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Confitou/Chapitre VII

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VII


À ce moment, il y eut un violent coup de sonnette à la porte de la rue. Ils se séparèrent pour aller à la fenêtre et regarder derrière le rideau ce qui se passait. Ils ne virent que la petite Mme Lavallette, en tenue d’infirmière (elle ne la quittait plus), qui paraissait assez agitée, et ils n’aperçurent point, derrière elle, Confitou, qui, du reste, se cachait.

— C’est Valentine, dit Freda, en se tamponnant les yeux… je ne veux pas qu’elle voie que j’ai pleuré. Et puis, elle vient peut-être pour me dire la même chose que Mme Clamart, D’elle, cela me ferait trop de peine. Reçois-là. Je me sauve.

Et elle regagna sa chambre pendant que la Génie Boulard faisait entrer la petite Mme Lavallette dans le salon…

— Mais, mon cher maître, je ne voulais pas vous déranger ! s’exclama-t-elle tout de suite. Je vous ramenais simplement Confitou qui était en train de se faire écharper par ses petits camarades…

— Confitou ! Où donc est-il ?

Ils durent aller le chercher jusque dans le corridor. On le traîna dans le salon…

— Voyez dans quel état ils l’ont mis ! c’est abominable !

Au fait, Confitou présentait un aspect lamentable. Ses vêtements étaient déchirés et son visage était en sang. Le professeur s’effraya tout de suite. Mme Lavallette le rassura. Ce n’était rien : une éraflure à la joue.

— Mais que s’est-il donc passé ? demanda Raucoux-Desmares, le cœur serré d’une angoisse nouvelle…

— Bataille d’enfants ! expliqua avec volubilité Mme Lavallette. Je rentrais chez moi en passant par le Jeu de Paume, quand j’entendis des cris terribles et j’aperçus une véritable mêlée. C’était la bande des petits Clamart et des Lançon qui s’étaient jetés sur Confitou avec des hurlements… Confitou, lui, ne disait rien… Ils avaient tous des bâtons…

— C’étaient des fusils, interrompit Confitou sans lever la tête ; on jouait à la guerre.

Une porte s’ouvrit. Mme Raucoux-Desmares accourait, prévenue par la Génie Boulard que les petits Clamart avaient voulu assassiner Confitou… Elle se jeta sur son fils comme une folle et le prit dans ses bras :

Mein liebling ! Mein liebling ! (Mon petit chéri, mon petit chéri ! )

Le professeur et Mme Lavallette essayèrent en vain de la calmer. Le sang dont Confitou était barbouillé l’affolait. Elle couvrait l’enfant de baisers et sanglotait. Confitou, lui, ne pleurait pas et essayait aussi de consoler sa mère. Tous deux s’interpellaient en allemand.

Le professeur et Mme Lavallette avaient fini par se taire. Ils sentaient que, dans le moment, ils ne comptaient plus. On avait tout à fait oublié qu’ils étaient là.

Enfin Mme Raucoux-Desmares consentit à ce que le professeur s’occupât de son fils et lavât ses légères blessures à l’eau oxygénée ; elle remercia Mme Lavallette de leur avoir ramené Confitou.

— Merci, Valentine, fit-elle. Si tu n’avais pas été là, ils l’auraient peut-être tué ! Je ne veux plus qu’il sorte !…

— Oh ! Il se défendait bien et il ne portait pas des coups pour rire, lui non plus, expliqua Valentine.

— L’ainé des Clamart a eu sa part ! dit Confitou. Son œil est tout bleu…

— Tu as bien fait, mon chéri ! dit Freda ; mais maintenant, tu m’entends bien, tu resteras avec moi à la maison.

Confitou ne répondit pas.

— Nous avons justement croisé en route Mme Clamart, dit Mme Lavallette, mais elle est passée comme si elle ne nous voyait pas.

— Elle est venue ici, hier, dit Freda.

— Tu as reçu la visite de Mme Clamart ? demanda Valentine.

— Oui ; à ce qu’il paraît que vous êtes toutes très gênées à cause de moi… Elle, elle ne veut plus être gênée du tout. Elle est venue me prévenir qu’elle ne me reverra qu’après la guerre…

Mme Lavallette était devenue toute rouge :

— C’était la dernière, dit-elle, qui eût dû faire une démarche semblable ! Crois bien qu’il te reste des amies, ma bonne Freda. Celles qui te connaissent comme moi depuis près de dix ans comprennent ce que tu dois souffrir ! Tu n’es pas responsable des crimes qu’ils commettent en Belgique (silence absolu de Freda)… Et quant à celles qui ne te connaissent pas, elles devraient imaginer que si le professeur Raucoux-Desmares te garde près de lui, dans ces moments difficiles, c’est que tu en es digne ! En tout cas, tu peux compter sur moi. Moi, je ne te lâcherai pas !… Si tu as de la peine, viens me trouver ! … Tu n’as que la rue à traverser !…

— Ma petite Valentine, tu es très gentille, et je n’attendais pas moins de ta part, mais je n’irai pas chez toi… je ne veux pas te compromettre…

— Tu ne parles pas sérieusement ?

— Je ne sors plus et cela vaut mieux ainsi…

— Eh bien ! c’est moi qui viendrai chez toi !

Elle s’était levée et Freda lui tendait la main en la remerciant encore, Valentine l’attira contre elle :

— Comme avant ! dit-elle ; ce n’est ni l’Allemagne ni Mme Clamart qui m’empêcheront de t’embrasser, madame Raucoux-Desmares.

Freda était très émue, Valentine aussi. Celle-ci répéta :

— Si j’ai un moment à moi demain, je viendrai te voir !… Tu as une pauvre figure ! Tu es changée !… Tiens !… tu ferais pitié à un Boche !

Elles rirent toutes les deux.

Valentine partie, Mme Raucoux-Desmares revint dans le salon où le professeur interrogeait Confitou :

— Enfin pourquoi étais-tu tout seul contre eux tous ?

— Parce qu’on jouait à la guerre et que personne ne voulait faire le Boche avec moi ! répondit Confitou.

Raucoux-Desmares se leva et s’en fut, sans dire un mot, dans son cabinet de travail, dont il ouvrit la fenêtre. Presque aussitôt il fut rejoint par sa femme et Confitou.

— Tu as eu tort de t’en aller, dit Freda ; Confitou ne t’a pas tout dit.

— Qu’il me dise d’abord, fit Raucoux-Desmares, sur un ton glacé, pourquoi il a accepté de faire l’Allemand quand aucun de ses camarades n’y consentait !

— C’est justement ce que tu ne lui as pas donné le temps de t’expliquer, dit Freda. Parle, Confitou.

— Je t’écoute, dit le père.

Confitou, sans lever la tête, dit :

— Eh bien ! c’est simple. Il fallait que quelqu’un fasse le Boche, sans ça il n’y aurait pas eu de jeu !… et ils disaient tous que je pouvais bien faire le Boche puisque je savais parler allemand !

— Et ça t’a suffi ?… Ils ne t’ont pas dit autre chose ?

— Non ! fit Confitou en secouant la tête mais en la baissant tout à fait.

— Tu mens, Confitou, insista le père… Ils t’ont dit autre chose… je veux que tu me dises ce qu’ils t’ont dit !…

— Vaut mieux que je ne le dise pas ! fit Confitou, ça ferait de la peine à maman…

— Ils t’ont dit que ta mère était Allemande ? demanda Freda.

— Oui.

— Qu’est-ce que tu leur as répondu ? interrogea Raucoux-Desmares. — Qu’elle était Française depuis qu’elle était mariée avec papa…

— Et puis ?…

— Et puis que moi aussi j’étais Français et que je voyais pas pourquoi je ferais le Boche plutôt qu’eux !…

— Tu as répondu cela, dit Raucoux-Desmares, mais tu l’as fait tout de même…

— Parce qu’ils m’ont promis que si je voulais bien faire le Boche aujourd’hui, ce serait mon tour de faire le Français demain !… et alors demain c’est moi qui les battrai !

Raucoux-Desmares souleva Confitou et l’embrassa sur les deux joues.

— Comme ça, papa, dit Confitou, dans les bras de son père, comme ça, tu n’as plus de chagrin, dis ?…

— Mais non, mon petit !… Seulement, demain, Confitou… tu as entendu ce qu’a dit ta mère… tu resteras à la maison ! les Clamart sont beaucoup trop grands pour jouer avec toi…

Confitou protestait, mais Freda le poussa doucement à la porte du cabinet de travail.

— J’avais bien vu qu’il t’avait fait du chagrin, dit-elle à son mari…

— Oui, fit Raucoux-Desmares.

… Mais avoue-moi la vérité… Tu ne lui as rien dit ?… Ce n’est pas toi qui lui as soufflé un peu la suite ?

— Ah ! mon Dieu, non ! assura-t-elle… je te le jure… C’est lui qui, te voyant partir si singulièrement, m’a dit :

« — Ça a fait de la peine à papa que j’aie fait le Boche ! Mais c’est entendu que je dois faire le Français demain ! » Et je te l’ai amené tout de suite.

— Merci, Freda, j’avoue qu’il m’avait un peu « retourné »… Ma pauvre enfant ! Comme tout cela doit être pénible pour toi !

— Écoute, fit-elle, je te demanderai une chose. Dis-lui simplement qu’il n’use plus devant moi de cette affreuse expression : « boche » ; je l’en avais déjà prié ; mais, comme tu vois, il l’aura oublié !…