Considérations sur la France/Chapitre X

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Page:Considérations sur la France.djvu/188 Page:Considérations sur la France.djvu/189 Page:Considérations sur la France.djvu/190 Page:Considérations sur la France.djvu/191 lieu et le moment où il existe : on assassine en cent endroits de la France ; n’importe, car ce n’est pas lui qu’on a pillé ou massacré : si c’est dans sa rue, à côté de chez lui qu'on ait commis quelqu’un de ces attentats ; qu’importe encore ? Le moment est passé ; maintenant tout est tranquille : il doublera ses verroux et n’y pensera plus : en un mot, tout François est suffisamment heureux le jour où on ne le tue pas.

Cependant les lois sont sans vigueur, le gouvernement reconnoit son impuissance pour les faire exécuter ; les crimes les plus infâmes se multiplient de toutes parts : le démon révolutionnaire relève fièrement la tête ; ; la constitution n’est qu’une toile d’araignée, et le pouvoir se permet d’horribles attentats. Le mariage n’est qu’une prostitution légale ; il n'y a plus d’autorité paternelle, plus d’effroi pour le crime, plus d’asile pour l'indigence. Le hideux suicide dénonce au gouvernement le désespoir des malheureux qui l’accusent. Le peuple se démoralise de la manière la plus effrayante ; et l’abolition du culte, jointe à l’absence totale d’éducation publique, prépare à la France une génération dont l’idée seule fait frissonner. Page:Considérations sur la France.djvu/193 Page:Considérations sur la France.djvu/194 Page:Considérations sur la France.djvu/195 et personne n’y a plus d’intérêt qu’eux. Il n’y a rien de si évident que la nécessité où sera le Roi de les maintenir à leur poste ; et il dépendra d’eux, plus tôt ou plus tard, de changer cette nécessité de politique en nécessité d’affection, de devoir et de reconnoissance. Par une combinaison extraordinaire de circonstances, il n’y a rien dans eux qui puisse, choquer l’opinion la plus royaliste. Personne n’a droit de les mépriser, puisqu’ils ne combattent que pour la France : il n’y a entre eux et le Roi aucune barrière de préjugés capable de gêner ses devoirs : il est françois avant tout. Qu'ils se souviennent de Jacques II, durant le combat de la Hogue, applaudissant, du bord de la mer, à la valeur de ces anglois qui achevoient de le détrôner : pourroient-ils douter que le Roi ne soit fier de leur valeur, et ne les regarde dans son cœur comme les défenseurs de l’intégrité de son royaume ? N'a-t-il pas applaudi publiquement à cette valeur, en regrettant (il le falloit bien) qu’elle ne se déployât pas pour une meilleure cause ? N'a-t-il pas félicité les braves de l’armée de Condé d’avoir vaincu des haines que l'artifice le plus profond travailloit Page:Considérations sur la France.djvu/197 Page:Considérations sur la France.djvu/198 Page:Considérations sur la France.djvu/199 Page:Considérations sur la France.djvu/200 Page:Considérations sur la France.djvu/201 Page:Considérations sur la France.djvu/202 Page:Considérations sur la France.djvu/203 Page:Considérations sur la France.djvu/204 Page:Considérations sur la France.djvu/205 Page:Considérations sur la France.djvu/206 Page:Considérations sur la France.djvu/207 son gain. On n’ose pas jouir pleinement ; et plus les esprits se refroidiront, moins on osera dépenser sur ces fonds. Les bâtimens dépériront, et l'on n’osera de long-temps en élever de nouveaux : les avances seront foibles ; le capital de la France dépérira considérablement. Il y a déjà beaucoup de mal dans ce genre, et ceux qui ont pu réfléchir sur les abus des décrets, doivent comprendre ce que c’est qu’un décret jeté sur le tiers, peut-être, du plus puissant royaume de l'Europe.

Très-souvent, dans le sein du Corps législatif, on a tracé des tableaux frappans de l'état déplorable de ces biens. Le mal ira toujours en augmentant, jusqu’à ce que la conscience publique n’ait plus de doute sur la solidité de ces acquisitions ; mais quel œil peut apercevoir cette époque ?

A ne considérer que les possesseurs, le premier danger pour eux vient du gouvernement. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne lui est point égal de prendre ici ou là : le plus injuste qu’on puisse imaginer, ne demandera pas mieux que de remplir ses coffres en se faisant le moins d’ennemis possible. Or, on sait à quelles conditions les acheteurs ont acquis : on sait de quelles manœuvres infâmes, de quel agio scandaleux ces biens ont été l’objet. Le vice primitif et continué de l’acquisition est indélébile à tous les yeux ; ainsi le gouvernement françois ne peut ignorer qu’en pressurant ces acquéreurs, il aura l’opinion publique pour lui, et qu’il ne sera injuste que pour eux ; d’ailleurs, dans les gouvernemens populaires, même légitimes, l’injustice n’a point de pudeur ; on peut juger de ce qu’elle sera en France, où le gouvernement, variable comme les personnes, et manquant d’identité, ne croit jamais revenir sur son propre ouvrage en renversant ce qui est fait.

Il tombera donc sur les biens nationaux dès qu’il le pourra. Fort de la conscience, et (ce qu’il ne faut pas oublier) de la jalousie de tous ceux qui n’en possèdent pas, il tourmentera les possesseurs, ou par de nouvelles ventes modifiées d’une certaine manière, ou par des appels généraux en supplément de prix, ou par des impôts extraordinaires ; en un mot, ils ne seront jamais tranquilles.

Mais tout est stable sous un gouvernement stable ; en sorte qu’il importe même aux acquéreurs des biens nationaux que la Page:Considérations sur la France.djvu/210 Cette objection, comme les autres, est surtout faite par des hommes d’esprit qui n’y croient point : il est cependant bon de la discuter en faveur des honnêtes gens qui la croient fondée.

Nombre d’écrivains royalistes ont repoussé, comme une insulte, ce désir de vengeance qu’on suppose à leur parti ; un seul va parler pour tous : je le cite pour mon plaisir et pour celui de mes lecteurs. On ne m’accusera pas de le choisir parmi les royalistes à la glace.

« Sous l’empire d’un pouvoir illégitime, les plus horribles vengeances sont à craindre ; car qui auroit le droit de les réprimer ? La victime ne peut invoquer à son aide l’autorité des lois qui n’existent pas, et d’un gouvernement qui n’est que l’œuvre du crime et de l’usurpation.

» Il en est tout autrement d’un gouvernement assis sur ses bases sacrées, antiques, légitimes ; il a le droit d’étouffer les plus justes vengeances, et de punir à l’instant du glaive des lois quiconque se livre plus 9 au sentiment de la nature qu’à celui de ses devoirs.

» Un gouvernement légitime a seul le droit de proclamer l’amnistie et les moyens de la faire observer.

» Alors, il est démontré que le plus parfait, le plus pur des royalistes, le plus grièvement outragé dans ses parens, dans ses propriétés, doit être puni de mort, sous un gouvernement légitime, s’il ose venger lui-même ses propres injures, quand le Roi lui en a commandé le pardon.

» C’est donc sous un gouvernement fondé sur nos lois que l’amnistie peut être sûrement accordée, et qu’elle peut être sévèrement observée.

» Ah ! sans doute, il seroit facile de discuter jusqu’à quel point le droit du Roi peut étendre une amnistie. Les exceptions que prescrit le premier de ses devoirs sont bien évidentes. Tout ce qui fut teint du sang de Louis XVI n’a de grâce à espérer que de Dieu ; mais qui oseroit en- suite tracer d’une main sure les limites où doivent s’arrêter l’amnistie et la clémence du Roi ? Mon cœur et ma plume s’y refusent également. Si quelqu’un ose jamais écrire sur un pareil sujet, ce sera, sans doute, cet homme rare et unique Page:Considérations sur la France.djvu/213 Page:Considérations sur la France.djvu/214 Page:Considérations sur la France.djvu/215 Page:Considérations sur la France.djvu/216 Page:Considérations sur la France.djvu/217 Page:Considérations sur la France.djvu/218 Page:Considérations sur la France.djvu/219 Page:Considérations sur la France.djvu/220 Page:Considérations sur la France.djvu/221 Page:Considérations sur la France.djvu/222 Page:Considérations sur la France.djvu/223 Page:Considérations sur la France.djvu/224 Page:Considérations sur la France.djvu/225 pas dans le Royaume. Les hommes ne peuvent juger que par l’extérieur ; mais tel noble, à Coblentz, pouvoit avoir de plus grands reproches à se faire, que tel noble du côté gauche dans l’assemblée dite constituante. Enfin, la Noblesse françoise ne doit s’en prendre qu’à elle-même de tous ses malheurs ; et lorsqu’elle en sera bien persuadée, elle aura fait un grand pas. Les exceptions, plus ou moins nombreuses, sont dignes des respects de l’univers ; mais on ne peut parler qu’en général. Aujourd’hui la Noblesse malheureuse (qui ne peut souffrir qu’une éclipse) doit courber la tête et se résigner. Un jour elle doit embrasser de bonne grâce des enfans qu’en son sein elle n’a point portés : en attendant, elle ne doit plus faire d’efforts extérieurs ; peut-être même seroit-il à désirer qu’on ne l’eût jamais vue dans une attitude menaçante. En tout cas, l’émigration fut une erreur, et non un tort : le plus grand nombre croyoit obéir à l’honneur.

 Numen abire jubet ; prohibent discedere leges.

Le Dieu devoit l’emporter.

Il y auroit bien d’autres réflexions à faire sur ce point ; tenons-nous en au fait qui est Page:Considérations sur la France.djvu/227 Page:Considérations sur la France.djvu/228 Page:Considérations sur la France.djvu/229 Page:Considérations sur la France.djvu/230 Page:Considérations sur la France.djvu/231 Page:Considérations sur la France.djvu/232 Page:Considérations sur la France.djvu/233 Page:Considérations sur la France.djvu/234 Page:Considérations sur la France.djvu/235 Page:Considérations sur la France.djvu/236 Page:Considérations sur la France.djvu/237 Page:Considérations sur la France.djvu/238