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Commentaire sur la grammaire Esperanto 1903/Ch5

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Règle 5. — LES PRONOMS PERSONNELS ET LES POSSESSIFS

Les pronoms personnels sont mi (je, moi), vi (vous, tu, toi), li (il, lui), ŝi (elle), ĝi (il, elle, pour les animaux ou les choses, et pour tout être humain dont le nom ne révèle pas le sexe), si (soi, se), ni (nous), ili[1] (ils, elles), oni (on).

Ils prennent l’n accusatif dans les mêmes conditions que le nom, ce qui est logique puisqu’ils le remplacent à tout instant. Comme lui aussi, ils peuvent être précédés de diverses prépositions marquant le rôle qu’ils jouent dans la proposition.

Exemples. — Mi kredas, ke ŝi ne vidas nin. Je crois qu’elle ne nous voit pas. — Li ĵetis sin sur min kaj batis min kun la plej granda krueleco. Il se jeta sur moi et me frappa avec la plus grande cruauté. — Donu do al li, kion vi promesis al li. Donnez-lui donc ce que vous lui avez promis. — Venu kun ni. Venez avec nous. — Foriru de mi. Retirez-vous d’auprès de moi. — Respondu al ili. Répondez-leur (à eux ou à elles).

Le pronom vi. — On dit vi (vous) à tout le monde en Esperanto. De la sorte, on n’a pas à distinguer continuellement, comme dans certaines langues, entre plusieurs pronoms plus ou moins polis. Mais naturellement, comme nous le faisons en français, si le vi ne s’applique qu’à une personne, les adjectifs et les participes qui s’y rapportent se mettent au singulier. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si le vi s’applique à plusieurs personnes, les adjectifs et les participes qui s’y rapportent se mettent au pluriel.

Exemples. — Infano, kial vi estas malĝoja? ĉu vi estas punita? Enfant, pourquoi êtes-vous triste? êtes-vous puni? — Sinjoroj, estu pretaj kiel eble plej baldaŭ, ĉar vi estas tre senpacience atendataj. Messieurs, soyez prêts le plus tôt possible, car vous êtes très impatiemment attendus.

Cependant l’Esperanto a un pronom pour le tutoiement: ci, mais, dans la pratique ordinaire de la langue, on ne s’en sert pas.

Le pronom ĝi sert, comme it en anglais, à traduire il ou elle représentant des choses, des animaux, ou même un être humain dont le nom ne révèle pas le sexe.

Exemples. — Tiu ĉi arbo estus multe pli bela, se ĝi estus tute rekta. Cet arbre serait beaucoup plus beau, s’il était tout à fait droit. — Via ĉevalino estas malbonega, mi neniam povis decidigi ĝin troti. Votre jument est détestable, je n’ai jamais pu la décider à trotter. — Nature la infano estas ŝanĝema, ĝi volas jen tion ĉi, jen tion. Par nature, l’enfant est changeant ; il veut tantôt ceci, tantôt cela.

Ce pronom neutre et le possessif qui en dérive donnent à l’Esperanto et aux langues qui possèdent leurs équivalents une précision plus grande. Ils rendent impossibles, en effet, certaines amphibologies assez fréquentes dans les langues qui en sont privées, où il faut démêler péniblement si les pronoms il, le, elle, la, et les possessifs son, sa, ses, portent sur la personne, l’animal ou la chose figurant dans la même phrase ou dans la précédente.

Le pronom si est, comme en français le pronom soi, de tous les genres et de tous les nombres. Il peut donc logiquement représenter un ou plusieurs êtres, des mâles ou des femelles.

Exemples. — Li pensis en si mem ke... Il pensait en lui-même (en soi-même) que... — Ŝi portis sur si tre riĉajn juvelojn. Elle portait sur elle (soi) de très riches bijoux. — Ili aljuĝis al si la plej dikan parton el ĉiuj. Ils se sont attribué la plus grosse part de toutes.

Si, étant pronom réfléchi, renvoie l’idée au sujet du verbe de la proposition où il figure. Pour l’employer, il faut donc qu’il représente le sujet du verbe, ce qui n’arrive que si on peut tourner le, la, les, elle, lui, elles ou leur par soi.

Exemples. — Li kunportis kun si nutraĵon por dek tagoj. Il emportait avec lui (soi) de la nourriture pour dix jours. — Mia fratino ĉion faras por si, nenion por la aliaj. Ma sœur fait tout pour elle (soi), rien pour les autres.

Mais, dans ce dernier exemple, si elle, au lieu de représenter le sujet du verbe, représentait une autre personne (auquel cas je ne pourrais tourner par soi), il faudrait employer ŝi et non pas si.

Ainsi, on traduirait par ŝi dans la phrase suivante : Mia fratino amas tiun amikinon en la plej alta grado ; ŝi faras ĉion por ŝi, nenion por la aliaj. Ma sœur aime cette amie au plus haut point ; elle fait tout pour elle, rien pour les autres.

Cette observation ne serait pas nécessaire si, comme en Esperanto, nous employions toujours en français le pronom réfléchi soi, se, quand il y a réflexion dans l’idée. Malheureusement, à chaque instant, on l’a vu par les exemples cités plus haut, nous lui substituons un pronom non réfléchi.

Remarque. — Le pronom si (soi) étant par nature de la troisième personne ne peut renvoyer l’idée à un sujet de la première ou de la deuxième personne. Ne dites donc jamais :

Mi lavas sin au lieu de mi lavas min (je me lave). — Vi laŭdas sin au lieu de vi laŭdas vin (vous vous louer), etc.

Le, l’, représentent très souvent en français non pas la troisième personne du masculin singulier (lui), mais une idée exprimée soit par un qualificatif quelconque, soit par tout un membre de phrase.

Ainsi dans : Il est avare, je ne le suis pas. — On dit que la lune est habitée ; je ne puis le croire, le pronom le représente la première fois le qualificatif avare, et la seconde fois que la lune est habitée. Certains grammairiens enseignent que, dans ces cas, le, l’ signifient cela. Cette opinion est juste pour le remplaçant un membre de phrase ; mais elle ne l’est pas pour le remplaçant un qualificatif, car alors il signifie tel.

Quoi qu’il en soit, traduisez le, l’ par tia (tel) quand ils remplacent un qualificatif, c’est-à-dire un adjectif ou un participe-adjectif, traduisez-les par tio (cela), s’ils remplacent un membre de phrase.

Exemples. — Il est avare ; je ne le suis pas. Li estas avara, mi ne estas tia. — On dit que la lune est habitée ; je ne le crois pas. Oni diras, ke la luno estas loĝata ; mi ne kredas je tio ou mi ne kredas tion. —Ces gens-là sont riches ; nous ne le sommes pas. Tiuj homoj estas riĉaj ; ni ne estas tiaj.

Quand il n’y a pas d’amphibologie à craindre, on peut très bien traduire par ĝi le pronom le signifiant cela.

Exemples. — Je ne pourrais le croire, si je ne le voyais de mes propres yeux. Mi ne povus tion kredi, se mi ĝin ne vidus per miaj propraj okuloj. — Du moins autant que je le sais. Almenaŭ tiom, kiom mi ĝin scias. — Ne le faites pas. Ne faru ĝin.

Ce, c’, dans les expressions c’est, ce sont, c’était, ce furent, etc., se traduit d’après les exemples suivants :

Car c’était une fée. Ĉar tio ĉi estis feino. — Qui est là ? Kiu estas tie ? C’est moi. Ĝi estas mi. — Nos amis ne connaissent pas la peur : ce sont des braves dans toute la force du terme. Niaj amikoj ne konas la timon : ili estas bravuloj en la plena senco de l’vorto. — Votre sœur est très aimable. C’est une personne charmante. Via fratino estas tre aminda. Ŝi estas ĉarma persono. — C’est le brouillard qui vous empêche de voir. La nebulo estas tio, kio vin malhelpas por vidi ou simplement la nebulo vin malhelpas por vidi. — C’est une honte que de fuir à la guerre. Honto estas forkuri el la batalado.

Y signifiant à lui, à elle, à eux, à elles, à cela, se rend naturellement par les pronoms auxquels il correspond précédés de la préposition voulue par le sens.

Exemples. — C’est un trompeur, ne vous y fiez pas. Li estas trompulo, ne fidu je li. — Son témoignage est faux, je n’y crois pas. Lia atesto estas malvera ; mi ne kredas je ĝi. — Préparons-nous-y. Ni preparu nin por tio.

En signifiant de lui, d’elle, d’eux, d’elles, de cela, se rend, lui aussi, par les pronoms auxquels il correspond, précédés de la préposition voulue par le sens.

Exemples. — J’en parle (de lui). Mi parolas pri li (pri ĝi, si ce n’est pas un homme). — J’en parle (d’elle). Mi parolas pri ŝi (pri ĝi, si ce n’est pas une femme). — J’en parle (d’eux ou d’elles). Mi parolas pri ili. — J’en pleure. Mi ploras pro tio.

Si en renferme une idée partitive, on procède comme il est dit page 2, remarque.

II, sujet apparent, ne se rend pas en Esperanto.

Exemples. — Il neige, il a plu, il tonnera. Neĝas, pluvis, tondros. — Il est nécessaire de manger pour vivre. Estas necese manĝi por vivi. — Il me plaît de lui refuser cela. Plaĉas al mi tion rifuzi al li. — Il vous importe de répondre exactement. Grave estas por vi respondi ĝuste. — Il nous semble que… Ŝajnas al ni ke…

Les possessifs.

Les possessifs se forment de leur pronom personnel correspondant par la simple addition de la caractéristique a.

Exemples. — Mia, mon, ma ; via, votre, ton, ta ; lia, son, sa (à lui) ; ŝia, son, sa (à elle) ; ĝia, son, sa (pour ce qui appartient à un animal, à une chose ou à un être humain dont le nom ne révèle pas le sexe) ; nia, notre ; via, votre ; ilia, leur ; sia, son, sa, (à soi).

En leur qualité d’adjectifs, ils prennent le pluriel ou l’n accusatif, s’ils déterminent un nom qui les reçoive.

Exemples. — Viaj gepatroj venis. Vos parents sont venus. — Mia fratino renkontis vian fraton kaj viajn amikojn. Ma sœur a rencontré votre frère et vos amis.

Quand on les emploie comme pronoms, on les fait où non précéder de l’article, selon qu’on le préfère.

Exemples. — Puisque nous avons chacun un dictionnaire, prenez le vôtre et laissez le mien. Ĉar ni havas ĉiu unu vortaron, prenu (la) vian kaj lasu (la) mian. — Mes enfants sont plus petits que les vôtres. Miaj infanoj estas pli malgrandaj ol (la) viaj.

Possessifs réfléchis. — Sia et la sia sont des possessifs réfléchis, puisqu’ils dérivent de si, pronom personnel réfléchi. Il ne faut donc les employer, pour traduire son, sa, ses, leur, le sien, la sienne, les siens, les siennes, les leurs, que dans une proposition où le possesseur de la chose déterminée ou représentée par eux est le sujet de la proposition, et jamais devant le sujet lui-même.

Exemples. — Ma mère a oublié son livre. Mia patrino forgesis sian libron. — Il aime cette femme et son fils (à lui). Li amas tiun virinon kaj sian filon. — Ces enfants ont perdu leurs parents. Tiuj infanoj perdis siajn gepatrojn. — Le chien aime son maître et lui obéit. La hundo amas sian mastron kaj obeas al li. — Qu’il vienne avec ses amis. Li venu kun siaj amikoj.

Mais, si le possesseur de la chose déterminée ou représentée par son, sa, ses, leur, le sien, la sienne, les siens, les siennes, les leurs, n’est pas le sujet de la proposition, il faut employer lia, ŝia, ĝia, ilia, selon les cas.

Exemples. — J’ai vu mon ami et sa femme. Mi vidis mian amikon kaj lian edzinon. — Cette femme est venue me trouver hier pour que je lui rende ses lettres. Tiu virino venis al mi hieraŭ por ke mi redonu ŝiajn leterojn al ŝi. — Le roi aime peu la princesse et son fils (à elle). La reĝo amas malmulte la princinon kaj ŝian filon. — L’obstination de l’âne est aussi proverbiale que sa sobriété. La obstineco de l’azeno estas tiel proverba kiel ĝia sobreco. — Tout en les défendant je reconnais leurs défauts. Kvankam mi defendas ilin, mi konfesas iliajn malbonaĵojn.

Remarque. — N’employez donc jamais sia, si l’objet n’appartient pas au sujet et au sujet même de la proposition où il figure ; ou si le possédé est sujet. Quand cette double condition n’est pas remplie, il faut toujours prendre lia, ŝia, ĝia, illia, selon les cas.

Exemples. — Pierre a écrit à Paul de lui amener son chien. Petro skribis al Paŭlo, ke li alkonduku al li sian hundon (sian, parce qu’il s’agit ici du chien de li, Paul, sujet de la proposition où figure sia). — Mais Petro skribis al Paŭlo ke li alkonduku al li lian hundon (lian parce que l’objet appartient au sujet de l’autre proposition, Pierre). — Mon père a défendu à Henri d’aller dans sa chambre. Mia patro malpermesis al Henriko, ke li iru en sian ĉambron (sian, parce qu’il s’agit de la chambre de li, Henri, sujet de la proposition où figure sia). — Mais mia patro malpermesis al Henriko, ke li iru en lian ĉambron (lian, parce que l’objet appartient au sujet de l’autre proposition, mon père). — La patro kaj lia filo estas ĉe mi (ici filo est sujet). Le père et son fils sont chez moi.

Cette attribution de sia exclusivement au sujet de la proposition où il figure, est aussi logique que l’est peu l’habitude inverse du latin pour suus, sua, suum. Elle est d’ailleurs le pendant naturel de ce qui se passe pour le pronom réfléchi si, qui doit toujours représenter, en Esperanto, le sujet même de la proposition où il figure.

Ce qui précède explique pourquoi, dans les phrases suivantes, les possessifs français sont traduits par différents adjectifs ou pronoms en Esperanto.

Chacun prise son pays avec ses qualités et ses défauts. Ĉiu ŝatas sian landon kun ĝiaj bonaĵoj kaj ĝiaj malbonaĵoj. — Les pères aiment leurs enfants mais détestent leur paresse. La patroj amas siajn infanojn sed malamas ilian mallaboremon. — Ils ont conduit leurs amis dans leur logement (au sujet du verbe), au lieu d’aller dans le leur (aux amis) : Ili kondukis siajn amikojn en sian loĝejon, anstataŭ iri en la ilian.

Il est facile maintenant de se rendre compte de la supériorité qu’assure à l’Esperanto, pour la précision et la clarté, la possession de ses quatre possessifs : lia (pour un homme), ŝia (pour une femme), ĝia (pour les animaux et les choses), ilia (pour les pluriels) ; plus le possessif réfléchi sia (quand l’objet appartient au sujet du verbe). En français, notre possessif unique amène des amphibologies continuelles ou bien oblige à des tournures lourdes, embarrassées et le plus souvent incorrectes.


  1. L’anglais, l’allemand, et d’autres langues encore prouvent qu’on n’a pas besoin de pronom personnel spécial pour la 3e personne du féminin pluriel. Les circonstances ou le contexte indiquent fort bien s’il s’agit d’hommes ou de femmes.