Contes choisis (Twain)/Sur les femmes de chambre

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Traduction par Gabriel de Lautrec.
Nelson, Éditeurs (p. 139-141).


SUR LES FEMMES DE CHAMBRE


Contre toutes les femmes de chambre, de n’importe quel âge ou pays, je lève le drapeau des célibataires parce que :

Elles choisissent, pour l’oreiller, le côté du lit invariablement opposé au bec de gaz. Ainsi, voulez-vous lire ou fumer, avant de vous endormir (ce qui est la coutume ancienne et honorée des célibataires), il vous faut tenir le livre en l’air, dans une position incommode, pour empêcher la lumière de vous éblouir les yeux.

Si, le matin, elles trouvent l’oreiller remis en place, elles n’acceptent pas cette indication dans un esprit bienveillant. Mais, fières de leur pouvoir absolu et sans pitié pour votre détresse, elles refont le lit exactement comme il était auparavant, et couvent des yeux, en secret, l’angoisse que leur tyrannie vous causera.

Et chaque fois, inlassablement, elles détruisent votre ouvrage, vous défiant et cherchant à empoisonner l’existence que vous tenez de Dieu.

S’il n’y a pas d’autre moyen de mettre la lumière dans une position incommode, elles retournent le lit.

Quand vous avez placé votre malle à cinq ou six pouces du mur, pour que le couvercle puisse rester debout, la malle ouverte, elles repoussent invariablement la malle contre le mur. Elles font cela exprès.

Il vous convient d’avoir le crachoir à une certaine place où vous puissiez en user commodément. Mais il ne leur convient pas. Elles le mettent ailleurs.

Vos chaussures de rechange sont exilées à des endroits inaccessibles. Leur grande joie est de les pousser sous le lit aussi loin que le mur le permet. Vous serez forcé ainsi de vous aplatir sur le sol, dans une attitude humiliante et de ramer sauvagement pour les atteindre avec le tire-bottes, dans l’obscurité, et de jurer.

Elles trouvent toujours pour la boîte d’allumettes un nouvel endroit. Elles dénichent une place différente chaque jour, et posent une bouteille, ou quelque autre objet périssable, en verre, où la boîte se trouvait d’abord. C’est pour vous forcer à casser le verre, en tâtonnant dans le noir, et vous causer du trouble.

Sans cesse elles modifient la disposition du mobilier. Quand vous entrez, dans la nuit, vous pouvez compter que vous trouverez le bureau où se trouvait la commode le matin. Et quand vous sortez, le matin, laissant le seau de toilette près de la porte, et le rocking-chair devant la fenêtre, de retour aux environs de minuit, vous trébucherez sur la chaise et vous irez à la fenêtre vous asseoir dans le seau. Cela vous dégoûtera. C’est ce qu’elles aiment.

Peu importe où vous placiez quelque objet que ce soit, elles ne le laisseront jamais là. Elles le prendront pour le mettre ailleurs à la première occasion. C’est leur nature. C’est un moyen de se montrer fâcheuses et odieuses. Elles mourraient si elles ne pouvaient vous être désagréables.

Elles ramassent avec un soin extrême tous les bouts de journal que vous jetez sur le sol et les rangent minutieusement sur la table, cependant qu’elles allument le feu avec vos manuscrits les plus précieux. S’il y a quelque vieux chiffon de papier dont vous soyez particulièrement encombré, et que vous épuisiez graduellement votre énergie à essayer de vous en débarrasser, vous pouvez faire tous vos efforts. Ils seront vains. Elles ramasseront sans cesse ce vieux bout de papier, et le remettront régulièrement à la même place. C’est leur joie.

Elles consomment plus d’huile à cheveux que six hommes. Si on les accuse d’en avoir soustrait, elles mentent avec effronterie. Que leur importe leur salut éternel ? Rien du tout absolument.

Si, pour plus de commodité, vous laissez la clef sur la porte, elles la descendront au bureau et la donneront au garçon. Elles agissent ainsi sous le vil prétexte de garder vos affaires des voleurs. Mais en réalité, c’est pour vous forcer à redescendre à la recherche jusqu’au bas de l’escalier, quand vous rentrez fatigué, ou pour vous causer l’ennui d’envoyer un garçon la prendre. Ce garçon comptera bien recevoir quelque chose pour sa peine. Dans ce cas, je suppose que ces misérables créatures partagent le gain.

Elles viennent régulièrement chercher à faire votre lit avant que vous soyez levé, détruisant ainsi votre repos, et vous réduisant à l’agonie. Mais dès que vous êtes levé, elles ne reparaissent plus jusqu’au lendemain.

Elles commettent toutes les infamies qu’elles peuvent imaginer, cela par perversité pure, et non pour quelque autre motif.

Les femmes de chambre sont mortes à tout sentiment humain. Si je puis présenter une pétition à la chambre, pour l’abolition des femmes de chambre, je le ferai.