Considérations sur … la Révolution Française/Première partie/VII

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CHAPITRE VII.

De la guerre d’Amérique.


EN jugeant le passé d’après la connoissance des événemens qui l’ont suvi, on peut dire, je crois, que Louis XVI eut tort de se mêler de la guerre entre l’Amérique et l’Angleterre, quoique l’indépendance des États-Unis fut désirée par toutes les âmes généreuses. Les principes de la monarchie françoise ne permettoient pas d’encourager ce qui devoit être considéré comme une revolte d’après ces mêmes principes. D’ailleurs la France n’avoit point à se plaindre alors de l’Angleterre et, déclarer une guerre seulement d’après la rivalité toujours subsistante entre ces deux pays, c’est un genre de politique mauvais en lui-même, et plus nuisible encore à la France qu’à l’Angleterre. Car la France ayant de plus grandes sources naturelles de prospérité, et beaucoup moins de puissance et d’habileté sur mer, c’est la paix qui la fortifie et la guerre maritime qui la ruine.

La cause de l’Amérique et les débats du parlement d’Angleterre à ce sujet excitèrent un grand intérêt en France. Tous les François qui furent envoyés pour servir avec le général Washington, revinrent pénétrés d’un enthousiasme de liberté qui devoit leur rendre difficile de retourner tranquillement à la cour de Versailles, sans rien souhaiter de plus que l’honneur d’y être admis. Il faut donc, dira-t-on, attribuer la révolution à la faute que fit le gouvernement françois, en prenant part à la guerre d’Amérique. Il faut attribuer la révolution à tout et à rien : chaque année du siècle y conduisoit par toutes les routes. Il étoit très-difficile de se refuser aux cris de Paris en faveur de l’indépendance des Américains. Déjà le marquis de La Fayette, un noble François, amoureux de la gloire et de la liberté, avoit obtenu l’approbation générale en allant se joindre aux Américains, avant même que le gouvernement françois eût pris parti pour eux. La résistance à la volonté du roi, dans cette circonstance, fut encouragée par les applaudissemens du pulic. Or, quand l’autorité du prince est en défaveur auprès de l’opinion, le principe de la monarchie, qui place l’honneur dans l’obéissance, est attaqué par sa base.

À quoi falloit-il donc se décider ? M. Necker fit au roi des représentations très-fortes en faveur du maintien de la paix, et ce ministre, accusé de sentimens républicains, se prononça contre une guerre dont l’indépendance d’un peuple étoit l’objet. Ce n’est point, je n’ai pas besoin de le dire, qu’il ne souhaitât vivement le triomphe des Américains dans leur admirable cause ; mais d’une part il ne croyoit pas permis de déclarer la guerre sans une nécessité positive, et de l’autre, il étoit convaincu qu’aucune combinaison politique ne vaudroit à la France les avantages qu’elle pouvait retirer de ses capitaux consumés par cette guerre. Ces argumens ne prévalurent pas, et le roi se décida pour la guerre. Il faut convenir néannoins qu’elle pouvoit être appuyée par des motifs essentiels et, quelque parti qu’on prît, on s’exposait à de graves inconvéniens. Déjà le temps approchoit où l’on devoit appliquer à Louis XVI ce que Hume dit de Charles Ier : Il se trouvoit dans une situation où les fautes étoient irréparables, et cette situation ne sauroit convenir à la foible nature humaine.