Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/Baptissette Dufour

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BAPTISSETTE DUFOUR



IL y avait autrefois à Sainte-Thérèse un type extraordinaire qui répondait au nom de Baptissette Dufour. On ne trouvera jamais un être aussi original que celui-là ! Maquignon, il l’était dans toute la force du mot. Au point de vue physique, il était hybride, tenant du macaque et de l’ours. Hirsute, mal peigné, mal léché, il était cependant d’une intelligence peu ordinaire, quand il s’agissait de ses intérêts ; et il faut bien le dire, il ne songeait qu’à ces mêmes intérêts. Quand il brocantait un cheval quelconque, si l’animal avait perdu une partie de son poil quelque part, il lui collait de la peau de génisse de sa couleur, et il avait toujours dans ses poches une fiole de térébenthine pour activer son allure. Cela ne ratait jamais son effet, et le diable entrait dans le corps du cheval qu’il vendait invariablement à de bonnes conditions.

M. le curé Ducharme, le plus brave homme de la création, possédait un bouquet de bois au tournant de la montée de la Côte Saint-Louis, à un mille environ du village.

Quand les finances de Baptissette étaient à la baisse, il se rendait au bois de M. le curé, coupait un voyage de bois, et venait le vendre au village.

Mon père, qui était notaire de son métier, avait son bureau au centre du village dans une maison à deux étages, collée à une autre maison basse et un magasin au coin occupé par M. McIntyre. Les dépendances étaient à l’arrière, mais il n’y avait pas de barrières. C’est-à-dire qu’on rentrait par un bout et qu’on sortait par l’autre sans aucune entrave.

Baptissette revenait du bois avec sa charge et en arrivant sous les fenêtres du bureau du père, il le hélait :

— Paul ! veux-tu acheter un voyage de bois ?

— Combien ?

— Quat’livres dix.

— C’est bon, Baptissette. Fais le tour.

Il lui donnait l’argent et Baptissette faisait le tour sans décharger le bois, et passait par l’autre rue pour se rendre au séminaire.

— Bonjour, M’sieu le curé.

— Comment ça va-t-il, Baptissette ?

— Ça va pas ben, M’sieu l’curé, j’sus ben pauvre. J’ai un voyage de bois à vendre. Voulez-vous l’ach’ter ?

— Combien ?

— Comme c’est à vous, j’vas vous l’aisser pour trois trente sous.


— Savez-vous ce que c’est qu’une embardée ?

— Non.

— C’est d’essayer de faire manger un bœuf avec une cuiller.