Complaintes amoureuses/II

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II[1]


Ci commence une complainte amoureuse.


Vueillez oÿr en pitié ma complainte,
Belle plaisant pour qui j’ay douleur mainte
Et que j’aour plus que ne saint ne sainte,
Chose est certaine ;
Et ne cuidez que ce soit chose fainte,
Trés doulce flour dont je porte l’emprainte
Dedens mon cuer pourtraicte, escripte et painte.
Car la grant peine
Du mal d’amours qui pour vous me demaine
Me grieve tant, de ce vous acertaine,
Que plus vivre ne puis jour ne sepmaine,
Dont par contrainte
Dire me fault a vous, ma souveraine,
Le trés grant faiz dont ma pensée est plaine,
Bonne, belle, tout le vous dis je a peine
Et en grant crainte.

Et se je crains, doulce dame, a le dire
Merveilles n’est, car qui vouldroit eslire
En tout le mond sans trouver a redire
Une parfaicte
Haulte dame pour estre d’un empire
Couronnée, si devroit il souffrir
De vous, souvraine, ou tout honneur se tire ;
Maiz, trés doulcette
Jouvencelle, que mon cuer tant regraitte,

S’amours contraint mon cuer qu’en vous se mette
Pour vous servir sanz que ja s’en desmette,
N’en ayés yre,
Pour tant se ne vous vail, flour nouvelette,
Rose de may, belle, sade et simplette,
A qui serf suis, lige, obligié de debte
Ou je me mire.

Mais s’il avient que vo valour s’orgueille
Contre mon bien, pour ce que pas pareille
N’estes a moy et que ne m’appareille
A vo haultece,

Je suis perdus se fierté vous conseille
Que m’occiez, dangier qui tousjours veille
Me courra sus, si seroit bien merveille
Qu’en tel asprece
Vesquisse, helas ! ma dame et ma maistresse,
Mon seul désir, mon espoir, ma déesse ;
Pour Dieu mercy que ne muire a destresce,
Dame, ainçois vueille

Vostre doulceur tost me mettre en adresse
De reconfort quant voyez que ne cesse
De vous servir de fait et de promesse
Quoy que m’en deuille.

Hé ! trés plaisant et amoureux viaire,
Doulx corselet, de beauté l’exemplaire,
Que vraye amour me fait amer et plaire
Sur toute chose,
Le mal que J’ay je ne vous puis plus taire,
Car vo secours m’est si trés neccessaire
Que, se ne l’ay, a la mort me fault traire,
Ne ne repose.
Si en ayez pitié, fresche com rose.
Voyez comment tout de plour je m’arrose,
Et toute foiz a peine dire l’ose

Ne vers vous traire,
Tant vous redoubt ; pour ce ay tenue close
Ma pensée, mais or vous est desclose ;
Car grant amour m’a fait a la parclose
Le vous retraire.

Helas ! belle, trop seroie deceu
Se le maintien que j’ay en vous veü
Tant doulx, tant quoy, si humble et qui m’a meu
A vous amer,
Avoit en soy, sanz qu’il fust apperceu,
Fierté, dangier ; certes ne seroit deu
Que si trés doulx ymage tust peü
De fiel amer,
Et m’est advis qu’on vous devroit blasmer
Se cruaulté qu’on doit tant diffamer[2]
Estoit en vous qu’on doit doulce clamer,[3]
Car a mon sceu
Nulle meilleur de vous n’oy renommer.
Ha ! trés plaisant, ou je me vueil fermer,
Vostre doulx cuer a moy amy clamer
Soit esmeü.

Et m’est advis, belle, se je pouoye
Vous demonstrer comment, ou que je soye,
Entièrement suis vostre et qu’il n’est joye
Qui d’aultre part
Me peust venir, certes je ne pourroye
Croire qu’en vous, doulce simplete et quoye,
N’est tant de bien, et c’est la ou m’apoye
Et main et tart ;
Et de pitié que vo trés doulx regart.
Qui de mon cuer a nulle heure ne part
Ne dont n’ay bien fors quant je sent l’espart

Par quelque voye,
Ne confortast le mal dont j’ay grant part ;
Mais je ne puis en secret n’en appart
Parier a vous, dont mon cueur de dueil part
Et en plours noyé.

Et doncques las ! dont vendroit reconfort
A mon las cuer qui meurt par amer fort,
Quant ne savez, m’amour, le desconfort
Ou pour vous suis
Ne comment vous aim de tout mon effort ?
Si couvendra que je soie a dur port,
Se vraye amour a qui m’attens au fort
Tost n’euvre l’uys
D’umble pitié ou a secours je fuys ;
Si vous dye comment durer ne puis
Pour vostre amour ou tout je me suis duys,
Soit droit ou tort.
Par quoy voyez comment et jours et nuis
De tous solas et de joye suis vuys.
Se tel secours bien brief vers vous ne truys
Vez me la mort !

Car mesdisans tant fort redoubte et crain
Que je n’ose parler ne soir ne main
N’a nulle heure, dont je suis de dueil plain,
A vous, trés belle,
Pour vostre honneur qui est entier et sain,
Ne ja pour moy, vo cuer en soit certain,
N’empirera, quel que soit mon reclain,
Ains mort cruele
Endureray, pour Dieu, ma demoiselle,
Ne doubtez point que vous face querelle
Fors en honneur. Dieux tesmoing en appelle,
Mais je me plain
De ce qu’Amours si haulte jouvencelle

M’a fait amer qu’ouyr n’en puis nouvelle,[4]
Se par pitié ne me vient, pour ce a elle
Seule m’en claim.

Mais puis qu’Amours a voulu consentir
Qu’en si hault lieu me meisse sanz mentir,
Je ne croi pas, quoy que soie martir,
Qu’au lonc aler[5]
Ne resveille Pitié qui departir
Face le mal dont suis au cuer partir.
Si me couvient, quoy que j’aye a sentir,
Tout mon parler,
Mes faiz, mes diz, sanz riens lui en celer,
A vraye amour adrecier, qui voler
En vo doulx cuer vueille et vous reveler
Comment ne tir
Fors a tout bien ; ainsi s’Amour mesler
S’en veult, plus n’ay besoing de m’adouler,
Or vueille tost vo doulx cuer appeler
Et convertir.

Si couvient dont qu’a Amours m’en attende,
Lui suppliant qu’a mon secours entende,
Et a Pitié qui sa doulce main tende
Pour redrecier
Mon povre cuer, car rien n’est qu’il attende[6]
Fors que la mort qui son las corps estende
Dedens briefs jours ; pour ce lui pry qu’il tende
A avancier
Ma garison, et se vueille adrecier
Par devers vous, ma dame, et ne laissier
Vo cuer en paix jusqu’à ce qu’eslaissier,[7]

Si que j’amende,
Vueille le mien et de joye laissier.
Humble pitié a ce vueille plaissier
Vo bon vouloir pour mon mal abaissier,
Joye me rende,

Et entendis qu’Amours pour ma besongne
S’employera, belle, sanz faire alongne,
A celle fin qu’encor mieulx vous tesmongne
Que je dis voir,
Vueillez, m’amour, sans en avoir vergongne,
Me commander que pour vous m’embesongne
En quelque cas, ne point n’en ait ressongne
Vo bon vouloir,
Car je vous jur que se daignez avoir
Fiance en moy si que peusse savoir
Aucune riens qui vous pieust, tant valoir
Toute Bourgongne,
Se moye estoit, ne me pourroit d’avoir
Com se de vous peusse recevoir
Aucun command, car a aultre chaloir
Mon cuer ne songne.

Plus ne vous sçay que dire, belle née :
Tout vostre suis, non pas pour une année
Tant seulement, mais tant que soit finée
Ma vie lasse.
Si vous plaise que paix me soit donnée
De la guerre d’amours qu’ont ordenée[8]
Voz trés doulx yeulx et beauté affinée.
Dieu par sa grace
Vous doint joye et tout bien, et a moy face
Tant de bonté que puisse en quelque place
Faire chose dont je soye a vo grace.

Tel destinée
A vous et moy doint, qu’Amours, qui enlace
Maint gentilz cuers, les nostres deux si lasse
Que jamais jour ne vous en voye lasse
Ne hors menée.


Explicit complainte.
  1. Cette complainte ne se trouve que dans le ms. Harley 443 1 du Musée Britannique, fol. 48b
  2. 74 A2 que on
  3. — 75 A2 que on
  4. 126 A2 que o.
  5. — 132 A2 Que au
  6. — Les vers 149 et 151 se trouvent répétés dans le manuscrit, avec cette variante pour le vers 151 « Dedens briefs jours si luy pry qu’il attende »
  7. — 155 A2 jusque a
  8. 182 A1 que ont