Considérations sur … la Révolution Française/Première partie/XIV

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CHAPITRE XIV.

De la division par ordres dans les états généraux.

LES états généraux de France, ainsi que nous venons de le dire, étoient divisés en trois ordres le clergé, la noblesse et le tiers état, délibérant séparément comme trois nations distinctes, et présentant leurs doléances au roi, chacune pour ses intérêts particuliers, qui avoient, selon les circonstances, plus ou moins de rapports avec les intérêts publics. Le tiers état renfermoit à peu près toute la nation, dont les deux autres ordres formoient à peine le centième. Le tiers état, qui avoit gagné considérablement en importance dans le cours des derniers siècles, demandoit en 1789 que le commerce ou les villes, séparément des campagnes, eussent dans le troisième ordre assez de députés pour que le nombre des représentans du tiers état fût égal à celui des deux autres ordres réunis et cette demande étoit appuyée par des motifs et des circonstances de la plus grande force.

La principale cause de la liberté de l’Angleterre, c’est qu’on y a toujours délibéré en deux chambres, et non pas en trois. Dans tous les pays où les trois ordres sont restés séparés, aucune liberté ne s’est encore établie. La division en quatre ordres, telle qu’elle existe en Suède, et qu’elle existait jadis en Aragon, ralentit aussi la marche des affaires, mais elle est beaucoup plus favorable à la liberté. L’ordre des paysans en Suède, en Aragon l’ordre équestre, donnoient deux parts égales aux représentants de la nation et aux privilégiés du premier rang ; car l’ordre équestre, dont l’équivalent se trouve dans la chambre des communes en Angleterre, soutenait naturellement l’intérêt du peuple. Il est donc résulté de la division en quatre ordres, que dans ces deux pays, la Suède et l’Aragon, les principes libéraux se sont établis de bonne heure et maintenus longtemps. Il est à désirer pour la Suède que sa constitution soit rapprochée de celle de l’Angleterre ; mais il faut rendre hommage au sentiment de justice qui, de tout temps, a fait admettre l’ordre des paysans dans la diète. Aussi les paysans de Suède sont-ils éclairés, heureux et religieux, parce qu’ils ont joui du sentiment de repos et de dignité qui ne peut naître que des institutions libres. En Allemagne, les ecclésiastiques ont siégé dans la chambre haute, mais ils n’ont point fait un ordre à part, et la division naturelle en deux chambres s’est toujours maintenue. Les trois ordres n’ont guère existé qu’en France et dans quelques états, tels que la Sicile, qui ne formoient pas à eux seuls une monarchie. Cette funeste institution, donnant toujours la majorité aux privilégiés contre la nation, a porté souvent le peuple françois à préférer le despotisme royal à la dépendance légale où le plaçait la division en trois ordres, par rapport aux castes aristocratiques.

Un autre inconvénient de la France, c’était cette foule de gentilshommes du second ordre, anoblis de la veille, soit par les lettres de noblesse que les rois donnaient, comme faisant suite à l’affranchissement des Gaulois, soit par les charges vénales de secrétaire du roi, etc., qui associoient de nouveaux individus aux droits et aux privilèges des anciens gentilshommes. La nation se serait soumise volontiers à la prééminence des familles historiques, et je n’exagère pas en affirmant qu’il n’y en a pas plus de deux cents en France. Mais les cent mille nobles et les cent mille prêtres qui vouloient avoir des privilèges, à l’égal de ceux de MM. de Montmorency, de Grammont, de Grillon, etc., révoltoient généralement ; car des négociants, des hommes de lettres, des propriétaires, des capitalistes, ne pouvoient comprendre la supériorité qu’on voulait accorder à cette noblesse acquise à prix de révérences ou d’argent, et à laquelle vingt-cinq ans de date suffisoient pour siéger dans la chambre des nobles, et pour jouir des privilèges dont les plus honorables membres du tiers état se voyoient privés.

La chambre des pairs en Angleterre est une magistrature patricienne, fondée sans doute sur les anciens souvenirs de la chevalerie, mais tout à fait associée à des institutions d’une nature très-différente. Un mérite distingué dans le commerce, et surtout dans la jurisprudence, en ouvre journellement l’entrée, et les droits représentatifs que les pairs exercent dans l’état, attestent à la nation que c’est pour le bien public que leurs rangs sont institués. Mais quel avantage les François pouvaient-ils trouver dans ces vicomtes de la Garonne, ou dans ces marquis de la Loire, qui ne payoient pas seulement leur part des impôts de l’état, et que le roi lui-même ne recevait pas à sa cour, puisqu’il fallait faire des preuves de plus de quatre siècles pour y être admis, et qu’ils étoient à peine anoblis depuis cinquante ans ? La vanité des gens de cette classe ne pouvoit s’exercer que sur leurs inférieurs ; et ces inférieurs c’étoient vingt-quatre millions d’hommes.

Il peut être utile à la dignité d’une religion dominante qu’il y ait des archevêques et des évêques dans la chambre haute, comme en Angleterre. Mais quelle amélioration pourroit jamais s’accomplir dans un pays où le clergé catholique, composant le tiers de la représentation, auroit une part égale à celle de la nation même dans le pouvoir législatif. ? Ce clergé pourrait-il consentir à la tolérance des cultes, à l’admission des protestants à tous les emplois ? Ne s’est-il pas refusé obstinément à l’égalité des impôts, pour conserver la forme des dons gratuits qui augmentoit son importance auprès des ministres ? Lorsque Philippe le Long renvoya les ecclésiastiques du parlement de Paris, il dit qu’ils devoient être trop occupés des spiritualités pour avoir le temps de songer aux temporalités. Que ne sesont-ils toujours soumis à cette sage maxime !

Jamais il ne s’étoit rien fait de décisif dans les états généraux, précisément parce qu’ils délibéroient séparément en trois ordres, au lieu de deux ; et le chancelier de l’Hôpital n’avoit pu obtenir, même momentanément, son édit de paix que d’une convocation à Saint-Germain, en 1562, dans laquelle, par un grand hasard, le clergé ne se trouva pas.

Les assemblées des notables, appelées par les rois, votèrent presque toutes par tête ; et le parlement, qui avoit d’abord consenti, en 1558, à faire un quatrième ordre à part, demanda, en 1626, qu’on délibérât par tête dans une assemblée de notables, parce qu’il ne vouloit pas être distingué de la noblesse. Les variations infinies qu’on retrouve dans tous les usages de la monarchie françoise, se font remarquer dans la composition des états généraux, encore plus que dans toute autre institution politique. Si l’on vouloit s’acharner sur le passé pour en faire l’immuable loi du présent, bien que ce passé ait été fondé lui-même sur l’altération d’un autre passé ; si on le voulait, dis-je, on se perdroit dans des discussions interminables. Revenons donc à ce qui ne peut se nier : les circonstances dont nous avons été les témoins.

L’archevêque de Sens, agissant au nom du roi, invita tous les écrivains de France à faire connaître leur opinion sur le mode de convocation des états généraux. S’il avoit existé des lois constitutionnelles qui en décidassent pourquoi le ministre du roi auroit-il consulté la nation à cet égard par la liberté de la presse ? L’archevêque de Sens, en établissant des assemblées provinciales, non-seulement les avoit composées d’un nombre de députés du tiers égal à celui des deux autres ordres réunis mais il avoit même décidé, au nom du roi que l’on y voteroit par tête. Ainsi l’opinion publique étoit singulièrement préparée, soit par les mesures de l’archevêque de Sens, soit par la force même du tiers état, à ce qu’il obtint, dans les états généraux de 1789, plus d’influence que dans les assemblées précédentes. Aucune loi ne fixoit le nombre des députés des trois ordres ; le seul principe établi étoit que chacun de ces ordres ne devoit avoir qu’une voix. Si l’on n’avoit pas accordé légalement une double représentation au tiers, on savoit, à n’en pas douter, qu’irrité de n’avoir pas obtenu ce qu’il demandoit, il auroit envoyé aux états généraux un nombre de députés beaucoup plus considérable encore. Ainsi tous les avant-coureurs des crises politiques, dont un homme d’état doit avoir connoissance annonçoient la nécessité de transiger avec l’esprit du temps.

Cependant M. Necker ne prit pas sur lui la décision qu’il croyoit la plus sage ; et, se fiant trop, il faut l’avouer, à l’empire de la raison, il conseilla au roi d’assembler de nouveau les notables qui avoient été convoqués par M. de Calonne ; la majorité de ces notables, étant composée de privilégiés, fut contre le doublement du tiers : un seul bureau se déclara pour cette mesure ; il étoit présidé par Monsieur (maintenant Louis XVIII). On se comploît à penser qu’un roi, le premier auteur d’une charte constitutionnelle émanée du trône, étoit alors de l’opinion populaire, sur l’importante question que le parti des aristocrates cherche encore à signaler comme la cause du renversement de la monarchie.

On a reproché à M. Necker d’avoir consulté les notables pour ne pas suivre leur avis ; sa faute consiste en effet dans le parti qu’il prit de les consulter ; mais pouvoit-on imaginer que ces privilégiés, qui s’étoient montrés la veille si violents contre les abus du pouvoir royal, défendroient le lendemain toutes les injustices du leur, avec un acharnement si contraire à l’opinion générale ?

Néanmoins M. Necker suspendit toute décision sur le doublement du tiers, lorsqu’il vit dans la majorité des notables une opinion différente de la sienne ; et il s’écoula plus de deux mois entre la fin de leur assemblée et le résultat du conseil du 27 décembre 1788. Pendant ce temps, M. Necker étudia constamment l’esprit public, comme la boussole à laquelle, dans cette circonstance, les décisions du roi devoient se conformer. La correspondance des provinces étoit unanime sur la nécessité d’accorder au tiers état ce qu’il demandait, car le parti des aristocrates purs était, comme toujours, en très-petit nombre ; beaucoup de nobles et de prêtres, dans la classe des curés, se rallioient à l’opinion nationale. Le Dauphiné assembla à Romans ses anciens états tombés en désuétude, et on y admit non-seulement le doublement du tiers, mais la délibération par tête. Un grand nombre d’officiers de l’armée se montroient favorables au désir du tiers état. Tous ceux et toutes celles qui, de la haute compagnie de France, influoient sur l’opinion, parloient vivement en faveur de la cause de la nation : la mode étoit dans ce sens ; c’étoit le résultat de tout le dix-huitième siècle, et les vieux préjugés, qui combattoient encore pour les anciennes institutions, avoient beaucoup moins de force alors qu’ils n’en ont eu à aucune époque, pendant les vingt-cinq années suivantes. Enfin l’ascendant de l’esprit public étoit tel, qu’il entraîna le parlement lui-même. Aucun corps ne s’est jamais montré plus ardemment défenseur des anciens usages que le parlement de Paris ; toute institution nouvelle lui paraissoit un acte de rébellion, parce qu’en effet son existence ne pouvoit être fondée sur les principes de la liberté politique. Des charges vénales, un corps judiciaire se prétendant en droit de consentir les impôts, et renonçant pourtant à ce droit quand les rois le commandoient : toutes ces contradictions, qui ne sauroient être que l’œuvre du hasard, n’admettoient point la discussion ; aussi étoit-elle singulièrement suspecte aux membres de la magistrature françoise. Tous les réquisitoires contre la liberté de la presse partoient du parlement de Paris. ; et, s’il mettoit des bornes au pouvoir actif des rois, il encourageoit en revanche ce genre d’ignorance, en matière de gouvernement, qui, seul, favorise l’autorité absolue. Un corps aussi fortement attaché aux vieux usages, et néanmoins composé d’hommes qui, par leurs vertus privées, méritoient beaucoup d’estime, décidoit nécessairement la question, en déclarant, par un arrêté des premiers jours de décembre 1788, deux mois après l’assemblée des notables, que le nombre des députés de chaque ordre n’étant fixé par aucun usage constant, ni par aucune loi de l’état, c’étoit à la sagesse du roi à prononcer à cet égard[1].

Quoi ! le corps que l’on considéroit comme le représentant du passé, cédant à l’opinion d’alors, renonçoit indirectement à maintenir les anciennes coutumes dans cette occasion ; et le ministre, dont la seule force consistoit dans son respect pour la nation, auroit pris sur lui de refuser à cette nation ce qu’en sa conscience il croyoit équitable, ce que dans son jugement il considéroit comme nécessaire !

Ce n’est pas tout encore. À cette époque, les adversaires de l’autorité du roi, c’étoient les privilégiés ; le tiers état au contraire désiroit se rallier à la couronne ; et si le roi ne s’étoit pas éloigné des représentons du tiers après l’ouverture des états généraux, il n’y a pas de doute qu’ils n’eussent soutenu son pouvoir. Mais, quand un souverain adopte un système en politique, il doit le suivre avec constance, car il ne recueille du changement que les inconvénients de tous les partis opposés. « Une grande révolution étoit prête, dit Monsieur (Louis XVIII) à la municipalité de Paris, en 1789 ; le roi, par ses intentions, ses vertus et son rang suprême, devoit en être le chef. » Toute la sagesse de la circonstance étoit dans ces paroles.

M. Necker, dans le rapport joint au résultat du conseil du 27 décembre, indiqua, au nom du roi, que le monarque accorderoit la suppression des lettres de cachet, la liberté de la presse, et le retour périodique des états généraux pour la révision des finances. Il tâcha de dérober aux députés futurs le bien qu’ils vouloient faire, afin d’accaparer l’amour du peuple pour le roi. Aussi jamais résolution partie du trône ne produisit-elle un enthousiasme pareil à celui qu’excita le résultat du conseil. Il arriva des adresses de félicitation de toutes les parties du royaume ; et, parmi les lettres sans nombre que M. Necker reçut, deux des plus marquantes furent celles de l’abbé Maury, depuis cardinal, et de M. de Lamoignon. L’autorité du roi plus puissante sur les esprits que jamais ; on admiroit la force de raison et la loyauté de sentiment qui le faisoit marcher en avant des réformes demandées par la nation, tandis que l’archevêque de Sens l’avoit placé dans la situation la plus fausse, en l’engageant à refuser toujours la veille ce qu’il étoit forcé d’accorder le lendemain.

Mais, pour profiter de cet enthousiasme populaire, il falloit marcher fermement dans la même route. Un plan tout-à-fait contraire a été suivi par le roi, six mois après ; comment donc accuser M. Necker des événemens qui sont résultés de ce qu’on a rejeté ses avis pour adopter ceux du parti contraire ? Lorsqu’un général malhabile perd la campagne victorieusement commencée par un autre, dit-on que le vainqueur des premiers jours est coupable des défaites de son successeur, dont la manière de voir et d’agir diffère en tout de la sienne ? Mais, répétera-t-on encore, la conséquence naturelle du doublement du tiers n’etoit-elle pas la délibération par tête et non par ordre, et n’a-t-on pas vu les suites de la réunion en une seule assemblée ? La conséquence du doublement du tiers auroit dû être de délibérer en deux chambres ; et certes, loin de craindre un tel résultat, il falloit le désirer. Pourquoi donc, diront les adversaires de M. Necker, n’a-t-il pas fait prononcer au roi sa résolution sur ce point, lorsque le doublement du tiers fut accordé ? Il ne l’a pas fait, parce qu’il pensoit qu’un tel changement devoit être concerté avec les représentants de la nation ; mais il l’a proposé dès que ces représentants ont été rassemblés. Malheureusement le parti aristocrate s’y opposa, et perdit ainsi la France en se perdant lui-même.

Une disette de blé, telle qu’il ne s’en étoit pas fait sentir depuis longtemps en France, menaça Paris de la famine pendant l’hiver de 1788 à 1789. Les soins infinis de M. Necker, et le dévouement de sa propre fortune, dont il avoit déposé la moitié au trésor royal, prévinrent à cet égard des malheurs incalculables. Rien ne dispose le peuple au mécontentement comme les craintes sur les subsistances ; cependant il avoit tant de confiance dans l’administration, que nulle part le trouble n’éclata. Les états généraux s’annonçoient sous les plus heureux auspices ; les privilégiés, par leur situation même, ne pouvoient abandonner le trône, bien qu’ils l’eussent ébranlé ; les députés du tiers état étoient reconnaissans de ce qu’on avoit écouté leurs réclamations. Sans doute, il restoit encore de grands sujets de discorde entre la nation et les privilégiés ; mais le roi étoit placé de manière à pouvoir être leur arbitre, en se réduisant de lui-même à une monarchie limitée ; si toutefois c’est se réduire que de s’imposer des barrières qui vous mettent à l’abri de vos propres erreurs, et surtout de celles de vos ministres. Une monarchie sagement limitée n’est que l’image d’un honnête homme, dans l’âme duquel la conscience préside toujours à l’action.

Le résultat du conseil du 27 décembre fut adopté par les ministres du roi les plus éclairés, tels que MM. de Saint-Priest, de Montmorin et de la Luzerne ; et la reine elle-même voulut assister à la délibération qui eut lieu sur le doublement du tiers. C’étoit la première fois qu’elle paraissoit au conseil ; et l’approbation qu’elle donna spontanément à la mesure proposée par M. Necker, pourroit être considérée comme une sanction de plus ; mais M. Necker, en remplissant son devoir, dut en prendre la responsabilité sur lui-même. La nation entière, à l’exception peut-être de quelques milliers d’individus, partageoit alors son opinion ; depuis il n’y a que les amis de la justice et de la liberté politique, telle qu’on la concevoit à l’ouverture des états généraux, qui soient restée toujours les mêmes à travers vingt-cinq années de vicissitudes. Ils sont en petit nombre, et la mort les moissonne chaque jour mais la mort seule en effet pouvoit diminuer cette fidèle armée car ni la séduction ni la terreur n’en sauroient détacher le plus obscur champion.

  1. Extrait de l’arrêté du parlement, du 5 décembre 1788, les pairs y séant. Considérant la situation actuelle de la nation, etc., déclare qu’en distinguant dans les états de 1614 la convocation, la composition et le nombre :
    À l’égard du premier objet, la cour a du réclamer la forme pratiquée à cette époque, c’est-à-dire, la convocation par bailliages et sénéchaussées, non par gouvernements ou généralités : cette forme, consacrée de siècle en siècle par les exemples les plus nombreux et par les derniers états, étant surtout le seul moyen d’obtenir la réunion complète des électeurs, par les formes légales, devant des officiers indépendants par leur état :
    À l’égard de la composition, la cour n’a pu ni dû porter la moindre atteinte au droit des électeurs, droit naturel, constitutionnel, et respecté jusqu’à présent, de donner leurs pouvoirs aux citoyens qu’ils en jugent les plus dignes :
    À l’égard du nombre, celui des députés respectifs n’étant déterminé par aucune loi, ni par aucun usage constant pour aucun ordre, il n’a été ni dans le pouvoir ni dans l’intention de la cour d’y suppléer, ladite cour ne pouvant, sur cet objet, que s’en rapporter à la sagesse du roi, sur les mesures nécessaires à prendre pour parvenir aux modifications que la raison, la liberté, la justice et le vœu général peuvent indiquer.
    Ladite cour a de plus arrêté que ledit seigneur roi seroit supplié très-humblement de ne plus permettre aucun délai pour la tenue des états généraux, et de considérer qu’il ne subsisteroit aucun prétexte d’agitation dans les esprits, ni d’inquiétude parmi les ordres, s’il lui plaisait, en convoquant les états généraux, de déclarer et consacrer :
    Le retour des états généraux ;
    Leur droit d’hypothéquer aux créanciers de l’État des impôts déterminés ; leur obligation envers les peuples de n’accorder aucun autre subside qui ne soit défini pour la somme et pour le temps ; leur droit de fixer et d’assigner librement, sur les demandes dudit seigneur roi, les fonds de chaque département ;
    La résolution dudit seigneur roi de concerter d’abord la suppression de tous impôts disfinctifs des ordres, avec le seul qui les supporte ; ensuite leur remplacement, avec les trois ordres, par des subsides communs, également répartis ;
    La responsabilité des ministres ;
    Le droit des états généraux d’accuser et traduire devant les cours, dans tous les cas intéressant directement la nation entière, sans préjudice des droits du procureur général dans les mêmes cas ;
    Les rapports des états généraux avec les cours souveraines, en telle sorte que les cours ne doivent ni ne puissent souffrir la levée d’aucun subside qui ne soit accordé, ni concourir à l’exécution d’aucune loi qui ne soit demandée ou concertée par les états généraux ; la liberté individuelle des citoyens, par l’obligation de remettre immédiatement tout homme arrêté dans une prison royale, entre les mains de ses juges naturels ;
    Et la liberté légitime de la presse, seule ressource prompte et certaine des gens de bien contre la licence des méchants, sauf à répondre des écrits répréhensibles après l’impression, suivant l’exigence des cas.
    Au moyen de ces préliminaires, qui sont dès à présent dans la main du roi, et sans lesquels on ne peut concevoir une assemblée vraiment nationale, il semble à la cour que le roi donneroit à la magistrature la plus douce récompense de son zèle, en procurant à la nation, par le moyen d’une solide liberté, tout le bonheur dont elle est digne.
    Arrête, en conséquence, que les motifs, les principes et les vœux du présent arrêté seront mis sous les yeux du seigneur roi par la voie de très-humbles et très-respectueuses supplications.