Conseils aux dirigés/Appendice/Projet de Henry George

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Projet de Henry George
Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky.
Conseils aux dirigésCharpentier (p. 327-333).


projet d’henry george.


L’autre projet, celui d’Henry George, est ainsi conçu :

« Le droit de propriété, — écrit-il dans son étude : Ce qu’est l’impôt unique et pourquoi nous le revendiquons,s’appuie non sur les lois humaines, mais sur les lois naturelles, autrement dit, sur les lois divines. C’est net et catégorique, et la violation de ce droit, qu’elle soit commise par un individu ou par une collectivité, est la violation du commandement : « Le bien d’autrui tu ne prendras. » L’homme qui pêche un poisson, soigne un pommier, élève un veau, construit une maison, une machine, confectionne un vêtement, peint des tableaux, acquiert par ce fait même le droit exclusif de propriété sur le produit de son travail : le droit de le donner, de le vendre, de le transmettre en héritage. Puisque la terre n’a pas été faite par nous et n’est qu’un séjour provisoire de générations qui se succèdent, puisque nous y séjournons évidemment par une permission du Créateur égale pour tous, il est clair que personne ne saurait avoir un droit exclusif sur le sol et que les droits de tous sont égaux et inaliénables. Mais ce droit de possession doit être limité par le droit de tous, et par suite, doit être subordonné au paiement à la société d’une certaine redevance pour le précieux avantage qu’a le possesseur d’exploiter son terrain.

Quand nous frappons d’impôt la maison, les moissons, les outils, le capital ou n’importe quelle richesse, sous quelque forme que ce soit, nous dépossédons les membres de la société de ce qui, en droit, doit être considéré comme leur propriété, nous violons le droit de propriété (et au nom de la loi nous nous livrons au pillage). Tandis qu’en grevant d’un impôt les valeurs foncières, nous prenons à un membre de la société ce qui appartient, non à lui, mais à la société, et ce qui ne saurait être abandonné à l’individu sans léser les intérêts des autres membres. Donc, nous violons la loi de la justice en grevant d’un impôt le travail ou ses produits, et nous la violons de même en n’imposant pas la propriété foncière. Ainsi, proposons-nous d’abolir tous les impôts, à l’exclusion de ceux frappant la valeur même du sol, indépendamment de la valeur des constructions et des améliorations qui y sont apportées.

Ce que nous proposons n’est pas l’impôt immobilier, car sous la dénomination d’immeubles, on entend aussi les édifices et toutes constructions ; ce n’est pas non plus l’impôt foncier, parce que nous proposons d’imposer non la terre en général, mais seulement sa valeur, qui ne dépend pas du prix des constructions et améliorations extérieures, mais seulement des conditions naturelles et sociales.

Cet impôt unique sur la terre aurait pour conséquences :

I. — De nous débarrasser de toute cette armée de percepteurs et autres fonctionnaires actuellement préposés au récolement des impôts et de fournir au trésor, comparativement aux autres impôts, des recettes bien plus considérables que celles qu’on tire aujourd’hui du peuple. De contribuer, tout en simplifiant et diminuant les dépenses de l’administration, à la rendre plus honnête. De nous débarrasser des impôts qui fatalement conduisent aux tromperies, aux faux, aux concussions. La terre est une matière imposable qu’on ne peut cacher et qu’il est beaucoup plus facile d’estimer que toute autre : c’est pourquoi l’impôt que nous proposons exige pour sa perception moins de dépenses et moins de dommage pour la morale sociale.

II. — Cet impôt augmenterait la prospérité générale dans de grandes proportions : a) en écartant l’action funeste exercée par les impôts actuels sur le travail et l’épargne ; b) en rendant la terre plus accessible à ceux qui veulent en user, puisqu’il rendrait plus difficile l’accaparement de la terre productive par les propriétaires, qui en tirent profit sans la travailler eux-mêmes et n’escomptent que l’augmentation future de sa valeur.

Il faut noter également que l’imposition des produits du travail, d’une part, et la charge insuffisante des valeurs foncières, d’autre part, entraînent la répartition injuste des richesses qui se concentrent, sous forme de grosses fortunes, dans les mains de quelques personnes, alors que la masse s’appauvrit de plus en plus. Cette répartition injuste des richesses a pour résultat : d’un côté la formation de classes oisives et prodigues, parce qu’elles sont trop riches, et de l’autre la formation de classes oisives et dissipatrices, parce qu’elles sont trop pauvres ; si bien que la production sociale se resserre notablement. Enfin, la répartition injuste des richesses, en créant, d’un côté, de puissants millionnaires, de l’autre, des vagabonds sans feu ni lieu, produit des voleurs, des joueurs, toute sorte de parasites sociaux, et exige d’énormes dépenses d’argent et d’énergie pour entretenir des gardiens, des policiers, des tribunaux, des prisons et autres institutions créées pour la sauvegarde de la société.

Pour toutes ces raisons, nous considérons comme une mesure salutaire l’établissement d’un impôt unique sur la terre. Nous ne pensons pas qu’une telle organisation modifie la nature humaine ; ce n’est pas en notre pouvoir ; mais nous estimons qu’elle créera les conditions dans lesquelles la nature humaine pourra développer tout ce qu’il y a en elle de meilleur, au lieu de développer, comme actuellement, ses instincts les plus mauvais. Elle rendra possible un accroissement de richesse que nous ne pouvons même pas nous imaginer. Elle garantira l’équité dans la répartition des richesses. Elle fera disparaître à la fois la pauvreté imméritée et la dépravante soif de gain. Elle permettra aux hommes d'être au moins aussi honnêtes, aussi francs, raisonnables et dignes qu’ils le désirent. Elle préparera l’avènement de ce règne de vérité et de justice, c'est-à-dire d’abondance, de paix et de bonheur que Jésus-Christ a ordonné à ses apôtres de revendiquer. »

L’exposé plus complet du projet d’Henry George se trouve dans les livres : Progrès et pauvreté, Problèmes sociaux et autres.