Considérations sur … la Révolution Française/Première partie/XV

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CHAPITRE XV.

Quelle étoit la disposition des esprits en Europe au moment
de la convocation des états généraux.

LES lumières philosophiques, c’est-à-dire, l’appréciation des choses d’après la raison et non d’après les habitudes avoient fait de tels progrès en Europe, que les possesseurs des priviléges, rois, nobles ou prêtres, étoient les premiers à s’excuser des avantages abusifs dont ils jouissoient. Ils vouloient bien les conserver, mais ils prétendoient à l’honneur d’y être indifférens ; et les plus adroits se flattoient d’endormir assez l’opinion pour qu’elle ne leur disputât pas ce qu’ils avoient l’air de dédaigner.

L’impératrice Catherine courtisoit Voltaire ; Frédéric Il étoit presque son rival en littérature ; Joseph II étoit le philosophe le plus prononcé de ses états ; le roi de France avoit pris deux fois, en Amérique et en Hollande, le parti des sujets contre leur prince : sa politique l’avoit conduit à soutenir ceux qui combattoient contre le pouvoir royal et stalhoudérien. L’opinion de l’Angleterre sur tous les principes politiques étoit en harmonie avec ses institutions ; et, avant la révolution de France il y avoit certainement plus d’esprit de liberté en Angleterre qu’à présent. M. Necker avoit donc raison quand il disoit, dans le résultat du conseil du 27 décembre, que le bruit sourd de l’Europe invitoit le roi à consentir aux vœux de la nation. La constitution angloise qu’elle souhaitoit alors, elle la réclame encore à présent. Examinons avec impartialité quels sont les orages qui l’ont éloignée de ce port, le seul où elle puisse trouver le calme.