Confession aux prêtres de Momus

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CONFESSION
AUX PRÊTRES DE MOMUS

RONDE CHANTÉE AUX SOUPERS DE MOMUS LE 5 JUIN 1815.


Air : J’ons un curé patriote.


LE PÉNITENT.

Dans ce temple respectable,
Frères qui m’admettez tous,

Reconnaissez un coupable
Qui ne saurait être absous.
J’ai fait l’horrible serment
De vivre et mourir gaîment.

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

Mais de plus je me confesse,
Sans, scrupule et sans regret,
De me montrer à la messe
Moins souvent qu’au cabaret ;
D’entonner bien plus souvent
La chanson que le plain-chant…

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

Quand je vois une fillette,
Soudain mon cœur fait tic-tac…
Pour peu qu’elle soit bien faite
Ma tête se monte, et crac,
Chaque route qu’elle prend
Je l’enfile adroitement.

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.


LE PÉNITENT.

Si je rencontre une femme
Délaissée à ses ennuis,
Maudissant au fond de l’âme
Et ses devoirs et ses nuits
Supplanter le délinquant,
Me paraît toujours piquant.

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

Partisan de la paresse,
Ami de l’oisiveté,
Quelque besoin qui me presse,
Je chante avec volupté :
« Travailler est assommant,
Et ne rien faire est charmant. »

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

Lorsque, par hasard, je joue
La bouillotte ou le boston,
Toute laide, je l’avoue
Que soit cette passion,
J’aime mieux être, en partant,
Le gagnant que le perdant.


LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

Qu’autour d’une large table
Que surchargent cent flacons,
J’entende une troupe aimable
S’écrier : Trinquons ! trinquons ?
De tous les verres je prends
Les plus pleins et les plus grands.

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

J’ai des dettes, que j’espère,
En aucun temps ne nier ;
Mais toujours prompt à les faire,
Je suis lent à les payer ;
Et lorsque j’ai de l’argent,
Je les oublie en mangeant.

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

Qu’un un bon vivant me convie,
Pour un banquet de gourmand ;

Qu’à la même heure on me prie
D’être d’un enterrement,
Je lâche le plus souvent
Le mort pour le bon vivant.

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant.

LE PÉNITENT.

un mot, mon plus grand vice,
Frères, c’est la vanité ;
Quelque vers que j’écrivisse,
J’ai sans cesse répété :
Des neuf Sœurs heureux amant,
Je fais maint couplet charmant.

LES PRÊTRES.

Absolvons (ter) ce pénitent,
Car nous en faisons tous autant[1].



  1. Ce dernier couplet embarrassa d’abord les convives des soupers de Momus ; mais bientôt leur modestie leur inspira l’idée de changer le dernier vers, et ils chantèrent en chœur :
    Condamnons (ter) le pénitent
    Car nous n’en faisons pas autant.