis min kuri. — Nous irons nous promener. Ni iros promeni. — Allez vous coucher. Iru kuŝiĝi ou kuŝigi vin. — Venez travailler. Venu labori. — Il craint d’oublier. Li timas forgesi. — Nous désespérons de vous convaincre. Ni malesperas vin konvinki. — J’ai honte d’être loué par lui. Mi hontas esti laŭdata de li. — Elle ne tolère pas qu’on se moque d’elle (d’être moquée). Ŝi ne toleras esti mokata. — Nous devons nous efforcer d’atteindre ce résultat. Ni devas peni atingi tiun rezultaton.

Ce principe est posé pour supprimer la difficulté continuelle qu’entraînerait la recherche de la préposition convenable, telle langue employant celle-ci, telle autre celle-là, et une troisième en prenant une différente encore où n’en employant aucune en pareil cas. Le français lui-même est loin d’être fixe sous ce rapport, comme nous venons de le voir. D’ailleurs, il convient d’observer que la préposition serait tout à fait illogique, quand l’infinitif est sujet ou complément direct, ce qui arrive à chaque instant. L’emploi d’une préposition obligerait donc à distinguer exactement la fonction de l’infinitif, ce qui n’est pas toujours facile.

Par le fait, chacun supplée mentalement, suivant sa langue, la préposition voulue par l’idiome national et l’intelligence du texte n’en est aucunement entravée. Le latin et d’autres langues, y compris même la nôtre, agissent toujours ou souvent ainsi sans aucun inconvénient.

3° Le principe dont nous venons de nous occuper s’étend à l’infinitif présent (ou passé), complément d’un nom, d’un adjectif ou d’un participe-adjectif.

Exemples. — Le désir de mourir. La deziro morti. — La joie d’avoir vaincu. La ĝojo esti venkinta. — Le penchant à mentir. La inklino mensogi. — Avide d’apprendre. Avida lerni. — Porté à désobéir. Inklina malobei. — Habile à dissimuler. Lerta kaŝi. — Fatigué de marcher. Laca marŝi. — Dégoûté de voyager. Tedita vojagi. — Il serait bon de les avertir. Bone estus ilin averti. — Je crois préférable de partir tout de suite. Mi kredas, ke preferinde estas tuj foriri. — Je suis heureux de vous voir. Mi estas feliĉa vin vidi (on peut dire aussi : Mi estas feliĉa ke mi vin vidas).

4° Cependant les prépositions à ou de se traduisent par por, quand elles ont réellement le sens de pour.

Exemples. — Nous avons quelque chose à vous dire. Ni havas ion por diri al vi. — J’avais beaucoup à faire. Mi havis multe por fari. — Il vous donnera ce texte à traduire. Li donos al vi tiun ĉi tekston por traduki. — Qu’avez-vous encore à écrire ? Kion vi havas ankoraŭ por skribi ? — C’est bon à prendre. Tio ĉi estas bona por preni. — Chose facile à faire. Afero facila por fari ou afero facile farebla. — C’est difficile à comprendre. Tio estas malfacila por kompreni ou tio estas malfacile komprenabla. — Le temps de (pour) lire. La tempo por legi. — Quand le moment de partir fut arrivé… Kiam la momento por foriri alvenis… (ou aussi : kiam la momento de l’foriro alvenis… quand le moment du départ fut arrivé).

La préposition de se tourne par ke suivi d’un mode personnel, quand en réalité elle signifie que.

Exemples. — Vous avez bien fait de venir. Vi bone faris, ke vi venis. — Dites-lui donc de me répondre. Diru do al li, ke li al mi respondu. — Nous lui recommanderons de ne pas sortir. Ni rekomendos al li, ke li ne eliru.

Remarque. — En certains cas, par exemple dans la phrase : Vous faites bien de vous efforcer, on pourrait tourner par le participe présent à forme adverbiale et dire : Vi bone faras penante, au lieu de : Vi bone faras, ke vi penas. L’acte étant ici en train de s’accomplir, je puis employer cette forme ante du présent. Mais je ne pourrais le faire pour traduire : Vous avez bien fait de venir, car ici l’acte n’est plus en train de s’accomplir ; il est achevé. Le participe présent serait donc faux.

L’infinitif présent par un participe. — L’infinitif présent se rend, en Esperanto, par le participe présent (forme adjective s’il se rapporte à un complément — forme adverbiale, s’il se rapporte à un sujet), quand il équivaut à un participe présent. Or, ce fait a lieu très souvent, même après les prépositions à ou de.

Exemples. — Je les ai vus venir. Mi vidis ilin venantajn (je les ai vus venant). — Nous l’avons entendue chanter. Ni aŭdis ŝin kantantan (nous l’avons entendue chantant).

Si l’idée était passive, on prendrait le participe passif :
Cette romance, je l’ai entendu chanter. Tiu ĉi romanco, mi ĝin aŭdis kantatan (je l’aie entendue étant chantée)[7]

Il passe son temps à lire. Li pasigas sian tempon legante. — Vous faites bien de vous efforcer… Vi bone faras penante… — À les voir, on les dirait heureux. Ilin vidante, oni kredus, ke ili estas feliĉaj.

On tourne de même par le participe-adverbe (présent ou passé selon les cas) l’infinitif présent précédé de sans. Dans cette tournure logique, la préposition se trouve naturellement rendue par ne en Esperanto.

Exemples. — Allons au danger sans craindre la mort. Iru ni al la danĝero, ne timante la morton (ne craignant pas). — Je ne pourrai le faire sans être soutenu. Mi ne povos tion ĉi fari, ne estante subtenata (n’étant pas). — Il est arrivé sans m’avertir. Li alvenis, ne avertinte min (ne m’ayant pas averti).

L’infinitif présent par le futur indicatif. — L’infinitif présent du français se rend, en Esperanto, par le futur indicatif, quand en réalité il équivaut à ce temps.

Exemples. — Je pense partir demain. Mi pensas, ke mi foriros morgaŭ (que je partirai). — Nous espérions le voir plus tôt. Ni esperis, ke ni vidos lin pli baldaŭ (nous le verrons plus tôt, espérions-nous. L’idée était donc bien future. Comparez ceci à ce que nous avons dit page 85, note 2).

Remarque. — Le principe posé à la page 89 sur l’emploi de l’impératif-subjonctif suppose que le verbe exprimant l’ordre, la prière, la volonté, le désir, la nécessité, le besoin, la convenance, le mérite, est suivi d’une proposition subordonnée commençant par ke ou par por ke, comme dans tous les exemples relatifs à ces verbes. Or, ce fait n’a pas lieu, quand l’agent ou le patient du premier verbe, est l’agent ou le patient du second. Dans ce cas, on emploie l’infinitif.

Exemples. — Nous voulons lui parler. Ni volas paroli kun li (même agent nous pour les deux actes). — Tu as besoin de travailler. Vi bezonas labori (même agent toi pour les deux actes). — Nous désirons être respectés. Ni deziras esti respektataj (même agent nous, car, si j’amenais un mode personnel, j’aurais : nous désirons que nous soyons respectés).


INFINITIF PASSÉ

Remplacé par un mode personnel. — L’infinitif passé peut se rendre de la manière indiquée aux paradigmes de la voix active et de la voix passive. Mais il vaut mieux éviter cette forme composée et tourner par que avec un mode personnel, comme nous le faisons à chaque instant en français et dans une quantité d’autres langues.

EXEMPLES. — Je pense avoir bien fait d’agir ainsi. Mi pensas, ke mi bone faris agante tiel ou tiamaniere (je pense que j’ai bien fait). — Nous aurions cru lui avoir rendu service. Ni estus kredintaj, ke ni faris servon al li (que nous lui avons rendu service). — Il dit avoir toujours été calomnié. Li diras, ke ĉiam li estis khalumniita (qu’il a toujours été calomnié). — Il est sûr d’avoir écrit cette lettre. Li estas certa, ke li skribis tiun leteron (qu’il a écrit).

L’infinitif passé par le participe passé. — L’infinitif passé se rend par le participe passé (forme adverbiale pour l’actif et pour le passif), quand il est précédé soit de la préposition après, qui alors ne se rend pas, soit de la préposition sans, qui se traduit par ne.

Exemples. — Après avoir donné son bien, il… sian havon doninte, li… (ayant donné). — Après avoir été persécutés par tous, nous… Persekutite de ĉiuj, ni… (ayant été persécutés). — Il est sorti sans avoir pris son manteau. Li eliris, ne preninte sian mantelon (n’ayant pas pris). — Il s’est mis à jouer sans avoir fini son travail. Li ekludis, ne fininte sian laboron (n’ayant pas fini). — Elle est sortie sans avoir été saluée de personne. Ŝi eliris, ne salutite de iu.

On peut aussi employer une tournure qui amène un mode personnel.

Exemples. — Après avoir donné ; tournez : quand il eut donné. Kiam li estis doninta. — Après avoir été persécutés ; tournez : quand nous eûmes été persécutés. Kiam ni estis persekutitaj. — Avant d’avoir été encouragé par vous ; tournez : avant que j’eusse été encouragé. Antaŭ ol mi estis kuraĝigita de vi.

L’expression pour avoir fait, pour n’avoir pas fait (telle ou telle chose) amène nécessairement ĉar (parce que) et un mode personnel.

Exemples. — Il est puni pour avoir insulté son professeur. Li estas punita ĉar li insultis sian profesoron. — Pour n’avoir pas voulu se soigner à temps le voilà incapable de tout travail. Ĉar li ne volis sin flegi ĝustatempe, jen li esta ne kapabla por ĉiu laboro.

(Voir page 148 la note sur por, anstataŭ, antaŭ ol devant l’infinitif.)


PARTICIPES

Les participes-adjectifs ont été traités à la page 17 règle 3, à 3°. Les participes-adverbes l’ont été à la page 59.

L’emploi des participes dans la conjugaison a été fixé par les paradigmes de la voix active, page 39, et de la voix passive, page 42. Nous avons établi dans les pages 44, 45, 46 et 47, avec le plus grand soin, la distinction entre ita et ata. Il ne nous reste donc à faire que deux remarques à propos des participes.

Le participe présent pour l’action, l’adjectif pour la qualité. — Il est utile de bien vous rappeler que par nature le participe présent exprime une action, et l’adjectif une qualité, un état. Par conséquent, quand même le mot à traduire en Esperanto ressemblerait dans votre langue à un participe présent, gardez-vous de lui donner la forme anta, si vous n’êtes en réalité qu’en face d’un simple adjectif marquant, comme tel, non pas une action en voie d’accomplissement, mais la qualité, l’état.

Ainsi dans les phrases : C’est un homme charmant. — On aime l’enfant obéissant. — Ce récit est très intéressant. — Qu’y a-t-il de plus réjouissant que… ? On ne doit pas traduire par la forme anta du participe présent, les adjectifs en ant qui s’y trouvent. Dites : Li estas homo ĉarma. — Oni amas la obeeman infanon. — Tiu ĉi rakonto estas tre interesa. — Kio estas pli ĝojiga ol… ?

Participe futur. — Pas plus au passif qu’à l’actif, ce participe ne marque l’obligation formelle. Il indique seulement qu’une chose future est projetée, attendue, espérée qu’elle se fera. Par conséquent, s’il y a devoir formel de faire une chose, il faut employer devi, comme nous le faisons en français.

Ainsi la konstruota domo signifie : la maison qu’on construira, qu’on a l’intention de construire, dont la construction est projetée, attendue, espérée. A cause du sens de notre verbe devoir français, qui à chaque instant marque un fait futur, projeté ou attendu, on pourrait traduire aussi par : la maison qu’on doit construire. Mais cette traduction n’implique pas l’idée d’obligation, à proprement parler. Si, au contraire, on voulait exprimer le devoir, l’obligation formelle de construire la maison, on dirait : La domo, kiun oni devas konstrui, la maison qu’on est dans l’obligation de construire, qu’on a le devoir de construire.

En définitive, l’obligation formelle de faire une chose doit être rendue par devi et non à l’aide d’un simple participe futur.

Remarque. — Les participes futurs ne servent pas à former de temps composés, comme on a pu le constater aux paradigmes de la voix active ou passive.

Dans la pratique, ils feraient double emploi avec les formes données pour les futurs de la conjugaison Esperanto. En effet, mi estas finonta équivaut à la forme beaucoup plus simple mi finos ; de même li estas amota rendrait d’une façon plus compliquée la même idée que li estos amata.

Ce que nous venons de dire fait entrevoir pourquoi l’Esperanto n’a pas d’infinitif futur. A quoi lui servirait cette forme, puisqu’il peut rendre l’idée d’une façon beaucoup plus simple et plus en harmonie avec l’évolution des langues ? Pourquoi dirait-il comme les Latins : Je crois lui devoir venir (mi kredas lin esti venontan), quand il peut, comme actuellement nos langues, rendre l’idée d’une façon bien moins entortillée à l’aide du futur indicatif : mi kredas, ke li venos, je crois qu’il viendra ?


LES TEMPS

Ce que nous avons dit de l’infinitif et des participes pages 94 et 101, de l’impératif-subjonctif pages 88 et 91, enfin du conditionnel dans la note qui concerne surtout l’impératif-subjonctif à la page 87 (note 1) restreint la question des temps au mode indicatif.

Le présent. — Comme dans toutes nos langues, il s’emploie pour exprimer non seulement une chose présente, mais encore une chose habituelle, une vérité de tous les temps.

Exemples. — Qui voyez-vous ? Kiun vi vidas ? — Je pars, car mon père m’attend. Mi foriras, ĉar mia patro atendas min. — Je me lève toujours de très bonne heure. Mi ĉiam leviĝas tre frue. — On ne fait rien sans peine. Nenion oni faras sen peno.

Le présent au lieu du passé ou du futur. — Comme dans nos langues, on peut substituer, en Esperanto, le présent au passé ou au futur pour donner plus de vivacité à l’expression.

Exemples. — Hier il m’aborde, me tend la main et me dit : je vous attends demain. Hieraŭ li aliras al mi, tendas al mi sian manon kaj diras : mi vin atendas morgaŭ. — Aujourd’hui pleins de vie, nous sommes demain la proie du tombeau. Hodiaŭ plenaj je vivo, ni estas morgaŭ la akiro de l’tombo.

Le présent au lieu de notre imparfait. — S’il s’agit d’une vérité de tous les temps ou d’un fait existant encore au moment où l’on parle, nous employons en français l’imparfait aussi bien que le présent de l’indicatif. En pareil cas, l’Esperanto n’emploie jamais que le présent.

Exemples. — Nous avons su que vous étiez à Lyon depuis huit jours. Ni eksciis, ke vi estas en Ljono de ok tagoj. — Il m’a dit que rien ne guérissait mieux que ce remède. Li diris al mi, ke nenio resanigas pli bone, ol tiu kuracilo. — Je croyais que vous étiez médecin. Mi kredis, ke vi estas kuracisto. — Il nous enseignait qu’il fallait toujours être indulgent. Li instruis nin, ke ĉiam oni devas esti indulga.

L’Esperanto suit sans dérogation aucune ce principe logique. Il emploie toujours le présent, même dans une phrase au passé, si l’action est présente relativement au temps en question.

Exemples. — Tous ceux qui la voyaient pouvaient penser qu’ils voyaient sa mère. Ĉiuj, kiuj ŝin vidis, povis pensi, ke illi vidas la patrinon.

Que pensaient-ils ? Je vois sa mère et non pas : J’ai vu sa mère. Dans leur pensée, le fait de cette vue était bien présent à ce moment, d’où vidas. Si nous mettions vidis, le fait serait donné comme passé : ils ne se diraient plus Je vois, mais j'ai vu. Comparez ceci à ce que nous disons, page 85, note 2.


Le passé. — Tant que le passé en question n’en précède pas un autre, il faut toujours employer la forme simple (is) à l’actif et éviter soigneusement de lui substituer une forme composée à l’imitation du français.

Ainsi j’ai lu, j’ai couru, nous avons dansé, il est arrivé, il est mort hier, nous sommes partis, etc., se traduisent par la forme simple du passé (is) ; mi legis, mi kuris, ni dancis, li alvenis, li mortis hieraŭ, ni foriris, etc.

Cependant, si l’on voulait marquer l’état qui résulte pour le sujet de l’action qu’il a faite il ya plus ou moins de temps, on rendrait le passé par estas… inta. Mais, retenez-le bien, uniquement pour marquer un état, car cette forme ne figure même pas dans les paradigmes de la conjugaison, comme étant le plus souvent inutile.

Exemples. — Il est arrivé depuis deux heures déjà. Li estas alveninta jam de du horoj. — Oh ! il y a déjà longtemps qu’ils sont morts. Ho ! jam de longe ili estas mortintaj.

Passé rapproché. — Quand l’action vient de se faire, c’est-à-dire quand, en français, nous employons les expressions je viens de…, je venais de…, l’Esperanto combine le passé avec l’adverbe justement, à l’instant, ĵus.

Exemples. — Je viens de lire un livre très étrange. Mi ĵus legis tre strangan libron. — Je venais de sortir quand vons êtes arrivé. Mi ĵus estis elirinta, kiam vi alvenis. (J’ai justement, à l’instant lu un livre. — J’étais sorti à l’instant, quand vous êtes arrivé.)

N’ayez jamais l’idée, en pareil cas, d’employer notre verbe venir, souverainement illogique dans ces expressions.

Remarque. — Quand on veut tout spécialement insister sur ce fait que le sujet était en train de faire l’action, on peut employer la tournure estis.… anta ; mais il faut bien se garder d’en abuser.

Exemples. — J’étais en train de vous écrire. Mi estis skribanta al vi. — Pendant que vous vous inquiétez à l’excès sur son sort, il vous oublie complètement. Dum vi troe maltrankviliĝas pri lia sorto, li forgesas vin tute.


Futur. — À part la faculté qu’on a d’employer le présent à sa place, dans le cas stipulé à la page 104, il faut toujours employer le futur, quand l’idée est future.

Exemples. — Que ferez-vous quand je serai dans la tombe ? Kion vi faros, kiam mi estos en mia tombo ? — J’écrirai la lettre pendant que vous vous reposerez. Mi skribos la leteron, dum vi ripozos.

Ne soyez jamais tenté d’imiter certaines langues, l’anglais notamment, qui diraient : « Que ferez-vous, quand je suis dans ma tombe ? — J’écrirai cette lettre, pendant que vous vous reposez ». Ces tournures sont illogiques, et, comme telles, ne peuvent s’employer en Esperanto.

Futur rapproché. — Quand nous voulons marquer, en français, un futur rapproché, nous employons les expressions je vais…, tu vas…, etc., ou je suis sur le point de…, tu es sur le point de…, etc. L’Esperanto rend cette idée à l’aide du futur précédé de tuj (tout de suite), baldaŭ (bientôt), tre baldaŭ (tout prochainement), selon la nuance à exprimer.

Exemples. — Asseyez-vous, je vais vous raconter la chose. Sidiĝu, mi tuj rakontos al vi la aferon. — Ayez patience, il va venir. Havu paciencon, li tuj ou tre baldaŭ venos. — Nous sommes sur le point de partir en Angleterre. Ni baldaŭ ou tre baldaŭ foriros Anglujon.

Il va de soi qu’on n’emploie ni tuj ni baldaŭ quand les expressions je vais…, tu vas…, etc., ne donnent au futur aucune proximité plus grande, mais sont simplement employées pour dire qu’on fera la chose en question.

Les expressions j’allais…, tu allais…, etc., ou J’étais sur le point de…, tu étais sur le point de…, etc., impliquant une idée future pour le temps dont on parle, se rendent en Esperanto à l’aide de estis et du participe futur actif ou passif (selon le cas), précédé de tuj, de baldaŭ ou de tre baldaŭ.

Exemples. — J’allais périr quand vous êtes venu à mon secours. Mi estis tuj pereonta, kiam vi venis helpi min. — Vous alliez réussir, si vous aviez eu encore un peu de patience. Vi estis baldaŭ sukcesontaj, se vi estus havintaj ankoraŭ iom da pacienco. — Nous étions sur le point d’entrer quand nous l’aperçûmes. Ni estis tuj enirontaj, kiam ni ekvidis lin[8].

Temps et formes d’antériorité. — Comme il a été dit à propos du passé antérieur, du futur antérieur, de l’impératif-subjonctif et du conditionnel, on emploie ces temps et ces formes pour marquer que le fait exposé par eux en a précédé ou doit en précéder un autre.

Exemples. — Quand j’avais amassé la somme suffisante, j’achetais un nouveau bibelot. Kiam mi estis kolektinta la sumon sufiĉan, mi aĉetis novan luksaĵeton. — Dès que j’aurai reçu votre lettre, je partirai. Tuj kiam mi estos ricevinta vian leteron, mi foriros. — Si je l’avais entendu, je vous le dirais. Se mi estus tion aŭdinta, mi ĝin dirus al vi. — Lorsque j’eus été prévenu de son arrivée, je… Kiam mi estis avertita pri lia alveno, mi… — Je ne céderai que lorsque j’aurai été expulsé. Mi cedos nur tiam, kiam mi estos elpelita. — Si j’avais été soutenu, j’aurais réussi. Se mi estus subtenita, mi estus sukcesinta.


LES INCHOATIFS

Ces verbes se rattachent à la rubrique des temps en ce qu’ils expriment cette idée qu’on commence, qu’on se met à faire une chose. Ils rendent sans périphrase nos expressions françaises commencer à… se mettre à… On les forme du verbe ordinaire en préfixant l’inchoatif ek.

Exemples. — Mettez-vous à écrire ce que je vais vous dicter. Ekskribu (tion) kion mi tuj diktos al vi. — Au lieu de m’écouter il se mit à danser. Anstataŭ aŭskulti min, li ekdancis. — Je commence à voir, j’aperçois la maison. Mi ekvidas la domon. — Commencez-vous à comprendre ? Ĉu vi ekkomprenas ?

Remarque. — Il ne faudrait pas conclure de ce principe que les inchoatifs suppriment, en Esperanto, l’emploi du verbe commencer, komenci. Cet emploi est toujours permis. Il faut même se garder d’abuser de la forme inchoative. A cet égard, la lecture attentive de bons textes Esperanto édifiera l’adepte mieux que de longues considérations.

En général, les Français feront bien de s’en tenir, pour la forme inchoative, aux cas où ils emploient l’expression se mettre à


  1. L’emploi du mode indicatif, après un verbe marquant la crainte, étonnera plus d’un Français et tout spécialement ceux que le latin a confirmés dans l’idée qu’après ces verbes il faut le subjonctif avec au moins un bout de négation (ne), si on craint que la chose n’arrive, et une négation complète (ne… pas), si au contraire on craint qu’elle n’arrive pas.
    Un peu de réflexion leur montrera vite que la logique est du côté de l’Esperanto.
    Et d’abord on peut dire que, dans ces sortes de phrases, le verbe craindre est comme l’opposé d’espérer. Mais diriez-vous : « J’espère qu’il ne vienne », au lieu de « j’espère qu’il viendra » ? Eh bien, la crainte est une chose aussi positive que l’espérance. Pourquoi donc nuancer de doute les verbes qui l’expriment par l’emploi du subjonctif après eux ? Est-ce à cause de la chose redoutée ? Mais cette chose est elle-même positive, et vous l’affirmez ; la preuve, c’est que, sous une autre forme, vous diriez : Je crains sa venue. Alors que font donc dans la phrase : « Je crains qu’il ne vienne », le subjonctif et la négation ?
    Ici encore, en dépit de la grammaire, la logique reprend chez beaucoup de gens une partie de ses droits. N’entendons-nous pas dire à chaque instant : Je crains qu’il vienne ?
  2. L’emploi de la conjonction si dans notre interrogation, en français, est des plus illogiques. Il est irrationnel, en effet, que le même mot interroge et pose la condition, Or, si a ce double office dans notre langue. Par le fait, cette conjonction équivaut à est-ce que, dans une question, et à supposé que, à condition que, dans les autres cas.
    Il est à remarquer d’ailleurs que le français est une des très rares langues qui emploient le même mot pour des offices si différents.
    Après les verbes d’interrogation, l’anglais se sert d’un adverbe interrogatif spécial, l’allemand en fait autant, et toutes les langues en général, tant les vivantes que les mortes.
  3. Pour bien comprendre l’emploi de ce futur, considérez d’abord qu’il n’y a rien de conditionnel dans la question que se pose le malheureux. Il ne se demande pas s’il mourrait, mais s’il mourra. Le conditionnel serait donc illogique en Esperanto. Pour vous rendre encore mieux compte de la nécessité du futur, mettez la question dans la bouche même du sujet. Il se disait assurément mourrai-je et non pas mourrais-je.
    Mais, s’il y avait vraiment une condition posée, il faudrait le conditionnel (us) dont nous parlerons tout à l’heure.
    Exemple : Le malheureux se demandait s’il mourrait ainsi, abandonné de tous, s’il avait mieux vécu. La malfeliĉulo demandis sin, ĉu li mortus tiel, forlasita de ĉiuj, se li estus pli saĝe vivinta. En lui mettant la question dans la bouche, j’obtiendrais « mourrais-je » et non pas « mourrai-je ». Il faudrait donc bien ici le conditionnel.
  4. Remarquez cette traduction de « que » par se (si) et imitez-la dans les cas analogues.
    Exemples : Il est préférable que vous partiez demain. Estas preferinde, se vi foriros (si vous partirez) morgaŭ. — Il nous serait plus utile qu’on n’acceptât pas notre offre. Estus al ni pli utile, se oni ne akceptus (si on n’accepterait pas) nian proponon.
  5. Afin de prévenir toute erreur, faisons bien remarquer qu’il ne s’agit nullement du temps auquel se trouve le verbe de la proposition principale, mais uniquement du moment de la durée où se place le fait rendu par l’impératif-subjonctif. Ainsi, dans la phrase : Dieu a voulu que tous des ans la terre produise des moissons, le verbe de la proposition principale est au passé, et le fait de la production des moissons a lieu dans un continuel présent avec lequel il coïncide. D’où, en Esperanto, la première forme de l’impératif-subjonctif pour le verbe produise. De même, dans la phrase  : Je défends qu’il soit reçu passé 3 heures, le verbe de la proposition principale est au présent, et le fait de la réception doit se produire dans un temps futur avec lequel il coïncidera. On le voit donc, la concomitance dont parle le principe ne s’établit nullement avec le temps du verbe de la proposition principale, mais avec le moment de la durée, exprimé ou non, dans lequel se place le fait marqué par l’impératif-subjonctif.
  6. Dorénavant nous emploierons comme seules justes, pour l’impératif-subjonctif, les appellations « forme de concomitance » et « forme d’antériorité ». La première s’appliquera naturellement à : u dans la voix active, à estu… ata dans la voix passive ; la seconde s’’appliquera à estu… inta dans la voix active, à estu… ita dans la voix passive.
    Nous ferons de même pour les deux formes du conditionnel. La première (.. us dans la voix active et estus….. ata dans la voix passive) se nommera donc « forme de concomitance » ; la seconde (estus… inta dans la voix active et estus… ita dans la voix passive) se nommera « forme d’antériorité ». En effet, le conditionnel, pas plus que l’impératif subjonctif, ne présente par lui-même, en Esperanto, l’idée de présent, de passé ou de futur. Il serait donc illogique d’employer, pour distinguer ces deux formes, une dénomination qui le ferait croire.
  7. Ces deux derniers exemples nous fournissent l’occasion de faire remarquer que l’Esperanto, tout en supprimant complètement les règles relatives à l’accord des participes, arrive à rendre l’idée, non seulement pour les yeux, mais encore pour l’oreille, d’une façon plus juste qu’en français : kantantan, kantatan fixent bien autrement, à l’audition, que les participes vue et vu.
  8. Gardez-vous bien toujours d’imiter le français en pareil cas, et de traduire je vais etc., par iri. Ce serait grotesque, et on ne comprendrait pas.