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Consolation pour M. le premier Président de Verdun sur la mort de Madame sa femme

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XXXV

CONSOLATION
pour m. le premier president de verdun
sur la mort de madame sa femme

1626


Sacré ministre de Themis,
Verdun, en qui le Ciel a mis
Une sagesse non commune,
Sera-ce pour jamais que ton coeur abbatu
Laissera sous une infortune,
Au mépris de ta gloire, accabler ta vertu ?

Toy, de qui les avis prudens
En toute sorte d’accidens
Sont louez mesme de l’envie,
Perdras-tu la raison jusqu’à te figurer
Que les morts reviennent en vie,
Et qu’on leur rende l’âme à force de pleurer ?

Tel qu’au soir on voit le soleil
Se jeter aux bras du sommeil,

Tel au matin il sort de l’onde.
Les affaires de l’homme ont un autre destin :
Aprés qu’il est party du monde,
La nuit qui luy survient n’a jamais de matin.

Jupiter, amy des mortels,
Ne rejette de ses autels
Ny requestes ny sacrifices ;
Il reçoit en ses bras ceux qu’il a menacez.
Et qui s’est nettoyé de vices
Ne luy fait point de voeux qui ne soient exaucez.

Neptune, en la fureur des flots
Invoqué par les matelots,
Remet l’espoir en leurs courages,
Et ce pouvoir si grand dont il est renommé
N’est cognu que par les naufrages
Dont il a garanty ceux qui Pont reclamé.

Pluton est seul entre les dieux
Dénué d’oreilles et d’yeux
À quiconque le solicite ;
Il dévore sa proye aussi-tost qu’il la prend,
Et, quoy qu’on lise d’Hippolyte,
Ce qu’une fois il tient jamais il ne le rend.

S’il estoit vray que la pitié
De voir un excés d’amitié

Luy fist faire ce qu’on désire,
Qui devoit le fléchir avec plus de couleur
Que ce fameux joueur de lyre
Qui fut jusqu’aux enfers luy montrer sa douleur ?

Cependant il eut beau chanter,
Beau prier, presser et flatter,
Il s’en revint sans Eurydice ;
Et la vaine faveur dont il fut obligé
Fut une si noire malice
Qu’un absolu refus l’auroit moins affligé.

Mais, quand tu pourrais obtenir
Que la mort laissast revenir
Celle dont tu pleures l’absence,
La voudrois-tu remettre en un siécle effronté
Qui, plein d’une extrême licence,
Ne feroit que troubler son extrême bonté ?

Que voyons-nous que des Titans,
De bras et de jambes luttans
Contre les pouvoirs légitimes,
Infâmes rejetions de ces audacieux
Qui, dedaignans les petits crimes,
Pour en faire un illustre attaquèrent les cieux ?

Quelle horreur de flamme et de fer
N’est esparse, comme en enfer,

Aux plus beaux lieux de cet empire ?
Et les moins travaillez des injures du sort
Peuvent-ils pas justement dire
Qu’un homme dans la tombe est un navire au port ?

Croy-moy, ton deuil a trop duré,
Tes plaintes ont trop murmuré ;
Chasse l’ennuy qui te possède,
Sans t’irriter en vain contre une adversité
Que tu sçais bien qui n’a remède
Autre que d’obeïr à la nécessité.

Rends à ton ame le repos
Qu’elle s’oste mal à propos
Jusqu’à te dégouster de vivre ;
Et, si tu n’as l’amour que chacun a pour soy,
Aime ton Prince et le délivre
Du regret qu’il aura s’il est privé de toy.

Quelque jour ce jeune lion
Choquera la rébellion,
En sorte qu’il en sera maistre ;
Mais quiconque voit clair ne cognoist-il pas bien
Que, pour l’empescher de renaistre,
Il faut que ton labeur accompagne le sien ?

La Justice, le glaive en main,
Est un pouvoir autre qu’humain

Contre les révoltes civiles.
Elle seule fait l’ordre, et les sceptres des rois
N’ont que des pompes inutiles,
S’ils ne sont appuyez de la force des lois.