Connaissance des beautés et des défauts de la poésie et de l’éloquence dans la langue française/Édition Garnier/Métaphore

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Connaissance des beautés et des défauts de la poésie et de l’éloquence dans la langue françaiseGarniertome 23 (p. 405-407).
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MÉTAPHORE.

La métaphore est la marque d’un génie qui se représente vivement les objets. C’est une comparaison vive et subite qu’il fait des choses qui le touchent, avec les images sensibles que présente la nature. C’est l’effet d’une imagination animée et heureuse. Mais cette figure doit être employée avec ménagement. Cicéron dit : Verecunda debet esse translatio (De Oratore, III).

Cette métaphore qu’on trouve, par exemple, dans la tragédie d’Héraclius est trop forte et trop gigantesque (acte I, sc. iii) :

La vapeur de mon sang ira grossir la foudre
Que Dieu tient déjà prête à le réduire en poudre.

Il n’est pas non plus naturel à Chimène de dire, après la mort de son père (acte IV, sc. iii) :

J’irai, sous mes cyprès, accabler ses lauriers.

Ce n’est pas ainsi que s’exprime la douleur véritable. On a repris aussi, dans la tragédie de Brutus, ces vers :


Sa victoire affaiblit vos remparts désolés ;
Du sang qui les inonde ils semblent ébranlés.

(Acte I, scène ii.)

C’est une hyperbole ; et je crois que l’hyperbole est une figure défectueuse par elle-même, puisque par sa nature elle va toujours au delà du vrai.

Pourquoi approuve-t-on ces vers-ci de la Mort de César (acte III, sc. iv) ?


Rome, qui détruit tout, semble enfin se détruire.
Ce colosse effrayant dont le monde est foulé,

En pressant l’univers est lui-même ébranlé.
Il penche vers sa chute, et contre la tempête
Il demande mon bras pour affermir sa tête.


C’est que la métaphore porte un caractère sensible de vérité, et est parfaitement soutenue. On aime encore celle-ci dans Zaïre, parce qu’elle a les mêmes conditions, et qu’elle est touchante :


Ce bras, qui rend là force aux plus faibles courages,
Soutiendra ce roseau plié par les orages.

(Acte III, scène iv.)

Il y a une métaphore bien frappante dans Alzire, lorsque Alvarès dit à Gusman (acte I, sc. i) :

Votre hymen est le nœud qui joindra les deux mondes.

C’est un magnifique spectacle à l’esprit qu’une telle idée ; et il est très-rare que l’exacte vérité se trouve jointe à tant de grandeur. Cette métaphore est encore belle et bien amenée (Alzire, acte I, sc. i) :

L’Américain farouche est un monstre sauvage
Qui mord, en frémissant, le frein de l’esclavage.

Les conditions essentielles à la métaphore sont qu’elle soit juste et qu’elle ne soit pas mêlée avec une autre image qui lui soit étrangère. Rousseau a dit, dans une de ses satires, en parlant d’un homme qu’il veut noircir et rendre ridicule, sous le nom de Midas (Allég. v) :

En maçonnant les remparts de son âme,
Songea bien plus au fourreau qu’à la lame.

Outre la bassesse de ces idées, on y découvre aisément le peu de justesse et de rapport qu’elles ont entre elles : car si cette âme a des remparts de maçonnerie, elle ne peut pas être en même temps une épée dans un fourreau. J’avoue que ces disparates révoltent un bon esprit autant que le fiel amer de la satire cause d’indignation. Voici, dans ce même auteur, un exemple d’une faute pareille (Épître au comte du Luc) :


Vous êtes-vous, seigneur, imaginé,
Le cœur humain de près examiné,

En y portant le compas et l’équerre,
Que l’amitié par l’estime s’acquière ?


On sonde les replis du cœur humain, mais on ne le mesure point avec un compas ; l’équerre surtout, qui est un instrument de maçon, est là bien peu convenable. Je ne connais guère d’auteur dont les idées soient moins justes et moins vraies que celles de Rousseau. Il a excellé quelquefois dans le choix des paroles : c’est beaucoup, car c’est une très-grande difficulté vaincue ; mais quand ce mérite est sujet à des inégalités, quand il n’est pas soutenu par du sentiment, par des idées toujours exactes, le mérite des mots ne suffit pas, de nos jours, pour constituer un grand écrivain : cela était bon du temps de Malherbe.

On peut quelquefois entasser des métaphores les unes sur les autres ; mais alors il faut qu’elles soient bien distinguées, et que l’on voie toujours votre objet représenté sous des images différentes. C’est ainsi que le célèbre Massillon, évêque de Clermont, dit, dans son sermon du petit nombre des élus :

« Vous auriez vu dans Isaïe les élus aussi rares que ces grappes de raisin qu’on trouve encore après la vendange, et qui ont échappé à la diligence du vendangeur ; aussi rares que ces épis qui restent par hasard après la moisson, et que la faux du moissonneur a épargnés… Je vous aurais parlé de deux voies, dont l’une est étroite, rude, et la voie d’un très-petit nombre ; l’autre, large, spacieuse, semée de fleurs, et qui est comme la voie publique de tous les hommes. »

Aucune de ces images ne nuit à l’autre ; au contraire, elles se fortifient toutes. Mais cet amas de métaphores doit être employé rarement, et seulement dans les occasions où l’on a besoin de faire sentir des choses importantes. On reconnaît un grand écrivain non-seulement aux figures qu’il met en usage, mais à la sobriété avec laquelle il les emploie.

Les Orientaux ont toujours prodigué la métaphore sans mesure et sans art. On ne voit dans leurs écrits que des collines qui sautent, des fleuves qui sèchent de crainte, des étoiles qui tressaillent de joie. Leur imagination trop vive ne leur a jamais permis d’écrire avec méthode et sagesse ; de là vient qu’ils n’ont rien approfondi, et qu’il n’y a pas en Orient un seul bon livre d’histoire et de science. Il semble que dans ces pays on n’ait presque jamais parlé que pour ne pas être entendu. Il n’y a que leurs fables qui aient réussi chez les autres nations. Mais quand on n’excelle que dans des fables, c’est une preuve qu’on n’a que de l’imagination.