Aller au contenu

Confitou/Chapitre XXVII

La bibliothèque libre.


XXVII


Raucoux-Desmares était rentré chez lui dans un état d’exaltation sacrée.

Il venait d’assister au spectacle de la désagrégation subite de l’offensive allemande. Ce qu’il avait vu et entendu ne lui permettait plus de douter de l’événement formidable qui avait renversé le cours de la marée.

En outre, le désordre qui en était résulté sauvait les otages. On n’avait pas eu le temps de les fusiller, mais le poste qui les gardait, avant de rejoindre le gros de la troupe de von Bohn, n’avait pas oublié de mettre le feu à leur prison. Seulement il était arrivé que les flammes avaient été plus clémentes que les hommes, et tous les otages avaient pu s’échapper. Dans le moment, ils étaient en sécurité dans la cave du père Massart.

Cette succession heureuse d’événements faisait que l’allégresse patriotique du professeur atteignait son plus haut degré, dans le moment qu’il poussait la porte de sa maison.

Il prononça le mot merveilleux avec une force que lui eût enviée le coureur de Marathon ; et s’il ne tomba point inanimé après avoir crié « Victoire ! » c’est qu’il avait couru beaucoup moins que lui.

À ses accents de triomphe, cependant, personne ne répondit. Par trois fois, il appela Freda. Les murs sonores lui renvoyèrent le nom de sa femme et, de nouveau, ce fut le silence ; non seulement le silence immédiat autour de lui, mais un silence qui, par une coïncidence singulière, s’étendait subitement jusqu’aux environs, jusqu’au tumulte du combat qui allait rouler un peu plus loin… un peu plus loin, peut-être pour qu’on pût entendre le bruit que faisait le cœur de cet homme.

Instinctivement, Raucoux-Desmares eut peur de cet accueil glacé des choses… Il ne savait où diriger ses pas. À tout hasard et timidement, il poussa une porte. Alors il vit ce que les murs lui cachaient : la mort !

La mort était représentée là par un cadavre et par une femme à genoux qui, pour lui, était aussi morte que le mort puisqu’elle ne répondait plus à sa voix !

C’est en vain qu’il se pencha sur elle, en vain qu’il lui toucha l’épaule, qu’il répéta son nom tout bas et avec une infinie tendresse, car ce grand cœur plaignait déjà cette femme qui gisait là, écrasée sous un coup d’aile du plus antique et du plus dévorant Destin : génie jaloux, divinité farouche qui ne quitte plus notre ombre, dès nos premiers pas, et qui porte sur son front le nom de la cité qui nous donna la vie !

Il pensa qu’elle avait été accablée, moins par la fin tragique d’un parent ou d’un ami, que par le spectacle de la Déroute allemande dont elle avait certainement vu passer, sous ses fenêtres, la face de sang et d’épouvante. Et qu’elle eût oublié si vite, devant une débâcle aussi parfaite, les paroles de colère et même les imprécations dont elle avait sincèrement flétri un triomphe de sauvages, il ne lui en voulut pas !… Le malheureux ne savait pas qu’elle avait oublié aussi, dans une seconde d’égarement originel, son amour et l’honneur de son mari, et l’honneur de son fils qui portait un nom français ! Il la plaignit ! Il la plaignit !… Et, hélas ! il se plaignit lui-même, car enfin, pendant que cette femme, sa femme, étouffait de douleur, lui, il étouffait d’une joie victorieuse qui fit éclater ses larmes.

Puisque sa femme ne l’entendait plus, il se retourna, les bras ouverts, cherchant instinctivement un petit être sur la tête chérie duquel il pourrait répandre ses larmes divines, ses larmes d’allégresse… Hélas ! hélas ! son fils n’était point là et il pensa aussi que s’il avait été là, Confitou se fût peut-être détourné de lui pour pleurer de douleur avec sa mère ! Il se rappela qu’un jour il avait ouvert ainsi ses bras à son enfant et que l’enfant ne s’y était point jeté ! Alors, encore une fois, ses bras retombèrent… Il était seul, à jamais tout seul avec sa joie française dont personne ne voulait autour de lui. Le pauvre homme se prit à sangloter.

Tout à coup, une porte claqua dans le corridor, et une voix cria :

— Confitou vient de tuer son oncle !…