Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/La Jument à Ma Tante Cayen
LA JUMENT À MA TANTE CAYEN
ON ami Alphonse C…, employé aux
douanes de Sa Majesté, né à Sainte-Thérèse,
a toujours été et est encore, du moins
je l’espère, un loustic, pas méchant, mais capable
de jouer des tours pendables chaque fois que
l’occasion se présente. Il avait des chevaux
vite à l’époque et les faisait valoir. Un jour il se
rendait à la Grande Côte quand il rencontra ma
tante Cayen au détour du chemin conduisant
à la Rivière Cachée, une rigole serpentant tout
le long d’une oasis perdue dans ce coin du pays.
On l’appelait la Rivière Cachée, parce qu’il n’y
avait pas même de trace d’une rivière.
Ma tante La Gritte (Marguerite) était la veuve d’un Acadien qui s’était réfugié dans notre province lors de la déportation, et par corruption on les appelait les Cayens. C’était un tas, ma tante, une masse de chair pesant dans les 380 livres. Au reste, intelligente et homme d’affaires tant qu’on voudra.
Elle conduisait une jument jaune, maigre, longue comme un jour sans pain, et elle s’était juchée sur le siège d’une petite charrette, avec une hart à la main pour accélérer la marche de su bête.
En la rencontrant, mon ami Alphonse stoppa net.
— Whoa ! aïe, la mère, voulez-vous me vendre votre jument à la varge ?
— Ah ! bouffre ! Oui.
— Combien ?
— Neuf francs la varge.
— C’est bon, je l’achète.
Alors, ma tante La Gritte, sans cérémonie, relève la queue de sa jument :
— Entrez, M’sieu, l’commis va vous la mesurer.
— Touche, touche ! dit Alphonse à son camarade.
N’est-il pas vrai, Père Patenaude, que dans votre temps vous étiez le meilleur tireur de Saint-Rémi ?
— Ah ! oui, Monsieur, c’est vrai.
— Vous êtes allé à Rome dans le but de tuer Garibaldi, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous avez fait pendant votre séjour à Rome, parmi les zouaves ?
— Y m’t’uaient, j’en tuais, on s’tuait.
— Et Garibaldi ?
— Y s’est sauvé, l’crapaud, j’ai pas pu le r’ejoindre.