Considérations sur les mœurs de ce siècle/Introduction

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Œuvres complètesChez Colnet et FainTome I (p. 63-65).


CONSIDÉRATIONS
SUR LES MŒURS
DE CE SIÈCLE.



INTRODUCTION.


J’ai vécu, je voudrois être utile à ceux qui ont à vivre. Voilà le motif qui m’engage à rassembler quelques réflexions sur les objets qui m’ont frappé dans le monde. Les sciences n’ont fait de vrais progrès que depuis qu’on travaille, par l’expérience, l’examen et la confrontation des faits, à éclaircir, détruire ou confirmer les systèmes. C’est ainsi qu’on en devroit user à l’égard de la science des mœurs. Nous avons quelques bons ouvrages sur cette matière ; mais, comme il arrive des révolutions dans les mœurs, les observations faites dans un temps ne sont pas exactement applicables à un autre. Les principes puisés dans la nature sont toujours subsistans ; mais, pour s’assurer de leur vérité, il faut sur-tout observer les différentes formes qui les déguisent, sans les altérer, et qui, par leur liaison avec les principes, tendent de plus en plus à les confirmer.

Il seroit donc à souhaiter que ceux qui ont été à portée de connoître les hommes, fissent part de leurs observations. Elles seroient aussi utiles à la science des mœurs, que les journaux des navigateurs l’ont été à la navigation. Des faits et des observations suivies conduisent nécessairement à la découverte des principes, les dégagent de ce qui les modifie dans tous les siècles, et chez les différentes nations ; au lieu que des principes purement spéculatifs sont rarement sûrs, ont encore plus rarement une application fixe, et tombent souvent dans le vague des systèmes. Il y a d’ailleurs une grande différence entre la connoissance de l’homme et la connoissance des hommes. Pour connoître l’homme, il suffit de s’étudier soi-même ; pour connoître les hommes, il faut les pratiquer.

Je me suis proposé, en observant les mœurs, de démêler dans la conduite des hommes quels en sont les principes, et peut-être de concilier leurs contradictions. Les hommes ne sont inconséquens dans leurs actions, que parce qu’ils sont inconstans ou vacillans dans leurs principes.

Quoique cet ouvrage semble avoir pour objet particulier la connoissance des mœurs de ce siècle, j’espère que l’examen des mœurs actuelles pourra servir à faire connoître l’homme de tous les temps.

Pour mettre plus d’ordre et de clarté dans les différentes matières que je me propose de traiter, je les distribuerai par chapitres. Je choisirai les sujets qui me paraîtront les plus importans, dont l’application est la plus fréquente, la plus étendue, et je tâcherai, par leur réunion, de les faire concourir à un même but, qui est la connoissance des mœurs. J’espère que mes idées s’éloigneront également de la licence et de l’esprit de servitude ; j’userai en citoyen de la liberté dont la vérité a besoin.

Si l’ouvrage plaît, j’en serai très-flatté ; j’en serai encore plus content, s’il est utile.